Correspondance de Napoléon – Avril 1814

Avril 1814

 

Fontainebleau, 1er avril 1814, au soir.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général, à Fontainebleau.

Mon Cousin, donnez ordre au général Souham de partir demain de bonne heure avec sa division, de manière que je puisse en passer la revue dans la cour du Cheval blanc, entre neuf et dix heures du matin. Il continuera de là sa route pour se rendre à Essonne.

Donnez ordre au général Vincent de rejoindre sa division auprès du général Defrance.

Donnez ordre au général Defrance de partir demain pour se rendre à Fontenay-le-Vicomte et éclairer la rivière d’Essonne depuis la Ferté-Alais, en jetant des partis sur Arpajon. Il sera sous les ordres du duc de Raguse.

Écrivez au duc de Trévise de porter son quartier général à Mennecy.

Réitérez l’ordre au général d’artillerie pour que demain, à cinq heures du matin, les ducs de Raguse et de Trévise aient au moins, à eux deux, soixante pièces de canon. Je crois que, pour remplir ce but, il faut que le parc fournisse une trentaine de pièces.

Donnez ordre que les régiments provisoires soient dissous et que chaque détachement rejoigne son régiment. Ceux qui appartiendraient à la division Trelliard et au 5e corps attendront dans le lieu où ils se trouvent l’arrivée de ces corps, qui seront demain ou au plus tard après-demain sur Essonne.

Donnez ordre au général Sébastiani de partir demain de bonne heure avec la brigade Piré et les divisions de la Garde, de manière que je puisse demain, à dix ou onze heures, en passer la revue dans la cour du Cheval blanc. Il aura soin que les détachements du géné­ral Guyot et du général Ornano les aient rejoints auparavant.

Donnez ordre au général Ornano de prendre le commandement de la division que commande aujourd’hui le général Colbert.

Le général Piré, après que je l’aurai passé en revue, se canton­nera du côté de Montceaux, à une lieue derrière Essonne. Il prendra les ordres du duc de Raguse, si ce maréchal était attaqué.

La 3e division de la Garde se cantonnera à Saint-Sauveur et Pringy. Les 1er et 2e divisions se cantonneront dans les villages du côté d’Auvernaux, de Perthes, de Champceuil et de Nainville.

Le général Sébastiani portera son quartier général à Pringy, et prendra ses mesures pour avoir bien ses trois divisions dans la main et pouvoir les porter sur la ligne de la rivière d’Essonne, s’il était nécessaire.

Donnez ordre aux deux bataillons de vétérans de la Garde de rejoindre le duc de Raguse; ils partiront à cet effet demain à cinq heures du matin.

Faites faire dans la nuit le relevé de tous les dépôts et détache­ments qui sont ici. Réitérez les ordres pour que tout ce qui appar­tiendrait à la gendarmerie à pied rejoigne la gendarmerie qui est avec la vieille Garde. S’il y a 400 hommes, on en formera un bataillon.

Il faut charger de ce soin le général Friant. Toute la gendarmerie à cheval formera un régiment, auquel 100 gendarmes d’élite seront ajoutés, pour le porter à 400 hommes. Ce régiment fera partie de la 3e division de cavalerie de la Garde, que commande le général Lefebvre-Desnoëttes. Tâchez de le rendre le plus fort possible, et nommez un colonel ou un général pour le commander, afin qu’il puisse se battre en ligne.

Donnez des ordres pour que toutes les voitures de pain qui sont à la suite de la Garde soient déchargées à Essonne, et celles qui seraient plus près de Fontainebleau à Fontainebleau, pour que toutes servent à évacuer les magasins de farine de Corbeil sur Fontainebleau, dans un lieu qui sera déterminé.

Je verrai demain, à l’heure qu’il sera prêt, le régiment de gendar­merie à cheval qui va être réuni à la 3e division de la Garde à cheval et le bataillon de la gendarmerie à pied qui va être réuni à la Garde à pied.

Le bataillon d’instruction qui est à Fontainebleau fera partie de la division du général Henrion. Ce général, la vieille Garde avec l’ar­tillerie et les batteries de réserve prendront position demain au débou­ché de la forêt. Le corps du prince de la Moskova prendra position une lieue en avant.

Je verrai dans la cour du Cheval blanc Les cuirassiers Saint-Ger­main, à l’heure qu’ils arriveront. Il est nécessaire qu’ils rallient tous leurs détachements dans la journée de demain. Ce corps continuera sa marche pour prendre position au village de Saint-Germain et de Soisy (Saint-Germain-sur-École, Soisy-sur-École).

Enfin envoyez un officier à Melun pour savoir jusqu’où ont été les reconnaissances du général qui est dans cette ville.

 

3 avril 1814.

ALLOCUTION A LA VIEILLE GARDE.

Cette allocution fut prononcée à Fontainebleau, dans la cour du Cheval blanc, le 3 avril, et non le 4, ainsi que l’ont supposé la plupart des historiens. Des différentes versions qui ont été données de cette allocution célèbre, la Commission a préféré celle du général Pelet; ce général, qui commandait alors une brigade de la vieille Garde, transcrivit sur-le-champ les paroles de l’Empereur.

Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille Garde ! L’ennemi nous a dérobé trois marches. Il est entré dans Paris. J’ai fait offrir à l’empereur Alexandre une paix achetée par de grands sacrifices : la France avec ses anciennes limites, en renonçant à nos conquêtes, en perdant tout ce que nous avons gagné depuis la Révolution. Non-seulement il a refusé; il a fait plus encore : par les suggestions per­fides de ces émigrés auxquels j’ai accordé la vie, et que j’ai comblés de bienfaits, il les autorise à porter la cocarde blanche, et bientôt il voudra la substituer à notre cocarde nationale. Dans peu de jours, j’irai l’attaquer à Paris. Je compte sur vous.

(On garde le silence. L’Empereur reprend.) Ai-je raison ?

Tout à coup partit un tonnerre de cris : « Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! A Paris ! À Paris ! » On s’était tu, parce que l’on croyait inutile de répondre.

Nous irons leur prouver que la nation française sait être maîtresse chez elle ; que, si nous l’avons été longtemps chez les autres, nous le serons toujours chez nous, et qu’enfin nous sommes capables de défendre notre cocarde, notre indépendance et l’intégrité de notre territoire ! Communiquez ces sentiments à vos soldats.

 

Fontainebleau, 3 avril 1814.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général, à Fontainebleau.

Mon Cousin, donnez ordre au général Friant, qui aura sous ses ordres le général Henrion et toutes les batteries de réserve de la Garde, de prendre position ce soir entre Pringy et Tilly. Voyez le grand maréchal pour que mon quartier général soit placé dans celui de ces deux endroits qui sera le plus convenable, ou entre ces deux endroits.

Tout le quartier général y sera rendu ce soir.

  1. S. Le parc général restera à Fontainebleau.

 

Fontainebleau, 3 avril 1814, au matin

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général, à Fontainebleau.

Mon Cousin, donnez ordre au 2e corps, commandé par le général Gérard, de venir prendre position ce soir à Pringy et Boissise-le-Roi.

Donnez ordre aux 11e et 7e corps d’armée de prendre position ce soir, l’un à Chailly et Villiers-en-Bière, et l’autre à Fontainebleau : cela dépendra de celui qui arrivera Le premier ; le dernier restera à Fontainebleau.

Donnez ordre aux 5e et 6e corps de cavalerie de venir prendre position sur la petite rivière de l’École, depuis Saint-Germain jusqu’à Boissise. Chargez le général Belliard du détail de l’emplacement, afin que cette cavalerie ne soit pas mêlée avec la Garde, soit à pied, soit à cheval. S’il y avait de la Garde en deçà de la petite rivière de l’École, sur cette ligne ou même dans les villages au-delà qui tou­chent cette rivière, vous me proposeriez les ordres à donner à cette partie de la Garde pour qu’elle se porte en avant du côté de Paris.

Vous me ferez connaître celui des deux, du 7e ou du 11e corps, qui restera ce soir à Fontainebleau.

Napoléon.

 

Fontainebleau, 4 avril 1814.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général, à Fontainebleau.

Mon Cousin, envoyez l’ordre au duc de Raguse, au duc de Trévise, au duc de Reggio, au duc de Conegliano, aux généraux Bel­liard, Gérard, Sorbier, Dulauloy, Friant, Sébastiani, Trelliard, Milhaud, Lery, Saint-Germain, Defrance, Lefebvre-Desnoëttes , Ornano et Exelmans, de se rendre au palais ce soir à dix heures, et de prendre des mesures pour être de retour à leur poste avant le jour.

 

Fontainebleau, 4 avril 1814.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général, à Fontainebleau.

Écrivez au général Defrance :

« Rendez-vous sur-le-champ à la Ferté-Alais. Vous pousserez des partis sur Étampes et sur Malesherbes. Vous tiendrez à Malesherbes une de vos brigades à demeure. »

Donnez ordre à la division Lefebvre-Desnoëttes de se porter à Fon­tainebleau avec sa division.

Donnez ordre au duc de Reggio de laisser 500 hommes à Moret, avec deux pièces de canon, et de placer le reste de son corps entre Fontainebleau et Nemours.

Le 2e corps enverra une de ses divisions à Ury et la Chapelle-la-Reine, route de Fontainebleau à Malesherbes.

DÉCLARATION DU 4 AVRIL.

Les puissances alliées ayant proclamé que l’Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’Em­pereur Napoléon, fidèle à ses serments, déclare qu’il est prêt à des­cendre du trône, à quitter la France et même la vie, pour le bien de la patrie, inséparable des droits de son fils, de ceux de la régence de l’Impératrice et du maintien des lois de l’Empire.

(Cette déclaration, ou abdication conditionnelle, fut remise au duc de Vicence et aux maréchaux Ney et Macdonald, chargés par l’Empereur de se rendre à Paris pour négocier avec les souverains alliés la reconnaissance de Napoléon II. Napoléon fit quelques changements à la première rédaction, fout entière de sa main. On reproduit ici cette première rédaction d’après le fac-similé qui en a été communiqué par M. le comte de l’Escalopier.

Les puissances alliées ayant proclamé que l’Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, et l’Empereur ne pouvant es­sentiellement, sans trahir son serment, abandonner aucun des départements qui étaient réunis lorsqu’il est monté sur le trône, l’Empereur Napoléon déclare qu’il est prêt à descendre du trône, à quitter la France et même la vie, pour le bien de la patrie et conserver les droits du Roi son fils, de la régence de l’Im­pératrice, et les droits et constitutions de l’Empire français, auxquels il ne devra être fait aucun changement jusqu’à la paix définitive et pendant que les années étrangères seront sur notre territoire et celle du général Rottembourg (la 5e de la jeune Garde), et de se diriger sur Malesherbes.)

Fait en notre palais de Fontainebleau, le 4 avril 1814.

 

Fontainebleau, 5 avril 1814.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général, à Fontainebleau.

Mon Cousin, donnez ordre au général Trelliard, qui est du côté de Nemours, de se porter demain du côté de Pithiviers. Vous lui ferez connaître que nous marchons par Malesherbes sur Pithiviers. Il se rallierait donc à nous si nous avions à nous battre.

Donnez ordre au général Friant de partir demain, à six heures du matin, avec la division de la vieille Garde, celle du général Henrion et celle du général Rottembourg (la 5e de la jeune Garde), et de se diriger sur Malesherbes.

Vous donnerez ordre au général Ornano de prendre le comman­dement des 1er et 2e divisions de cavalerie de la Garde. Ces deux divisions, ainsi que la 3e qui est sous les ordres du général Lefebvre-Desnoëttes, ayant leur artillerie, marcheront sur Malesherbes.

Donnez ordre au général Gérard de faire partir demain avant le jour la brigade qu’il a à Ury, pour aller s’assurer du pont de Malesherbes, et de partir avec la seconde brigade, aussitôt que la Garde aura défilé, pour aller rejoindre sa division à Malesherbes.

Vous donnerez ordre au général Lefol de partir demain à la pointe du jour pour se rendre à Malesherbes. Donnez le même ordre au général Molitor, commandant le 11e corps.

Donnez ordre au général Defrance d’appuyer sur Malesherbes.

Donnez ordre au général Milhaud de partir demain à la pointe du jour pour appuyer sur Malesherbes. Il vous fera connaître la route qu’il prendra. Vous donnerez le même ordre au général Piré, qui rejoindra le général Milhaud.

Donnez ordre au général Saint-Germain d’appuyer également avec sa grosse cavalerie sur Malesherbes.

La cavalerie légère du général Maurin, qui est vis-à-vis Melun, y restera en observation et sera sous les ordres du duc de Trévise.

Instruire le duc de Trévise du mouvement que je fais. Il se mettra en marche demain, ayant sous ses ordres les dragons du général Roussel et la brigade de cavalerie légère du général Maurin, et il se dirigera sur Fontainebleau, pour pouvoir suivre après-demain notre mouvement.

Donnez ordre au duc de Reggio de partir demain, vers dix heures du matin, pour suivre le mouvement.

Le grand parc marchera immédiatement après la vieille Garde.

Par ce moyen, nous resterons maîtres de Fontainebleau encore toute la journée de demain, et notre tête sera à Pithiviers.

(Ces ordres ne purent pas être exécutés par suite de la défection du 6e corps,
que commandait le maréchal duc de Raguse)

 

Fontainebleau, 5 avril 1814

À L’ARMÉE.

L’Empereur adressa cette proclamation à l’armée en apprenant la défection du 6e corps. Dans la matinée du 5 avril, l’Empereur ignorait encore quelles avaient été les vraies dispositions de la population de Paris à l’approche des armées coalisées.

L’Empereur remercie l’armée pour l’attachement qu’elle lui témoigne, et principalement parce qu’elle reconnaît que la France est en lui, et non pas dans le peuple de la capitale. Le soldat suit la for­tune et l’infortune de son général ; son honneur est sa religion. Le duc de Raguse n’a point inspiré ce sentiment à ses compagnons d’armes; il a passé aux alliés. L’Empereur ne peut approuver la condition sous laquelle il a fait cette démarche ; il ne peut accepter la vie et la liberté de la merci d’un sujet.

Le Sénat s’est permis de disposer du gouvernement français ; il a oublié qu’il doit à l’Empereur le pouvoir dont il abuse maintenant ; que c’est l’Empereur qui a sauvé une partie de ses membres des orages de la Révolution , tiré de l’obscurité et protégé l’autre contre la haine de la nation. Le Sénat se fonde sur les articles de la Constitution pour la renverser. Il ne rougit pas de faire des reproches à l’Empereur, sans remarquer que, comme premier corps de l’État, il a pris part à tous les événements. Il est allé si loin, qu’il a osé accuser l’Empe­reur d’avoir changé les actes dans leur publication : le monde entier sait qu’il n’avait pas besoin de tels artifices ; un signe était un ordre pour le Sénat, qui toujours faisait plus qu’on ne désirait de lui. L’Empereur a toujours été accessible aux remontrances de ses mi­nistres, et il attendait d’eux, dans cette circonstance, la justification la plus indéfinie des mesures qu’il avait prises. Si l’enthousiasme s’est mêlé dans les adresses et les discours publics, alors l’Empereur a été trompé; mais ceux qui ont tenu ce langage doivent s’attribuer à eux-mêmes les suites de leurs flatteries. Le Sénat ne rougit pas de parler de libelles publiés contre les gouvernements étrangers; il oublie qu’ils furent rédigés dans son sein. Si longtemps que la for­tune s’est montrée fidèle à leur souverain, ces hommes sont restés fidèles, et nulle plainte n’a été entendue sur les abus du pouvoir. Si l’Empereur avait méprisé les hommes, comme on le lui a reproché, le monde reconnaîtrait aujourd’hui qu’il a eu des raisons qui moti­vaient son mépris. Il tenait sa dignité de Dieu et de la nation ; eux seuls pouvaient l’en priver; il l’a toujours considérée comme un far­deau, et, lorsqu’il l’accepta, c’était dans la conviction que lui seul était à même de la porter dignement.

Le bonheur de la France paraissait être dans la destinée de l’Em­pereur. Aujourd’hui que la fortune s’est décidée contre lui, la volonté de la nation seule pourrait le persuader de rester plus longtemps sur le trône. S’il se doit considérer comme le seul obstacle à la paix, il fait volontiers ce dernier sacrifice à la France. Il a, en conséquence, envoyé le prince de la Moskova et les ducs de Vicence et de Tarente à Paris pour entamer la négociation. L’armée peut être certaine que l’honneur de l’Empereur ne sera jamais en contradiction avec le bonheur de la France.

 

ACTE D’ABDICATION.

Les puissances alliées ayant proclamé que l’Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’Em­pereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce, pour lui et ses héritiers, aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire à l’intérêt de la France.

Fait au palais de Fontainebleau, le 11 avril 1814.

Napoléon.

 

Fontainebleau, 13 avril 1814.

Au général Corbineau, aide-de-camp de l’Empereur, à Fontainebleau.

Monsieur le Général Corbineau , je ne veux pas m’éloigner de vous sans vous témoigner la satisfaction que j’ai toujours eue de vos bons services. Vous soutiendrez la bonne opinion que j’ai conçue de vous, en servant le nouveau souverain de la France avec la même fidélité et le même dévouement que vous m’avez montrés.

Napoléon.

 

Fontainebleau,          huit heures du soir (présumée du 19 avril).

À l’Impératrice Marie-Louise, au château de Rambouillet.

Ma bonne Louise, j’ai reçu ta lettre; j’y vois toutes tes peines, ce qui accroît les miennes. Je vois avec plaisir que Corvisart t’encou­rage, je lui en sais un gré infini; il justifie par cette noble conduite toute l’opinion que j’avais de lui, dis-le-lui de ma part. Qu’il m’en­voie un petit bulletin, fréquemment, de ton état. Tâche d’aller de suite aux eaux d’Aix, que l’on m’a dit que Corvisart t’avait conseillées. Portes-toi bien, conserve ta santé pour (lacune) et pour ton fils, qui a besoin de tes soins.

Je vais partir pour l’île d’Elbe, d’où je t’écrirai. Je ferai tout aussi pour te recevoir.

Écris-moi souvent, adresse tes lettres au vice-roi, et à ton oncle, si, comme on le dit, il est fait grand-duc de Toscane.

Adieu, ma bonne Louise-Marie.

 

Fontainebleau, 20 avril 1814.

ADIEUX A LA GARDE.

Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l’honneur et de la gloire. Dans ces derniers temps, comme dans ceux de notre prospérité, vous n’avez cessé d’être des modèles de bravoure et de fidélité. Avec des hommes tels que vous, notre cause n’était pas perdue. Mais la guerre était interminable; c’eût été la guerre civile, et la France n’en serait devenue que plus malheureuse. J’ai donc sacrifié tous nos intérêts à ceux de la patrie; je pars. Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée ; il sera toujours l’objet de mes vœux ! Ne plaignez pas mon sort ; si j’ai consenti à me survivre, c’est pour servir encore à votre gloire ; je veux écrire les grandes choses que nous avons faites en­ semble! Adieu, mes enfants! Je voudrais vous presser tous sur mon cœur ; que j’embrasse au moins votre drapeau !

A ces mots, le général Petit, saisissant l’aigle, s’avance. Napoléon reçoit le général dans ses bras et baise le drapeau. Le silence que cette grande scène inspire n’est interrompu que par les sanglots des soldats. Napoléon, dont l’émotion est visible, fait un effort et reprend d’une voix ferme :

Adieu encore une fois, mes vieux compagnons ! Que ce dernier baiser passe dans vos cœurs !

 

Fontainebleau, 20 avril 1814, sept heures du matin.

A l’Impératrice Marie-Louise.

Cette lettre, tout entière de la main de l’Empereur, fut confiée par lui à M. de Bausset, l’un des préfets du palais, pour être remise à l’Impératrice. Mais M. de Bausset ne put rejoindre Marie-Louise et garda cette lettre ; elle s’est trouvée depuis dans la collection d’autographes de M. de la Jarriette.

Ma bonne amie, je pars pour coucher ce soir à Briare. Je partirai demain matin pour ne plus m’arrêter qu’à Saint-Tropez. Bausset, qui te remettra cette lettre, te donnera de mes nouvelles et te dira que je me porte bien et que j’espère que ta santé se soutiendra et que tu pourras venir me rejoindre. Montesquiou, qui est parti à deux heures du matin, doit être arrivé. Je n’ai point de tes nouvelles d’hier, mais j’espère que le préfet du palais me rejoindra ce soir et m’en don­nera. Adieu, ma bonne Louise. Tu peux toujours compter sur le courage, le calme et l’amitié de ton époux.

Napoléon.

Un baiser au petit Roi.

 

Fréjus, 27 avril 1814.

Au général comte Dalesme, commandant l’île d’Elbe

Monsieur le Général Dalesme, les circonstances m’ayant porté à renoncer au trône de France, sacrifiant ainsi mes droits au bien et aux intérêts de la patrie, je me suis réservé la souveraineté et pro­priété de l’île d’Elbe et des forts de Porto-Ferrajo et Porto-Longone ; ce qui a été consenti par toutes les puissances. Je vous envoie donc le général Drouot pour que vous lui fassiez sans délai la remise de ladite île, des magasins de guerre et de bouche, et des propriétés qui appartenaient à mon domaine impérial. Veuillez faire connaître ce nouvel état de choses aux habitants, et le choix que j’ai fait de leur île pour mon séjour en considération de la douceur de leurs mœurs et de la bonté de leur climat. Ils seront l’objet constant de mon plus vif intérêt.

Napoléon.

 

Fréjus, 28 avril 1814.

Au baron Corvisart, premier médecin de l’Empereur, à Paris.

Monsieur le Baron Corvisart, j’ai reçu votre lettre du 22 avril. J’ai vu avec plaisir la bonne conduite que vous avez tenue dans ces der­niers temps, où tant d’autres se sont mal conduits. Je vous en sais gré, et cela confirme l’opinion que j’avais conçue de votre caractère. Donnez-moi des nouvelles de Marie-Louise, et ne doutez jamais des sentiments que je vous porte.

Ne vous livrez pas à des idées mélancoliques ; j’espère que vous vivrez encore pour rendre des services et pour vos amis.

Napoléon.

 

Au Bouillidou, 29 avril 1814.

A M. Aune, au château du Luc (Var)

Vos procédés, Monsieur Aune, à l’égard de ma sœur (La princesse Pauline Rorghese, malade au château du Luc), vos atten­tions dans un moment de crise pour celui qui a voulu faire de la France le premier pays du monde, mais qui n’y a pas réussi, sont autant de titres qui vous donnent droit à ma reconnaissance.

Napoléon.