Correspondance de Napoléon – Avril 1806

Saint-Cloud, 28 avril 1806

A M. Mollien

Monsieur Mollien , les troupes italiennes qui sont en France, ont dû être soldées par le trésor d’Italie, et cependant elles ont été payées par le trésor de France. En avez-vous été remboursé par le trésor d’Italie ? Par le dernier décret que j’ai pris, les troupes italiennes que j’ai en France doivent être non-seulement payées, mais même nourries et entretenues par le trésor d’Italie. Écrivez à M. Dejean d’en faire faire le décompte jusqu’au ler juillet; que cet objet soit mis en règle; cela vous donnera des ressources pour le supplément qu’il sera nécessaire de payer pour mon armée d’Italie.

J’imagine que vous avez donné des ordres pour que les 1,600,000 francs que me doit mon trésor d’Italie, pour avril, soient versés dans la caisse du payeur de mon armée d’Italie pour payer la solde et les masses qui sont dues à cette armée. Il faut que le ministre Dejean ordonnance sur ce fonds, et sur ce que je lui ai accordé pour le mois de mai, toutes les dépenses de mon armée d’Italie, hormis celles du casernement et lits que le royaume d’Italie est tenu de fournir en nature; et, comme dans tous les états, les troupes italiennes qui sont à Boulogne ont été comprises pour la solde sur la masse générale, il faut porter comme ressource ce que vous doit et vous devra pour cela le royaume d’Italie jusqu’au ler juillet.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

Au général Dejean

Je ne sais pourquoi on a mis des prisonniers anglais à Arras; sans doute on a voulu les mettre à portée de chez eux pour se sauver.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

Au général Lacuée

Je vous envoie copie des observations que m’a fait faire le simple aperçu du compte rendu par le ministre de l’administration de la guerre. Ce qu’un peu de travail vient de me faire apercevoir est sans exemple. Je désire que vous examiniez ce travail avec la plus grande attention et que vous vous mettiez à la recherche de la vérité. Il est impossible que je fasse moi-même tous les calculs; les éléments me manquent et je n’ai point assez de détails pour discuter les raisonnements du ministre.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, voici des observations que m’a fait faire le simple aperçu du compte rendu des différents services de votre ministère depuis le ler vendémiaire an XIV jusqu’au 17 avril 1806.

Fourrages. La dépense présumée pour les fourrages est portée, pour six mois, à 6,259,000 francs; on évalue la ration à 1 franc 60 centimes, évaluation plutôt forte que faible. On suppose une consommation de 3,900,000 rations; ce qui, divisé par jours donne 20,500 chevaux. Il est vrai qu’on réduit ces 20,500 chevaux à 17,186; mais cette réduction est faite par des motifs qui ne pas bons. D’abord, dit-on, il faut ôter la consommation de vendémiaire, qu’on évalue à 928,000 rations, pour le mouvement de la Grande Armée : mais ce mouvement était fini avant vendémiaire; et, le 8 ou le 10 vendémiaire, il n’y avait pas un homme de cavalerie sur la rive gauche. Deuxièmement, on ôte 118,000 rations au corps d’armée du général Saint-Cyr, qu’on calcule à 3,900 chevaux : il ne les avait pas, et les trois quarts étaient italiens et, dès lors, nourris par le royaume d’Italie. Ainsi cette réduction à 17,186 chevaux ne peut être admise. Pour dire que 6,259,000 francs sont nécessaires, il faut que l’on ait consommé 3,900,000 rations; il faudrait donc qu’il y eût eu 20,000 chevaux par jour : mais si l’on regarde les états remis par les inspecteurs aux revues, on y voit portés :

Pour vendémiaire, 16,000 chevaux; mais, sur ces 16,000 chevaux, il faut ôter 2,300 chevaux, qui étaient à l’armée de Naples, et nourris par le roi de Naples en vendémiaire, et les 7,600 chevaux de l’armée d’Italie, qui ont tous été nourris par réquisition.

En brumaire, on trouve 15,000 chevaux, sur lesquels il y en a 9,000 de l’armée d’Italie, qui ont été nourris par les pays vénitiens ou par réquisition, ceux de Batavie, nourris par le gouvernement batave.

En frimaire, on porte 22,000 chevaux : mais les 12,00o chevaux de l’armée d’Italie étaient nourris par le pays vénitien et par la Styrie et la Carinthie; plus de 300 chevaux, qui étaient en Hollande, étaient nourris par la Hollande; 1,000 chevaux étaient dans le royaume d’Étrurie, quoique j’aie peine à concevoir qu’il y ait eu 1,000 chevaux en Étrurie; mais encore ils auraient été nourris par la reine d’Étrurie.

En janvier, on trouve 21,000 chevaux; mais il y en a 8,800 de  l’armée d’Italie et 1,800 de l’armée du Nord qui étaient en Hollande. D’ailleurs le service de l’armée d’Italie, en janvier, était fait par le royaume d’Italie.

En février, on trouve 20,000 chevaux; mais il y a toujours 8,900 du royaume d’Italie, 400 du maréchal Lefebvre en Allemagne, 680 du général Colaud en Hollande, 270 du général Michaud en Hollande. On ne parle pas de l’exagération des autres articles.

En mars, on porte 11,000 chevaux.

De sorte qu’en prenant pour complant les calculs de l’inspecteur aux revues, et je crois qu’il y aurait beaucoup à redire, on arrive jamais qu’à 192,000 rations pour vendémiaire, 144,000 pour brumaire, 206,000 pour frimaire, 270,000 pour janvier, 297,000 pour février, 342,000 pour mars; ce qui, à 1 franc 60 centimes, ferait 2,328,000 francs de dépenses. Il a été payé 4,852,000 francs. Cela forme une différence de 2,500,000 francs qui ont été donnés de plus aux fournisseurs.

Je ne puis me dissimuler que le chef de bureau Laumoy, qui a signé ces états, est d’une grande malhabileté, s’il pense justifier des avances si considérables sur des calculs aussi évidemment irréfléchis.

Quant à l’indemnité de fourrages, elle est évaluée à 830,000 francs, lorsque, dans l’an XIII, où toute l’armée était à Boulogne, cette indemnité a coûté 1,200,000 francs. Par analogie, j’arrive à prouver que l’indemnité de fourrages ne peut être, pour ces six mois, de 300,000 francs; cependant 830,000 francs sont sortis du trésor.

Chauffage. En l’an XIII le chauffage a coûté six millions; ce qui fait pour six mois trois millions. J’ai donc gagné, à ce que mon armée était dehors, une augmentation de dépense ! Certes, le chauffage ne peut coûter un million.

Étapes, convois et transports militaires. Les étapes, convois et transports militaires ont coûté en l’an XIII 7,400,000 francs, ce qui fait pour six mois 3,700,000 francs. On demande onze millions. Je sais bien qu’il a été fait, cette année, plus de mouvements que l’année passée, non de conscrits, car les mouvements de conscrits n’ont pas été plus considérables cette année, mais de troupes; mais cela peut-il faire l’effroyable différence de quadrupler la dépense ?

Invalides. Comment demande-t-on deux millions pour les Invalides ? Cette dépense sera donc plus forte que l’année passée, et par quelle raison ? Cela est d’autant moins convenable que, dans le mémoire qui appuie l’état, cette dépense n’est portée, par évaluation, qu’à 1,500,000 francs.

Lits militaires. Les lits militaires n’ont coûté en l’an XIII que 2,200,000 francs, et l’on demande, pour six mois, 2,300,000 francs !

Logements. L’indemnité de logement n’a coûté, l’an passé, que 3,500,000 francs, et cette année vous demandez un million pour six mois; et il n’y a pas sans doute la même quantité de troupes dans l’intérieur.

Hôpitaux. On porte 5,100,000 rations pour six mois; ce qui fait 24,000 malades par jour. L’état que je fais faire prouvera qu’il n’y a pas eu constamment 12,000 malades par jour, l’un portant l’autre. L’état que vous présentez porte 18,000 malades, et sans doute on ne veut pas me faire payer les malades de Hollande, de Hanovre, d’Italie et de Naples, qui sont cependant portés dans les états.

Mobilier. Les 1,500,000 francs donnés pour achat et entretien de mobilier sont une dépense inutile qu’on a faite. On aurait pu tout aussi bien dépenser quinze millions.

Officiers de santé. Il me semble que tous les officiers de santé de la Grande Armée ne sont pas payés; cependant on a 500,000 francs pour extraordinaire des officiers de santé.

Viande. Il faut observer que l’armée d’Italie a vécu de réquisitions et que les 2,200,000 rations de viande n’ont pas été fournies par M. Delannoy; que, dans les corps de réserve, il y a une exagération d’au moins un quart.

Habillement. La première et la seconde portion de la masse d’habillement se monteraient à neuf millions pour sept mois; l’année passée, elles se sont montées à treize millions pour toute l’année, tant pour les fournitures ordinaires que pour les fournitures extraordinaires. Il faut commencer par faire connaître la retenue à faire pour ce que doit chaque corps pour fournitures, soit de souliers, soit de tricots, qui ont été payés par le ministre et fournis en nature aux corps. Il faut avoir l’état des souliers qui existent aujourd’hui, et de ceux distribués aux corps, parce qu’il faudra la leur retenir.

Boulangerie. L’armée d’Italie a vécu de réquisitions; au mois de brumaire, elle était dans le pays vénitien. Par vos états, il parait que, pour sept mois, vous avez payé 40,030,000 rations, ce qui fait 182,000 hommes par jour. Il faut en ôter d’abord tout ce qui est relatif à l’armée d’Italie, ensuite tout ce qui est relatif aux compagnies de réserve et à la gendarmerie, qu’on parait avoir compris dans les états. Rien n’est aussi inexact que les états remis par les inspecteurs aux revues : ce corps s’est bien relâché depuis un an et ne remplit point son but. Je fais dresser des états des troupes qui sont en France depuis six mois, sur les livrets qui me sont remis chaque mois, et d’après la connaissance que j’ai de l’emploi des troupes. Vous y verrez une immense différence avec les vôtres.

Je ne puis me dissimuler que les états qui me sont remis sont faits par des hommes qui ne suivent pas l’administration, et qu’il y a du relâchement dans cette partie du service.

Dans le mois de janvier , il n’y avait dans l’intérieur que 60,000 individus prenant ration, en y comprenant les 27e et 28e divisions militaires : vous en portez 85,600 , ce qui fait un quart de plus qu’il ne faut.

RÉSUMÉ – Les dépenses de la boulangerie ne peuvent dépasser 7,300,000 francs pour sept mois, desquels il faut ôter, pour réquisitions en France, 572,000 francs. Je ne conçois pas pourquoi vous ajoutez au service présumé fait les 720,000 francs de réquisitions que vous avez payés. C’est par ce faux calcul que vous portez que le munitionnaire doit 2,124,000 francs, tandis qu’il doit 2,700,000 francs; et, en y joignant 1,300,000 francs qu’on lui a mal à propos payés pour le royaume d’Italie, et 1,400,000 francs pour ce que les consommations de l’intérieur ont été portées trop haut, cela fera monter son débet à cinq millions.

Pour les fourrages, les fournisseurs ont reçu de trop 2,500,000 francs : pour indemnités de fourrages, il y a 500,000 francs de trop payé.

Pour chauffage, 1,600,000 francs de trop payé.
Pour étapes et convois militaires, un million.
Pour lits militaires, indemnités de logement et geôlage, au moins 380,000 francs.
Pour les hôpitaux, au moins trois millions.
Pour la viande, au moins 3,500,000 francs.
Pour l’habillement, il faut faire connaître ce qui a été payé, ce qui n’a pas été fourni, et les à-compte donnés à chaque corps, qui n’ont pas été retenus. Faute de faire ces retenues, on fait payer double aux corps, et l’on introduit des abus et du désordre dans leur administration. Ceci est encore un objet de plusieurs millions. Tout cela réuni composerait un trop payé de quinze à vingt millions, sans compter qu’au lieu de payer les trois quarts du service on aurait tout soldé.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

A la princesse Élisa

Ma Sœur, j’ai reçu vos différentes lettres. Il est cependant indispensable que vous me présentiez des dispositions pour établir la dotation du duc de Massa. La vente des biens des couvents vous rendra beaucoup d’argent. Enfin, si tout ce qu’on a demandé est trop exagéré, on pourra se contenter d’un arrangement qui en assurera la moitié; mais cette partie sera absolument nécessaire.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, vous trouverez ci-joint des observations sur le mémoire du général Marmont, dans lequel il y a de bonnes choses; mais il ne remplit pas encore mon but. Je désire apprendre qu’on ne perd pas de temps et que les travaux de Palmanova sont en grande activité. Il y a six ans que j’ai ordonné qu’on levât la carte du Milanais jusqu’à l’Adige. Je n’en ai encore tiré aucun profit. Je désire savoir où en est ce travail. Faites d’abord lever les bords de 1’lsonzo, puisque nous les avons encore, et que le temps peut venir où nous serons obligés de reprendre les anciennes frontières vénitienne. Faites faire ce travail dans le moins de temps possible; car, comme c’est là que se porteraient les premiers coups, il sera bon d’avoir des cartes. Vous ferez suivre le travail de là au Tagliamento, du Tagliamento à la Piave et de la Piave à l’Adige.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

NOTE

On a lu le mémoire du général Marmont, en date du 15 avril. Il renferme de bonnes idées; mais voici les observations qu’il fait naître.

Si l’on ferme la vallée de l’Isonzo par une place, l’ennemi, une fois maître de cette place, la trouverait tout à son avantage; où bien il faudrait la construire tellement forte qu’elle pût raisonnablement être à l’abri d’être prise; ce qui exigerait d’abord un grand nombre d’hommes, de grands travaux, et des frais pour l’artillerie et pour les vivres beaucoup trop considérables. Il ne faut donc placer aucun obstacle dans la vallée de l’Isonzo, parce que cet obstacle serait avantageux pour l’ennemi s’il s’en emparait dès le commencement d’une campagne. Si l’on est sur la défensive et maître de la rive droite de l’Isonzo, il sera facile de trouver une position qui intercepte la vallée; et quand l’ennemi voudra combiner l’opération de ses divisions partant de Tarvis avec ses divisions partant de Laibach, l’armée française, qui sera entre ces divisions, aura toujours le moyen de tomber sur l’une ou l’autre isolément et de les accabler séparément quelle que soit, d’ailleurs, la justesse de l’opération en question et elle n’aura pas besoin d’avoir un fort pour cet objet. Dans une manœuvre de cette espèce, Palmanova serait très-utile ; elle contiendrait l’ennemi , devant lequel on se serait dérobé sur un point, et mettrait en sûreté les magasins, pendant deux ou trois jours qu’on se serait dégarni devant lui.

La seconde observation est que nous ne sommes pas maîtres de l’Isonzlo, que nous devons tenir à le garder, mais qu’en réalité il ne nous appartient pas par le traité de Presbourg.

Un fort qui fermerait la vallée de Natisone n’aurait cependant pas les inconvénients relatés ci-dessus. En supposant même que l’ennemi s’en emparât, il ne gênerait en rien les opérations de Goritz à Tarvis, ni celles d’Osoppo à Tarvis. Il faudra le bloquer seulement pendant les huit ou dix jours que l’artillerie de Palmanova mettrait à le reprendre.

Où doit être ce fort ? A Robig. Mais n’est-ce pas sur le territoire autrichien ? Ne doit-on pas le placer plutôt à Stupizza, où l’ennemi prit position en l’an VI, et reçut le combat de la division du général Guieu ?

Il faut pour cela une position qu’on puisse défendre par un seul ouvrage; un petit mamelon qui ne soit pas dominé et que couronnerait une redoute maçonnée, avec contrescarpe; ou, si l’on veut, une casemate à feux de revers, qui coûterait tout au plus 3 à 400,000 francs, qui présenterait un logement pour 2 ou 300 hommes, et serait suffisamment garnie avec douze à quinze pièces d’artillerie; enfin, des chemins couverts et autres ouvrages en terre au bas du mamelon, et qu’on établirait en quinze jours de temps et suivant les circonstances. On veut qu’une division de 4 à 5,000 hommes puisse se trouver protégée par cette redoute contre des forces supérieures, et qu’on puisse appuyer, par son moyen, le point qu’on choisirait pour intercepter la vallée de l’Isonzo; que, devant ployer toute la gauche sur la droite, afin de marcher, soit sur Monfalcone, soit sur Goritz, pour attaquer l’ennemi avec toutes les forces de l’armée française réunies, et en gagnant sur lui une ou deux marches, cette redoute l’arrêtàt, et pût aussi renfermer les petits magasins et un petit dépôt de munitions de guerre, et aidât à prolonger l’erreur des ennemis et mît obstacle à sa marche sur Cividale : car on suppose que quelques hussards, quelque artillerie légère et quelques compagnies d’éclaireurs se replieraient devant l’ennemi et tiendraient toujours ses éclaireurs en respect. L’ennemi qui, après avoir cerné et sommé la redoute, voudrait continuer sa marche, ne pourrait aller jusqu’à Udine sans artillerie. Il faudrait donc, s’il était possible, que l’emplacement du fort fût tellement choisi que l’ennemi ne pût transporter son artillerie sans éprouver un retard de plusieurs jours, qu’il devrait employer et perdre en construction de chemins.

Ainsi donc il ne peut être question d’établir une place si à proximité de l’extrême frontière. Il vaut mieux diriger tous ses efforts pour avoir une bonne place de dépôt dans Palmanova, et se contenter d’établir dans l’endroit désigné un très-petit fort, que l’ennemi ne pourrait cependant prendre avec de l’artillerie de campagne, qui soutiendrait quelques jours de tranchée ouverte; et ce but serait rempli moyennant une dépense de 3 à 400,000 francs, sauf, par la suite, à y continuer des ouvrages de défense si cela était nécessaire. Si l’armée était battue ou qu’elle dût se replier derrière le Tagliamento sans espérance de revenir sur ses pas avant quelques semaines, alors le fort pourrait être abandonné et son artillerie serait transportée à Palmanova.

Quoique ce fort doive être une fortification permanente, on ne peut cependant le considérer que sous le point de vue de fortification de campagne. Il pourra, dans la main d’un général, contribuer au succès d’une opération, et dès lors rendre un immense service; et dans la défensive il en rendrait encore, en ôtant toute inquiétude et en donnant plusieurs jours à l’armée qui serait réunie du côté de Palmanova, et qui ne se trouverait pas obligée de se diviser, puisque ce petit fort protégerait assez une très-petite division pour que la grande communication d’Udine se trouvât suffisamment surveillée. Malgré tous les avantages qu’on vient d’examiner, la considération de la défense serait de nature à y faire renoncer. Il faut connaître plus exactement les localités et tout ce qui intéresse Caporetto, Cividale, Udine et les principaux endroits des environs.

Le général Marmont parle d’une route de Canale à Cormons, praticable pour les voitures. Il importe d’être parfaitement sûr s’il en existe pas d’autre de cette espèce. Il faudrait pour cela faire lever un croquis du pays et donner des détails exacts sur les torrents de  Natisone et de Judrio, etc., afin qu’on pût apprécier d’une manière vraie si la dépense du fort dont on a parlé serait compensée par les avantages qu’on en retirerait.

Indépendamment des opérations que l’ennemi peut faire par les routes de Tarvis à Caporetto, et de Goritz à Laybach, il peut en faire, et c’est assez dans le génie autrichien, en combinant les divisions qui déboucheraient par Caporetto et Cividale avec celles qui passeraient par Pontebba, la Chiusa vénitienne et Gemona, et c’est pour cela qu’on s’est établi et fixé à Osoppo, où le terrain épargnait des frais considérables en offrant des fortifications naturelles auxquelles l’art n’avait pas beaucoup à ajouter. Il serait bon d’avoir des descriptions exactes de la communication d’Osoppo à la Chiusa vénitienne et à Pontebba.

Il faut donc faire faire des croquis et des reconnaissances plus détaillées de toute cette partie; mais c’est à Palmanova surtout qu’il faut travailler avec la plus grande activité. Il faut avoir fini cette année les casernes, les citernes, les magasins, et que les neuf flèches qui ont été ordonnées et qui augmentent si considérablement la défense de Palmanova soient aussi cette année dans tout leur jeu. On n’a pas encore reçu les plans d’Osoppo; on les attend pour les examiner. Cette place a un double avantage : celui de servir de dépôt pour la ligne du Tagliamento et d’observation pour le débouché de Pontebba.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je vois, par la lettre du général Chasseloup du 21 avril, qu’il a fait des dettes pour des achats de bois. Les approvisionnements de bois ne regardent pas le génie, et l’argent que je donne pour les fortifications ne doit pas être employé à ces dépenses. Faites liquider ces objets, et assurez-vous qu’il n’est rien dû. Le général Chasseloup est accoutumé à jeter l’argent à tort et à travers, et pour n’arriver à aucun résultat. Je ne veux dépenser à Mantoue que ce que j’ai ordonné. Qu’ai-je besoin de tant dépenser à la Rocca d’Anfo ? Ne me coûte-t-elle déjà pas assez ? Avant de rien dépenser davantage à Peschiera, je veux voir les plans. Il est temps enfin de savoir comment l’on dépense l’argent; c’est en le dépensant mal que les ingénieurs n’en ont pas pour les choses importantes. La chose qui m’importe essentiellement, c’est que les principales dépenses soient faites à Palmanova et à Osoppo, et que les travaux de ces places soient poussés avec la plus grande activité. Je compte employer, des fonds du royaume d’Italie, 300,000 francs pour Zara; mais j’attends les plans de cette place.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

Au prince Eugène

Depuis le 1er janvier, le service se fait en Italie aux frais du trésor d’Italie. Faites-moi connaître qui fait le service du pain. Si c’est compte de la compagnie Maurin, et que vous lui deviez de l’argent, il est nécessaire de m’en prévenir, car elle m’en doit furieusement.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, j’approuve la mesure que vous proposez pour la solde du corps de troupes qui est en France. J’ordonne au ministre du trésor public d’en agir comme vous le désirez. Je ne sais pas pourquoi l’on fait payer par le trésor italien la solde que j’ai faite aux troupes italiennes à Vienne.

La garde italienne ayant rendu des services et ayant été payée les contributions levées en pays conquis, il n’est pas juste de faire rembourser ces sommes par le trésor italien; prenez des mesures pour les faire restituer. Celte restitution me servira à donner une gratification à la Garde.

Le traitement que vous faites à M. Bertin est beaucoup trop fort; 50,000 francs sont un traitement immense. Vous avez dû recevoir, à son sujet, des lettres du ministre de la marine.

Je n’approuve point les magistrats civils pour préfets; vous pouvez cependant les laisser jusqu’au ler juillet; mais, passé le mois de juillet, il faut suivre la marche générale. Envoyez des Italiens dans le pays de Venise, et des Vénitiens en Italie. Vous pouvez prendre le titre de prince de Venise.

 

Saint-Cloud, 28 avril 1806

DÉCISION

Le sieur Saucède, agent de change à Paris, propose à l’Empereur de lui vendre le château de Bagatelle, pour en faire le rendez-vous de ses chasses dans le bois de Boulogne.Renvoyé au ministre des finances. Je ne veux pas faire de Bagatelle un rendez-vous de chasse; mais l’administration forestière peut l’acheter, afin de ne rien défaire.

 

Saint-Cloud, 29 avril 1806

A M. Delamalle, avocat.

Monsieur Delamalle, j’ai lu avec plaisir ce que vous avez dit de M. Tronchet. J’approuve beaucoup la manière dont vous avez parlé de circonstances délicates, qui auraient été, pour un mauvais esprit, une occasion de blesser beaucoup de monde et de réveiller des passions, chose la plus contraire à ma volonté. Je vous sais gré de ce bon esprit, et je désire des occasions de vous le témoigner.

 

Saint-Cloud, 29 avril 1806

A M. Gaudin

J’ai nommé M. Cretet gouverneur de la Banque, et M. Thibon sous-gouveneur, parce que je les connaissais personnellement l’un et l’autre; mais je ne connais point M. Vital-Roux, qui m’est aussi proposé, et je ne pourrais le nommer que sur la présentation que vous m’en ferez. Remettez-moi demain une liste de candidats.

 

Saint-Cloud, 30 avril 1806

A M. Lacépède

Je crains que, dans le grand nombre de promotions dans la Légion d’honneur qui ont été faites dans la Grande Armée, les corps n’en aient proposé légèrement et, entre autres, beaucoup de jeunes gens qui n’auraient qu’un an ou deux de service; ceci ne s’applique pas aux soldats qui auraient pu se distinguer par de grands traits de courage. Je vous prie de me faire un relevé des officiers qui n’auraient que vingt-cinq ans et qui n’auraient pas huit ans de service, et que cependant j’aurais nommés, cette campagne, de la Légion d’honneur.

 

Saint-Cloud, 30 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, recommandez bien au général Molitor de tenir ses troupes réunies et de ne pas les disséminer dans les îles, car on me les ruinera entièrement. Si l’on a mis des Français dans l’île de Curzola, qui est si éloignée, on a fait une grande imprudence. Il est beaucoup plus convenable d’y mettre des Dalmates et même de former quelques compagnies de gens du pays. Je reçois votre lettre du 25 avec la carte de la Dalmatie. Ces renseignements que vous me donnez sont encore bien peu de chose. Je vous le répète de nouveau, recommandez bien qu’on ne dissémine pas mes troupes, et qu’on ne les expose pas à être prises dans les îles. Ne pourrait-on pas employer là un bataillon de Dalmates ? Vous comprendrez facilement que Anglais et les Russes, qui sont maîtres de la mer, s’empareront toujours des îles quand ils voudront, en y mettant cinq fois plus de monde. Il n’y a que les Dalmates qui puissent les défendre. Plusieurs dispositions comme celles de Curzola ruineraient entièrement mes troupes.

 

Saint-Cloud, 30 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, on me donne des préjugés contre votre préfet de Venise. Tâchez de nommer là un Bolonais ou un Milanais choisi parmi les personnes considérables du pays et qui aient eu affaire avec moi dans le premier temps de la République; il y en avait dans la République cispadane qui étaient des hommes d’un grand mérite. Faites venir Dandolo, traitez-le bien, c’est un homme de talent, de caractère, probe, et qui a sa portion de popularité et d’influence. Les hommes supérieurs voient d’en haut et dès lors au-dessus des partis.

Il serait assez convenable qu’une députation de Vénitiens, composée des hommes les plus considérables et les plus connus, se rendit à Paris, tant pour me prêter serment au nom de leurs compatriotes que pour me témoigner leur contentement de faire partie du royaume d’Italie. Je les recevrai à Paris avec apparat, et cette démarche serait convenable sous tous les points de vue, mais il faut que l’initiative vienne d’eux. Je recevrai volontiers deux députés de Padoue, deux du Frioul, deux de Trévise, un de Bassano, deux de Vicence; je ne parle pas de la Dalmatie, elle est trop éloignée.

Je vous recommande de compléter les bataillons dalmates à 1,000 hommes chacun, de ne pas les mettre à Mantoue, où ils périraient tous, mais dans l’intérieur, à Crémone par exemple. Faites-les recruter en Dalmatie ; ce sont des soldats braves et qui me seront utiles dans bien des circonstances. Dites à Caffarelli qu’il me rende bien compte de tout l’argent qui a été dépensé dans son ministère. Quarante millions me paraissent une dépense énorme pour une si petite armée. Vous donnerez aux bataillons dalmates le dernier numéro des régiments italiens.

Tâchez de faire tomber les choix pour les députés des pays vénitiens sur des hommes dignes d’être faits membres de la Légion d’honneur, susceptibles d’être nommés chambellans et d’occuper des emplois de cour ou des places dans l’administration.

Faites connaître au général Lery que je vous demande fréquemment des détails sur Palmanova; que j’espère qu’à la fin de mai les neuf lunettes seront entreprises à la fois. Je vous ai écrit hier pour des reconnaissances à faire le long de l’Isonzo par vos ingénieurs géographes; profitez du temps où nos troupes y sont. N’oubliez pas Monfalcone et la partie des montagnes de Monfalcone qui dominent Gradisca. En l’an VI, les Autrichiens avaient fait là un camp retranché, et je crois que par Monfalcone j’ai des positions qui rendraient vaines toutes les dispositions que l’ennemi pourrait faire en temps de paix. Quand vos occupations vous le permettront, partez de Milan incognito avec trois voitures, rendez-vous à Palmanova, à Monfalcone, parcourez à cheval les bords de l’Isonzo en revenant par Gemona : ce sont là vos frontières, vous serez un jour appelé à les défendre; il faut que le plus petit chemin, la moindre position, vous l’ayez vue. Huit jours de reconnaissance à cheval à Osoppo, à Monfalcone, à Canale, à Caporetto, à Udine, à la Chiusa di Pletz, à Pontebba, à la Chiusa vénitienne, sont des reconnaissances importantes et qui vous seront bien précieuses; non-seulement on visite, mais on fait des notes, qu’on retrouve dans le temps. Je crois que vous avez vu tout cela fort jeune, mais je crois que vous n’avez pas vu avec le détail convenable; il faut revoir aujourd’hui.

 

Saint-Cloud, 30 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je vous ai écrit pour que vous vous formiez un équipage de chasse. Il est assez important que les grands d’Italie prennent l’habitude de monter à cheval; l’exercice et la fatigue de la chasse ne peuvent que leur être avantageux. Il vaudrait beaucoup mieux qu’ils prissent ce passe-temps que de rester toujours auprès des femmes. Pour vous, d’ailleurs, ce délassement est nécessaire.