Correspondance de Napoléon – Avril 1806
Saint-Cloud, 22 avril 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, mon intention n’est point qu’on envoie 10,000 fusils d’Alexandrie sur Ancône. A quoi bon ces transports, si ce n’est qu’à abîmer nos fusils en les faisant voyager tout le long de la botte ? Ce n’est qu’un moyen d’armer les habitants. Ordonnez que les fusils qui sont à Plaisance soient envoyés à Mantoue. Il est nécessaire d’avoir toujours un bon nombre de fusils dans cette place. Il faut y comprendre les fusils que j’ai à Palmanova, venant de Vienne; je dois en avoir au moins 20,000.
Il ne peut entrer dans l’idée de personne de rendre inutiles les affûts que nous avons, soit qu’ils appartiennent au système de M. de Gribeauval, soit qu’ils appartiennent au nouveau système. Dès que le premier inspecteur général sera arrivé, on agitera la question des pièces de 12. En attendant, je désire qu’on ne fasse aucun changement à nos pièces de 12, qui jusqu’à présent ont été reconnues bonnes.
Saint-Cloud, 22 avril 1806
NOTE POUR LE MINISTRE DE LA GUERRE
Si l’on construit des bâtiments pour faire des salles d’armes, on a tort. Avec deux ou trois chambres de caserne, on construit une superbe salle d’armes, capable de contenir 20,000 fusils. C’est dans tout que l’on porte cet esprit de luxe ruineux et qui empêche de faire le nécessaire. Dans l’état actuel de notre artillerie, et dans les circonstances de la guerre où nous sommes engagés, il est ridicule de faire des salles d’armes; partout où il y a des casernes on a des salles d’armes.
Saint-Cloud, 22 avril 1806
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, il parait que les affaires de Cattaro ne se décident pas; je suis pourtant bien résolu à ne pas évacuer l’Allemagne que je ne sache à quoi m’en tenir. Faites surveiller les mouvements des Autrichiens. J’ai une grande quantité de biscuit à Augsbourg; faite le transporter à Braunau, et faites passer à Passau celui que j’ai Ulm; si je dois faire la guerre, il me servira; si je ne dois pas faire la guerre, je le donnerai au roi de Bavière.
Saint-Cloud, 22 avril 1806
Au vice-amiral Decrès
J’adopte votre travail du 14 sur la Martinique. Présentez-moi des projets de décrets pour rappeler l’amiral Villaret en France et lui donner le commandement d’une escadre, pour nommer le général Ernouf commandant des deux îles, le général Ambert, lieutenant général Ernouf, commandant la Guadeloupe. Il me semble qu’à moins de grandes raisons on pourrait conserver le général d’Houdetot, sans envoyer un autre général, ce qui occasionnerait de nouvelles dépenses. Il faut rappeler M. Lefessier-Grandpré et nommer M. Bertholio grand juge des deux îles. Voyez le grand juge pour un procureur général près la cour d’appel de la Martinique.
A ces mesures, il faut ajouter celle de rappeler le colonel d’artillerie Villaret, et de nommer un autre colonel d’artillerie directeur; même chose pour le génie; de manière qu’il n’y ait là que des officiers du génie et d’artillerie qui aient fait la campagne de la Grande Armée.
Mon intention est de rappeler le capitaine d’artillerie Saucé, actuellement sous-directeur, Jacob , Brabant, Bexon, du génie et Laberthie, chef d’escadron, Louis-Claude-Auguste Mollet, qui est dans la gendarmerie. Je ne signerai ces différents décrets que lorsque j’aurai la certitude que vous êtes descendu dans tous les étages de la milice, et que vous me proposez de rappeler en France tous ceux qui ont servi les Anglais, et de les remplacer par des officiers sûrs.
Les frégates qui porteront ces hommes aborderont à la Guadeloupe; elles y prendront le général Ernouf et le conduiront à la Martinique. Il lui sera remis un paquet qu’il n’ouvrira que huit jours après le départ de l’amiral Villaret. L’amiral Villaret parti, on fera partir tous ceux dont le paquet du général Ernouf contiendra l’ordre de départ, malades ou bien portants, jeunes ou vieux. Telle est ma volonté formelle. Ils seront bien traités à leur arrivée en France. Dans ces mesures, je ne comprends pas les officiers civils, comme le procureur impérial, etc. Je ne veux à la Martinique que des militaires dévoués et ennemis des Anglais.
Saint-Cloud, 22 avril 1806
Au roi de Naples
Mon Frère, je reçois votre lettre du 5 avril. Je vois avec plaisir qu’on a brûlé un village des insurgés. Des exemples sévères sont nécessaires. J’imagine qu’on aura fait piller ce village par les soldats. On doit ainsi traiter les villages qui se révoltent. C’est le droit de la guerre, mais c’est aussi un devoir que prescrit la politique.
A dater du ler mai, j’ai établi une estafette pour communiquer régulièrement avec le royaume de Naples, cette mesure aura l’avantage de nous offrir des moyens de correspondance plus rapides que par les courriers ordinaires et dont vos administrations pourront profiter.
J’ai réuni les dépôts de votre armée en Romagne, dans le Bolonais et dans le Modénais; je les ai partagés en deux divisions d’infanterie, une division de chasseurs et une de dragons. J’ai dirigé en même temps un grand nombre de conscrits sur ces dépôts, afin que les quatorze bataillons qui les composent soient portés au complet et me forment une réserve de 14,000 hommes pour contenir le haut de l’Italie. Il est nécessaire que les majors s’y rendent et que les cadre des autres bataillons, c’est-à-dire les officiers et sous-officiers, y soient envoyés, ainsi que les registres des corps, sans quoi ils seront perdus dans ces courses multipliées ; ce qui serait une source de désordres et de confusion pour les corps.
Le 62e régiment a quatre bataillons à votre armée; renvoyez aux dépôts les cadres des 3e et 4e, ce qui vous laissera deux bataillons passables de 7 à 800 hommes chacun; les cadres de ces 3e et 4e bataillons, réunis à leur dépôt, le porteront à 2,000 hommes. Le 20e est à quatre bataillons; il y en a un à votre dépôt et trois à votre armée; gardez le ler et le 2e, et renvoyez le cadre du 3e. Le 14e de chasseurs a quatre escadrons à votre armée; renvoyez le cadre du 4e au dépôt. Même chose pour les 25e de chasseurs, 23e, 29e, 30e de dragons. Ne gardez, en général, que les trois escadrons à cheval de tous vos régiments français de cavalerie, pour en avoir un au dépôt; cela soulagera votre solde, mettra de l’ordre dans la comptabilité et augmentera mes troupes en Italie; car l’Europe n’est pas tellement rassise que je n’aie besoin d’avoir encore des troupes sous la main.
Je vois que le 14e d’infanterie légère a trois bataillons à l’armée : si cela est, renvoyez le 3e bataillon au dépôt. Je dirai la même chose du ler d’infanterie légère, des 42e et 6e de ligne et du 23e d’infanterie légère. Ne gardez que deux bataillons à l’armée et renvoyez les cadres des autres bataillons aux dépôts, dans le royaume d’Italie.
Je verrai avec plaisir que vous renvoyiez quatre régiments français, tels que le 62e et les trois autres régiments qui ont le plus fatigué. Si vous prenez ce parti , vous les dirigerez sur Ancône. Le régiment de la Tour d’Auvergne, qui est fort de 3,000 hommes, les deux bataillons du 1er régiment suisse, vous indemniseront de la perte de ces quatre régiments; et vous sentez que, pour moi, ce n’est point la même chose : car si les Russes faisaient des mouvements qui me donnassent lieu de marcher à leur rencontre, il serait trop tard de retirer des troupes de chez vous.
Vous avez beaucoup trop de monde; vous avez aussi trop de chevaux. Renvoyez en Italie et à Ancône tout ce qui vous est inutile. Gardez avec vous les Polonais, les Suisses, les Corses, troupes qui sont très-bonnes pour le pays où vous êtes. Vous devez trouver des draps et des souliers à Naples et dans le royaume. Faites habiller vos troupes avec des draps faits de laines du pays.
Je crois que dix régiments francais de deux bataillons chacun, à 1,000 hommes par bataillon, ce qui ferait 90,000 hommes, 2,000 Allemands, 1,200 Suisses, autant de Corses, suffisent pour les royaumes de Naples et de Sicile. Il ne faut pas, en Sicile, plus de 15,000 hommes. Cependant ce n’est pas très-pressant; je laisse encore tout ce que vous avez à votre disposition, hormis que je vous recommande d’envoyer aux dépôts qui sont en Italie les 3e et 4e, bataillons et les 4e escadrons, et de ne garder que deux bataillons par régiment d’infanterie et trois escadrons par régiment de cavalerie.
Saint-Cloud, 22 avril 1806
Au vice-amiral Decrès
Monsieur Decrès, donnez ordre à l’amiral Villeneuve de se rendre chez lui, en Provence , et d’y rester tranquille jusqu’à son échange.
Si le capitaine Infernet s’est bien conduit, témoignez-lui ma satisfaction.
Faites venir à Paris le capitaine Lucas; je verrai avec plaisir et brave homme.
Saint-Cloud, 22 avril 1806
Au maréchal Moncey
J’apprends avec peine la mort du lieutenant Gonin ; mais il est mort en faisant son devoir. Faites-moi connaître le nombre et l’âge de ses enfants et leur situation, afin que je pourvoie à tout ce qui peut leur être nécessaire.
Saint-Cloud, 23 avril 1806
Charles Filangieri, Napolitain, sous- lieutenant au 3e de ligne, sur le point de partir pour Naples, demande à l’Empereur la décoration de la Légion d’honneur. | Qu’il aille toujours à Naples. Il est encore jeune pour avoir la décoration de la Légion d’honneur. Je sais qu’il se conduit bien. Je le recommanderai au roi de Naples. |
Saint-Cloud, 25 avril 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur de Talleyrand, je vous envoie une réclamation de la princesse de Lucques. Il faut absolument que la reine d’Étrurie cède ces pays à cette princesse, soit en lui en rendant l’équivalent sur les terres du Pape, qui, d’un autre côté, pourra être indemnisé sur le royaume de Naples, soit en lui en payant la rente.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je viens de me faire rendre compte de la situation des finances de mon royaume d’Italie. Il en résulte que la recette pour 1805 s’est montée à cent quatre millions, et que la dépense a été de quatre-vingt-huit millions; qu’ainsi il y avait en caisse seize millions au 1er janvier; que, pour 1806, le revenu sera de cent quatorze millions et la dépense de cent huit millions; qu’ainsi il y aura encore six millions de reste, ce qui fera, au ler janvier 1807, une vingtaine de millions en caisse. Cette situation est très-satisfaisante. Les dépenses de la guerre, tant pour 1805 que pour 1806, sont énormes; j’espère que Caffarelli y mettra de l’économie.
La réunion de Venise vous donnera au moins un excédant de quatre ou cinq millions par an. Ainsi vous avez les finances les plus prospères du monde. Vous pouvez donc vous en aider pour le service de la Dalmatie- Il est possible que je fasse une opération pour reconquérir les bouches de Cattaro. Il est convenable que vous puissiez aider à cette opération par l’emploi de quelques millions sur mon trésor d’Italie.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je vois dans votre lettre du 19 avril qu’on a le projet de dépenser 100,000 francs à Venise, 40,000 francs à la Rocca d’Anfo, 290,000 francs à Pizzighettone, 4,000 à Vérone. Cela est contre mon intention. Je ne veux rien dépenser à la Rocca d’Anfo, rien à Pizzighettone, rien à Venise. Je me réfère aux ordres que j’ai donnés.
J’ai arrêté les plans de Palmanova; ils doivent être arrivés; c’est là que je veux dépenser beaucoup d’argent. Je ne veux point que le général Chasseloup continue à me jeter des millions sans rien faire.
Je vous envoie copie de mes lettres du 28 février et du 1er mars. Je vous rends responsable si l’on dépense un sou ailleurs que dans les places que j’ai désignées.
Je vous avais demandé, par ma lettre du 13 mars, une reconnaissance entre l’Isonzo et Palmanova pour y établir une troisième place; je n’en entends plus parler. Je ne connais point encore Zara.
Écrivez à Lauriston de rester en Dalmatie, où je vais lui donner une mission. S’il n’y était plus, qu’il reste à Milan; dans peu de jours je lui enverrai des ordres.
Peschiera mérite toute votre attention. Les plans du général Chasseloup sont gigantesques et déplacés. Mon intention est qu’il soit construit sur la hauteur une redoute maçonnée avec escarpe et contrescarpe, laquelle battra toute la plaine et rendra ce côté-là tellement fort que l’ennemi préférera attaquer de l’autre côté. On pourra construire une casemate à feux de revers; elle doit être telle qu’elle ne me coûte pas plus de 300,000 francs. On peut en faire, cette année, le massif et la contrescarpe, et, une autre année, l’escarpe et les établissements. Au reste, il faudrait que le général Chasseloup, s’il continue à en être chargé, m’envoyât d’autres plans, car, je le répète, tout son plan est à réformer. J’imagine que le côté qui regarde Lonato est fini. Ces travaux sont suffisants pour donner un nouveau degré de force à la place.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, il n’y a pas d’inconvénient à accorder au pacha de Scutari ce qu’il demande; il est utile de le bien traiter. Vous lui ferez sentir que ce que vous faites est contre la règle établie, mais que je désire faire quelque chose qui lui soit agréable.
Dites à M. Guicciardi qu’il faut qu’il reste à sa place, que les raisons qu’il donne n’ont pas de sens, et qu’il faut qu’il serve.
Dandolo sera bon partout où vous le mettrez. Vous vous faites peut-être de fausses idées de la popularité. Il a été très-populaire à Venise; pourquoi n’y serait-il pas employé, puisque beaucoup de gens qui ont servi les Autrichiens doivent l’être ? On n’a jamais attaqué sa probité, ses mœurs; il peut avoir été exalté, mais c’était dans des circonstances extraordinaires. S’il veut aller en Dalmatie, il faut l’y employer. Quant à ridée qu’il ne veut point servir, il fera tout ce qu’on voudra.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, si j’avais besoin d’envoyer en Corse le bataillon brescian, irait-il ? Pourrais-je organiser des dépôts italiens pour envoyer également en Corse 400 dragons sachant monter à cheval, habillés et armés ? Ceci est pour vous seul.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, la princesse Pauline ne demandera pas mieux que de céder Guastalla au royaume d’Italie, c’est-à-dire les douanes et toutes les impositions directes et indirectes, en se réservant seulement le titre et les biens allodiaux qu’elle pourrait posséder, ou de le vendre entièrement, en s’en réservant seulement le titre; de manière qu’elle puisse, avec ce que lui en donnerait le royaume d’Italie, acheter en France une terre qui lui rendrait ce que lui rend Guastalla. Faites-moi connaître ce que cela peut valoir.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
A M. Lacépède
Je n’ai pas encore jugé à propos de signer le décret que vous m’avez présenté sur Chambord; la lecture de votre rapport m’a fait naître des idées que je veux mûrir. En attendant présentez-moi un projet de décret qui mette à votre disposition la somme nécessaire pour faire réparer la maison et faire les dépenses préalables, pour qu’au 1er janvier 1807 cette maison soit en activité et puisse recevoir les cent élèves.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
Au vice-amiral Decrès
Je désirerais avoir l’état de rations par ports et par mois pendant l’an XII, l’an XIII et les cent jours de l’an XIV. Comment en l’an XIV et 1806 ont-elles pu coûter 12,600,000 francs ? Comment en l’an XIII trente et un millions, et en l’an XIII trente-quatre millions ? Il y a bien de l’exagération dans tous ces calculs-là. Vous dites qu’avril coûtera 1,400,000 francs; on prend donc actuellement dans la marine 50,000 rations ? J’ai de la peine à le concevoir.
Saint-Cloud, 25 avril 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, mon intention est que les drapeaux du duc de Clèves soient arborés dans Wesel , mais qu’en réalité le commandement en reste tout entier à la France. En conséquence, gouverneur militaire, officiers d’artillerie et du génie, garnison, tout doit être français; entretien de l’artillerie, des fortifications, approvisionnements, tout doit être fait aux dépens de la France. Vous donnerez ordre au commandant d’armes de Wesel d’y exercer la même influence qu’exercent mes commandants dans les places de Hollande, en étant cependant subordonné au prince, mais au prince seul; et, pendant son absence, il doit se considérer, par rapport aux autorités du duché, comme mes commandants d’armes en Hollande vis-à-vis des agents de la république Batave, si le Grand Pensionnaire était à Bois-le-Duc. Il ne fait partie d’aucune division militaire; il doit correspondre tous les jours avec vous et vous rendre compte de l’état de la place. Donnez ordre que les casernes soient promptement réparées et mises en état de recevoir 3,000 hommes. Vous devez avoir les états de la garnison en règle; je vous envoie des états provisoires qui me sont arrivés.
Saint-Cloud, 26 avril 1806
Au prince Joachim
J’ai reçu votre lettre. Voici les ordres que j’ai donnés pour Wesel. Les drapeaux y seront arborés, quoique en réalité le commandement de cette place appartiendra à la France, et, toutes les fois que vous serez à Düsseldorf, le commandant vous rendra compte et sera sous votre dépendance; mais en votre absence aucun de vos ministres ni agents n’aura aucun ordre à donner à ma garnison , à mes officiers ou à mes magasins d’artillerie et du génie. Le commandant, de son côté, n’aura à donner aucun ordre aux habitants; il sera considéré comme les commandants français dans la république de Hollande. J’ai nommé le général de brigade Piston commandant d’armes, et j’ai ordonné qu’on fasse réparer promptement les casernes, et qu’on les mette en état de recevoir 3,000 hommes.
Je crois que Wesel est la seule place de votre duché où je doive garder des troupes. Du moment que vous aurez fini vos démêlés avec vos voisins, et que votre prise de possession sera terminée , je ne verrai point de difficulté à faire rentrer toutes les troupes françaises.
Saint-Cloud, 26 avril 1806
A M. de Champagny
Monsieur Champagny, l’affaire de l’adjoint de la mairie de Dijon a fixé mon attention. Le préfet n’avait pas le droit de nommer un commissaire pour recevoir le serment du maire; il n’avait pas le droit, pour une simple difficulté d’attributions, de prendre un arrêté et de le rendre public, et de placer ainsi un magistrat respectable dans l’alternative, ou de subir le déshonneur, ou de faire un coup de tête. Par la publicité donnée à son arrêté, le préfet a fait un appel au public, qui n’avait point à se mêler de cette discussion. Il ne s’est point comporté, dans cette circonstance, avec cet esprit de conciliation dont il est dans mon intention que mes agents usent entre eux. La subordination civile n’est point aveugle et absolue; elle admet des raisonnements et des observations, quelle que puisse être la hiérarchie des autorités. Ici, l’autorité qui a imprimé la première est celle qui a tort. Quelle opinion le préfet a-t-il donc des égards qu’il doit à la capitale du département qu’il administre, puisqu’il a dédaigné de se rendre à l’hôtel de ville pour installer son maire ? Si je m’étais trouvé à Dijon dans cette circonstance, je me serais fait un plaisir de cette installation. Le préfet est un magistrat populaire; mais le maire est plus particulièrement le magistrat de la ville. Les honneurs qu’on accorde à ce dernier, lors d’une installation solennelle, sont une marque de considération pour la ville et une fête communale. Je n’exige d’obéissance aveugle que dans le militaire. L’adjoint a, par son arrêté du ler avril, déclaré que M. Durande était maire; il l’a déclaré parce que mon décret le portait, et mon décret a force d’exécution du moment qu’il est contre-signé par un ministre. L’attache du préfet devenait non-seulement inutile, mais elle pouvait être dangereuse. Dans l’ordre militaire, qui est sans application pour les choses civiles, un ordre de moi n’est rien s’il n’est transmis en suivant les degrés de la hiérarchie; mais un décret contre-signé par mon ministre s’exécute de lui-même dans l’ordre civil. Les préfets ne sont que trop enclins à un gouvernement tranchant, contraire à mes principes et à l’esprit de l’organisation administrative. Par l’arrêté du 29 mars, le préfet ordonne à un conseiller de préfecture de recevoir le serment du maire; mais l’adjoint, par son arrêté du 1er avril, ne prescrit rien de contraire; il reconnaît sur-le-champ le maire, sauf la prestation de serment, et sans prescrire le lieu où ce serment doit être prêté. Tout pouvait donc encore se concilier; il fallait faire prêter serment le 2 avril à M. Durande; tout était alors terminé. L’arrêté du préfet et l’espèce de proclamation du maire se trouvaient d’accord. L’arrêté de protestation pris par l’adjoint le 5 a en effet quelque chose de coupable et d’inconséquent, puisque, d’après sa déclaration, il n’exerçait plus les fonctions de maire. Mais cette protestation a-t-elle été ou n’a-t-elle pas été imprimée ? Si elle ne l’a pas été, ce n’est qu’un appel à l’autorité supérieure, et il est bien évident que ce n’est qu’une protestation, puisqu’il y est dit qu’elle sera remise à M. Piette, en l’invitant à la joindre au procès-verbal lorsqu’il viendra pour recevoir le serment du maire, en exécution de l’arrêté du préfet. L’insubordination serait caractérisée si l’adjoint s’était opposé à l’exécution de cet arrêté, et encore il l’aurait fait sous sa responsabilité, et sauf à justifier sa conduite; et assurément je ne lui donnerais pas tort sans avoir pesé ses observations; car je ne reconnais pas d’obéissance aveugle dans l’ordre civil. Quel est le résultat de tout ceci ? C’est que, d’après la proclamation de l’adjoint, qui se rapportait à mon décret et à l’arrêté du préfet, ma volonté aurait été exécutée au 1er avril; tandis que, par l’acte du préfet, elle ne l’était pas encore le 5. Il y a dans tout cela défaut de tact et de véritable esprit d’administration. Je désire donc que vous témoigniez mon mécontentement au préfet de ce qu’il a apporté du retard dans l’exécution de ma volonté; de ce qu’il n’a pas usé, envers la ville de Dijon, de la considération et de l’aménité qu’il est dans mon intention que les préfets manifestent dans leurs rapports avec les communes; de ce que, sans en avoir le droit, il a délégué l’obligation de recevoir le serment du maire; de ce qu’il a dédaigné une de ses plus belles et de ses plus douces fonctions, tandis qu’un administrateur habile aurait profité de cette occasion pour parler aux notables d’une ville, exciter leur attachement à l’État, et donner de la considération à des places si importantes. Vous témoignerez mon mécontentement à l’adjoint de ce que sa prestation a été imprimée, si elle l’a été en effet; car c’est là son tort le plus réel. S’il ne l’a pas imprimée, vous lui témoignerez encore mon mécontentement de ce que, par son arrêté du ler avril, il a directement rendu inutile la prestation de serment telle que le préfet l’avait prescrite, et montré peu d’égards pour ce magistrat. Le préfet est trop coupable administrativement, il s’est conduit d’une manière trop contraire à mes intentions pour que je puisse aller plus loin. L’autorité des préfets est trop considérable; il y a à en craindre l’abus plus que le relâchement; et, à cette occasion, vous ferez une circulaire aux préfets, pour leur faire connaître que je n’entends qu’ils impriment aucun arrêté contre les officiers municipaux et leurs subordonnés. C’est vous qui êtes juge des faits d’administration, et non la ville ou le département, à moins qu’on ne veuille que le préfet délibère et qu’il prononce entre le préfet et les municipalités. Je sais fort bien que, dans l’ancien ordre de choses, des contestations de cette nature avaient souvent lieu , et cet inconvénient résultait de la trop grande complication des autorités, et de cet esprit d’indécision qui empêchait le Gouvernement de les classer d’une manière précise. Mais alors ces contestations étaient constamment un objet de désordre et de scandale. Au sujet du cas particulier dont il s’agit, il doit être établi en règle fixe qu’un maire nommé par moi doit être installé avec solennité dans la maison commune, et que son serment doit être prêté entre les mains du préfet ou entre celles de celui qui, par une distinction honorable, aurait été chargé de le recevoir par mon décret.
Saint-Cloud, 26 avril 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, mon intention est que toute ordonnance qui serait délivrée pour payement de fourrages au profit des fournisseurs soit rejetée au trésor, et renvoyée au ministre Dejean, auquel vous ferez connaître qu’elles sont biffées, car l’examen de ses comptes prouve que les fournisseurs me doivent deux millions sur ce chapitre. Je crois que le ministre a ordonnancé pour 4,852,000 francs de fourrages pour vendémiaire, brumaire, frimaire, janvier, fèvrier et mars. Faites-moi connaître ce que vous avez payé là-dessus par chaque mois à chaque compagnie.
Saint-Cloud, 26 avril 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur Talleyrand, remettez au cardinal Caprara une note, que vous me communiquerez avant, pour témoigner mon mécontente-ment de ce que, tandis que, par une bienveillance marquée pour le Saint-Siège, j’ai toujours payé les dépenses qu’a occasionnées le passage de mes troupes, on met sur le peuple un impôt odieux et vexatoire, en faisant accroire que c’est pour payer la nourriture de l’armée française; que je demande satisfaction pour cette injure; que la reine de Naples n’a rien fait de pis quand elle était le plus forcenée contre la France; que ces mesures, jointes aux renseignements que j’ai sur la grande quantité de chefs de bande que l’on réunit à Rome, me convainquent que le projet du gouvernement est d’aiguiser les poignards contre les traînards de l’armée française et de renouveler le système du cardinal Busca; que je déclare qu’au premier soldat français qui serait assassiné, le secrétaire d’État Consalvi, véritable cause des malheurs et des dissensions qui divisent le Saint-Siège, en sera personnellement responsable; qu’on met les choses dans un état de crise tel, qu’il faudra bien que je prenne des mesures pour le faire cesser.
Saint-Cloud, 26 avril 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, donnez ordre au général Travot de se rendre à l’île d’Aix, et de visiter dans le plus grand détail les batteries, les magasins et les troupes qui forment la garnison de cette île; de se rendre ensuite aux îles de Ré et d’Oléron et de les visiter avec le même soin. Il restera dans chacune de ces îles jusqu’à ce qu’elles soient dans en parfait état de défense, car il sera possible que l’ennemi veuille y tenter quelque chose pour nuire à notre escadre. Le général Travot chargera le général Dufresse de la défense de ces trois îles, et spécialement de l’île d’Aix, où il établira, passant la journée à exercer les troupes et les maintenant dans le meilleur ordre. Vous ne manquerez point de lui faire sentir toute l’importance de cette mission.
Saint-Cloud, 26 avril 1806
Au général Mouton, aide de camp de l’Empereur
Partez dans la journée, rendez-vous à l’île d’Aix, et prenez les mesures nécessaires pour qu’il y ait dans cette île au moins 1,200 hommes; que les canonniers soient bien exercés. Faîtes sentir au préfet maritime, au général qui commande à Rochefort, qu’à l’apparition de la première croisière ennemie qui voudrait forcer mon escadre, on doit mettre dans l’île toutes les troupes dont on peut disposer. J’ai ordonné au général commandant la division de s’y rendre, mais je désire que vous y restiez pour y recueillir tous les renseignements sur sa situation et me répondre. Au moindre doute resterez dans l’île pour en prendre le commandement. Vous visiterez mon escadre, et vous me ferez connaître sa situation; vous visiterez les batteries, les travaux du Boyard et les îles de Ré et d’Oléron, et vous me rendrez compte de tout dans le plus grand détail.