Correspondance de Napoléon – Avril 1806

La Malmaison, 10 avril 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, on me remet des états des armes portatives qui ne sont point exacts. Je n’y vois point l’état des fusils que j’ai à Fenestrelle, dans la citadelle de Turin, au fort Barraux, à Mantoue; faites faire ces états avec plus d’exactitude.

Quant au budget, les observations que vous me remettez tombent sur deux objets : la première , sur l’insuffisance du fonds pour les armes portatives; mon intention est que l’on fabrique le plus d’armes possible. Si le fonds qui est destiné à cet objet est insuffisant, j’accorderai un supplément sur le fonds de réserve. La seconde observation est relative au fonds pour les salles d’armes; nous en avons suffisamment. Tous les nouveaux établissements qu’on fait absorbent beaucoup d’argent sans raison. Cela petit être fait avec le temps, dans des années où il y aura moins de dépenses.

Quant aux constructions, je ne puis comprendre que nous ayons un déficit aussi considérable qu’on l’avance. On dit qu’il manque tant d’affûts de siége, tant d’affûts de place : sans doute , si l’on suppose que toutes nos places seraient assiégées à la fois. Mais, si l’on avait l’argent nécessaire, serait-il convenable d’avoir à la fois une si grande quantité d’affûts, dont les cinq sixièmes pourriraient dans les arsenaux sans avoir jamais servi ? Nous en avons le nombre nécessaire. Dans la situation actuelle de l’Empire , l’art consiste à avoir les approvisionnements dans plusieurs points centraux d’où on puisse les diriger, selon les circonstances militaires, sur telle ou telle place.

Il en est de même pour les équipages de campagne. C’est erreur de penser qu’il faut, pour le service de l’Empire , des attirails et des caissons pour trois ou quatre mille pièces de campagne. Les pièces de campagne sont plus que suffisantes, et avec ce nombre on est sûr de n’avoir jamais besoin d’aucun transport. Avec les attirails d’un équipage de trois cents bouches à feu pour la Hollande, la côte de Flandre et le Nord ; d’un équipage de trois cents bouches à feu pour Metz, Strasbourg et le Rhin, de deux cents pour l’Italie, et de deux cents pour les Pyrénées, la Bretagne et la Méditerranée, on a plus que le nécessaire. J’aurais de la peine à comprendre que je n’eusse pas ce qui est nécessaire pour former ces quatre équipages. Faites-moi un rapport qui me fasse connaître en détail la situation de l’artillerie. On peut avoir autant de pièces de canon que l’on veut, elles ne dépérissent point; autant de fer coulé que l’on veut, cela ne dépérit point; mais il ne faut avoir que l’attirail nécessaire, parce que cela périt.

 

Malmaison, 10 avril 1806

DÉCISION

Le ministre de la guerre propose de renforcer la garnison d’Alexandrie, afin de disposer de 4,000 travailleurs pour accélérer les travaux des fortifications de cette place.Il faut, avant tout, pourvoir  aux hôpitaux; celui de la citadelle est un meurtre.

 

La Malmaison, 10 avril 1806

Au maréchal Berthier

Je suis fâché que vous ayez envoyé votre frère à Paris. Je n’ai point voulu le voir et je ne le recevrai point. Écrivez-lui de repartir sur-le-champ. Votre frère a gagné deux millions en Hanovre, et il ne faut pas qu’il fasse l’important. Si, aujourd’hui qu’il est riche, il veut s’affranchir de ses devoirs, il s’en trouverait mal. Je tiens à déshonneur qu’un général quitte ses troupes. Quant à des couches de femme, je n’entre pas dans ces détails-là; ma femme aurait pu mourir à Munich ou à Strasbourg, cela n’aurait pas dérangé d’un quart d’heure l’exécution de mes projets ou de mes vues. Croyez-vous que tous les militaires qui sont en Allemagne, et vous tout le premier, n’aient point envie de revenir, et même qu’indépendamment des raisons de service je n’en ai point d’autres de vous désirer à Paris ? Mais le militaire tombe en quenouille, et je veux être inflexible. Si le général Berthier était venu sans votre ordre, il aurait été sur-le-champ arrêté.

L’invasion des bouches de Cattaro me contrarie beaucoup, car il me tarde bien que mes troupes rentrent en France. Il est impossible que les Russes restent longtemps dans un poste si important, et il n’y a point de doute que la Porte, qui est très-prononcée contre eux et qui n’est point dans la disposition de nourrir une guerre chez elle, ne fasse rendre les bouches de Cattaro.

Envoyez-moi un détail, écrit pour moi, des dilapidations, afin que dans la distribution des gratifications je porte en compte à chacun ce qu’il a pris. Le million que vous envoyez passe sans doute par la caisse de la Bouillerie, qui en donnera avis à la caisse d’amortissement pour en faire recette.

 

La Malmaison, 10 avril 1806

Au vice-amiral Decrès

J’ai lu avec attention la dépêche de M. Laussat (Préfet à la Martinique). Je désire que vous montriez à M. Dubuc cette chanson, qui est véritablement tout à fait anglomane, et me présentiez un mémoire sur ce qu’il y a à faire pour changer cette situation.

Envoyez-moi :

1° La note des officiers du génie et d’artillerie qui se trouvent dans l’île et n’auraient pas fait la guerre en France; mon intention est de les rappeler tous et de les remplacer par des officiers de leur grade, choisis parmi les meilleurs;

2° La composition des membres pour la cour de justice, et comment la composer de manière que la grande majorité fût des hommes venus de France, ennemis des Anglais.

Enfin tâchez d’avoir la note des individus qui se comportent mal; on enverra l’ordre de les faire passer en France.

Expédiez un brick pour la Martinique, et écrivez au général Villaret que j’ai lu cette chanson avec indignation, et que je suis surpris que la police de l’île ne fasse pas arrêter et ne mette pas un terme à de pareils abus; qu’il ne convient pas à des officiers français d’entendre l’éloge de l’anglomanie, et que son éloge par cette même bouche ne peut avoir été fait que par ses plus grands ennemis; que je sais qu’il a trop d’indulgence pour une soixantaine de freluquets qui abusent de son nom ; qu’il faut qu’il y mette ordre. Ordonnez-lui l’exécution des règlements militaires. Pour l’artillerie, je penserais que, dans la situation actuelle de la Martinique, il serait bon d’expédier trois bricks, savoir : un le plus tôt possible, le deuxième le 1er mai, et le troisième le 15 mai; sur chacun de ces bricks, un officier de confiance qui pût revenir et voir bien la situation des choses; on pourra envoyer par chacun de ces bricks, des lettres au préfet pour qu’il soit conciliant et ferme, et des lettres au général Villaret pour lui donner plus de caractère et lui enjoindre de réprimer les partisans de l’Angleterre.

 

La Malmaison, 10 avril 1806

A l’amiral Decrès

Le véritable blocus établi par les russes dans la mer Adriatique est leur occupation des Sept-Îles. Vous voudrez bien donner ordre à nos corsaires de courir sur le pavillon des Sept-Îles, et à tous nos commandants de confisquer les bâtiments portant ce pavillon dans un port soit de France ou d’Italie, et d’interrompre les communications de Naples, Ancône, Venise, avec les Sept-Îles. Vous en écrirez à cet effet à Venise et à Ancône.

 

La Malmaison, 10 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je vous prie de dire à mon ministre des finances Prina de lire avec attention ce rapport du directeur général de la régie des sels et tabacs de Turin. Il me semble que, proportionnellement à ce que cet impôt me rend dans mon royaume d’Italie, cette régie ne me rend pas assez. Comme Prina a beaucoup d’expérience sur ces matières, je désire qu’il me fasse un petit rapport confidentiel, qui ne sera connu que de moi, avec les observations que la lecture de ces états pourra lui suggérer.

 

La Malmaison, 10 avril 1806

Au prince Joseph

Mon Frère, je reçois votre lettre du 27 mars. J’ai des états détaillés des sommes que Masséna, Solignac, le payeur et d’autres officiers ont reçues. J’ai destitué Solignac, qui a été le bas intrigant de toute cette vilaine affaire. Six ou sept millions ne sont pas indifférents à l’armée. Ce n’est que joindre le ridicule au mal de la chose que de dire qu’on a reçu de l’argent en cadeau des gouvernements qu’on venait d’établir; il y a dans cela quelque chose de plus révoltant que la la chose même. On tire beaucoup de lettres de change de Naples sur ici. Prenez garde que je suis obligé à des dépenses immenses et que je serai dans l’impossibilité d’y faire face. J’ai ordonné qu’on acquittât les 2,900,000 francs de lettres de change que vous m’avez annoncées il y a un mois; mais ayez soin que les états en règle en soient envoyés par le payeur à la trésorerie. Il y a des formes dont moi-même je ne suis pas exempt et c’est là le palladium de l’État. Il faut que je sois assuré que, quand mes troupes sortiront du royaume de Naples, elles n’aient rien d’arriéré sur leur solde.

 

La Malmaison, 10 avril 1806

Au prince Joseph

Mon Frère,  je reçois votre lettre du 30 mars. Je reçois avec plaisir l’assurance que mon armée sera soldée jusqu’au ler avril. Désormais je ne pourrai vous envoyer aucun argent.

Vous pouvez envoyer dans les États du Pape, du côté d’Ancône, les régiments qui vous sont inutiles; ils se nourriront là. Je crois, dans le fait, que vous avez trop de troupes. De vos quatorze régiments d’infanterie renvoyez-en quatre, et le tiers de votre cavalerie. Si vous prenez ce parti, je formerai de ces troupes un corps de réserve qui sera nourri aux frais du Pape, et qui sera à même de se porter d’Ancône sur le Pô ou sur tout autre point où il serait nécessaire pour la défense de l’État. Lorsque j’aurai reçu votre réponse, je nommerai un général de marque pour commander cette réserve.

 

La Malmaison, 10 avril 1806

Au prince Joachim

Que voulez-vous que je vous dise? Vous marchez tantôt avec étourderie, tantôt avec imprévoyance. Il ne fallait pas occuper Essen et Werden, puisque le commissaire prussien ne vous en avait pas mis en possession. Si vous les avez occupés, il fallait y être tellement en force que deux bataillons du général prussien ne pussent pas vous les enlever. Si vous y aviez eu un régiment et quatre pièces de canon, ce général ne s’y serait pas présenté. J’ai écrit au roi Prusse de retirer ses troupes; vous, retirez les vôtres. Cela est petit affront que vous avez fait essuyer à mes armes. Je trouve ridicule que vous m’opposiez l’opinion du peuple de Westphalie; que fait l’opinion des paysans aux questions politiques ?

 

La Malmaison, 11 avril 1806

NOTE POUR LE MINISTRE DES FINANCES

Voir M. Bérenger pour me faire connaître ce qu’il est convenable que la caisse d’amortissement fasse, au moment de la publication du budget, pour soutenir les effets publics.

 

La Malmaison, 11 avril 1806

Au général Junot

Je vois, par votre lettre du ler avril, que les deux chefs d’insurrection, ainsi que deux prêtres, ont été condamnés par la commission. J’imagine qu’ils ont été exécutés. Vous savez l’importance que j’attache à des exemples sévères dans l’État de Parme; l’ignorance du peuple des montagnes est telle qu’ils attribueraient l’impunité à faiblesse, et que les conséquences en sont toujours très-dangereuses.

 

La Malmaison, 11 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, j’ai reçu votre lettre du 4 avril. Il est impossible que les besoins de votre armée se montent à seize millions pour quatre mois, ce qui ferait quarante-huit millions pour l’année. Il me parait peu probable que les recettes ne montent pas à plus de 1,800,000 francs pour quatre mois dans l’État de Venise. Vous ne portez également dans les recettes de l’emprunt de Venise que pour 400,000 francs. Hâtez-vous d’envoyer tous les états à Paris, parce que, à dater du 1er mai, tous les services seront faits par le ministre Dejean. Cette manière m’est plus économique, et je connais mieux la situation de mes affaires. Ayez soin de tenir la solde au courant.

 

La Malmaison, 11 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, vous voudrez bien renvoyer de Venise et des autres ports de mon royaume d’Italie tous les agents de la République des Sept-Îles. Faites confisquer et séquestrer les bâtiments de cette nation qui se trouveraient dans mes ports de l’Adriatique, et empêchez toute communication de ces ports avec les Sept-Îles. Faites visiter avec adresse les livres des négociants de Venise chargés des intérêts des Russes et des Corfiotes : ce sont MM. Papadopoli, Marino Doxaria et Conrado Reck et compagnie. Ces messieurs ont beaucoup d’argent aux Russes et Corfiotes. Faites saisir cet argent et déclarez que c’est en conséquence de l’état de blocus dans lequel les bâtiments de ces nations tiennent mes ports de l’Adriatique.

 

La Malmaison, 11 avril 1806

Au roi de Naples

Mon Frère, je reçois votre lettre du 2 avril. Celle du colonel Lebrun me parait écrite dans une disposition d’esprit portée plutôt à exagérer les choses qu’à les diminuer. Ce n’est pas le long des chemins qu’il faut avoir des troupes, mais il faut être maître des côtes. On ne peut être raisonnablement à Reggio sans occuper Cotrone, Rossano, Catanzaro, Castella, et enfin toutes les côtes des deux côtés, vers les golfes de Sainte-Euphémie et de Squillace. Le général Reynier me paraît avoir fait sa marche avec assez d’imprudence. Il eût fallu envoyer des troupes s’emparer de Cotrone, de Cosenza et de Castella, pendant qu’on marchait sur Reggio.

Un ennemi, maître de la mer, inquiétera toujours les communications de l’armée si on n’est pas maître des côtes. Il paraît que la Calabre a cinquante-cinq lieues de long, et que sur un point elle n’en a guère que huit à neuf de large, et sur un autre point moins de quinze. Il faut nommer un commandant pour la Calabre ultérieure et un pour la Calabre citérieure. Il faut des commandants de place sur les principaux points des côtes, et établir dans ces deux provinces trois petits camps volants de 7 à 800 hommes, tant infanterie que cavalerie. Au reste vous remédierez promptement à ces petits inconvénients du moment. Vous trouverez beaucoup de moyen d’artillerie du côté de Tarente.

Le maréchal Jourdan vous sera très-utile lorsque vous lui aurez confié le gouvernement de Naples. Il a un nom et une réputation à garder, ainsi qu’une habitude, qui le rendent plus propre qu’un autre à commander dans une grande ville.

 

La Malmaison, 11 avril 1806

Au roi de Naples

Mon Frère, il ne faut pas vous dissimuler que vous n’aurez possession réelle du royaume de Naples qu’en y fixant un grand nombre de Français. Cela ne peut avoir lieu qu’en distribuant aux uns des portions de territoire, et en donnant aux autres des emplois particulièrement dans le militaire, et en leur confiant le commandement des villes et places de guerre et des forts. Je ne vois en conséquent aucune raison pour que vous vous pressiez trop de former des troupes napolitaines, ni de faire prendre parti dans l’armée à des officiers napolitains qui ne seront jamais sûrs pour vous. Vous aurez des biens nationaux, ceux du clergé, ceux des moines, ceux des feudataires; ce qu’il y a à faire relativement à ces biens n’est pas à tenter précisément dès aujourd’hui, mais il est bon de l’avoir en vue, même à présent.

Je ne saurais trop vous recommander d’établir le plus tôt possible des colonnes mobiles et des commissions militaires, non-seulement pour faire prompte justice des brigands , mais encore pour punir sans délai les excès des militaires, qu’il importe que vous réprimiez sévèrement.

J’imagine que vous faites occuper tous les ports de l’Adriatique, afin d’intercepter toute communication avec les Sept-Îles. Songez bien qu’il faut qu’il n’y ait, pour ainsi dire, pas un village dans votre royaume qui n’ait vu vos troupes, et qu’il importe cependant que les habitants n’aient pas à s’en plaindre. Il est convenable de ne pas disséminer vos forces. Mieux vaut en effet avoir 600 hommes qui fassent six voyages sur divers points ou envoient des patrouilles partout, mais de manière que le gros de ce corps reste réuni, que d’avoir les 600 hommes répartis, à raison de 100 hommes dans chaque endroit , sur six points différents. Attachez-vous à tenir les bataillons réunis. Il n’y a pas d’avantage, dans votre position, à faire servir les troupes par piquets , ni à former des bataillons ou de forts détachements uniquement composés soit de voltigeurs, soit de grenadiers. Cela morcèle les corps et soustrait les officiers et les soldats à leurs principaux chefs. L’anéantissement de toute administration, de toute comptabilité, en est la suite inévitable, et tout se trouve en désarroi. Il est de principe qu’il ne faut réunir des compagnies de voltigeurs et de grenadiers que la veille d’une affaire. Étudiez-vous donc à tenir ensemble vos bataillons et vos escadrons, et à ne pas les partager; sans quoi votre armée se fondra et sera dans un désordre incalculable.

Il est bon d’établir un quartier général pour toute la Calabre. Vous y placerez le centre de l’administration et les dépôts des troupes qui seront dans cette province. Cosenza on Cassano peuvent être choisis pour ce quartier général. Il serait bon d’y avoir, dans des magasins bien gouvernés, une certaine quantité de biscuit. J’en ai à Gênes et à Livourne, et je donne ordre aujourd’hui qu’on vous l’envoie sans délai.

 

La Malmaison, 11 avril 1806

Au roi de Naples

Mon Frère, je n’ai point de détails sur le siège de Gaëte; les officiers du génie et de l’artillerie devraient en envoyer. Ils écrivent peu et si succinctement que l’on ne sait rien. Il est ridicule de placer des mortiers à 1,500 toises de la place. J’espère qu’on est maître des Cappuccini. Est-on maître de Torre Latratina et du Monte Secco ? Qui empêche d’établir des batteries à la tête du bourg pour balayer le port et rendre l’approche de tout bâtiment de guerre dangereuse ? Il faut établir des sapes, cheminer et assiéger en règle cette place.

 

La Malmaison, 12 avril 1806

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, faites une note très-verte à M. de Maillardoz sur la contrebande, qui est encouragée en Suisse et particulièrement à Bâle, et qui devient tellement considérable qu’il ne sera plus possible à la France de la tolérer; que, si le gouvernement suisse ne prend point des mesures pour la réprimer, je serai obligé, pour garantir le commerce de mes peuples et l’intérêt de mes douanes, faire entrer des troupes sur le territoire suisse pour enlever les marchandises anglaises, et que le landamman sera responsable du tort qui en résultera pour la Suisse. Demandez que les particuliers de Bâle qui réclament les marchandises saisies à Neufchâtel soient arrêtés. La contrebande est faite avec si peu de ménagement et avec des formes telles, que c’est une véritable hostilité contre la France. Écrivez à mon ministre en Suisse, pour faire les mêmes instances auprès des cantons nos voisins.

 

La Malmaison, 12 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, il paraît que le 11e de ligne, qui fait partie du corps du général Marmont, n’a point de solde depuis trois mois. Faites-moi connaître ce que je dois penser de cela. Payer mon armée régulièrement est la première de toutes les conditions.

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

A M. de Champagny

Monsieur Champagny, faites-moi connaître quand la traduction de la géographie de Strabon sera achevée.

On me rend compte que la manufacture de porcelaine de Sèvres aurait besoin de règlements. Faites-moi réunir les principaux manufacturiers de Paris, et présentez-moi un rapport sur ce sujet.

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

A M. Mollien

Monsieur Mollien, vous me dites, dans votre rapport du 8 avril, que vous avez envoyé à Parme des traites du caissier général du royaume d’Italie sur lui-même, pour 509,751 francs échéant au 30 avril, pour 509,767 francs et pour 354,600 francs échéant au 31 mai, ce qui fait un total de 1,374,000 francs. Dites-moi pourquoi cet argent vous est dû. Je ne trouve dans ma mémoire aucune raison pour que le royaume d’Italie vous dût cette somme.

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, je viens de relire avec attention le rapport que vous m’avez fait sur l’artillerie, en date du 26 février. J’approuve la proposition de réduire le nombre des régiments d’artillerie à cheval à quatre régiments, en portant chaque régiment à huit compagnies. Je serais assez porté à recréer les ouvriers d’état ainsi que les canonniers d’état, et à astreindre les entrepreneurs des manufactures d’armes à faire des retraites aux ouvriers.

Je n’approuve point l’augmentation des régiments d’artillerie de ligne; huit régiments me paraissent suffisants. Quant au matériel, je vois que nous sommes dans un grand chaos, et qu’il est très urgent d’en sortir. Mon intention n’est pas cependant de faire aucun changement avant que le premier inspecteur soit arrivé; mais ce qui me paraît extrêmement urgent, c’est de régler la quantité d’affûts, de pièces et d’approvisionnements qu’on doit tenir dans chaque place et le nombre de pièces de canon de campagne que chaque place doit également renfermer pour sa défense.

Il y a un grand nombre de places dont on conserve les fortifications sans les détruire, mais où l’on ne devrait plus tenir d’artillerie, sauf à les réarmer par les dépôts, si les circonstances le rendait nécessaire. Le placement de ces dépôts, où je voudrais avoir de grande quantité de pièces, d’affûts et d’objets d’artillerie de toute espèce, me parait une chose extrêmement importante. Ai-je besoin de 9,300 bouches à feu pour l’armement des places fortes ? Je ne crois pas. Ai-je besoin de 9,000 affûts ? Je ne le crois pas. Bien loin de penser qu’il faille un tiers d’affûts de plus que de canons, je crois qu’il faut, au contraire, plus de canons que d’affûts, par le principe qu’il n’y a aucun inconvénient à avoir des canons, qui se conservent, et qu’il y en a beaucoup à avoir des affûts, qui dépérissent.

Pour les équipages, il faut, comme je le dis dans ma lettre du 10, fixer le nombre qui est nécessaire et les lieux où l’on doit les réunir. Je pense que les équipages de mille pièces suffiraient, quoique je porterais volontiers le nombre des pièces à mille deux cent et même à mille huit cents, avec la quantité de boulets en proportion, par le principe que les pièces et les boulets ne périssent pas. Je ne crois pas non plus qu’il faille cinquante millions de livres de poudre pour notre approvisionnement. Nous en avons aujourd’hui seize millions, et je trouve que nous en avons beaucoup plus qu’il ne nous en faut; mais cela tient toujours au même calcul qu’on forme la colonne du nécessaire pour les places en les supposant toutes assiégées de la même manière. Chargez le conseiller d’État Gassendi de me faire un travail là-dessus.

Il est des places, telles que Mayence, Landau , Strasbourg, Neuf-Brisach, Alexandrie, etc., qui doivent toujours avoir tout leur approvisionnement, les pièces et la poudre nécessaires, et le tiers de plus qu’il ne faut d’affûts en pièces de rechange. Il est un ordre de places où il faut tenir autant de pièces qu’il en faut, mais avec un affût seulement pour deux pièces. Il est un troisième ordre de places où l’on ne tiendrait que la moitié de l’artillerie nécessaire à la vraie défense de la place. Enfin il est un quatrième ordre de places où l’on ne fait plus aucune réparation, où l’on ne tiendrait point d’artillerie; mais on aurait sur chaque frontière une grosse place de dépôt, telle que Lille ou Douai pour le nord, Metz pour le Rhin, Grenoble pour l’Italie, et où l’on tiendrait une grande quantité d’affûts, de pièces de rechange, de poudre, pour pouvoir, selon les circonstances, les porter sur les points où cela serait nécessaire.

Il serait aussi nécessaire d’avoir un point central, le plus près de Paris possible et du côté de la Loire. En établissant les calculs de cette manière, il sera facile véritablement de connaître la quantité d’affûts dont nous avons besoin et de donner une bonne direction à nos constructions. Je suis loin de penser qu’il nous faille 800 affûts de siége et de place, 1,100 affûts de côtes, 700 affûts de mortiers, 200 d’obusiers, 1,750 de bataille et 1,700 caissons.

A ce sujet, il faut remarquer que les pièces de campagne employées pour la défense des places n’ont besoin que d’un caisson par pièce.

Ce qui, je crois, nous manque davantage, ce sont les fusils. Il paraît que nous n’aurions aujourd’hui que 300,000 fusils; c’est le tiers de ce qu’il nous faut. C’est donc à la fabrication des fusils qu’il faut employer la plus grande partie des fonds de l’artillerie.

Si nos manufactures d’armes peuvent fabriquer 200,000 bons fusils par an, il nous faudra au moins six ans pour avoir le million de fusils qu’il nous faut, en déduisant la consommation de chaque année. Mais il faut bien faire attention qu’on se plaint amèrement des platines, et qu’il est nécessaire de veiller à ce qu’on ne reçoive que de bonnes armes; on en reçoit malheureusement beaucoup trop de mauvaises.

Quant aux emplacements, je me suis décidé à prendre en Italie la place de Vérone pour emplacement de l’artillerie française. Je n’entends point qu’il y ait aucun arsenal ni aucun atelier quelconque: l’arsenal de Mantoue sera suffisant. D’ailleurs toutes les constructions italiennes se feront à Pavie, et les constructions françaises à Alexandrie ou à Turin.

On établira un polygone à Vérone ; peut-être est-il possible de se servir comme polygone du fort de Vérone en mettant la butte au delà de l’Adige.

J’approuve que le dépôt du 4e de ligne se rende à Alexandrie ou à Turin, si les établissements ne sont pas encore prêts à Alexandrie.

Il paraît que, dans le projet qu’on m’a remis, on voudrait aussi supprimer l’école de Toulouse, celle d’Auxonne et celle de Valence. Celle de Toulouse n’est-elle pas nécessaire pour les frontières des Pyrénées et de l’Espagne ? Peut-être serait-il convenable de n’en supprimer aucune; ce qui serait facile en ne mettant jamais dans les mêmes écoles un régiment à cheval et un régiment à pied. On aurait douze régiments, dont deux pour l’Italie, qui ne comptent pas pour les écoles, et un pour Turin ou Alexandrie, ce qui ferait trois; il en resterait neuf pour les écoles de France.

Quant aux arsenaux pour la frontière d’Italie, Turin et, quand il sera temps, Alexandrie, Gènes et Grenoble, sont suffisants. Il me paraîtrait donc nécessaire que M. Gassendi préparât un rapport détaillé sur tout ceci; et dans le courant de l’été, lorsque les généraux d’artillerie seront de retour de la Grande Armée , on tiendra quelques conseils pour terminer et fixer tout. En attendant, la première dépense est celle des fusils; il faut ne rien épargner, de même que pour les constructions à Turin et à Gènes, car c’est en Italie surtout qu’il faut se trouver bien approvisionné de tout.

 

 Saint-Cloud, 14 avril 1806

A M. Lacépède

  1. Lacépède remettra cette note à son correspondant :

Il faudrait savoir précisément de quelle manière devront être dirigées les opérations contre le Portugal. Si le roi d’Espagne désirait tenter une entreprise contre le Portugal, pourrait-il le faire seul ? Pourrait-il se passer de troupes françaises ? Et, s’il avait besoin de troupes françaises, combien lui en faudrait-il ?

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

Au vice-amiral Decrès

Vous trouverez ci-joint un projet d’instructions pour le capitaine Meyne; je vous prie de me le rapporter demain, rédigé. Je ne pense pas de faire ces croisières. Une croisière dans la mer Baltique me plairait fort, mais il faut qu’elle soit de 2 vaisseaux de guerre et de 3 frégates, sans quoi je craindrais un échec avec les Suédois, ce qui serait un affront tel que je dois l’éviter. Je n’aurais rien à craindre si j’avais 2 vaisseaux de guerre. A Brest, 3 vaisseaux de guerre , la frégate, 1 ou 2 corvettes, pourraient être destinés à cette croisière.  Je crois que le moment favorable serait la clôture de la mer Noire, à la fin d’octobre.

ANNEXE

PROJET D’INSTRUCTIONS POUR LE CAPITAINE MEYNE.

Monsieur Meyne, Capitaine de nos vaisseaux, vous partirez avec la division composée des vaisseaux, frégates, etc. Vous vous dirigerez sur Oporto, côte du Portugal; vous bloquerez ce port pendant quelques jours; vous prendrez tous vaisseaux anglais, russes ou suédois qui sortiraient de ces ports.

Immédiatement après, vous vous dirigerez sur le Brésil, et vous vous présenterez devant tous les ports de cette colonie. Vous vous emparerez de tous les bâtiments anglais, russes ou suédois entrant et sortant de cette colonie, ainsi que de tous les bâtiments portugais qui porteraient des marchandises de fabrique anglaise.

Quand vous aurez fait dans ces parages le mal que vous aurez pu à nos ennemis, si vous jugez, par les renseignements que vous aurez, pouvoir leur en faire sur la côte du Rio de la Plata, vous vous y rendrez.

De là, vous irez établir vos croisières dans les positions que vous croirez les plus favorables pour intercepter les convois qui se rendraient du Cap en Angleterre et d’Angleterre au Cap.

Notre intention est que vous ne vous arrêtiez nulle part, hormis le temps nécessaire pour faire de l’eau et des vivres; et alors vous devrez mouiller dans un port neutre et dans un refuge tel que vous ne puissiez être surpris par une force supérieure de l’ennemi.

Vous serez maître de rester quatorze mois sans rejoindre nos ports; et, si vous ne trouvez pas à refaire vos vivres, sous quelque prétexte que ce soit vous ne rentrerez pas avant le mois de novembre, et vous opérerez votre retour dans un des ports de France ou d’Espagne.

Vous donnerez à vos capitaines, en cas de séparation, les mêmes instructions que les vôtres, c’est-à-dire de faire le plus de mal possible aux ennemis, en établissant leur croisière dans tous les parages d’Asie, d’Afrique et d’Amérique, entre tels degrés, depuis le Cap-Vert, le Brésil, le cap de Bonne-Espérance et le cap Horn.

Toutes les fois que vous vous trouverez dans des ports espagnols, vous donnerez à nos alliés tous les secours et la protection qui dépendront de vous.

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je reçois votre lettre du 7 avril. Méfiez-vous du bavardage des Italiens. Si le préfet de Bologne est coupable, il sera puni. Croyez qu’Aldini a trop d’esprit pour écrire des bêtises. Le pays où vous êtes est le pays des petits caquetages.

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je reçois votre lettre du 7 avril. Il est tout simple que le décret de réunion n’ait pas plu à Milan. On voudrait, dans ce pays-là, l’impossible : payer peu de contributions, avoir peu troupes, et se trouver une grande nation; tout cela est chimère. Les gens de sens doivent s’en rapporter à moi. Je veux ce qui convient et ce qui est bien, parce que mes vues sont supérieures. Le pays vénitien est la seule récompense que l’armée ait retirée des succès les plus inouïs, et la France des efforts les plus constants. Tout ce qui consolide le système en France consolide aussi le système en Italie; et tout ce que fait la France pour garder Venise est conforme aux intérêts de ma couronne italienne.

Quant aux impositions, la seule réponse à faire est celle-ci : Paye-t-on plus qu’en France ? Certes, mes peuples de France payent beaucoup plus d’impositions que mes peuples d’Italie; et, dans ce cas, ils n’ont pas à se plaindre. Je viens d’établir des droits sur le sel et d’augmenter encore les impositions de la France. Mon budget sera présenté au Corps législatif; vous le recevrez demain par le Moniteur. Il est bon que vous le fassiez mettre dans les journaux. On verra que les Français payent beaucoup.

Je vous envoie le compte du ministre des finances. Les 2,500,000 francs par mois que me payera mon royaume d’Italie sont bien loin, je vous assure, de me rembourser des frais que je ferai pour armée; et quand , pour défendre le royaume d’Italie, on prendrait le tiers de ses ressources, ce ne serait certainement pas trop. La défense de la France me coûte la moitié de ses revenus. D’ailleurs, il ne faut point s’arrêter à ce calcul; l’Europe changera, les haines se calmeront, les empires nouveaux deviendront établis et consolidés par le temps; je réduirai mon armée à la moitié; je retirerai même mon armée d’Italie; mes peuples d’Italie ne payeront qu’un million par mois à mon trésor de France, ou même rien du tout. Vous savez bien que 2,500,000 francs par mois ne feront pas le service de mon armée; je serai donc obligé d’y envoyer de l’argent de France, ce qui sera non-seulement coûteux, mais même épuisera mes finances; car il est vrai de dire que les efforts de la nation française pour relever et rendre resplendissant le trône d’Italie lui imposeront l’obligation de maintenir un état militaire beaucoup plus fort.

Quant à l’établissement de l’hérédité, je n’ai point l’habitude de chercher mon opinion politique dans le conseil des autres, et mes peuples d’Italie me connaissent assez pour ne devoir point oublier que j’en sais plus dans mon petit doigt qu’ils n’en savent dans toutes leurs têtes réunies; et à Paris, où il y a plus de lumières qu’en Italie, lorsqu’on se tait et qu’on rend hommage à l’opinion d’un homme qui a prouvé qu’il voyait plus loin et mieux que les autres, je suis étonné qu’on n’ait pas en Italie la même condescendance.

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je reçois votre lettre du 8 avril. Vous devez opérer la réunion par une proclamation. Il n’y a point de doute que les ducs ne doivent se mêler en rien de l’administration du pays; mais je ne pense pas qu’il faille en parler dans votre proclamation. On s’est trompé en comprenant Rovigo au nombre des provinces de l’État vénitien, puisque Rovigo faisait déjà partie du royaume d’Italie; il n’y sera pas perçu de quinzième.

  1. Bertin peut rester à Venise, si cela est nécessaire, pour correspondre avec vous. A dater du ler mai, les contributions du pays vénitien entreront dans le trésor du royaume d’Italie, qui alors fera face aux différentes dépenses du pays et payera 2,500,000 francs. Vous pouvez garder Lagarde à Venise comme votre employé.

 

Saint-Cloud, 14 avril 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, vous travaillez trop; votre vie est trop monotone. C’est bon pour vous, parce que le travail doit être pour vous un objet de délassement; mais vous avez une jeune femme, qui est grosse. Je pense que vous devez vous arranger pour passer la soirée avec elle et vous faire une petite société. Que n’allez-vous au théâtre une fois par semaine, en grande loge ? Je pense que vous devez aussi avoir un petit équipage de chasse, afin que vous puissiez chasser au moins une fois par semaine; j’affecterai volontiers dans le budget une somme pour cet objet. Il faut avoir plus de gaieté dans votre maison; cela est nécessaire pour le bonheur de votre femme et pour votre santé. On peut faire bien de la besogne en peu de temps. Je mène la vie que vous menez; mais j’ai une vieille femme qui n’a pas besoin de moi pour s’amuser, et j’ai aussi plus d’affaires; et cependant il vrai de dire que je prends plus de divertissement et de dissipation que vous n’en prenez. Une jeune femme a besoin d’être amusée, surtout dans la situation où elle se trouve. Vous aimiez jadis assez le plaisir; il faut revenir à vos goûts. Ce que vous ne feriez pas pour vous, il est convenable que vous le fassiez pour la princesse. Je  viens de m’établir à Saint-Cloud. Stéphanie et le prince de Bade s’aiment assez. J’ai passé ces deux jours-ci chez le maréchal Bessières; nous avons joué comme des enfants de quinze ans. Vous aviez l’habitude de vous lever matin , il faut reprendre cette habitude. Cela ne gênerait pas la princesse, si vous vous couchiez à onze heures avec elle; et si vous finissez votre travail à six heures du soir, vous avez encore dix heures à travailler en vous levant à sept ou huit heures. L’affaire de Cattaro retarde les fêtes du mois de mai, mais je ne pense pas que ce soit de plus d’un mois. J’espère que vous et la princesse viendrez alors à Paris. Je vous ai fait arranger le pavillon de Flore; le prince de Bade a le second ; vous occuperez le premier. Dites à la princesse combien on sera content de la voir à Paris. Son état aura pris de la consistance et ne l’empêchera pas de voyager à petites journées. Dans la belle saison, cela ne peut que lui faire du bien.