Correspondance de Napoléon – Avril 1805

Stupinigi, 23 avril 1805

A M. Cambacérès

Mon Cousin, j’ai reçu les autorités de Turin. Je suis toujours resté à Stupinigi, hormis que j’ai fait quelques courses à cheval dans les environs, mais sans entrer dans Turin. Je compte y faire mon entrée demain. Du reste je me porte fort bien. Je ne partirai d’ici que dimanche. Les affaires ne vont point mal ici, et je suis satisfait du pays.

 

Stupinigi, 23 avril 1805

Au vice-amiral Decrès

  1. Jérôme est arrivé à Lisbonne. Mademoiselle Paterson, sa maîtresse, doit se rendre à Bordeaux par mer. Faites-lui signifier l’ordre qu’on ne lui accorde pas de pratique. Qu’elle ne descende pas à terre, et faites connaître que, de quelque endroit de France et de Hollande il débarque, il ne trouvera point pratique, et qu’il est indispensable qu’elle retourne en Amérique. J’ai donné ordre à cet officier de se rendre près de moi par Barcelone, Toulouse, Grenoble, Turin et Milan, et de l’arrêter s’il s’écarte le moindrement de cette route.

 

Stupinigi, 23 avril 1805

A M. Fouché

  1. Jérôme est arrivé à Lisbonne; je lui ai donné ordre de se rendre à Milan, en se rendant par Perpignan, Toulouse, Grenoble et Turin; mon intention, s’il se détourne de cette route, par Bordeaux et Paris, est de le faire arrêter. Veillez à ce qu’il ne séjourne pas à Bordeaux et qu’il soit arrêté et dirigé sur Milan par un officier de gendarmerie. La femme avec laquelle il est, si elle vient à Bordeaux, mon intention est qu’on ne la laisse pas débarquer, et qu’il lui soit signifié l’ordre de retourner en Amérique. L’appeler mademoiselle Paterson dans la signification qu’on lui fera. Vous sentez combien cette affaire m’intéresse. Si cette femme s’était soustraite à la police. . . . . . à Paris avec lui, l’envoyer à Amsterdam, où elle s’embarquera sur le premier bâtiment américain.

 

Stupinigi, 23 avril 1805

A M. Talleyrand

Un courrier d’Espagne m’apprend la nouvelle que Villeneuve a joint Gravina devant Cadix le 20 germinal. Mon intention est que vous écriviez à Beurnonville que j’avais espéré 8 vaisseaux; il n’y en avait que 5, et on m’en avait promis 6; que je désire qu’on active les armements du Ferrol, afin que, si l’escadre de Brest tardait à sortir, elle pût y trouver 8 vaisseaux au lieu de 6 qu’on m’avait promis. Ce n’est pas tout aujourd’hui que d’avoir des escadres à la mer, il faut les soutenir. Il faut avoir à Cadix des escadres considérables qui obligent les Anglais à en tenir une pour les bloquer. L’escadre de Carthagène, isolée, ne peut rien. Proposez au prince de la Paix d’envoyer ces 6 vaisseaux à Toulon, ce qui, avec les 2 vaisseaux que j’y ai, obligera l’ennemi à craindre pour la Sicile et la Sardaigne et à tenir une escadre dans la Méditerranée. Si le prince de la Paix y consent, je prendrai l’obligation de nourrir et d’entretenir les équipages. Il faudra que l’escadre espagnole reçoive l’ordre exprès d’agir selon mes instructions, sans être assujettie aux différents généraux de la marine espagnole. Mon intention ne serait pas de faire sortir cette escadre, mais d’en faire la menace; et, comme j’aurai là un camp de 4 à 5,000 hommes, je donnerai une grande inquiétude aux Anglais. Si le prince de la Paix ne prend pas ce parti, je pense que l’escadre de Carthagène doit se rendre à Cadix , où on activerait les armements de manière à avoir là une escadre de 12 vaisseaux; cela obligera les Anglais d’en avoir 12 dans le détroit, ou de s’exposer à voir tous leurs convois interceptés. Recommandez donc à Beurnonville de faire sentir au prince de la Paix l’importance d’avoir une escadre considérable à Cadix.

 

Stupinigi , 23 avril 1805

Au vice-amiral Decrès

Je croyais M. Daugier à son poste; je l’y croyais depuis longtemps. Que font donc les officiers de marine à Paris ? Et un capitaine de vaisseau ne peut-il être à la  mer que lorsque j’y suis ?

 

Stupinigi, 23 avril 1805

Au vice-amiral Decrès

Monsieur Decrès, vous avez sans doute reçu le courrier de Cadix. A tout événement, je vous envoie le journal du général Lauriston; il parait que 5 vaisseaux et une frégate ont rallié l’amiral Villeneuve; qu’un sixième avait touché, mais allait partir. Le 20 , l’escadre réunie était hors de vue, il est probable qu’avant le 10 de ce mois elle sera rendue à sa destination. Nous sommes donc sûrs d’avoir là une escadre de 18 ou au moins de 17 vaisseaux de ligne. Vous aurez sans doute déjà fait partir l’escadre de Rochefort. Envoyez un nouveau courrier et une nouvelle dépêche pour faire connaître à l’amiral Villeneuve que je suis instruit de son départ; que l’amiral Nelson a été le chercher en Égypte. J’expédie un courrier à Ganteaume pour l’informer de cet événement; Dieu veuille que mon courrier ne le trouve point à Brest ! Je vous réitère l’ordre de faire partir, tous les dix jours, un brick ou goélette, en prenant toutes les précautions pour que les paquets ne tombent pas entre les mains de l’ennemi. Envoyez un courrier en Espagne; écrivez au prince de la Paix que je juge nécessaire que l’escadre espagnole de Carthagène vienne à Toulon; que, dans ce cas, je me chargerai de la nourrir; ou bien que cette escadre se réunisse à Cadix; qu’il faut qu’on arme sans délai, à Cadix, les 7 vaisseaux qui y restent, de manière à avoir en rade 12 ou 13 vaisseaux, et que ces vaisseaux appareillent souvent pour obliger les Anglais à avoir là le même nombre, et leur faire craindre l’interception de leurs convois. Vous lui direz que le Ferrol sera débloqué au moment où l’on s’y attendra le moins; qu’il est donc convenable que le nombre de vaisseaux qui y sont soient toujours prêts, et qu’il faut même l’augmenter, selon le retard de l’escadre française, et faire en sorte d’en préparer jusqu’à 10. Enfin faites connaître au prince de la Paix que les plus heureux résultats pour les deux nations seront le prix de ses efforts; qu’il ne faut point s’endormir; qu’il faut tenir les Anglais dans une alarme et une incertitude perpétuelles, et leur porter à l’improviste des coups terribles partout où se porteront nos escadres. Vous lui parlerez du cas que je fais de lui, et de la confiance que j’ai dans son activité et dans son zèle pour la cause commune.

Faites battre le ban et l’arrière-ban pour faire armer la Topaze, qui nous devient aujourd’hui bien nécessaire pour porter des nouvelles.

Enfin voyez, si l’escadre de Brest ne sortait pas et que l’amiral Villeneuve dût venir au Ferrol, s’il ne serait pas bon d’avoir nos 5 vaisseaux disponibles. Les équipages ne peuvent manquer, puisque j’ai envoyé au Ferrol 2 frégates et un brick, qui peuvent fournir des équipages aux vaisseaux.

Tenez encore secret le passage à Cadix et le départ des escadres. Faites mettre dans les journaux hollandais qu’une escadre française a débarqué en Égypte 10,000 hommes; que l’amiral a manœuvré avec beaucoup d’habileté pour tromper Nelson; qu’il a feint de passer le détroit, mais que pendant la nuit il l’a repassé et est allé sur la côte d’Afrique; que l’amiral Nelson, averti que l’escadre française était destinée pour l’Égypte, s’était d’abord dirigé sur la Sicile; que le 20 germinal il était arrivé à Palerme, mais qu’il a été instruit que l’escadre avait passé le détroit; qu’il s’était à l’instant mis à sa poursuite, et était arrivé devant Gibraltar, comme l’escadre française avait passé le cap Bon et naviguait sur Alexandrie, ayant plus de quinze jours d’avance sur l’amiral Nelson. Faites mettre dans le journal de Francfort que les rapports sur la sortie de l’escadre française sont des plus contradictoires; que les uns prétendent que cette escadre a trompé plusieurs fois Nelson par de fausses manœuvres et de fausses routes, et qu’en dernière analyse elle a été rencontrée se dirigeant sur l’Égypte.

 

Stupinigi, 23 avril 1805

Au vice-amiral Decrès

Monsieur Decrès, un courrier que je reçois de l’amiral Ganteaume, du 25, me dit qu’il est près de partir; c’est avec bien de l’impatience que j’attends la nouvelle qu’il est enfin parti. J’ai vu avec plaisir que vous ayez donné l’ordre au général Magon de partir. Je vous recommande de nouveau l’expédition de bricks et de goélettes; répétez par le premier qui partira, et recommandez au général Villeneuve de faire tout le mal qu’il pourra à l’ennemi, en attendant l’amiral Ganteaume, puisque avec les Espagnols et les Français j’ai beaucoup troupes là. Qu’on prenne Saint-Vincent, Antigoa, la Grenade; pourquoi ne prendrait-on pas la Barbade ? Je laisse à votre disposition d’envoyer des ordres pour reprendre Tabago ou la Trinité,
les Espagnols seraient merveilleusement employés. Je vois par états que j’ai reçus qu’il y a 1, 300 hommes d’infanterie ou
espagnols embarqués sur l’escadre, et 300 hommes de cavalerie : ce qui fait 1,600 hommes. Voilà la récapitulation des troupes que j’ai aux îles du Vent :

La Martinique avait . . . . . . . .  . . . . .1,500 hommes.
La Guadeloupe . . . . . . … . . .. . .     1,600
Le général Lagrange a amené . . . . . .3,400
Le général Lauriston a. . . . . . .  . . . .3,500
Le général Magon emmène . . . . . . . . . 840

Il est vrai que le général Lauriston ne doit débarquer que 1,100 hommes, mais, à la rigueur, il les débarquerait tous, s’ils étaient nécessaires pour garder de nouvelles colonies. J’ai donc 10,840 hommes, et, en y joignant 1,600 Espagnols, j’ai 12,440 hommes. Avec ces forces, je puis très-bien occuper toutes les îles du Vent. Il y en a, je crois, dix, en comprenant la Trinité et Tabago. Une fois conquises, les 1,600 Espagnols seront suffisants pour garder la Trinité, puisqu’ils ne manqueront pas de recevoir du secours de leur continent. A Tabago, 500 hommes pourraient suffire, en retranchant tout de suite le morne et s’y approvisionnant. Toutefois, il y a des calculs de vent et des circonstances particulières qui doivent déterminer à laisser celles de ces colonies qui éloigneraient trop de la route. Si Tabago et d’autres petites îles étaient impossibles à garder, on pourrait, après les avoir occupées, en avoir fait la garnison prisonnière, n’y laisser aucune troupe, si ce n’est quelques hommes et un officier, pour maintenir la police et organiser des milices de paysans avec un drapeau. Il ne faudrait point maltraiter l’île de Tabago, parce qu’elle est française ; mais, pour les autres colonies anglaises qu’on jugerait devoir abandonner après les avoir occupées, on pourrait en tirer la moitié des noirs , lever une contribution sur les habitants, en ôter l’artillerie, et vendre les noirs à la Martinique et à la Guadeloupe. C’est ainsi que les Anglais ont fait plusieurs fois et ont tiré parti de leurs prises.

L’amiral Villeneuve sera toujours sûr d’avoir dix jours devant lui, vu la précaution qu’aura l’amiral Ganteaume d’expédier en sortant une frégate bonne marcheuse. Il est probable qu’elle fera assez de chemin pour gagner plusieurs jours sur l’escadre. Vous sentez que, l’escadre de l’amiral Ganteaume arrivant, les forces se trouveraient augmentées de plus de 2,000 hommes, ce qui me maintiendrait maître de tous ces pays.

 

Stupinigi, 23 avril 1805

Au vice-amiral Ganteaume

Monsieur l’amiral Ganteaume, le général Villeneuve est parti le 9 germinal avec 11 vaisseaux de guerre, 6 frégates et 2 bricks. Le 19, à cinq heures du soir, il était devant Cadix, chassant devant lui 6 vaisseaux, 2 frégates et 4 bricks anglais. Il a été joint à l’heure même par le vaisseau français l’Aigle,une grosse corvette et un brick français, et par 6 vaisseaux espagnols, 4 frégates et 2 bricks commandés par l’amiral Gravina. Le 20, à la pointe du jour, l’escadre combinée était hors de vue. Un courrier que je reçois de Palerme m’apprend que, le même jour, l’amiral Nelson était dans le détroit de Messine, semant l’alarme et croyant que l’escadre de Toulon allait en Sicile et en Égypte. Il comptait attendre deux jours et naviguer sur Alexandrie. Vous connaissez l’heureux résultat de l’expédition du contre-amiral Missiessy, qui a pris la Dominique et, je pense, Sainte- Lucie. Il ne me reste plus que d’apprendre la nouvelle de votre départ. Je pense que vous et vos équipages êtes constamment à bord et prêts à profiter du moindre moment. Je vous exprimerais difficilement toute l’impatience que j’éprouve. Ne manquez aucune des occasions qui se présenteront, mais maintenez à bord une sévère discipline, et tenez la main à ce que tout le monde reste à bord. Augmentez les vivres de vos flûtes autant qu’il vous sera possible.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

A M. Cambacérès

Mon Cousin, je crois qu’au Conseil d’État on n’entre pas assez dans les besoins des manufactures; je ne vois pas d’inconvénient accorder les demandes de celles de Lyon. Toutefois, quand m’enverrez les résultats des discussions du Conseil d’État, envoyez-moi aussi le projet primitif avec vos observations en marge.. Les États ne prospèrent point par  l’idéologie. Faites discuter les projets, envoyez-moi les objections du Conseil et votre opinion sur le tout; faites-le clairement, afin que, dans le grand embarras des affaires que j’ai, les questions se trouvent présentées à mes regards de la manière la plus claire possible.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

A M. Bigot-Préameneu, président de la section de législation au Conseil d’État

Monsieur Bigot-Préameneu, mon intention est que vous réunissiez le président de la cour d’appel de Turin, mon procureur général près cette cour, le président de la cour de première instance, pour recueillir des renseignements sur les membres des tribunaux dont la conduite est blâmée par l’opinion. Vous ferez appeler Pico; vous lui direz que je le connais trop bien, et qu’il faut qu’il donne sa démission; que j’oublie le passé, mais qu’il ne doit plus faire parler de lui. S’il y a d’autres juges de la même espèce, vous leur ferez les mêmes instances, et, s’ils, résistent, je prendrai les mesures convenables. Votre enquête doit s’étendre sur les membres des autres tribunaux de première instance du département.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

A M. Barbé-Marbois

Je reçois votre lettre du 22 germinal. Vous ne devez avoir aucune alarme pour l’arrestation des fonds publics. L’événement arrivé près de Compiègne a éveillé la vigilance de la police, et les auteurs ne tarderont pas à être arrêtés. Je suis satisfait de ce pays. Je le suis davantage encore des nouvelles que je reçois indirectement des Antilles, et je vous dirai, pour vous seul (quoique je pense bien que la nouvelle commence à en murmurer à Paris, mais je désire non-seulement qu’elle soit secrète, mais qu’on dise même que l’escadre de Toulon est allée en Égypte), que j’ai éprouvé du contentement d’apprendre que mon escadre, après avoir fait route en six jours, avait touché à Cadix, y avait rallié l’escadre espagnole et avait fait voile pour sa destination. Lisez avec attention les journaux étrangers; faites-vous rendre compte des nouvelles de commerce, et tenez-moi au courant des renseignements qui vous parviendraient.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

A M. Fouché

Un petit événement a eu lieu près de Compiègne : il paraît que des hommes armés ont arrêté le courrier. Apprenez-moi l’arrestation de ces brigands. Je ne puis penser que ce soient des dragons; faites- moi connaître quel indice vous autoriserait à avoir ce soupçon.

Je suis assez satisfait de ce pays-ci. Tous les tribunaux criminels m’assurent que, depuis un an, ils ont le tiers moins d’affaires qu’il y a quinze ans. Faites faire à ce sujet des articles. Le résultat est qu’il y avait deux assassinats et demi par jour en 1788; il n’y en a pas aujourd’hui les trois quarts d’un.

Ne restez pas étranger à la conscription. Écrivez au préfet du Puy-de-Dôme que son département est celui qui a le plus de déserteurs. Faites demander au bureau de la guerre les sept ou huit départements le plus en retard, et écrivez-leur sévèrement. Un préfet qui ne fait pas marcher la conscription ou qui tolère des déserteurs, les laisse en repos et désorganise ainsi l’armée, ne peut conserver ma confiance.

Toutes les nouvelles de mer sont bonnes. Faites imprimer quelques articles habilement faits, pour démentir la marche des Russes, l’entrevue de l’empereur de Russie avec l’empereur d’Autriche, et ces ridicules bruits, fantômes nés de la brume et du spleen anglais. Remuez-vous donc un peu plus pour soutenir l’opinion. Dites aux rédacteurs que, quoique éloigné, je lis les journaux; que, s’ils continuent sur ce ton , je solderai leur compte; qu’en l’an VIII je les ai réduits à quatorze. Je pense que ces avertissements successifs aux principaux rédacteurs vaudront mieux que toutes les réfutations. Dites-leur que je ne les jugerai point sur le mal qu’ils auront dit, mais sur le peu de bien qu’ils n’auront pas dit. Quand ils représenteront la France vacillante, sur le point d’être attaquée, j’en jugerai qu’ils ne sont pas Français ni dignes d’écrire sous mon règne. Ils auront beau dire qu’ils ne donnent que leurs bulletins : on leur a dit quels ils étaient ces bulletins; et, puisqu’ils doivent dire de fausses nouvelles, que ne les disent-ils à l’avantage du crédit et de la tranquillité publique ? Oiseaux de mauvais augure, pourquoi ne présagent-ils que des orages éloignés ? Je les réduirai de quatorze à sept, et conserverai, non ceux qui me loueront, je n’ai pas besoin de leurs éloges, mais ceux qui auront la touche mâle et le cœur français, qui montreront un véritable attachement pour moi et mon peuple. Vous savez la confiance que j’ai en vous ; je trouve que vous ne donnez pas une assez grande direction à cette partie. Dites à Esménard que je vois avec peine qu’il fasse un journal. Je suppose que c’est le poète. S’il est dans le besoin, je préfère que vous lui donniez de quoi faire son voyage et qu’il vienne me trouver à Milan.

J’ai renvoyé le rapport sur la contrebande à M. Cambacérès; voici sa réponse. J’en conclus qu’il faut arrêter tous les individus compromis, mettre inscription sur leurs biens, ordonner des visites domiciliaires pour confisquer les marchandises anglaises, et, enfin, me faire un rapport en détail sur chaque individu, qui pourrait être imprimé pour entacher ces négociants du sceau du déshonneur. Je vois dans votre rapport qu’un nommé Cavin, chassé par la guerre comme mauvais sujet, est allé à Versailles. Pour une chose de cette nature, il faut éloigner à quarante lieues, sans quoi c’est ne rien faire.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

A M. Talleyrand

Je pense qu’il faudrait faire sentir à la reine d’Étrurie qu’il serait plus convenable qu’elle vînt elle-même à Milan que d’y envoyer quelqu’un de sa part. Cependant, comme je n’attache à cela que très-peu d’importance, il faudrait que cette observation fût faite légèrement.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, je désire que vous présentiez un projet pour vendre le couvent de Chambéry; les fonds en seront versés dans la caisse du génie et serviront à achever la caserne. Faites évacuer les fusils qui sont à Chambéry sur Alexandrie, et toutes les pièces qui y sont, au fort Barraux. Faites vendre l’emplacement qui sert d’arsenal; je n’ai pas besoin d’aucun établissement militaire à Chambéry : Grenoble et le fort Barraux sont suffisants.

J’ai été satisfait de l’arrangement des fusils au fort Barraux; mon intention est qu’on prépare un emplacement pour 10,000 autres fusils : 20,000 fusils dans ce petit fort seront bien placés,

 

Stupinigi, 24 avril 1805

Au maréchal Soult, commandant le camp de Saint-Omer

J’ai reçu votre lettre du 24 germinal. J’ai vu avec plaisir que les corvettes de pêche ne sont pas en aussi mauvais état qu’on me l’avait dit, et que tout pourra être réparé promptement. Mon intention est d’embarquer trois chevaux par corvette de pêche. Indépendamment des trois régiments d’Italiens, il y en aura un quatrième. Le surplus servira pour les corvettes de pêche qui doivent embarquer des dragons et autres corps. Je ne pense pas qu’il y ait rien à changer à l’installation actuelle.

Ayez l’œil sur les différentes parties du service; tenez en état les vivres et les transports. Le transport de l’eau est la véritable question. Concertez-vous avec le général Lacrosse; faites-lui bien entendre que, quand je donnerai l’ordre, tout doit être prêt en trois jours, et que ce n’est pas avec des si qu’on arrive à des succès.

J’imagine que vous avez sous les yeux l’état imprimé du matériel de l’artillerie; vérifiez-le, chaloupe par chaloupe.

Faites-moi connaître si, en quinze jours, les chevaux, les approvisionnements, les hommes, et tout pourra être embarqué. Ne répondez pas métaphysiquement à cette question, mais voyez les magasins et les différents dépôts que j’ai là à ma disposition.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

Au général Marmont, commandant le camp d’Utrecht

Je désire que vous me fassiez connaître le nombre de jours de vivres que vous embarquez, ce qui est nécessaire pour la traversée, débarquement, et retour de la flotte. Vous devez calculer pour 25,000 hommes, parce qu’avant votre départ vos troupes seront portées à ce nombre.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

Au vice-amiral Decrès

Monsieur Decrès, j’ai reçu votre lettre du 29 germinal. J’ai appris avec plaisir que le vaisseau le Régulus a été lancé; il faut le faire armer; si on y mettait de l’activité, il pourrait, d’ici à six semaines, être à la mer et jouer aussi son petit rôle. J’attends avec impatience les dépêches qu’apporte le brick le Diligent. Je désire que vous fassiez mettre dans les journaux que de grandes nouvelles sont arrivées des Indes; que les dépêches ont été expédiées à l’Empereur; que le contenu n’en transpire pas, mais qu’on sait seulement que les affaires des Anglais vont fort mal, et que tout ce que le capitaine général de l’île de France avait promis, il l’a tenu. Ces petits moyens sont d’un effet incalculable sur les hommes, dont les calculs ne sont pas le résultat de têtes froides et dans lesquels chacun porte les alarmes et les préjugés de sa coterie.

Dites au général Beurnonville, que ce qu’il dit de l’amiral Villeneuve, qui a refusé de rallier l’escadre de Carthagène, n’est point vraisemblable; c’est, au contraire, le commandant de cette escadre qui a déclaré qu’il ne le pouvait pas, et je ne puis lui en savoir mauvais gré, puisqu’il n’avait pas d’ordre de sa cour; mais que l’amiral Villeneuve, passant le détroit et ayant des craintes, eût refusé le secours de 6 vaisseaux, un ambassadeur, un homme sensé ne se laisse pas dire de pareilles nigauderies.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

A la Consulte d’État du royaume d’Italie

Messieurs, j’ai reçu votre lettre du 18 avril. J’ai fait connaître à mon ministre Marescalchi la marche que je tiendrai. Je serai promptement au milieu de ma ville de Milan, et je serai fort aise de revoir un corps dont j’ai connu le zèle et le dévouement à ma personne dans toutes les circonstances.

 

Stupinigi, 24 avril 1805

A M. Felici, ministre de l’intérieur du royaume d’Italie

Monsieur Felici, mon intention est qu’à l’occasion de mon couronnement il soit frappé des médailles d’or, d’argent et de bronze. Je désire que mon Institut soit consulté sur la légende et sur les emblèmes de cette médaille. Vous en ferez alors frapper un nombre suffisant. J’ai ordonné que mon itinéraire vous fût envoyé. Je désire que tout se fasse avec l’ordre et l’éclat convenables.

 

Stupinigi, 26 avril 1805

A M. Barbé-Marbois

La caisse centrale du Piémont, depuis le moment de sa réunion jusques aujourd’hui, n’a point rendu de comptes, ou n’a pu me les présenter parce que ces comptes ont été envoyés an trésor. On trouverait, m’assure-t-on, beaucoup de dilapidations. On me dit qu’il y a 100,000 francs pour gratifications accordées pour loups tués; il n’a pas été donné un sou. Revoyez ces comptes. Présentez-moi un projet pour les faire examiner par une commission spéciale.

 

Stupinigi, 26 avril 1805

A M. Fouché

Je désire connaître à quel point le préfet d’Anvers a des reproches à se faire dans l’affaire de la contrebande. Il faut me parler clair, sans quoi je ne puis me faire une idée de la situation des choses.

Je vous envoie des lettres dont vous tirerez les renseignements que vous pourrez.

 

Stupinigi, 26 avril 1805

A M. Talleyrand

L’État de Gênes a toujours été un refuge pour les brigands. La tranquillité des départements des Alpes-Maritimes, de la Stura et de Marengo, et des États de Parme et de Plaisance, ne sera pas assurée tant qu’il n’y aura point une gendarmerie organisée comme dans le reste de mes Etats. Mon intention est donc de charger le maréchal Moncey d’organiser, pour les États de Gênes, deux compagnies de gendarmerie, une pour chaque Rivière. Elles seront sous les ordres d’un chef d’escadron, qui correspondra avec le colonel de la gendarmerie des six départements du Piémont. Je donne, en conséquence, l’ordre au premier inspecteur général de la gendarmerie d’envoyer directement à mon ministre, à Gênes, l’état de ce que coûteraient ces deux compagnies. Il est nécessaire que ce ministre obtienne du sénat les fonds et les ordres nécessaires pour leur organisation. Je désire que les deux tiers des officiers en soient Français et le reste Liguriens. Cette mesure est indispensable pour la tranquillité de mes États; et ce n’est qu’autant que le voisinage de la République de
Gênes n’en trouble point l’équilibre, que je puis lui laisser son indépendance.

 

Stupinigi, 26 avril 1805

Au maréchal Davout, commandant le camp de Bruges

Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 27 germinal. J’ai donné des ordres pour faire nettoyer non-seulement le bassin, mais encore la cunette, et mettre le port d’Ambleteuse dans le cas de contenir la flottille batave. J’apprends avec plaisir, par votre dépêche, que les matelots bataves arrivent. Ce qui m’importe le plus, ce sont les écuries; n’oubliez pas les installations, et faites placer les équipages aux écuries : ils doivent être du premier intérêt dans la flottille de transport. Ne vous laissez point endormir par les apparences. Vous connaissez assez le pays pour savoir qu’on peut mettre deux mois pour aller à Milan, mais mettre très-peu de jours pour revenir de Milan à Boulogne.

 

Stupinigi, 26 avril 1805

Au vice-amiral Decrès

J’ai fait mettre dans le Moniteur les principales dépêches de l’île de France; je vous renvoie les autres. Je pense que vous n’avez pas encore eu le temps de lire votre courrier, car vous ne me donnez aucun détail sur notre colonie, sur la situation des Indes, de nos croisières, et du mal qu’elles ont fait à l’ennemi. Envoyez-moi les pièces, et faites faire un rapport par le colonel , qui me fasse connaître la situation des Indes.

Le 1er floréal, on n’avait pas encore commencé le déblayement du port d’Ambleteuse; cependant il faut six semaines pour désensabler ce port. Donnez des ordres pour qu’on commence sans délai. N’oubliez pas de comprendre dans ce déblayement la cunette, partie principale de ce port, sans quoi la flottille batave ne pourrait y être contenue.

L’escadre combinée n’est point forte de 17 vaisseaux et 6 frégates, mais de 18 vaisseaux et de 7 frégates. J’ai des nouvelles que le San-Rafaelet la frégate ont rejoint. Deux des trois frégates qui sont à Lorient doivent être prêtes à partir. Mon intention est qu’elles partent, mais quinze jours après l’amiral Magon. Comme Villeneuve est décidément passé, elles ne porteront aucunes troupes. Vous ferez connaître au ministre de la guerre que les détachements que j’avais ordonné d’embarquer sur ces trois frégates deviennent inutiles. La frégate le Président se tiendra prête à partir quinze jours après les deux frégates. Si nous n’en avons pas besoin, elle formera, avec le Régulus, une petite division qui ne manquera pas de trouver son emploi.

 

Stupinigi, 26 avril 1805

A M. Champagny

Le préfet de Rennes est nécessaire à son département; donnez ordre qu’il s’y rende sous vingt-quatre heures; le bien du service l’exige.

 

 Stupinigi, 27 avril 1805

A M. Cambacérès

Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 3 floréal. J’ai vu le Saint-Père deux fois; il doit être parti aujourd’hui. Je partirai moi-même lundi; et, comme j’ai 25 à 30,000 hommes dans la plaine de Marengo, je resterai quatre ou cinq jours à Alexandrie pour les faire manœuvrer.

 

Stupinigi, 27 avril 1805

A M. Gaudin

Je vous envoie des mémoires sur différentes questions que j’ai faites ici relativement à la dette. Il en résulte que 19,500,000 francs de la dette du Piémont appartiennent à des mainmortes, clergé, hôpitaux ou villes. Je pense que tout ce qui est dans cette colonne ne doit pas être admis, en principe, à être acheté en biens nationaux et remboursé; que tout ce qui appartenait aux corporations du royaume d’Italie ou de la Ligurie qui ont été supprimées doit ne plus être payé et être regardé comme acquis au trésor.

Il n’y a donc à rembourser dans le Piémont que 30 millions de dettes. Les 18 ou 20 millions de biens qui s’y trouvent les éteindront probablement tous entièrement.

Mais il y a sur ces 19 millions appartenant à des mainmortes beaucoup d’observations à faire; ce qui appartient aux évêques, couvents et églises, la nation pourrait s’en emparer, s’ils sont suffisamment dotés. Dans tous les cas, présentez-moi un projet de décret portant que les dettes qui forment ces 19 millions, et qui ne sont pas rachetables en biens du Piémont, seront liquidées par le liquidateur général, pour être inscrites sur le grand-livre de France et remboursées avec les rentes nationales du Piémont, qui se montent à près de 300,000 francs de rentes. Par ce moyen toutes les dettes du Piémont seront anéanties, moins toutes les rentes viagères et pensions.

Faites venir tout le grand-livre du Piémont à Paris, cette opération terminée.

Le Sénat a ici 10 millions et la Légion d’honneur 20 millions. C’est un grand malheur pour ce pays que d’avoir une si grande quantité de maisons dont les propriétaires vivent au delà des Alpes.

Je vous envoie le rapport. Il y a là 2 ou 3 millions à retirer; faites-les payer.

Je vous envoie aussi un travail étendu de M. Hourier. Faites finir l’affaire du camp des vétérans. J’avais déterminé d’établir trois camps de vétérans en Piémont; je n’en établirai qu’un ; il me restera donc . . . . . . 122 qui ont été réservés dans le département du Tanaro.

 

Stupinigi, 27 avril 1805

NOTE POUR LE MINISTRE DU TRÉSOR PUBLIC

J’ai renvoyé l’avis au Conseil; je vois beaucoup d’objections à y faire. Je ne conçois pas, en effet, quelle est la garantie du Gouvernement, si un ministre ordonnance sous le prétexte d’une dépense et met les pièces d’une autre; par exemple, s’il a été acheté pour trois millions des remontes, si toutes les ordonnances sont timbrées Remontes, et qu’on y glisse 150,000 francs pour chaises ou autres objets, la Comptabilité ne peut en prévenir le ministre du trésor . N’est-elle pas autorisée à rejeter les pièces et à déclarer que le payeur a mal payé, puisque le payement est certifié de chaises au lieu de chevaux ? Alors, quel inconvénient que le payeur s’adresse au ministre pour réparer l’erreur ou demande une autre affectation ? Quant à l’Empereur et aux dépenses secrètes, la Comptabilité doit demander le bon de l’Empereur; elle ne demande pas à l’Empereur ce qu’il en a fait, ce serait arriver à l’absurde et manquer à sa personne. Le payeur n’est point autorisé à payer l’ordonnance d’un ministre, si, en indiquant pour un objet, on en paye un autre. Il suffit de dissimuler les événements qui donnent lieu à ces erreurs.

En commençant par le ministre, il est clair que fournitures de maison n’est pas frais de bureaux.

 

Stupinigi, 27 avril 1805

A M. Fouché

Il paraît, par les renseignements contenus dans votre bulletin du 29 sur M. de Saint-Paul, qu’il est un des hommes qui correspondent avec Moreau. Puisqu’il est allé à Lorient, il est possible qu’il soit le courtier de quelque intrigue.

 

Stupinigi, 27 avril 1805

Au maréchal Moncey

J’ai lu avec attention votre rapport du 27 germinal(17 avril) relativement au département d’Ille-et-Vilaine. Je désire que vous donniez l’ordre au colonel Mignotte de . . . . . . . . . . . . . . . .Je pense qu’il se sera transporté dans le canton de Fougères. L’existence de trente ou quarante brigands dans ce département ne doit pas être traitée légèrement, et je désire qu’il soit pris des mesures extraordinaires. S’il doutait de cette existence, qu’il se mette en campagne avec la réserve de sa légion; qu’il voie de ses propres yeux les lieux où l’on dit qu’ont été les brigands, et, si leur existence se confirmait, qu’il le fasse connaître par des courriers extraordinaires.

Je pense que le colonel Ponsard se sera rendu à Compiègne pour donner plus d’activité aux poursuites contre les brigands; le courrier arrêté est une affaire d’importance. Il ne doit rentrer à Paris qu’après avoir découvert et fait saisir les brigands. La demeure d’un colonel de gendarmerie est partout où il y a un événement extraordinaire dans sa légion.

Mon intention est d’établir deux compagnies de gendarmerie dans l’État de Gênes. Envoyez à mon ministre à Gênes l’état de ce qu’elles coûteraient, commandées par un chef d’escadron , qui resterait à Gênes. J’estime que les deux compagnies pourraient être composées chacune de 30 brigades, dont 25 à pied et au plus 5 à cheval. Le général Radet serait très-propre à cette organisation. Je désire, dès que mon ministre vous aura fait connaître qu’il est d’accord avec le sénat, que vous donniez l’ordre pour la formation de ces deux compagnies, que je désire composer au moins de deux tiers Français. Vous pourrez y mettre deux officiers du Golo et du Liamone, comme plus accoutumés à la langue et à sympathiser avec les habitants.

 

Stupinigi, 27 avril 1805

Au vice-amiral Decrès

Monsieur Decrès, votre courrier du 3 floréal (23 avril) ne m’apporte aucune nouvelle des Indes; les pièces que vous m’avez envoyées ne contiennent rien; le nom de Linois n’y est pas même prononcé, et j’ignore la situation des choses dans ce pays.

La lettre qu’a reçue Vanlerberghe a été écrite par Beurnonville; cela est par trop ridicule; faites-lui-en connaître mon mécontentement. Dans les affaires de cette nature, le secret doit être toujours essentiellement gardé. Ce sera par Paris que l’Angleterre apprendra cette nouvelle, et elle le saura sept ou huit jours plus tôt qu’elle n’aurait dû le savoir, résultat immense pour nos opérations. Recommandez-lui d’être désormais plus circonspect.

J’imagine que l’escadre de Rochefort partira; s’il y a empêchement, et que vous jugiez à propos de faire partir une des deux frégates de Lorient, je n’y vois pas d’inconvénient. Dans tous les cas, mon intention est que Villeneuve arrive devant le Ferrol, quand même l’escadre de Rochefort ne l’aurait pas joint; il a 18 vaisseaux; il est impossible qu’il en trouve plus de 10 devant le Ferrol.

Je suis surpris de ne pas recevoir des nouvelles de la Martinique; il est probable que le brick qui a été expédié aura été pris. Il est impossible qu’en pressant, comme vous le faites, l’escadre de Rochefort, en faisant partir une frégate de Lorient, et une corvette ou un brick de Bayonne ou de Bordeaux, l’amiral Villeneuve ne soit pas instruit, et que, de ces trois points si éloignés, quelque chose ne lui arrive. J’espère encore dans le départ de Ganteaume.

 

Stupinigi, 27 avril l805

Au vice-amiral Decrès

Je vous envoie un rapport sur le Creusot. Il est essentiel de maintenir cet établissement. Il n’est pas convenable de racheter, mais je crois utile de régler une commande fixe, afin qu’il ait une base fixe pour ses opérations et pouvoir se maintenir.