Correspondance de Napoléon – Avril 1803
Saint-Cloud, 26 avril 1803
Au contre-amiral Decrès, ministre de la marine et des colonies
Je vous renvoie, Citoyen Ministre, les différents projets qui ont été présentés pour l’organisation de l’artillerie de la marine. Il devient urgent de prendre un parti sur cet objet. Les sacrifices que je vais faire pour le service maritime, et l’extension que je veux lui donner, me portent à adopter la création de quatre régiments de canonniers de la marine; le ler et le 2e à quatre bataillons, et les 3e et 4e à deux bataillons chacun. Le ler et le 2e feront le service des grands ports, et les deux autres, celui des deux petits ports.
Je désire que les bataillons, au lieu d’être de dix compagnies, ne soient que de six, et que la compagnie, au lieu d’être composée de 80 hommes, le soit de 150 hommes en temps de paix, et de 200 au grand complet. Les compagnies seront composées d’un capitaine, d’un lieutenant en premier, d’un lieutenant en second, d’un sergent- major, de 5 sergents, d’un caporal-fourrier, de 10 caporaux, de 25 canonniers de première classe, de 25 de seconde classe, de 80 canonniers aspirants et de 2 tambours; total : 150 hommes.
Quand on voudra les porter au grand complet de guerre, on ajoutera 50 canonniers aspirants.
Les lieutenants en second seront détachés pour l’armement, la défense et la surveillance des principales batteries de l’arrondissement; ils seront aussi employés à l’arsenal du port.
Au lieu de trois compagnies d’ouvriers, il me paraîtrait plus convenable d’en avoir quatre, et de les porter de 99 à 150 hommes.
Je vous prie de retoucher au projet d’arrêté que je vous ai envoyé, en suivant ces bases, et de me le remettre dans la semaine, car il est urgent d’organiser ce corps. Cette organisation ne portera aucun préjudice à l’organisation des équipages.
Faites joindre à votre projet un tableau des dépenses que nécessitera l’entretien de ce corps, et de ce que coûtaient les sept demi- brigades d’artillerie.
Saint-Cloud, 27 avril 1803
Au général Lagrange, inspecteur de gendarmerie
Vous passerez, Citoyen Général, l’inspection des 15e, 25e, 18e, 17e et 16e légions de gendarmerie. Vous correspondrez directement avec le général Moncey pour tous les détails relatifs à votre arme. Vous enverrez, à moi seul, votre rapport sur la mission particulière et toute de confiance dont je vous charge.
Vous verrez les départements de la Somme, du Pas-de-Calais, du Nord, de l’Aisne, formant la 1e légion. Vous m’enverrez les notes que vous recueillerez sur les préfets, sous-préfets et maires des principales communes, sur les évêques et autres ecclésiastiques; sur l’état des chemins, le prix des subsistances, la manière dont s’annonce la récolte; sur la contrebande, le service des douanes, l’esprit de chaque corps, de chaque demi-brigade, sur les chefs, sur le nombre des conscrits reçus dans chaque corps, sur leur habillement en habits neufs, vieux ou en vestes; enfin un aperçu général qui puisse me mettre au fait de ces objets importants, et de tout ce qui peut m’intéresser sous le point de vue militaire et d’administration.
Après avoir parcouru la 15e légion, vous ferez la même chose dans les départements des Ardennes, de la Meuse, de la Moselle, des Forêts, du Mont-Tonnerre, de la Sarre, de Rhin-et-Moselle, de la Roër, de l’Ourthe, Sambre-et-Meuse, Meuse-Inférieure, Deux Nèthes, Dyle, Jemmapes et la Lys.
Vous resterez dans chaque ville de garnison le nombre de jour nécessaire pour vous mettre au fait des renseignements demandés. Vous m’adresserez, avant d’en partir, au Premier Consul seul, toute vos observations.
Votre mission patente est l’inspection de la gendarmerie. Ne laisse donc pénétrer, directement ni indirectement, la mission particulière dont vous êtes chargé. Puisez vos renseignements dans les conversations particulières, et en consultant les personnes qui peuvent vous les donner, sans inquisition ni question indiscrète.
Ne manquez pas de m’instruire de l’état des fortifications et de l’artillerie des places fortes que vous rencontrerez.
Saint-Cloud, 27 avril 1803
Au Ministre des Relations Extérieures
Je n’aime point, Citoyen Ministre, à m’occuper de l’intérieur des Gouvernements des Pays alliés; mais la marche incroyable que prend aujourd’hui l’opinion en Hollande a attire toute ma sollicitude et je ne peux plus rester indifférent à tout ce qui se passe. L’armée hollandaise est mécontente; la plus grande partie du peuple l’est également.
Voici les faits qui ont été mis sous mes yeux. Je vous prie de m’en faire un rapport.
1° Le tiers de la population en Hollande est catholique et sans contredit la partie la plus attachée à la France, et que cependant elle n’a aucun membre dans le gouvernement, aucun représentant dans le Corps Législatif, ni dans aucune autorité départementale ou municipale.
2° Que le Conseil …. est entièrement composé d’amis de l’Angleterre; qu’il y a deux mois on a retiré arbitrairement de ce Conseil six membres, les seuls ennemis de l’Angleterre et partisans avoués de la France et de la Hollande, qui ont été remplacés par six hommes connus pour leur attachement à la cause anglaise, ayant toute leur fortune dans les fonds anglais. On cite parmi ces derniers un nommé Van Stratten qui lors de son débarquement en 1799 a levé des contributions en son nom, et était chef de la police du duc d’York. Cet homme est appelé à présider à son tour ce Conseil; sa seule signature peut mettre les colonies à la disposition de l’Angleterre.
3° Que le Conseil d’Amsterdam par un règlement du 6 mars vient d’ôter les places marquées dans les Églises aux autorités civiles, militaires et politiques, qui les avaient obtenues depuis l’entrée des français, de sorte que l’on voit dans le même jour les amnisties et les hommes qui ont embrassé la cause de l’Angleterre reprendre les honneurs, et ceux qui ont toujours soutenu la cause de la France, déshonorés et châtiés.
4° Qu’il se fait depuis trois mois dans les administrations départementales et municipales des changements tous en faveur des Anglais, tous réunis dans ce parti de créer contre l’alliance de la France.
Si dans un pareil état de choses la paix survient, et que les troupes françaises évacuent la Hollande, nous aurions sur nos frontières un Gouvernement tout ennemi, quoique cependant il soit de fait que la plus grande partie de la Nation, que tout ce qui a énergie , crédit et force est favorable au système français.
Mon intention est donc d’intervenir dans les affaires de ce pays. Je désire d’abord être certain de la vérité des faits ci-dessus, et que vous me fassiez connaître ce qu’il y a à faire pour assurer en Hollande aux amis de la France de l’influence et de la considération.
Les deux questions qui se présentent sont 1° si la Hollande ne peut pas vivre avec la Constitution qu’elle a, quel amendement ou quel changement y-a-t-il à faire ?
2° Quels sont les hommes qui pourraient accepter les principales places ? Et à cet effet je désire connaître qu’elle était la Constitution de la Hollande avant l’entrée des français et quelle est sa Constitution actuelle.
Bien se garder de laisser pénétrer que je me suis occupé de ces objets; cela porterait l’alarme dans le Gouvernement. Parlez-en confidentiellement de vous au Citoyen Schimmelpenninck comme des choses tellement évidentes qu’elles finiront par éveiller l’attention du Premier Consul.
Lettres à Talleyrand
Saint-Cloud, 28 avril 1803
Au citoyen Lebrun, aide de camp du Premier Consul
Vous voudrez bien, citoyen, partir dans la journée pour vous rendre à Lorient, en passant par Alençon et Rennes.
Vous vous arrêterez deux jours à Alençon. Vous y prendrez des informations sur la manière dont s’est tenu le collège électoral du département, sur les raisons qui ont empêché un grand nombre citoyens de s’y rendre.
Vous prendrez des préfets, de la gendarmerie et des commandai militaires tous les renseignements qu’ils pourraient vous procurer sur les cantons qui étaient le plus chouanisés, sur les chefs de chouans qui demeurent dans le département, sur les propos et la conduite qu’ils y tiennent.
Vous prendrez des renseignements sur la situation de l’esprit clergé, et m’enverrez un rapport détaillé de tout ce qui peut m’intéresser sous le point de vue de la tranquillité publique. Il ne devra pas être seulement le résultat de ce que vous recueillerez des préfets et autres autorités; vous consulterez encore différentes autres personnes.
Vous vous rendrez dans les chefs-lieux de cantons qui passent pour les plus mauvais et qui vous seraient indiqués comme tels. Vous y resterez le temps convenable pour vous procurer les renseignements les plus détaillés sur tous les individus suspects et qui pourraient troubler la tranquillité publique. Vous joindrez aux renseignements personnels que vous recueillerez des notes sur les châteaux où, pendant la dernière guerre, les chouans avaient coutume de se réunir.
Vous vous rendrez de là à Rennes. Vous y resterez deux jours. Vous y prendrez les mêmes renseignements. Vous vous procurerez également des renseignements des chefs de brigade et de bataillon, des officiers qui sont en garnison dans cette place, sur la situation de l’habillement et armement des corps, sur l’esprit des conscrits; vous m’enverrez un état du nombre d’hommes que les demi-brigades pourraient mettre en campagne, et les plaintes qu’ils auraient à faire sur cet objet.
Vous êtes autorisé à vous rendre dans les chefs-lieux des cantons qui ont été le centre de la guerre civile, et qui sont considérés encore comme les plus suspects, afin que, plus près des lieux, vous puissiez rendre plus sûrs les renseignements que vous devez me donner.
De là, vous irez à Lorient; vous m’enverrez un état détaillé de tout ce que vous y verrez, des vaisseaux qui sont dans les chantiers, de ceux en armement ou dans le port, du nombre de marins, de la situation des vivres et approvisionnements de la marine. Vous recueillerez tout ce qu’on vous dira, et tous les renseignements directs ou indirects qui viendraient à votre connaissance.
Vous visiterez toutes les batteries des côtes, depuis Lorient jusqu’à l’embouchure de la rivière de Quimper, et depuis Lorient jusqu’à Rochefort. Vous aurez soin de voir avec quelle activité l’on arme; de me faire connaître, dans votre rapport sur chaque batterie, ce qu’on y a fait depuis l’ordre d’armement, et le moment où elle sera armée; d’observer l’esprit et la population des villages à portée des batteries, le nombre de matelots, ceux qui sont à la mer; enfin tout ce qui peut, sur cette côte, m’intéresser sous le point de vue de l’armement et de l’administration.
Informez-vous exactement, dès votre arrivée à Lorient, si les approvisionnements pour Belle-Île et l’île de Groix sont partis; et, à votre retour à Lorient de la portion de votre course à l’embouchure de la rivière de Quimper, faites-moi connaître la situation de Belle-Île et de l’île de Groix, leur armement, approvisionnement, l’esprit des habitants, le nombre de compagnies qu’on a formées parmi eux pour la défense du pays, les talents et l’esprit public des commandants.
Partout où vous irez, ayez soin d’inviter à dîner les commandants, les officiers, les administrateurs et habitants que vous penserez pouvoir vous donner des renseignements, sans cependant inviter les préfets et généraux de division, à moins qu’ils ne vous le demandent. De là vous irez à Vannes, où vous prendrez les mêmes renseignements que dans les départements de l’Orne et d’Ille-et-Vilaine. Vous vous informerez des cantons supposés les plus mauvais. Vous verrez la gendarmerie, les maires, pour tous les renseignements, et vous contribuerez, par votre conduite et par l’accueil que vous leur ferez à leur laisser une bonne opinion de la sollicitude du Gouvernement pour eux.
En descendant de Lorient à l’embouchure de la Vilaine, vous remonterez jusqu’à la Roche-Bernard sur l’une et l’autre rive. Vous vous ferez montrer les lieux où une escadre poursuivie par les Anglais monta dans la dernière guerre, et recueillerez l’opinion des marins sur l’endroit où un vaisseau de guerre peut arriver.
Vous ferez la même chose sur l’une et l’autre rive de la Loire jusqu’à Nantes. Vous ferez, pour la marine de Nantes et pour département d’Ille-et-Vilaine, ce qui vous est prescrit pour les autres départements.
Vous parcourrez l’île de Noirmoutiers. Vous vous informerez avec soin si l’on a mémoire que des frégates ou des vaisseaux aient mouillé dans l’anse de Noirmoutiers, et jusqu’à quel endroit.
Vous verrez les îles de Ré et d’Oléron, l’île d’Yeu et Rochefort, vous vous en reviendrez à Paris par Poitiers, Tours, Orléans; vous vous arrêterez dans chaque chef-lieu, où vous prendrez les mêmes mais d’une manière moins détaillée, surtout pour les troupes et les conscrits.
Vous aurez soin de m’envoyer votre rapport de tous les lieux où vous coucherez et avant d’en partir, vous, m’en ferez une description géographique, topographique et militaire, et vous aurez soin d’y relater le nombre de villages et la population des îles de Groix, Belle-Île, de l’île d’Yeu et Noirmoutiers, et de vous assurer si dans ces îles il y a des biens nationaux.
Partout vous rendrez visite aux évêques, et quand vous coucherez dans des villages, vous vous mettrez en relation avec les curés.
Vous distinguerez dans les îles les habitants les plus attachés au Gouvernement, et recueillerez les grâces qu’ils auraient à demander pour eux ou leurs enfants.
Faites connaître à Noirmoutiers que je suis satisfait de la conduite que les habitants ont tenue à la fin de l’an VIII.
Vous mettrez le temps convenable à cette mission, qui ne doit pas être faite légèrement, et je dois trouver dans vos rapports les mêmes renseignements que je pourrais trouver si j’allais moi-même sur les lieux. Je désire cependant que votre mission ne dure pas plus d’un mois.
Faites-moi connaître ceux des renseignements que vous prendrez qui pourraient être hasardés, et, le plus possible, la source d’où ils viennent. Vous pouvez être certain que vos rapports ne seront lus que par moi.
Tous ces renseignements doivent être pris sans donner aucune inquiétude et sans paraître avoir été envoyés pour cet objet.
Paris, 29 avril 1803
NOTE
Au prochain travail, le Premier Consul présentera la proposition de douze lycées pour l’année prochaine.
Le ministre présentera un projet pour placer la statue de Charlemagne sur la place de la Concorde, ou sur la place dite Vendôme.
Saint-Cloud, 29 avril 1803
Au général Berthier, ministre de la guerre
Le Premier Consul vous prie, Citoyen Ministre, d’apporter au prochain travail l’ordre suivant, qui a été donné pour les écoles d’artillerie pendant la campagne de l’an XI.
Mon intention est qu’on se serve, dans chaque école, de boulets rouges; qu’on s’exerce aux obusiers, et qu’on se familiarise avec l’usage des boulets creux, en ayant soin de tenir un procès-verbal des exercices qui auront été faits avec ces boulets.
Saint-Cloud, 30 avril 1803
Au landammann et au conseil général du canton d’Uri
Citoyens Landammann et Membres du conseil général du canton d’Uri, tout ce que vous me dites dans votre lettre du 28 mars m’a vivement touché. J’ai voulu, par l’acte de médiation, vous éviter de grands maux et vous procurer de grands biens. Je n’ai vu que vos intérêts. Oubliez toutes vos divisions. Ne formez qu’un seul peuple.
Je regarderai comme une de mes occupations les plus importantes de maintenir dans toute son intégrité la vieille amitié qui, depuis tant de siècles, vous unit à la nation française.
Dites au peuple de votre canton que je serai toujours prêt à l’aider dans tous les maux qu’il pourrait éprouver, et qu’en retour je compte sur la continuation des sentiments que vous m’exprimez.