Correspondance de Napoléon – Août 1813

Dresde, 28 août 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mon Cousin, donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de marcher sur Dohna. Il se mettra sur la hauteur et suivra sur les hauteurs la retraite de l’ennemi, en passant entre Dohna et la plaine. Le duc de Trévise suivra la grande route. Aussitôt que la jonction sera faite .avec le gé­néral Vandamme, le maréchal Saint-Cyr continuera sa route pour se porter avec son corps et celui du général Vandamme sur Berggiesshübel. Le duc de Trévise prendra position sur Pirna. Du reste, je m’y rendrai moi-même aussitôt que je saurai que le mouvement est commencé. Il est nécessaire qu’en marchant sur Dohna toutes les colonnes du maréchal Saint-Cyr soient dans la plaine, afin d’être tou­jours en vue du duc de Trévise.

Écrivez an général Vandamme pour l’instruire du mouvement de la retraite de l’ennemi; 30,000 hommes, quarante pièces de canon et plusieurs généraux ont été pris. Instruisez-le aussi de la marche du maréchal Saint-Cyr et du duc de Trévise sur Dohna et Pirna. Aussitôt que la réunion sera faite, il formera tout son corps sur les hauteurs de Berggiesshübel et de Hollendorf.

Je vais me rendre sur le chemin de Pirna.

 

Dresde, 29 août 1813, cinq heures du matin.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mon Cousin, donnez ordre au général de brigade Pire de partir à six heures du matin et de passer les ponts de Dresde. Il lui sera attaché un bataillon westphalien, de ceux qui sont à Dresde, et trois pièces de canon. Ce général se rendra aussitôt à Meissen ; il y prendra possession de la place et poussera des partis sur la route de Leipzig et dans toutes les directions où il y aurait des partis ennemis ; il se mettra en correspondance avec le général Margaron, qui doit être à Leipzig ou entre Leipzig et Torgau. Arrivé à Meissen, le général] Pire placera dans le château le bataillon westphalien et les trois pièces de canon.

Donnez ordre au général commandant le génie d’y envoyer un of­ficier pour mettre sur-le-champ le château en état et travailler à une tête de pont, et au général commandant l’artillerie d’y faire sur-le-champ construire un pont de bateaux.

Le général Pire se mettra en communication avec le général Lhéritier, qui est sur la rive droite, et préparera des bateaux pour passer sur la rive droite avec sa brigade, aussitôt qu’il en aura l’ordre. Faites connaître au général Pire qu’il doit aujourd’hui donner deux ou trois fois de ses nouvelles, mon intention étant de rétablir parfaitement la communication centre Dresde et Leipzig, et qu’il ait assez de bateaux pour pouvoir, au premier ordre, se porter sur la rive droite.

Faites-moi connaître combien le général Lhéritier a d’infanterie avec lui.

 

Dresde, 29 août 1813, six heures et demie du matin.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mon Cousin, donnez ordre au roi de Naples de se porter sur Frauenstein et de tomber sur les flancs et les derrières de l’ennemi, et de réunir à cet effet sa cavalerie, son infanterie et son artillerie.

Donnez ordre au duc de Raguse de suivre vivement l’ennemi sur Dippoldiswalde et dans toutes les directions qu’il aurait prises.

Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de suivre l’ennemi sur Maxe et sur toutes les directions qu’il aurait prises.

Instruisez ces trois généraux de la position respective des deux autres, afin qu’ils sachent qu’ils se soutiennent.

 

Dresde, 29 août 1813, sept heures et demie du matin.

A Joachim Napoléon, roi de Naples, à Dresde.

Mon Frère, aujourd’hui 29, à six heures du matin, le général Vandamme a attaqué le prince de Wurtemberg, près de Hollendorf; il lui a fait 1,500 prisonniers et pris quatre pièces de canon, et il l’a mené tambour battant ; c’étaient tous Russes. Le général Vandamme mar­chait sur Tœplitz avec tout son corps. Le général prince de Reuss, qui commandait une de nos brigades, a été tué. Je vous écris cela pour votre gouverne. Le général Vandamme écrit que l’épouvante est dans toute l’armée russe.

 

Dresde, 29 août 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mon Cousin, mon intention est qu’on n’évacue pas les prisonniers Ide guerre sans avoir pris mes ordres, et qu’on me soumette les différents projets d’évacuation. Le premier convoi sera composé de leurs généraux; le second convoi, de leurs officiers; le troisième, de leurs sous-officiers inutiles aux convois de soldats; tout cela sera escorté par de la gendarmerie. Les officiers ne partiront que par convois de 20. On me donnera la note de tous ces convois et de l’escorte qu’on veut leur donner. Vous sentez l’importance qu’il y a à ce que les routes soient sûres. Quant aux soldats prisonniers, ils seront formés par compagnies de 60 à 100 hommes, à la tête desquels on mettra un sous-officier autrichien. Dix de ces compagnies, c’est-à-dire 1,000 hommes au plus, feront un convoi, qui sera escorté par 10 gen­darmes, soit d’élite, soit de la ligne, par 20 hommes de cavalerie et 60 hommes d’infanterie. L’escorte sera sous les ordres d’un offi­cier de gendarmerie, soit de la gendarmerie d’élite, soit de la ligne. Indépendamment de ce, les commandants de Leipzig et d’Erfurt four­niront, selon les circonstances, des escortes.

Tout ce qui serait Polonais et voudrait servir sera sur-le-champ enrôlé, habillé avec les uniformes polonais qui sont ici, et incorporé dans des régiments polonais. On pourrait même en envoyer à Mag­deburg et à Wittenberg pour le régiment de la Vistule et le 4e polo­nais; mais il faut être sûr que ces hommes soient Polonais. On m’assure que dans le nombre des prisonniers qui se trouvent ici il y en a déjà 500 dont on pourrait se servir avec avantage.

 

Dresde, 20 août 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mon Cousin, prévenez le gouverneur de Torgau, le général Margaron et le général Piré qu’une division de 1,500 hommes de cava­lerie autrichienne, russe et prussienne, avec 1,500 hommes d’infan­terie, a été coupée de Dresde et est arrivée à Meissen le 27, à deux heures après midi, et qu’elle en est repartie à cinq heures et à sept heures le même soir, se dirigeant sur Torgau. Ces troupes paraissaient inquiètes et incertaines du chemin qu’elles prendraient. Le général Margaron et le gouverneur de Torgau doivent avoir des avis de la marche de cette colonne, et l’on doit tâcher de l’intercepter et de lui faire: tout le mal possible.

 

Dresde, 29 août 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mon Cousin, donnez ordre au général commandant à Erfurt de faire partir, le 1er septembre, la division composée de 5,500 hommes d’infanterie et de 1,900 hommes de cavalerie, avec vingt-quatre pièces d’artillerie, qui se trouve à Erfurt. Cette division sera organisée, savoir : les 5,500 hommes d’infanterie en bataillons de marche, chacun de 7 à 800 hommes, formant deux brigades, chacune de 2,600 hommes. Chaque brigade sera commandée par un des géné­raux, colonels ou majors qui se trouvent Erfurt. Tout ce qui appar­tient aux 3e, 5e, 4e, 7e et 12e corps sera mis de préférence ensemble; tout ce qui appartient à la Garde, infanterie, cavalerie et artillerie, sera mis ensemble et formera une réserve. La cavalerie sera orga­nisée en trois régiments de marche, chacun de 600 hommes.

Le général d’Alton organisera toute celte division, de manière qu’elle marche en règle et puisse se battre. L’artillerie à cheval sera attachée à la cavalerie, et l’artillerie à pied aux deux brigades d’in­fanterie.

Celle division se rendra à Leipzig. Elle marchera militairement, bivouaquant ou cantonnant dans la même ville et sans s’éparpiller dans les villages, l’artillerie occupant les hauteurs et en batterie, comme si la division était devant l’ennemi. Cette division arrivée à Leipzig, le général Margaron gardera le bataillon du 96e et celui du 103e. Son corps sera alors composé de trois bataillons badois, du 4e bataillon du 35e léger, du 1e bataillon du 132% du 2e bataillon du 96e, du 2e bataillon du 103*; total, sept bataillons, ou une bonne brigade de 4,000 hommes. Il devient indispensable d’envoyer à Leip­zig un colonel ou un bon major pour commander ces quatre batail­lons français.

Le général Margaron joindra à la colonne venant d’Erfurt le ba­taillon des divisions réunies, et ce qui appartient au 57e, au 145e, aux 55e et 138e et en général toute l’infanterie autre que les sept bataillons énumérés ci-dessus, de sorte qu’il n’ait que ces sept batail­lons entiers et bien organisés, et que par conséquent il n’ait plus de corps rompus ni de corps provisoires.

Tout ce qui appartient au 14e, au 6e et au 1er corps se rendra à Dresde; tout ce qui appartient aux 3e, 5e, 4e, 12e et 11e corps se rendra à Torgau, pour renforcer la garnison. Faites-moi connaître combien ce renfort mettra de troupes dans Torgau.

Quant à la cavalerie, tout ce qui appartient à la Garde continuera sa route. Tout ce qui appartient au 5° corps de cavalerie se rendra à Torgau. Ce qui appartient au 13e de hussards se rendra à Magdeburg. Tout ce qui appartient au 3* corps de cavalerie se rendra à Witten­berg. Le général Margaron gardera tout ce qui appartient aux 1er et 2e corps de cavalerie. Faites-moi connaître quelle sera alors la com­position de sa cavalerie.

Le général Margaron renverra également tous les cuirassiers et dragons, tant ceux qui feront partie de la colonne d’Erfurt que ceux qui font aujourd’hui partie de ses deux régiments provisoires. Il ne gardera que des chevau-légers, des chasseurs et des hussards. Il en formera trois régiments, savoir : un de tout ce qui appartient au 2e corps de cavalerie; un de tout ce qui appartient au 1er corps, et un troisième de tous les détachements appartenant aux brigades qui ne font pas partie des corps de cavalerie. Faites faire ici cette organisa­tion sur le papier. Je désire compléter sa cavalerie au nombre de 3,000 chevaux.

Faites connaître au général Lhéritier ce qui arrivera à Torgau pour le 5e corps, et au duc de Padoue ce qui arrive à Wittenberg pour le 3e.

Le général Margaron gardera deux batteries d’artillerie à cheval et la batterie badoise, ce qui lui fera seize pièces de canon. Tout le reste de l’artillerie continuera sa route pour Dresde. Le général Margaron devant avoir 3,000 chevaux, il sera nécessaire de lui envoyer deux généraux de brigade de cavalerie.

Écrivez au commandant d’Erfurt de faire partir les équipages du roi de Naples avec cette division.

 

Dresde, 29 août 1813.

Au général baron Rognat, commandant le génie de la Grande Armée, à Dresde.

Monsieur le Général Rogniat, je vous ai déjà écrit pour Meissen. Il est de la plus haute importance d’occuper le château, de manière qu’un bataillon y soit à l’abri de toute attaque de la part des troupes légères ennemies. Je donne ordre à l’artillerie d’établir un pont de bateaux qu’on attachera aux arches. Cette opération sera faite demain. Donnez ordre qu’on travaille sur-le-champ à une tête de pont sur la rive droite. Il faut que deux redoutes et de bonnes palissades m’assu­rent ce point sur la rive droite. Mon intention est aussi que vous y envoyiez les ouvriers de la marine, pour rétablir le pont de pierre. Je désire que cet ouvrage soit terminé d’ici à un mois, et qu’à l’hiver, malgré les glaces, nous soyons toujours assurés de cette grande communication.

Aujourd’hui ou demain, reprenez les travaux de Dresde. J’ai vu avec peine, malgré mes ordres, qu’il n’y ait pas de terre-plein tout le long des redoutes, et qu’il n’y ait point de sacs à terre, de sorte que les canonniers n’étaient pas suffisamment à l’abri. Il faut remé­dier à cette négligence. Il faut aussi que chaque redoute ait un em­placement disposé pour quinze pièces de canon. Les blockhaus, cabanes et baraques n’étaient pas à l’abri du canon; il faut y entasser des arbres les uns sur les autres, de manière à avoir plus de trois pieds d’épaisseur; dès lors, le canon de campagne n’y pourra rien. II faut sur-le-champ établir les trois redoutes intermédiaires. 11 faut faire placer les gabions et sacs à terre sur les redoutes, de manière que les canonniers soient couverts le plus possible. Il faut faire achever les fossés du front de Pirna.

À Königstein, ce qu’il y a de plus important, c’est de travailler sur-le-champ à la route qui de Königstein va à Hellendorf et Berggiesshübel. Il paraît aussi qu’il faut travailler à un petit tambour qui couvre le pont sur la rive gauche, et empêche que des tirailleurs ne puissent se glisser de ce côté pour brûler le pont; il faut aussi établir autour de la citadelle deux ou trois tambours en palissades, protégés par le canon de la forteresse et qui éloignent les tirailleurs ennemis. Mais ce que je vois de plus important, c’est de réparer, sur la rive droite, les chemins qui vont à Stolpen et, sur la rive gauche, ceux qui débouchent à Hellendorf et Berggiesshübel. Donnez des ordres pour qu’on y travaille sans délai.

 

Dresde, 29 août 1813, quatre heures après midi.

A Joachim Napoléon, roi de Naples, à Freyberg.

Mon Frère, j’ai reçu vos lettres d’hier et je reçois celle d’aujour­d’hui à dis heures du matin. Le major général a dû vous écrire de vous porter sur Frauenstein. Le duc de Raguse marche sur Dippoldiswalde, et le maréchal Saint-Cyr sur Maxen. Le général Vandamme, qui était hier à Hellendorf, doit être entré aujourd’hui en Bohème, du côté de Peterswalde. La brigade du général Pire est à Meissen. Je suppose que les partis ennemis de ce côté se seront sauvés; cependant on pourrait encore en ramasser. Il paraît que 500, qui étaient entre Torgau et Meissen, ont voulu passer sur la rive droite et que le géné­ral Lhéritier les a repoussés; ainsi ils sont partout en désarroi.

Cette nouvelle de la mort de Moreau me revient de tous côtés, il faut que ce soit vrai. Aussitôt que vous en aurez la certitude, faites-le-moi savoir.

J’espère que vous ferez encore de bonnes prises aujourd’hui. Toutes les dispositions que vous avez faites me paraissent bonnes.

  1. S. Je reçois dans l’instant une lettre du duc de Raguse. Il est arrivé en avant de Dippoldiswalde; il poursuit l’arrière-garde enne­mie, dont toute l’armée se relire par Altenberg sur Tœplitz. Hier, dans la journée, une colonne de bagages a passé à la porte de Dippoldiswalde, a pris la roule de Frauenstein; mais elle aura pu, à Hermsdorf, reprendre la route d’Altenberg, qui n’est que d’une lieue plus longue que la route directe.

 

Dresde, 30 août 1813.

NOTE SUR LA SITUATION GÉNÉRALE DE MES AFFAIRES.

Je suppose l’armée de Silésie ralliée derrière le Bober; il n’y aurait même pas d’inconvénient qu’elle se mît derrière la Queis.

Si je voulais faire venir le prince Poniatowski à l’armée de Berlin, le débouché de Zittau ne serait plus gardé. Il pourrait cependant arriver à Kalau en quatre jours; alors il serait indispensable que l’armée de Silésie s’appuyât sur Gœrlitz et même en avant de Bautzen. Pourvu qu’un corps occupât Hoyerswerda, mon opération de Berlin ne serait pas compromise.

Renonçant à l’expédition de Bohême afin de prendre Berlin et de ravitailler Stettin et Küstrin, le maréchal Saint-Cyr et le général Vandamme prendraient position, la gauche à l’Elbe, le duc de Raguse formerait le centre, le due de Bellune la droite; le roi de Naples pourrait commander ces quatre corps et s’établir à Dresde avec Latour-Maubourg : ce serait une belle armée. Il serait possible, dans des positions connues, de se couvrir de quelques redoutes. Cette armée serait menaçante, n’aurait aucun danger à courir, et elle pourrait se replier sur Dresde, dans le temps que j’y arriverais de Luckau.

L’armée de Silésie pourrait s’appuyer sur Naumburg, sa gauche à Weissenberg, et occuper Bautzen et Hoyerswerda.

Mes deux armées seraient alors sur la défensive, couvrant Dresde sur l’une et l’autre rive, dans le temps que j’opérerais sur Berlin et porterais le théâtre de la guerre sur le bas de l’Oder.

Les Russes ne pourront pas être indifférents à l’existence d’une armée de 60,000 hommes à Stettin; le blocus de Danzig serait me­nacé, et probablement une partie de leur armée de Silésie passerait l’Oder pour se mettre en bataille entre Danzig et Stettin. L’armée russe doit avoir perdu beaucoup de monde. Aussitôt sa frontière menacée à Stettin, ce sera un prétexte pour abandonner la Bohême. Et moi, étant dans une position transversale et ayant tous les Polonais entre Stettin et Küstrin, j’aurais l’initiative de tous les mouvements.

J’ai deux plans d’opération à adopter :

Le premier, d’aller à Prague, profitant de mes succès contre l’Autriche. Mais d’abord je ne suis plus en mesure d’arriver avant l’en­nemi à Prague, ville forte; je ne la prendrais pas; la Bohême peut s’insurger : je serais dans une position difficile; 2° l’armée ennemie de Silésie attaquerait mon armée de Silésie : je serais dans une posi­tion délicate à Prague; il est vrai, cette armée pourrait se portera I Dresde et s’y appuyer; 3° dans cette position de choses, l’armée d’Oudinot ne peut rester que défensive ainsi que celle du prince d’Eckmühl, et, vers le milieu d’octobre, je perdrai 9,000 hommes à Stettin. J’occuperais alors la ligne de l’Elbe, de Prague à la mer; elle est par trop étendue : si elle perçait dans un point, elle ouvrirait accès dans la 32* division et pourrait me rappeler dans la partie la plus faible de mes États.  Les Russes ne craignent rien pour eux ni pour la Pologne : ils se renforceraient entre l’Oder et l’Elbe, dans le Mecklenburg et en Bohême.

Ainsi le projet d’aller à Prague a des inconvénients : 1° Je n’ai pas suffisamment de chances pour être sûr d’avoir la ville de Prague. 2° Que je me trouve alors avec mes principales forces dans un tout autre système, et me trouvant, moi, de ma personne, à l’extrémité de ma ligne, je ne pourrais me porter sur les points menacés; des sottises seraient [faites; ce qui porterait la guerre entre l’Elbe et le Rhin, ce qui est le désir de l’ennemi. Le troisième inconvénient : je perdrais mes places de l’Oder, et ne serais pas en acheminement sur Danzig.

En marchant au contraire sur Berlin , j’ai aussitôt un grand résultat : je protège ma ligne de Hambourg à Dresde; je suis au centre; i en cinq jours, je puis être aux points extrêmes de ma ligne; je dégage Stettin et Küstrin ; je puis obtenir ce prompt résultat de séparer ‘les  Russes des Autrichiens; dans la saison, je ne puis être embar­rassé de vivre à Berlin; les pommes de terre, les grandes ressources de cette ville, les canaux, etc., me nourriront, et je maintiens la [guerre où elle a été jusqu’à cette heure. La guerre d’Autriche n’a pour moi que l’inconvénient d’un sacrifice de 120,000 hommes mis sur la défensive entre Dresde et Hof,  défensive utile à mes troupes qui se forment. Je puis me prévaloir auprès de l’Autriche de cette condescendance à ne pas porter la guerre en Bohême. L’Autriche ne pouvant se porter nulle part, ayant 120,000 hommes sur ses fron­tières, je menace d’aller à Prague sans y aller. Les Prussiens ne se soucieront pas de rester en Bohême, leur capitale prise, et les Russes eux-mêmes seront inquiets pour la Pologne, en voyant les Polonais réunis sur l’Oder. Il faudrait alors qu’il arrivât une de ces deux choses. Les Russes, les Prussiens de Bohême forceront l’Autriche à reprendre l’offensive, â revenir à Dresde; ce ne peut être que dans quinze jours.  Alors j’ai pris Berlin, ravitaillé Stettin, détruit les travaux des Prussiens et désorganisé la landwehr. Alors, si l’Autriche recommence ses sottises, je me trouverai à Dresde avec une armée réunie; de grands événements, une grande bataille termineraient la campagne et la guerre.

Enfin, dans nia position, tout plan où de ma personne je ne suis pas au centre est inadmissible. Tout plan qui m’éloigne établit une guerre réglée, où la supériorité des ennemis en cavalerie, en nombre et même en généraux, me conduirait à une perte totale.

En effet, pour bien comparer les deux projets, il faut placer mes armées en bataille dans les deux projets.

1° Projet de Prague. — II faut m’y porter de ma personne, y mettre le 2e, le 6e, le 14e et le 1e corps, la cavalerie Latour-Maubourg; il faudrait le prince d’Eckmühl devant Hambourg, les trois corps d’Oudinot sur Wittenberg et Magdeburg, l’armée de Silésie sous Bautzen. Dans cette situation, je suis sur la défensive : l’offen­sive est à l’ennemi ; je ne menace rien; il serait absurde de dire que je menace Vienne; l’ennemi peut masquer l’armée de Silésie, faire déboucher des corps par Zittau, m’attaquer à Prague, ou bien, masquant l’armée de Silésie, il détachera sur le bas Elbe, ira sur le Weser, tandis que je serai à Prague; il ne me restera qu’à gagner le Rhin en toute hâte. Le général qui commandera à Bautzen ne convien­dra pas que l’ennemi s’est affaibli devant lui, et mon armée sur Hambourg et Magdeburg sera tout à fait hors de ma main.

2° Hypothèse. — Maintenant le 1ercorps, le 14e, le 2e, le 6e et Latour-Maubourg resteront tranquilles autour de Dresde, sans craindre les Cosaques; le corps d’Augereau s’approchera sur Bam­berg et Hof, l’armée de Silésie sur la Queis, ou le Bober et Bautzen: point d’inquiétude encore pour mes communications; mes deux armées de Hambourg et de Reggio seront sur Berlin et Stettin.

 

Demain 31, au soir, j’aurai à Grossenhayn :

Infanterie, 18,000 hommes;

Cavalerie, 7,000;

Artillerie, cent cinquante pièces de canon.

Au total, la valeur d’une armée de 30,000 hommes.

Selon la note de Caraman, les trois corps auraient 45,000 hom­mes d’infanterie, 9,000 hommes de cavalerie; soit 54,000 hommes, avec près de deux cents pièces de canon.

Ce serait donc 63,000 hommes d’infanterie et 16,000 de cava­lerie avec trois cent cinquante pièces ; ce serait une armée de plus de 80,000 hommes.

Il faudrait préparer les lettres d’ordres chiffrées pour les généraux: prince d’Eckmühl, duc de Reggio, Lapoype, Lemarois. Cependant ces lettres ne partiraient que lorsque je serai bien décidé.

Si je portais mon quartier général à Luckau, je serais à deux jour­nées de Torgau, à trois de Dresde, à quatre de Gœrlitz. Je serais donc dans une position centrale à portée de prendre mon parti, soit pour lancer tout ce que je voudrais sur Berlin, soit pour y aller de ma personne. Il faudrait, en m’éloignant de Luckau, être assuré de la situation de mes derrières. En faisant venir 3,000 chevaux du roi de Naples, j’aurais 10,000 chevaux pour maintenir mes communica­tions entre Berlin, Dresde et Torgau.

Il faudrait donc écrire les lettres suivantes.

Suivent des projets de lettres au duc de Reggio, au prince d’Eckmühl, au général Lemarois, au général Lapoype et au commandant de Torgau, pour leur donner avis du mouvement sur Berlin et leur faire connaître les ordres qui les concernent.

 

Dresde, 30 août 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mon Cousin, écrivez au duc de Raguse, au roi de Naples, au duc de Bellune et au maréchal Saint-Cyr, que le point difficile pour l’ennemi est Zinnwald, et l’opinion de tous les gens du pays est que son artillerie et ses bagages ne pourront y passer qu’avec une peine extrême; que c’est donc sur ce point qu’il faut se réunir et attaquer; que l’ennemi, tourné par le général Vandamme, qui marche sur Tœplitz, se trouvera très-embarrassé et sera probablement obligé de laisser la plus grande partie de son matériel.

 

Dresde, 30 août 1813.

Au prince de Neuchâtel et de Wagram, major général de la Grande Armée, à Dresde.

Mou Cousin, écrivez au duc de Trévise de soutenir avec les divi­sions Lefebvre-Desnoëttes, Roguet et Decous, le général Vandamme, s’il en a besoin. Envoyez un officier auprès du général Vandamme pour savoir ce qui s’y passe, et que cet officier revienne sur-le-champ.

 

Dresde, 30 août 1813.

À Frédéric, roi de Wurtemberg, à Stuttgart.

Monsieur mon Frère, j’ai renvoyé hier à Votre Majesté son aide de camp, qui l’aura instruite des événements qui se sont passés ici le 26 et le 27. La grande armée des alliés, commandée par l’empereur Alexandre, ayant sous ses ordres le prince de Schwarzenberg et les généraux Barclay de Tolly, Wittgenstein et Kleist, a été entière­ment défaite; je lui ai pris plus de 30,000 hommes, quarante à cinquante pièces de canon, 1,000 caissons de munitions ou voitures de bagages, et trente drapeaux ou étendards. Les baillis saxons ont déjà envoyé la note déplus de 12,000 blessés que l’ennemi a abandonnés dans les villages. Le prince de Wurtemberg, qui commandait un corps russe de 15,000 hommes à Hellendorf, au débouché de Peterswalde, a été battu par le général Vandamme, qui lui a pris 2,000 hommes et six pièces de canon. Cette affaire a eu lieu hier 29.

Le général Vandamme se porte sur Tœplitz, et pendant ce temps quatre corps d’armée suivent l’ennemi, qui était hier à Altenberg. Je crois qu’il aura beaucoup de difficultés à passer Zinnwald, où le chemin est très-mauvais, et qu’il sera obligé d’abandonner la plus grande partie de ses bagages. On ne peut s’imaginer le mauvais état de l’armée autrichienne : elle n’est en campagne que depuis quelques jours, et la moitié de ses soldats sont presque nus et sans souliers. Les trois quarts ne sont que des recrues levées depuis six semaines.

J’ai reçu la lettre de Votre Majesté du 24. Elle prend le bon parti en armant autant qu’elle peut.

Vous aurez vu, par la proclamation du prince de Schwarzenberg qui vous sera parvenue, que les prétentions de l’Autriche sont de faire rentrer la France dans ses anciennes limites; ce qui veut dire] aussi de détruire ses alliés. C’est un beau rêve qu’on a fait faire à l’empereur François. Je lui suis si attaché, que je le plains de s’être bercé de pareilles chimères.

J’ai été fort content de la ville de Dresde et de tous les Saxons dans les villages; aussi l’ennemi ne les ménage-t-il point. Je pensais que dans les circonstances actuelles il n’y aurait pas de plus sotte économie que de ne pas s’armer de pied en cap pour défendre son pays, puisque quelques partis ennemis qui y pénétreraient y feraient bien plus de mal que cet armement n’aurait pu coûter.

Je suppose que Votre Majesté aura envoyé à la rencontre des con­vois de prisonniers, afin d’en retirer les hommes nés dans les anciennes possessions du Wurtemberg qui pourraient s’y trouver; mais je pense qu’il serait imprudent d’enrôler ceux qui seraient nés dans vos nouvelles possessions; ils seraient trop portés à la désertion.