Paris, 30 thermidor an III (17 août 1795).
A SUCY, COMMISSAIRE ORDONNATEUR.
Je Vous fais mon compliment de vous être rendu à l’armée. Vous y serez utile et vous aurez la douce satisfaction de concourir de vos moyens au bien de la patrie. La fortune, la faveur et l’estime des hommes varient et sont en perpétuelle oscillation ; l’orgueil bien placé d’avoir été utile et d’avoir mérité l’estime du petit nombre fait pour apprécier le génie et le beau est aussi invariable, aussi constant avec vous que le sentiment de l’honneur (mot douteux) et le tact de ce (mot illisible) naturel.
L’on m’a porté pour servir à l’armée de la Vendée comme général de la ligne : je n’accepte pas ; nombre de militaires dirigeront mieux que moi une brigade, et peu commanderont avec plus de succès l’artillerie. Je me jette en arrière, satisfait de ce que l’injustice que l’on fait aux services est assez sentie par ceux qui savent les apprécier.
Tu occupes, mon ami, une place délicate : si le génie actif, l’expérience consommée étaient arbitrairement exclus de l’armée où tu te réunis avec des représentants incapables (six mots illisibles)…. de fripons, pour ne rien dire de plus, il ne pourrait pas percer et mériter une réputation ; mais, mon ami, dans ce meilleur des mondes, faire le mieux qu’il est possible et se tenir récompensé de son témoignage, voilà le grand secret, avec lequel l’on n’est jamais ni imposteur, ni flatteur, ni acre, ni importun, ni vindicatif, ni criminel.
Rien de nouveau ici; l’espérance seule n’est pas encore perdue pour l’homme de bien : c’est te dire l’état très-maladif où se trouve cet empire.
Santé, constance, gaieté, et jamais de découragement. Si l’on trouve les hommes méchants et ingrats, souviens-toi de la grande, quoique bouffonne maxime de Scapin : Sachons-leur gré de tous les crimes que l’on ne commet pas.
Paris, 3 fructidor an III (20 août 1795).
A JOSEPH BUONAPARTE.
Je suis attaché, dans ce moment-ci, au bureau topographique du Comité de salut public pour la direction des armées, à la place de Carnot. Si je demande, j’obtiendrai d’aller en Turquie comme général d’artillerie, envoyé par le Gouvernement pour organiser l’artillerie du Grand Seigneur, avec un bon traitement et un titre d’envoyé très- flatteur. Je te ferai nommer consul, et ferai nommer Villeneufve ingénieur pour y aller avec moi. Tu m’as dit que M. Anthoine y était déjà. Ainsi, avant un mois, je viendrais à Gènes, nous irions à Livourne, d’où nous partirions; dans ce cas, veux-tu acheter une terre ?
L’on est ici tranquille, mais des orages se préparent peut-être; les assemblées primaires vont se réunir dans quelques jours. Je mènerai avec moi cinq à six officiers ; je t’écrirai plus en détail après-demain.
Bientôt Vado sera repris.
La commission et l’arrêté du Comité de salut public qui m’emploie pour être chargé de la direction des armées et des plans de campagne, étant très-flatteurs pour moi, je crains qu’ils ne veulent plus me laisser aller en Turquie ; nous verrons. Je dois voir aujourd’hui une campagne.
Je t’embrasse ; écris-moi toujours, dans l’hypothèse que j’allasse en Turquie.
Buonaparte.
Paris, 6 fructidor an III (23 août 1795).
AU GÉNÉRAL KELLERMANN, COMMANDANT EN CHEF L’ARMÉE D’ITALIE.
Le Comité de salut public vous a fait passer, Général, par le dernier courrier, des instructions relatives à la direction qu’il entend donner à l’armée d’Italie, lorsqu’elle aura reçu les renforts qui sont partis des armées du Rhin et des Pyrénées (voir plus haut). Mais, d’ici à ce temps- là , la droite de l’armée se trouve supporter seule les efforts des ennemis. Il semble au Comité qu’il serait possible, par quelque opération offensive, faite par la gauche de l’armée des Alpes, de produire une diversion qui pourrait elle-même avoir un objet d’utilité immédiate.
Le roi de Sardaigne, en donnant dernièrement le commandement de ses troupes au général Dewins, commandant en chef l’armée autrichienne, parait s’être décidé à concentrer ses moyens et à combiner ses attaques sur les positions de la droite de l’armée d’Italie, et par ce moyen favoriser peut-être l’attaque de Savone, qui doit être l’objet de tous les efforts de l’ennemi. Il est temps, d’ailleurs, de relever le courage de nos soldats, de les tirer d’une défensive pénible et à la longue décourageante.
Le fort d’Exilles, situé dans un pays qui fut longtemps français, contraint le sentiment d’affection que les habitants nous ont conservé. Ne serait-il pas possible, Général, de faire marcher une partie des troupes que nous avons dans le Mont-Blanc, une partie de celles qui gardent les vallées inférieures, y réunir quelques divisions d’artillerie de siège et faire sauter ce fort ? Celte opération, très-utile par elle-même, le serait par l’effet moral quelle produirait sur la brave armée que vous commandez, et par la diversion très-avantageuse au projet que les ennemis pourraient avoir sur Savone.
Si des circonstances locales ou accidentelles vous faisaient penser qu’un fourrage armé, dans quelqu’une des vallées de la gauche de l’armée des Alpes, produirait une partie du même but, sans être susceptible des inconvénients quelconques qui pourraient se rencontrer à l’expédition d’Exilles, le Comité s’en rapporte entièrement à votre prudence.
Que les braves soldats que vous commandez se ressouviennent qu’ils sont toujours les vainqueurs du Mont-Saint-Bernard, de Saorgio, du Tanaro et de Cairo ! Le Comité vous engage à faire visiter l’île d’Albenga, à tenir les batteries qui la défendent sur un pied respectable , à y faire placer des grils à boulets rouges ; il nous serait très-désavantageux que les ennemis s’en emparassent. Votre tour d’attaquer avec succès et avec des moyens proportionnés aux forces de l’ennemi n’est pas éloigné; vous remplirez alors l’attente de la patrie, que vous n’avez cessé de servir avec zèle. [1]Cette pièce, sans signature, a été rédigée par le général Bonaparte.
Paris, 8 fructidor an III (25 août 1795).
A JOSEPH BUONAPARTE.
J’espère que tu auras un consulat dans le royaume de Naples, à la paix avec cette puissance.
L’on est ici fort tranquille. L’on va renouveler le tiers de la Convention. Je suis accablé d’affaires, depuis une heure après midi à cinq heures au Comité, et depuis onze heures du soir jusqu’à trois heures du matin.
La loi du 17 nivôse a été discutée hier, et a été décrétée après de très-longues discussions.
Le 20 du mois, l’on va réunir les assemblées primaires et procéder à l’élection du tiers de la législature ; après quoi l’on organisera le pouvoir exécutif, et nous nous trouverons gouvernés par la nouvelle Constitution.
Nous n’avons aucune nouvelle. Le Rhin sépare nos armées; le siège de Mayence ne se fait pas. La Vendée est toujours dans le même état. Nos troupes des armées des Pyrénées filent à l’armée d’Italie et de la Vendée.
Buonaparte.
Paris, 12 fructidor an III (29 août 1795).
A JOSEPH BUONAPARTE.
L’on ne peut liquider notre affaire Milleli sans les pièces justificatives.
L’armée de l’intérieur a accepté la Constitution. Plusieurs sections de Paris out demandé l’éloignement de la force armée et la révocation du décret qui restreint le renouvellement de la Convention au tiers; elles ont été très-mal reçues. Tout est d’ailleurs assez tranquille ; le peuple de Paris en masse est bon; quelques jeunes gens voudraient pousser plus loin la réaction, mais cela n’est pas dangereux.
Adieu, mon cher ami ; santé, gaieté et bonheur. Je n’ai rien reçu de Marseille que tu m’annonces.
Buonaparte.
Paris, 13 fructidor an III (30 août 1795).
LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC
AU GÉNÉRAL en chef de l’armée d’Italie.
Nous vous faisons passer, Général, une note qui nous a été envoyée de Suisse.
Nous avons examiné avec attention le projet que l’on suppose à l’ennemi ; nous l’avons trouvé conforme à ses vrais intérêts et à la répartition actuelle de ses troupes.
Les hauteurs de Briga sont effectivement la clef du département des Alpes-Maritimes, puisque l’on peut de là intercepter le grand chemin , et dès lors nous obliger à évacuer Tende.
Nous vous engageons à y porter une sérieuse attention, et à placer quelques troupes qui puissent au besoin renforcer nos postes des hauteurs de Briga, et tenir en observation les mouvements que ferait l’ennemi partant du camp de Briga.
Votre droite serait peut-être mieux appuyée si elle était sur les hauteurs de Caprauna, et dès lors plus près d’Ormea.
II y a, entre Caprauna et la position de la tête de votre ligne, des chemins par où l’ennemi peut s’introduire, partant de Garessio, et attaquer par derrière dans le temps que les colonnes parties de leurs positions actuelles attaqueraient de front. Peut-être aussi que cette ligne eût été plus forte, plus courte, plus facile à défendre, si la droite eût été appuyée sur les hauteurs qui couvrent Alassio, et eût suivi la crête des montagnes qui dominent l’Arrosia.
Ces idées que le Comité vous communique sont du reste absolument subordonnées aux circonstances et à la force respective des deux armées ; c’est à vous à les apprécier et à agir en conséquence.
L’audace des chaloupes anglaises et l’indolence des Génois, qui laissent enlever dans leurs rades leurs propres bâtiments, vous prescrivent de faire établir une batterie avec un gril à boulets rouges dans un point où elle puisse accorder protection et sûreté à nos convois. Vous devez à cet effet vous concerter avec le gouverneur de San-Remo, et exiger de lui qu’il fasse établir ladite batterie, ou du moins qu’il fournisse de San-Remo, ou de quelque autre point, le peu de pièces qui sont nécessaires pour cette batterie.
Le Comité attend avec quelque impatience que les secours qui doivent être arrivés rendent à nos armes l’audace que la victoire couronne, et rétablissent une bonne fois la supériorité que doivent avoir les braves soldats de la liberté (Cette minute porte la signature de Doulcet ; mais elle est entièrement de la main du général Bonaparte. La mise au net a été signée et expédiée le lendemain par les membres du Comité de salut public, Doulcet, Louvet, Merlin (de Douai), Jean Debry, Le Tourneur et Sieyès.
13 fructidor an III (30 août 1795).
NOTE DU GÉNÉRAL BUONAPARTE [2]En marge de cette pièce, on lit les apostilles suivantes : Le général de brigade Buonaparte a servi avec distinction à l’armée des Alpes, où il commandait l’artillerie. Mis en … Continue reading.
Dans un temps où l’impératrice de Russie a resserré les liens qui l’unissaient à l’Autriche, il est de l’intérêt de la France de faire tout ce qui dépend d’elle pour rendre plus redoutables les moyens militaires de la Turquie.
Cette puissance a des milices nombreuses et braves, mais fort ignorantes sur les principes de l’art de la guerre.
La formation et le service de l’artillerie, qui influe si puissamment dans notre tactique moderne sur le gain des batailles, et presque exclusivement sur la prise et la défense des places fortes, est encore dans son enfance en Turquie.
La Porte, qui l’a senti, a plusieurs fois demandé des officiers d’artillerie et du génie ; nous y en avons effectivement quelques-uns dans ce moment-ci ; mais ils ne sont ni assez nombreux ni assez instruits pour produire un résultat de quelque conséquence.
Le général Buonaparte, qui a acquis quelque réputation en commandant l’artillerie de nos armées en différentes circonstances et spécialement au siège de Toulon, s’offre pour passer en Turquie avec une mission du Gouvernement, il mènera avec lui six ou sept officiers, dont chacun aura une connaissance particulière des sciences relatives à l’art de la guerre.
S’il peut, dans cette nouvelle carrière, rendre les armées turques plus redoutables, et perfectionner la défense des places fortes de cet empire, il croira avoir rendu un service signalé à la patrie et avoir, à ion retour, bien mérité d’elle.
Buonaparte.
Paris, 13 fructidor an III (30 août 1795).
A JOSEPH BUONAPARTE.
J’ignore ce qu’est devenu Antoine Rossi ; on m’assure qu’il vit près d’Avallon, en Bourgogne. La paix avec l’Empire se traite. La Vendée a toujours des forces; on prétend que les Anglais veulent tenter un nouveau débarquement.
Je voudrais avoir mon portefeuille avec tous mes papiers. Donne-moi des nouvelles de la situation politique de la Corse.
Buonaparte,
References[+]
↑1 | Cette pièce, sans signature, a été rédigée par le général Bonaparte. |
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↑2 | En marge de cette pièce, on lit les apostilles suivantes : Le général de brigade Buonaparte a servi avec distinction à l’armée des Alpes, où il commandait l’artillerie. Mis en réquisition près le Comité de salut public, il a travaillé avec zèle et exactitude dans la division de la section de la guerre chargée des plans de campagne et de la surveillance des opérations des armées de terre; et je déclare avec plaisir que je dois à ses conseils la plus grande partie des mesures utiles que j’ai proposés au Comité pour l’armée des Alpes et d’Italie. Je le recommande à mes collègues comme un citoyen qui peut être utilement employé pour la République, soit dans l’artillerie, soit dans toute autre arme, soit même dans la partie des relations extérieures. Doulcet. En adhérant aux sentiments qu’exprime mon collègue Doulcet sur le général de brigade Buonaparte, que j’ai vu et entretenu, je crois que, par les motifs mêmes qui fondent son opinion et la mienne, le Comité de salut public doit se refuser à éloigner, dans ce moment surtout, de la République, un officier aussi distingué. Mon avis est qu’en l’avançant dans son arme le Comité commence à récompenser ses services, sauf ensuite, après en avoir conféré avec lui, délibérer sur sa proposition, s’il y persiste. 27 fructidor an III. Jean Debry |