Correspondance de Eugène – Mars 1814

Correspondance du prince Eugène

 

Mars 1814

 

 

Volta, 1er mars 1814

À la vice-reine.

Je t’envoie ci-joint une petite note des propositions que le roi de Naples a eu le front de me faire ­faire, en me proposant, à ces conditions, de se déclarer contre les Autrichiens. Il est décidément fou !

Il m’a pourtant verbalement fait promettre de ne point laisser engager ses troupes,

J’en profite sans trop m’y fier.

 

Volta, 1er mars 1814

À Napoléon.

Sire, j’avais toujours espéré que le bruit des victoires remportées par Votre Majesté suffirait pour arracher le roi de Naples à ses illusions. J’avais mis une attention particulière à faire passer jusqu’à lui les nouvelles de tous vos triomphes. J’ai su qu’elles lui étaient parvenues, et même que les communications fréquentes auxquelles leur transmission donnait lieu, quoique ce ne fussent que de simples lettres trans­mises aux avant-postes, avaient du moins produit cet avantage de jeter des soupçons et de la méfiance entre lui et les Autrichiens.

Le secrétaire de la légation italienne à Naples, ayant dû quitter son poste par suite des circonstances, et m’ayant, à son retour, fait quelques ouvertures va­gues de la part du roi, j’en ai profité pour lui faire remettre vivement sous les yeux toutes les raisons d’honneur, de reconnaissance et d’intérêt qui de­vaient le déterminer à abjurer enfin ses erreurs.

Le roi n’a voulu donner aucune promesse écrite et positive au secrétaire de légation ; il s’est contenté de lui remettre une note écrite sous sa dictée, en le chargeant en outre de réassurer de sa part que « jusqu’à ce que Votre Majesté eût daigné s’expliquer sur le contenu de cette note, il n’agirait point hostilement contre les troupes de Votre Majesté qui sont sous mes ordres. »

J’ai sur-le-champ fait répondre au roi que je ne pouvais me charger d’envoyer un tel écrit à Votre Majesté, à qui je ne communique en effet cette pièce ridicule que pour lui donner une juste idée du délire qui s’est emparé de la tête du roi. Cependant je vais tacher de tirer parti de ses dispositions tout en sa­chant le cas que j’en dois faire.

De même que le mouvement des troupes napo­litaines vers le Pô et le Taro a pu nous donner des inquiétudes, étant exécuté de concert avec les Au­trichiens, de même aussi l’irrésolution dans laquelle le roi ne cesse de flotter donne aujourd’hui aux Au­trichiens des craintes qui contrarient leurs opéra­tions sur la droite du Pô. J’ai détaché le général Grenier contre le corps du général Nugent, avec ordre de pousser fermement et de tâcher au moins de l’entamer. J’espère que le général Grenier aura pu s’emparer de Parme aujourd’hui même.

J’évite du reste soigneusement tout engage­ment avec les troupes napolitaines, d’abord parce que ces ménagements ne peuvent que les rendre plus suspectes à leurs prétendus alliés, et ensuite parce qu’il y a des circonstances où il est permis de ménager son ennemi. .Si j’avais seulement pu obte­nir du roi qu’il restât tranquille sur la rive droite du Pô, je me serais cru bien en mesure contre l’armée de Bellegarde, et peut-être même aurais-je pu reprendre l’offensive depuis les derniers avan­tages obtenus ici par votre armée. Mais il sera tou­jours bien à regretter, Sire, que ces Napolitains aient franchi les Apennins pour venir par leur seule pré­sence seconder les entreprises de vos ennemis et corrompre les esprits par des systèmes chiméri­ques.

 

Volta, 1er mars 1814

Au prince Borghèse.

Je reçois la lettre de Votre Altesse Impériale du 26 février. J’ai lu avec attention les détails dans lesquels elle veut bien entrer sur la position des troupes dans son gouvernement. Je n’ai rien à ajouter à ses observations, si ce n’est qu’elle pensera, comme moi, que les troupes qu’elle avait au mont Cenis par l’effet des circonstances pourraient peut-être être rendues disponibles, vu le changement qu’aura dû apporter dans ces circonstances l’entrée des troupes du maréchal Augereau à Genève. Je prie Votre Altesse de n’être pas inquiète si dans tous les cas les places du Piémont ne se trouvaient pas entièrement complétées, l’Armée d’Italie les couvrant; il suffît d’y avoir une demi-garnison qui serait complétée au moindre mouvement que ferait l’armée sur les Alpes.

 

Volta, 2 mars 1814

À Clarke.

J’ai reçu, monsieur le duc de Feltre, vos quatre lettres en date des 15, 22 et 23 février dernier par lesquelles vous m’informez, etc. (Vingt lignes sans intérêt.)

4° Que le ministre des relations extérieures vous ayant annoncé de la part de l’Empereur que le roi de Naples a déclaré la guerre à la France, vous me donnez connaissance de cet événement afin de me mettre à portée de donner des ordres que je jugerais nécessaires, pour empêcher toute communication avec les troupes et les bâtiments napolitains, qui devront être traités désormais comme ennemis.

Avant d’avoir reçu votre lettre à ce sujet, plu­sieurs actes hostiles avaient été commis par les troupes du roi de Naples, notamment le blocus et le bombardement de la citadelle d’Ancône dont il s’en est suivi la capitulation; l’envoi de cette capitulation vous a été fait directement par le général Barbou, qui l’a consentie.

 

Mantoue, 2 mars 1814, au matin.

J’avais envoyé le général Grenier vers Parme, il avait 18,000 hommes, mais il a marché si lentement, que l’ennemi se retira sans avoir été entamé. Pendant ce temps, je suis resté ici avec un peu de monde devant toute l’armée de Bellegarde, et, ne pou­vant pas être partout, il valait mieux rester au poste le plus difficile.

 

Paris, 3 mars 1814.

Clarke à Eugène.

J’ai reçu les lettres dont Votre Altesse Impériale à Eugène m’a honoré sous les dates des 16, 18, 20 et 22 février et j’ai eu soin d’en transmettre le contenu à l’Empereur. Sa Majesté y aura vu plusieurs choses satisfaisantes, mais elle n’a encore rien fait connaî­tre à cet égard. Je dois croire que l’Empereur est disposé à laisser, en ce moment, l’armée d’Italie, dans la position où elle se trouve, et que Sa Majesté se bornera à faire revenir les garnisons de la Tos­cane et des États romains, comme l’ordre en a été donné. Déjà la garnison de Livourne est repliée sur Gênes d’après les dispositions arrêtées par madame la grande-duchesse, qui devait négocier aussi pour le retour des garnisons de Sienne, et des forts de Florence.

Quant à l’armée d’Italie, il paraît que les succès remportés par Votre Altesse Impériale, joints à ceux que l’Empereur a obtenus de son côté, lui procure­ront les moyens de se maintenir dans sa position et d’attendre les événements.

 

Borgoforte, 3 mars 1814

À Murat.

Sire, Votre Majesté est informée des échecs que vient d’éprouver le corps du général  Nugent ; ils sont considérables.

C’est le moment pour moi de désirer plus vivement que jamais de connaître les intentions défini­tives de Votre Majesté. Je dois régler mes mouve­ments en conséquence. Je la supplie donc de me dire ce que j’ai à espérer ou à craindre de son ar­mée,

Je ne me permettrai point de lui mettre sous les yeux les motifs qu’elle a de se déclarer franche­ment pour la cause de l’Empereur, je me borne à la prier de vouloir bien, du moins, faire prendre à son armée des positions qui ne gênent point ce que j’ai à entreprendre pour les intérêts qui me sont confiés.

On a trouvé à Parme un certain nombre de troupes appartenant à Votre Majesté. J’ai ordonné qu’on les traitât bien et qu’on les remît en liberté ; elles ont dû vous être renvoyées le soir même.

Les trois divisions qui opèrent sur la rive droite du Pô, ont l’ordre de se mettre en communication avec moi par Borgoforte. Je me flatte que Votre Ma­jesté voudra bien n’y mettre aucun empêchement.

J’espère d’elle une réponse favorable. J’ose la demander précise: L’éloignement des Autrichiens doit enfin permettre à Votre Majesté d’écouter son intérêt et son cœur et de se montrer ce que, je n’en doute pas, elle n’a point cessé d’être.

 

Mantoue, 3 mars 1814

À Clarke.

Monsieur le duc de Feltre, ainsi que je vous en ai informé, j’avais dirigé le lieutenant général Gre­nier, avec trois brigades d’infanterie et une de cava­lerie, pour renforcer la division du général Grenier, qui s’organisait à Plaisance. Cette place se trouvait fortement menacée par le corps du général Nugent, qui avait été porté à 10,000 hommes, et qui avait derrière lui 18 à 20,000 Napolitains qui, d’un mo­ment à l’autre, pouvaient entrer en opération. Je n’avais rien négligé cependant, pour chercher à ramener le roi de Naples en notre faveur. Mais le roi, sans s’engager à rien de positif, m’avait pourtant fait promettre que ses troupes n’agiraient point offensivement contre celles de l’Empereur, jusqu’à ce que Sa Majesté eût répondu à des ouvertures qu’il lui avait faites. Je profitai de ce moment pour uti­liser les troupes que j’avais envoyées sur la rive droite du Pô, et j’ordonnai au lieutenant général Grenier de marcher de suite à l’ennemi et d’atta­quer Parme, si celui-ci voulait le défendre; et je me portai moi-même à Mantoue, en dirigeant quelques bataillons par Borgoforte sur Guastalla, tant pour inquiéter les derrières de l’ennemi que pour conte­nir les Napolitains qui étaient à Modène et Reggio, Ces opérations ont parfaitement réussi. L’attaque de Parme a eu lieu hier matin ; et cette ville, quoique revêtue de bonnes murailles et bien fermée, a été enlevée aux cris de vive l’Empereur ! Les résultats de cette heureuse journée ont été de 5 à 600 hom­mes tués ou blessés, à l’ennemi, et près de 2,000 prisonniers, dont 37 officiers, parmi lesquels se trou­vent : un colonel, un major et dix capitaines. Nous avons pris en outre 2 pièces de canon attelées avec leurs caissons, et 5 voitures d’outils du génie. Le général Gobert, qui commandait l’arrière-garde en­nemie, n’a dû son salut qu’à la vitesse de son cheval.

L’ennemi a laissé plus de 5,000 fusils sur les rem­parts ou dans les rues de Parme. Nos soldats se sont conduits avec tant d’ardeur et d’impétuosité, que nous n’avons eu que 30 hommes tués et 200 blessés. Cette journée fait beaucoup d’honneur au lieutenant gé­néral Grenier, aux généraux de brigades français, Jeanin, Schmitz, le général de brigade italien Rambourg, le colonel Broussier du 9e de ligne. Je les re­commande aux bontés de Sa Majesté, Je vous prie, monsieur le duc, de mettre sous les yeux de l’Empereur cette nouvelle preuve des efforts que son ar­mée d’Italie fait et fera toujours  pour se rendre digne de ses bontés.

  1. S. Une soixantaine de soldats napolitains s’étant trouvés parmi les prisonniers faits dans la ville de Parme, j’ai ordonné qu’ils fussent envoyés au roi; étant bien aise de lui faire sentir la différence de nos procédés avec ceux dont il a usé envers la garni­son d’Ancône, qu’il a obligée à capituler en la ren­voyant sans armes, prisonnière sur parole.

 

Guastalla, 4 mars 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc de Feltre, ne sachant point quel parti pourraient prendre les troupes autrichiennes qui s’étaient retirées sur Reggio, et dont les Napolitains avaient suivi le mouvement, je me suis porté ce matin à Guastalla avec huit bataillons, de l’artillerie et de la cavalerie, afin de pouvoir pren­dre l’ennemi en flanc, dans le cas où il aurait voulu résister au général Grenier. Mais, en arrivant ici, j’ai appris que l’avant-garde du général Grenier était entrée hier, dans l’après-midi, à Reggio, que l’en­nemi avait évacué pendant la nuit et dans la mati­née. On n’a trouvé dans cette ville qu’un peloton d’une soixantaine de hussards du régiment de Radeski, lesquels ont été sabrés ou pris par les chasseurs du 1er italien. Ainsi ma communication se trouve établie avec Reggio. Je vais faire repasser sur la rive gauche du Pô une partie des troupes qui se trou­vaient détachées sur la droite, afin de me trouver en mesure sur le Mincio.

Je vous informe avec plaisir qu’on a encore ra­mené hier à Parme, 4 à 500 prisonniers en sus du nombre que je vous ai annoncé.

 

Paris, 4 mars 1814

Clarke à Eugène.

Monseigneur, en conformité des ordres de l’Empereur, j’ai l’honneur de prévenir Votre Altesse Impériale, que Sa Majesté a résolu de faire venir sur Chambéry toutes les troupes qu’il sera possible de retirer des 27e et28e divisions militaires, en ne conservant que 7 à 8,000 hommes pour les citadelles de Turin et d’Alexandrie. Cet ordre a déjà été adressé et réitéré plusieurs fois à Son Altesse le prince Borghèse, qui doit être, en ce moment, occupé de son exécution; mais l’Empereur, en le renouvelant encore,  vient d’y ajouter que je devais également écrire à Votre Altesse Impériale pour lui recomman­der de faire venir aussi sur Chambéry tout ce qu’il sera possible de retirer de troupes; je pense que la position actuelle de l’armée d’Italie, telle qu’elle est présentée par la dépêche de Votre Altesse, du 22 fé­vrier, a engagé l’Empereur à croire qu’on pourrait, sans inconvénient, en retirer quelques troupes pour les faire marcher sur Chambéry. Comme Sa Majesté ne prescrit rien de plus à cet égard, je puis croire qu’elle laisse à Votre Altesse toute la latitude né­cessaire pour  l’exécution de cette mesure. C’est à elle, en effet, de juger s’il lui serait possible, sans risquer de trop graves inconvénients, d’envoyer quel­ques troupes soit de la division de réserve, soit de l’armée même sur Turin et Chambéry. Ce dernier point est devenu d’une importance extrême, comme réunion d’une partie des forces que M. le duc de Castiglione a l’ordre de porter sur la gauche et sur les derrières de l’ennemi. Déjà le maréchal est en opération, et a dirigé ses troupes sur Genève contre le général autrichien Bubna; la division partie de Chambéry sous les généraux Marchand et Dessaix, avait, le 28 février, ses avant-postes à 4 lieues de Ge­nève; mais, les Autrichiens s’étant réunis de ce côté-là, le général Marchand n’est pas assez fort pour leur tenir tête et il attend l’arrivée des troupes que le duc de Castiglione a dirigées sur le pays de Vaux, pour agir de concert, il est à présumer que le gé­néral Bubna, s’il est forcé de se retirer, se dirigera sur le Valais, en longeant la partie méridionale du lac de Genève, et il est à regretter, aujourd’hui, que les forces demandées depuis quelques jours au prince Borghèse ne puissent arriver assez promptement pour renforcer le général Marchand, pendant qu’il est encore en présence des Autrichiens. Quoi qu’il en soit, Votre Altesse Impériale jugera facilement de l’importance que l’Empereur attache à la diversion qu’il a prescrite au maréchal duc de Castiglione. Sa Majesté en attend les plus grands résul­tats, par l’influence qu’elle doit avoir sur ses propres opérations, et désire vivement rendre cette diversion toujours plus active et plus puissante, ce qui nécessite une augmentation de forces. J’engage donc Votre Ail esse Impériale à faire, en cette circonstance, tout ce qui sera en son pouvoir pour ré­pondre aux intentions de l’Empereur, et à concourir ainsi à l’importante opération que Sa Majesté a or­donnée; son succès peut avoir les plus grands ré­sultats, et contribuer efficacement au salut de la France, qu’on ne peut plus attendre que du concours de toutes les volontés, de tous les moyens et de tous les efforts.

 

Mantoue, 4 mars 1814

À la vice-reine.

Ma bonne Auguste, il est 9 heures du soir, et rentre ici bien fatigué d’une course que j’ai faite aujourd’hui à Guastalla par un temps épouvantable. Je craignais que les Napolitains n’attaquassent Gre­nier à Parme, et je me portais avec 6,000 hommes sur leurs derrières; mais ils ont évacué Reggio et nous y sommes entrés hier soir. Cette nuit même je retournerai à Volta, pour me trouver en mesure s’il prenait la fantaisie à Bellegarde d’attaquer notre ligne du Mincio, surtout me croyant absent. J’ai trouvé ici ta lettre d’hier… je vais me coucher, car je suis trempé, pourtant encore deux mots : Lavalette m’écrit du 26, ces propres paroles : «  Il est probable que je vous annoncerai demain un armistice et après-demain la paix. » N’en parle pourtant pas encore, mais donne cette nouvelle de ma part au duc de Lodi

 

Volta, 7 mars 1814.

À la vice-reine.,

Deux mots seulement, ma bonne Auguste, car Bataille revient des avant-postes où je l’avais envoyé porter la lettre à l’empereur d’Autriche pour qu’elle fût remise sûrement, et j’ai beaucoup à causer avec lui. Je suis monté à cheval aujourd’hui comme à mon ordinaire, et croirais-tu que j’ai trouvé des vio­lettes, je te les envoie; elles me rappellent l’heu­reux temps où nous les cueillions ensemble. Pa­tience, il reviendra bientôt.

 

Volta, 7 mars 1814, au soir.

À la vice-reine.

J’ai reçu, ma bonne Auguste la lettre d’hier et je m’empresse d’y répondre. Il n y a aucun doute que tu peux écrire à ton père sur ce que tu ne pourras rester en Italie, mais rassure-le pourtant, et dis-lui que nous espérons toujours ne pas en être réduits-là, surtout si la guerre finit promptement. Tu peux aussi lui parler de la lettre de l’empereur d’Autriche, cela le tranquillisera; le général autri­chien Neipperg a très-bien reçu Bataille, il paraît qu’ils espèrent aussi que cela finira bientôt, et qu’ils ne pensent pas devoir avancer davantage. Il n’y a que ce maudit roi de Naples qui me donnera toujours des inquiétudes, aussi je vais me fixer pour quel­ques jours à Mantoue pour être plus au centre. Adieu, ma chère Auguste, espérons toujours que cela finira bientôt ; je ne crois pas que cela puisse jamais mal finir pour nous puisque nous nous aimons.

Ne va pas croire que, quand l’armistice arrivera, je pourrai de suite quitter l’armée. Il faudra que Bellegarde en soit informé de son côté officiellement, et cela ne sera guère que 3 à 4 jours après moi, adieu; adieu.

 

Volta, 7 mars 1814.

À Murat.

J’ai reçu la lettre de Votre Majesté, en date du 5 mars; Votre Majesté paraît se référer toujours à son chef d’état-major.

Ce serait donc au moment où toutes les puissances vont poser les armes, où la paix se signe entre l’Empereur, et tous les alliés, que Votre Majesté voudrait elle-même se déclarer et commencer effec­tivement les hostilités. Votre Majesté me rappelle que les hostilités ont été déclarées parce que le gé­néral Barbou a tiré le canon à Ancône contre ses troupes. Il m’eût été douloureux, à cause d’elle, de rappeler ce fait; car qui occupait la place d’Ancône ? qui obligeait les troupes françaises et italiennes qui se trouvaient dans la citadelle, à capituler ? Ne sont-ce donc pas les troupes de Votre Majesté qui ont contraint les nôtres à se porter à l’extrémité de devoir se défendre, puisqu’elles étaient par le fait même attaquées ? J’oserai espérer que Votre Majesté rendra justice à nos sentiments en voyant tout le regret que j’éprouverais en engageant nos troupes, et consentira à accorder une ligne que nos postes pren­draient, et que l’on ne pourrait point passer sans s’en prévenir 4 ou 5 jours d’avance. Cette condes­cendance de sa part est d’autant plus facile, qu’elle ne change en rien l’état de guerre dans lequel Votre Majesté veut absolument se mettre avec nous. Elle me sortirait moi-même d’une position bien pénible, celle d’être toujours au moment de tirer le canon contre les troupes d’un souverain que j’ai toujours regardé et que je veux encore regarder comme l’ami de l’Empereur.

 

Mantoue, 8 mars 1814

Au prince Borghèse.

J’ai reçu la lettre que Votre Altesse Impériale m’a écrite le 4 de ce mois, et par laquelle elle demande que je dirige de suite sur Chambéry les 3 bataillons de la division Vedel qui avaient été en­voyés à Plaisance. Je m’empresse de l’informer que, dans la dernière opération qui a eu lieu sur la droite du Pô, contre le corps du général Nugent, ces bataillons avaient suivi le mouvement des divisions sur Parme et Reggio. Après le succès de cette opé­ration, la nécessité où j’étais de renforcer ma ligne du Mincio, qui n’avait pu être que momentanément dégarnie, m’avait fait rappeler le général Grenier et j’avais laissé le général Sévéroli à Reggio, et le général Gratien à Parme. Mais hier matin, le géné­ral Sévéroli a été fortement attaqué à Reggio par deux divisions napolitaines et une brigade autri­chienne, et, quoique nous occupassions encore Parme aujourd’hui à midi, l’ennemi pourrait avoir des projets plus sérieux.

Il est donc de toute impossibilité que je déplace pour le moment les 3 bataillons dont il s’agit, puisqu’ils se trouvent en ligne. Je promets toutefois à Votre Altesse de les diriger sur Alexandrie, dès que les troupes au-delà du Pô se seraient repliées sur Plaisance. Mais, dans ce cas-là même, Votre Altesse jugerait sans doute convenable de les arrêter quel­que temps à Alexandrie, c’est-à-dire jusqu’à ce que les intentions du roi de Naples soient connues, car Votre Altesse sentira, comme moi, qu’il est bien important de ne pas laisser cette place entièrement dégarnie et exposée à un coup de main.

 

Mantoue, 9 mars 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc de Feltre, il était permis d’espérer, d’après les victoires remportées par Sa Majesté, et la bonne situation où l’armée se trouvait, d’après les avantages qu’elle avait obtenus sur l’armée autri­chienne, que le roi de Naples, qui m’avait fait ver­balement promettre de ne rien entreprendre contre les troupes de l’Empereur, ne se déciderait à aucune attaque. Cependant, entraîné par les promesses que l’ennemi lui a faites d’une augmentation de puis­sance et de territoire, il se mit le 6 à la tête de son armée, et le 7, à 9 heures du matin, il attaqua le corps d’observation que j’avais échelonné sur la rive droite du Pô, depuis Reggio jusqu’à Taro. Le premier échelon ne voulut point se retirer sans avoir fait quelque résistance, et quoiqu’à peine fort de 2,500 hommes, il soutint pendant toute la journée, le feu de l’armée napolitaine qui était formée sur plusieurs lignes devant Reggio, mais qui n’osait pas aborder nos troupes. Nous n’avons eu pendant cette affaire que 250 hommes hors de combat, mais nous avons à regretter le général Sévéroli qui les com­mandait, et qui a eu une jambe emportée par un boulet. A la nuit, nos troupes se sont retirées d’abord sur l’Enza, et, hier au soir 8, elles ont pris la position qui leur avait été ordonnée sur le Taro. Avant de faire faire aucun nouveau mouvement à l’armée, je veux voir quelles peuvent être les intentions du roi. S’il passe le Taro avec son armée, je me porterai promptement à Plaisance, avec assez de monde pour pouvoir le repousser.

Il n’y a d’ailleurs rien de nouveau sur la ligne du Mincio.

 

Mantoue, 9 mars 1814.

À la vice-reine.

Ma bonne Auguste, le roi de Naples a enfin levé le masque. Il nous a attaqués hier matin à Reggio avec 18 à 20,000 hommes; je n’y avais pas 3,000 hommes, et on a tenu toute la journée; le général Sévéroli y a eu la jambe emportée et nous y avons perdu 250 à 500 hommes. Nos troupes se sont repliées sur Parme et ont pris en arrière la position du Taro; cela me fera faire un second mouvement sur Plaisance, surtout si le roi de Naples continue à s’avancer. Le général ***, que j’ai laissé sur le Mincio, a une peur de tous les diables depuis que je n’y suis plus.

Je t’engage, ma bonne amie, à continuer tes préparatifs, et demain ou après-demain je t’enverrai Triaire; tout cela dépendra, du reste, des nouvelles et des événements !

 

Mantoue, 10 mars 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc de Feltre, je reçois votre lettre du 4 mars, dans laquelle vous m’informez que l’intention de l’Empereur est que toutes les troupes disponibles dans les 27e et 28e divisions se rendent à Chambéry. Le prince Camille m’avait déjà informé de ces dispositions, de l’exécution desquelles il s’oc­cupait. Il m’avait même redemandé plusieurs bataillons qui étaient déjà en ligne vers Parme et Reggio, mais que je n’ai pas pu lui envoyer sur-le-champ, à cause des derniers événements du roi de Naples. Vous aurez vu, par ma dernière, que le roi avait attaqué nos postes à Reggio. Toutes nos troupes, suivant l’ordre qu’elles en avaient reçu, après avoir soutenu avec avantage les premières attaques de l’armée napolitaine, ont pris la position du Taro. Le roi, jusqu’à présent, paraît toujours n’occuper que Reggio et Parme, ayant ses principales forces dans la première ville. Les premiers coups de canon ayant été tirés, il n’y a plus aujourd’hui de doute sur la conduite que veut tenir le roi. Mais ses troupes sont bien peu aguerries ; et, s’il faisait la faute de s’en­gager trop sur Plaisance, je m’y porterais avec rapidité en trois marchés pour le combattre, tandis que 6 ou 8 bataillons de la garnison de Mantoue débou­cheraient par Borgoforte sur ses derrières. Mais tout me porte à croire qu’il ne s’engagera point au-delà du Taro.

J’avais depuis plusieurs jours fait courir le bruit que j’allais attaquer le maréchal  Bellegarde. Je m’étais porté à Mantoue pour assurer davantage ce bruit en lui faisant croire que nous allions déboucher de cette ville sur sa gauche. Dès avant-hier, nous aperçûmes de grands mouvements dans l’armée ennemie. Les reconnaissances que j’avais ordonnées sur toute la ligne sortirent hier à la pointe du jour. On repoussa le premier rideau de postes, et nos troupes s’avancèrent assez pour occuper Roverbella et Castellano, sur les routes de Venise et de Legnago. Devant Monzambano, on trouva l’ennemi un peu plus en force, ainsi que devant Peschiera. Il paraît donc positif que le maréchal Bellegarde avait fait faire à son armée un changement de front en arrière sur sa droite, espérant me livrer bataille, dans la position la plus avantageuse pour lui, et s’appuyant aux montagnes. Il en sera quitte pour avoir fait pen­dant 5 jours manœuvrer son armée par le mauvais temps qu’il fait, car nos troupes sont restées dans leurs mêmes positions, sauf les reconnaissances des divers points qui ont suivi l’ennemi. Nous avons fait une centaine de prisonniers dont 8 officiers, on a tué ou blessé à l’ennemi un égal nombre d’hommes, nous n’avons eu qu’un, soixantaine d’hommes hors de combat. Le chef de bataillon Vassali, du 3e léger italien, a été tué. Je continuerai à vous tenir informé de la suite des événements.

 

Mantoue, 10 mars 1814.

À la vice-reine.

Sois tranquille, ma bonne Auguste, je t’annonce en toute hâte que Bellegarde se retire devant moi. J’ai déjà des troupes entrées à Castellano. Je pense pourtant qu’il a seulement craint que je ne l’attaque ce matin, j’en avais fait courir le bruit. Le roi de Naples était encore hier à Reggio; ainsi je suis aussi tranquille sur ce point, j’espère pouvoir faire agir des troupes sur lui, surtout s’il s’avance davantage.

 

Soissons, 12 mars 1814.

Napoléon à Eugène.

Mon fils, je vous envoie copie d’une lettre fort extraordinaire que je reçois du roi de Naples.

Lorsqu’on m’assassine, moi et la France, de pareils sentiments sont vraiment inconcevables. Je reçois également la lettre que vous m’écrivez avec le projet de traité que le roi vous a envoyé. Vous sentez que cette idée est une folie. Cependant envoyez un agent auprès de ce traître extraordinaire, et faites avec lui un traité en mon nom. Ne touchez au Piémont ni à Gênes, et partagez le reste de l’Italie en deux royau­mes. Que ce traité reste secret, jusqu’à ce qu’on ait chassé les Autrichiens du pays, et que 24 heures après sa signature le roi se déclare et tombe sur les Autrichiens. Vous pouvez tout faire dans ce sens, rien ne doit être épargné dans la situation actuelle, pour ajouter à nos efforts les efforts des Napolitains. On fera ensuite ce qu’on voudra; car, après une pa­reille ingratitude et dans de telles circonstances, rien ne lie. Voulant l’embarrasser, j’ai donné ordre que le pape fût envoyé, par Plaisance et Parme, aux avant-postes. J’ai fait savoir au pape, qu’ayant de­mandé comme évêque de Rome à retourner dans son diocèse, je le lui ai permis. Ayez donc soin de ne vous engager à rien, relativement au pape, soit à le reconnaître, comme à ne pas le reconnaître.

 

Mantoue, 12 mars 1814.

À la vice-reine.

Les nouvelles, sans être très-satisfaisantes, nous permettent pourtant d’espérer bientôt la fin de tout ceci. L’Empereur se rendra, j’espère, à l’évidence qu’il est impossible de soutenir davantage une lutte aussi disproportionnée. D’ici rien de nouveau ; le roi de Naples n’a plus avancé, et Bellegarde s’est au contraire rapproché de Vérone où il est lui-même établi. Si le temps n’était pas si mauvais et les petites routes impraticables, j’aurais déjà marché sur le roi. Mais cela est impossible dans ce moment. Es­pérons qu’il n’aura rien gagné à attendre. Adieu, ma bonne Auguste… il me tarde bien de vous serrer tous contre mon cœur.

 

Mantoue, 13 mars 1814.

À Napoléon.

J’ai l’honneur d’adresser à Votre Majesté copie de la dernière lettre que j’ai reçue du roi de Naples après l’attaque qu’il a si opinément dirigée contre nos troupes à Reggio. Il serait facile de répondre à chaque phrase de cette lettre, et d’en réfuter victo­rieusement toutes les assertions. Mais ce n’est pas une guerre de plume que nous aurons désormais à faire avec lui. J’ai donc laissé sa lettre sans réponse; et j’ai rompu jusqu’à de nouvelles circonstances les communications que j’avais continuées d’avoir avec lui, dans l’espoir qu’elles seraient utiles aux intérêts de Votre Majesté.

 

Paris, 15 mars 1814.

Clarke à Eugène.

Monseigneur, j’ai reçu la lettre que Votre Altesse m’a fait l’honneur de m’écrire en m’envoyant copie de celle qu’elle a adressée à l’Empereur le 18 février dernier.

J’aurais déjà remercié Votre Altesse de la com­munication confidentielle qu’elle a daigné me faire, si au milieu de l’extrême multiplicité de mes occu­pations, je n’avais été assez fortement indisposé, pour ne pouvoir même encore aujourd’hui écrire de ma main à Votre Altesse Impériale, et lui exprimer ma reconnaissance de cette marque de sa confiance. J’ai lu avec le plus grand intérêt la lettre de Votre Altesse Impériale à l’Empereur, et j’ai été frappé à la fois et de la justesse de son raisonnement et de la noble loyauté des sentiments dont Votre Altesse Impériale n’a cessé de donner des preuves dans toutes les circonstances.

Je vous supplie, monseigneur, d’agréer mes remerciements et l’hommage de mon respectueux atta­chement.

 

Mantoue, 16 mars 1814.

À la vice-reine.

Les dernières lettres de Paris nous donnent quelque espoir de paix, ma bonne Auguste, et on m’assure que tout devait être terminé le 18. Espérons qu’avant le 1er avril notre sort sera entièrement dé­cidé, car tu ne pourrais attendre plus longtemps à te fixer au lieu définitif de tes couches, et si alors tu peux réellement voyager, nous choisirons une petite ville du midi de la France; mais cela dans le cas où rien ne finirait, ce qui n’est pas possible. Ici nous sommes tranquilles; je compte pourtant après-demain faire ma tournée générale sur la ligne; je passais mes soirées assez tristement à jouer au pi­quet avec Grenier; je viens d’imaginer d’aller au théâtre et d’y faire ma partie pendant l’opéra; de sorte que cela distrait un peu plus, et comme le théâtre touche au palais, c’est fort commode. Nous avons eu hier matin une petite affaire sur le lac de Garda ; notre flottille a eu l’avantage.

 

Mantoue, 17 mars 1814.

À la vice-reine.

Comme il est possible, ma bonne Auguste, que je ne puisse t’écrire demain, je prends l’avance dès aujourd’hui, car je compte faire une bonne tournée, qui, vraisemblablement, durera toute la journée. Quelques rapports arrivés ici ce matin veulent me faire croire que l’ennemi se reporterait de nouveau sur le Mincio. Je n’en suis pas encore bien per­suadé.

 

Mantoue, 20 mars 1814.

À la vice-reine.

Le roi de Naples est très-mal avec les Anglais, pas très bien avec les Autrichiens ; cela ne peut durer ainsi.

On dit qu’il ne dort plus. La différence qu’il y a avec moi, c’est que je dors très-bien.

 

Mantoue, 22 mars 1814

À Napoléon.

Sire, il a été à nos avant-postes un agent du roi de Naples, se disant chargé d’une mission du roi, Il m’a été envoyé el j’ai vérifié que sa mission avait pour objet d’aller au-devant d’un autre agent secret envoyé par Votre Majesté au roi de Naples, et de lui remettre un sauf-conduit pour se rendre au quartier général du roi; mais l’agent de Votre Ma­jesté, qu’il s’agissait de recevoir, et qui n’était autre que M, Laporetti, s’était déjà dirigé par un autre point; l’agent du roi de Naples était, en outre, chargé de remettre une lettre au duc d’Otrante ; mais je n’ai point jugé convenable de le laisser pénétrer pour ce seul objet à l’intérieur, d’autant que j’étais moi-même incertain du point où il pourrait atteindre le duc. Je lui ai donc fait repasser la ligne en ne gar­dant que la lettre adressée au duc d’Otrante. J’ai l’honneur d’envoyer à Votre Majesté cette lettre qui ne contient, du reste, rien de bien intéressant.

 

Mantoue, 23 mars 1814.

À Napoléon.

Sire, je vois avec peine que Votre Majesté, malgré toutes les chances favorables qu’elle offrait au roi de Naples, ne peut et ne doit compter ni sur ses senti­ments ni sur les promesses qu’il lui faisait encore dernièrement.

J’ai déjà eu l’honneur de rendre compte à Votre Majesté de la lettre que j’avais écrite au roi au mo­ment où je reçus l’autorisation de traiter avec lui, le roi ayant désigné le général Carascosa, qui s’était rendu à Borgoforte avec ses pleins pouvoirs ; j’ai en­voyé, de mon côté, le général baron Zucchi, muni de tous les pouvoirs et de toutes les instructions qu’il m’était possible de lui donner. Cette entrevue suffira pour faire connaître à Votre Majesté ce qu’elle doit jamais attendre de ce côté-là.

On a commencé par trouver insuffisants les pou­voirs que j’avais donnés, et on a voulu en avoir qui fussent signés de Votre Majesté. Après une longue discussion sur la validité de ces titres, on a abordé la discussion des bases sur lesquelles on pourrait s’en­tendre avec les Napolitains. Le général Zucchi propo­sait que l’Italie fût divisée en deux royaumes qui auraient pour limites entre eux les Apennins et une ligne (dont on conviendrait) dans la Romagne; on ne parlait point de Gênes ni du Piémont, Votre Majesté va voir combien les propositions des Napolitains étaient différentes.

Quoiqu’on eût fait un moment auparavant les plus grandes difficultés, ne voulant admettre comme valables que des pouvoirs signés par Votre Majesté elle-même, néanmoins, lorsqu’on a abordé le fond de la question, les Napolitains ont prétendu poser, comme premier article, que le royaume d’Italie méridional devait avoir pour limites le Pô et le Taro. Ils auraient alors consenti à laisser s’établir le royaume d’Italie septentrional, mais sous la condition expresse que j’aurais fait repasser les Alpes à toute l’armée fran­çaise. Gênes et le Piémont auraient fait partie du royaume septentrional ; mais alors je devais faire sauter même les routes nouvellement pratiquées dans les Alpes pour en fermer entièrement le passage aux Français. « Le roi de Naples — disait son plénipotentiaire — se réunirait alors à moi pour chasser les « Autrichiens. »

Votre Majesté peut-elle concevoir rien au monde de plus extravagant et des projets de trahison plus noirs et plus infâmes ? Pourrait-on jamais imaginer quelque chose de plus propre à servir dans ce pays-ci la cause de vos ennemis ? Je ne dirai pas l’indi­gnation que j’en ai ressentie personnellement; on ne peut supposer de pareilles idées que dans des têtes entièrement perdues.

Le général Zucchi m’est arrivé ce soir encore tout enflammé de colère de ce qu’il avait entendu. Comment arranger de pareilles propositions avec les protestations contenues dans la lettre du roi à Votre Majesté, qu’elle a bien voulu me communiquer ?

Si j’avais 10 ou 12,000 hommes de plus, je ne craindrais pas d’attaquer en même temps les Autri­chiens et les Napolitains, Mais cela m’étant impos­sible avec mes forces actuelles, il me reste du moins l’espoir de trouver et de saisir l’occasion pour faire payer cher une pareille conduite à ceux qui la tiennent.

Pour le moment, j’ai cru devoir écrire au roi de Naples la lettre dont je joins ici copie. En l’écrivant, je n’ai pensé qu’à l’intérêt qu’il y a de gagner du temps et à remplir les instructions de Votre Majesté, qui m’ordonnent de ménager le roi.

 

Mantoue, 23 mars 1814.

À Murat.

Sire, Votre Majesté aura su le résultat de la conférence qui a eu lieu entre ses commissaires et le général Zucchi au sujet de la proposition que l’Em­pereur m’avait autorisé à lui faire, d’après ses pro­pres ouvertures. Les commissaires de Votre Majesté ont paru d’abord être arrêtés par l’idée que les pou­voirs dont j’avais investi le général Zucchi étaient insuffisants; ils étaient cependant aussi étendus que ceux que j’avais reçus moi-même. Mais comme ces mêmes pouvoirs que l’Empereur m’a donnés sont sous la forme d’une simple instruction, et que vos commissaires ont exprimé le désir qu’ils fussent contenus dans un instrument spécial, ostensible et signé par l’Empereur, je prends de suite à cet égard les ordres de Sa Majesté.

En attendant la réponse de l’Empereur, Votre Majesté jugera sans doute convenable de suspendre tacitement de part et d’autre toute opération. Mais avant de donner moi-même aucun ordre, j’attendrai la réponse qu’elle voudra bien elle-même me faire à ce sujet. Je ne puis terminer cette lettre sans témoi­gner à Votre Majesté combien il m’a été sensible et pénible de voir une différence aussi grande entre les propositions de vos commissaires et les assurances que vous vous plaisiez à donner à l’Empereur de votre attachement à sa personne.

 

Mantoue, 23 mars 1814.

À la vice-reine.

Je te répondrai demain sur les idées de rester à Alexandrie ou à Mantoue pour tes couches. Cette dernière idée me sourit beaucoup au premier abord. Il y aurait pourtant de terrible l’idée de te laisser sans aucune espèce de communication si je me retirais. Ce matin je suis très-occupé, car j’ai à rendre compte à l’Empereur des tentatives faites auprès du roi de Naples.

Après avoir donné les plus grandes protestations d’amitié et d’attachement à l’Empereur, il prétend m’obliger à faire passer les Alpes à toutes les trou­pes françaises, et alors, dit-il, il s’entendra avec moi, Comme je connais l’homme, tu sens bien que je ne me mettrai jamais en position d’être à sa disposi­tion.

Quel épouvantable traître !

 

Mantoue, 23 mars 1814.

À la vice-reine.

Ma bonne Auguste, tu es bien certainement la plus admirable des femmes : plus j’ai pensé à ton idée de rester à Mantoue, et plus je trouve cela con­venable et sublime. Nous causerons de tout cela plus en détail ensemble, et il me tarde tant de t’embrasser que je t’envoie demain soir Triaire. Tu pourrais partir dimanche de grand matin, en supposant que tu viennes passer quelques jours avec moi. Arrange-toi avec Darnay pour qu’il y ait assez de chevaux afin que les enfants puissent venir avec toi ; les femmes et la maison viendront le lendemain. Samedi soir tu pourrais même déjà mettre en route un premier service. Il faut emmener la duchesse de Litta ou la comtesse Thiene, madame Sandezelle, bien en­tendu; madame de Wurmbs avec les  enfants. En hommes, ton chevalier d’honneur, un chambellan. L’écuyer viendrait plus tard. Peut-être ferais-tu bien d’avoir le grand écuyer, surtout si tu n’as pas la du­chesse de Litta, afin qu’il y ait un grand officier; mais dans aucun cas n’amène le grand maître.

Triaire t’accompagnera. Les effets ainsi que des voi­tures de ville et des calèches viendront ensuite. Poli­tiquement, je t’expliquerai pourquoi je préfère Mantoue à Alexandrie. Mais je te le répète : ton idée est admirable. Jamais pourtant je n’aurais osé te proposer cela.

Adieu, bien chère et excellente Auguste, je te presse contre mon cœur et t’attends avec une bien vive impatience, pour te donner mille tendres baisers.

 

Mantoue, 26 mars 1814.

À la vice-reine.

Rien de nouveau ici. Bellegarde est toujours à Vérone et le roi de Naples à Reggio, J’ai  fait remettre le pape, hier matin, aux avant-postes de Parme, et ce n’est pas ce qui aura amusé le plus le roi de Naples. Cela dérange ses projets. Son ambition était d’avoir pour lui toute l’Italie.