Correspondance de Eugène – Janvier 1814
Correspondance du prince Eugène
Janvier 1814
Paris, 1er janvier 1814
Napoléon à Eugène.
Mon fils, j’ai reçu avec plaisir, au commencement de l’année, les témoignages que vous me donnez de votre attachement pour moi. Je vous remercie des sentiments que vous m’exprimez, et j’espère que cette nouvelle année sera glorieuse pour vous, autant qu’heureuse pour la vice-reine et vos enfants. (Napoléon)
Vérone, 2 janvier 1814
À Napoléon.
Sire, j’ai l’honneur d’adresser à Votre Majesté le livret de situation de son armée d’Italie à du 1er janvier 1814. Votre Majesté y remarquera quelques augmentations. Elles proviennent des conscrits qui commencent à nous arriver. Quoiqu’il leur manque encore quelque chose en effets d’équipement, j’espère qu’ils seront bientôt en état d’entrer dans les bataillons.
Les Napolitains sont arrivés le 29 à Bologne et à Rimini. J’attends avec impatience le résultat de leur mouvement ultérieur. Tout le royaume a les yeux sur eux. La conduite qu’ils devront tenir ces jours-ci lèvera tous les doutes, puisqu’ils sont dès aujourd’hui en présence de l’ennemi. S’ils réoccupent Forli et Faenza sans tirer un coup de fusil, certes ils sont d’accord avec l’ennemi, s’ils se déclarent ouvertement, ma position ici deviendra fort embarrassante.
Vérone, 3 janvier 1814
Eugène à la vice-reine
Ma chère Auguste, j’ai reçu aujourd’hui des lettres de Paris. Il paraît que beaucoup de gens y ont perdu la tête; les choses en sont venues au point que la conclusion doit être dans ce mois et pas plus tard, voilà mon opinion. J’ai lu ce matin une gazette d’Allemagne qui rapporte une proclamation du… aux troupes. Elle m’a fait la plus grande peine; car elle sort réellement de toutes les bornes; cet écrit respire la haine la plus violente contre l’Empereur, et il est toujours mal de se conduire ainsi envers celui auquel on doit quelque chose ; qui l’a toujours bien traité, et qui d’ailleurs est déjà malheureux. Adieu, ma chère Auguste, nous sommes tranquilles ici.
Paris, 3 janvier 1814
Clarke à Eugène
Monseigneur, j’ai eu l’honneur d’écrire le 30 décembre à Votre Altesse Impériale, d’après la marche de l’ennemi à travers les cantons suisses pour, se diriger soit sur Genève et déboucher de là par le mont Cenis, dans les départements au-delà des Alpes, soit sur le Valais, pour déboucher par le Simplon en Italie.
Dans tous les cas, Votre Altesse Impériale jugera qu’il est nécessaire, dans les circonstances présentes, de conserver à Alexandrie, à Casai, à Fenestrelles et à la citadelle de Turin, des forces suffisantes pour y assurer le service et défendre ces places, dont Votre Altesse Impériale connaît toute l’importance, pour appuyer les opérations de l’armée d’Italie, dans le cas où l’ennemi parviendrait à déboucher par le mont Cenis en Piémont.
Je charge, en conséquence, Son Altesse Impériale le prince Borghèse d’employer tous les moyens qui sont à sa disposition, pour défendre le passage du mont Cenis et compléter les garnisons des places de la 27e division militaire, en attendant l’arrivée de nouveaux renforts.
J’ai cru devoir donner connaissance à Votre Altesse Impériale de celte disposition, afin de la mettre à portée de régler ses opérations de la manière qu’elle aura jugé le plus convenable au bien du service de Sa Majesté
Vérone, 5 janvier 1814
A la vice-reine.
Certes, ma chère Auguste, je ne veux pas te prouver que notre situation soit belle, mais il faut aussi penser qu’elle est loin d’être désespérée. D’abord, il est certain qu’on continue à traiter la paix, et je persiste toujours à la croire prochaine, et enfin où crois-tu que l’ennemi voudrait l’aller chercher si on ne s’entendait pas de suite ? Ce serait en France; à quoi lui servirait de grands efforts ici ? à rien du tout, ce serait du temps perdu pour eux, et il est donc plus naturel de penser que les ennemis se porteront vers le point où la paix pourra s’obtenir. .
Quant aux Napolitains, ils sont bien peu à craindre pour le moment, car sûrement ils ne passeront le Pô ni pour nous ni contre nous. En dernier malheur, Mantoue ou Alexandrie nous offrirait un refuge pour attendre le dénouement, cela ne peut tarder. Sois donc sans inquiétude pour le moment, soigne ta santé et sois sûre que je pense à tout et tâche de tout prévoir à temps pour l’époque de tes couches.
Je te renvoie la lettre de l’Empereur, tu auras vu par son dernier discours qu’il renonce à toutes ses conquêtes. Ainsi on ne peut rien dire de mieux pour la paix, aussi j’y crois toujours et j’espère qu’elle nous trouvera encore dans le même lieu.
Vérone, 7 janvier 1814
À Clarke.
L’ennemi occupe encore, monsieur le duc de Feltre, Ravenne et Forli, et, quoique ses avant-postes soient d’un côté à Césena et de l’autre à Faenza à une très-petite distance des troupes napolitaines, puisqu’elles occupent depuis plusieurs jours Rimini et Isola, il ne se tire pas un seul coup de fusil. Les pièces dont je vous transmets extrait vous mettront à même de connaître tout ce qui s’est passé depuis un mois relativement à la marche lente des troupes napolitaines et à leur inconcevable inaction. Les généraux qui les commandent attendent les ordres de leur souverain pour marcher à l’ennemi avec lequel ils prétendent qu’il existe un armistice ; cette déclaration a été faite à Bologne au général Fontanelli, commandant la 4e division militaire du royaume, par le général napolitain Filangieri, ce qui s’accorde parfaitement avec la conduite* de ces troupes à l’égard de l’ennemi et vice versa, et à leur fréquente communication par voie de parlementaire, et l’envoi d’officiers napolitains au quartier général de l’armée autrichienne. ‘
D’autres circonstances, qui résultent du contenu de quelques-unes des pièces ci-jointes, donnent au surplus la preuve que depuis le 5 décembre dernier, époque de l’arrivée à Ancône de la tête de la 1re division napolitaine, et la réunion qui a eu lieu immédiatement de cette dernière à Ancône et Sinigaglia, il n’y a eu aucun moyen de déterminer le général napolitain d’Ambrosio à fournir un seul homme des troupes sous ses ordres pour, conjointement avec les troupes que nous avions du côté de Forli, marcher sur Ravenne, qui, depuis Je 7 décembre, est occupé par l’ennemi ! Aussi ce dernier, enhardi par cette inaction et sans doute sachant à quoi s’en tenir sur les dispositions des troupes napolitaines, n’a point hésité de marcher sur Forli avec 1,200 hommes, et de s’en emparer après avoir contraint quelques faibles détachements français, italiens et du régiment étranger, à abandonner ce chef-lieu du département du Rubicone. Non-seulement les troupes napolitaines, au nombre de 16,000 hommes, réunies à Rimini et environs, ne marchent point à l’ennemi, mais il en est de même de celles qui sont à Bologne, dont l’état de situation est ci-joint.
On avait annoncé l’arrivée du roi de Naples à Rimini pour le 2 de ce mois, mais un nouvel avis porte que, la reine ayant été malade, le départ du roi de sa capitale a été différé.
Je me suis empressé de répandre la nouvelle du départ du duc de Vicence; elle ne peut que faire partout un bon effet; et il peut se faire qu’elle jette de nouvelles incertitudes dans les déterminations du roi.
Vérone, 8 janvier 1814
À la vice-Reine.
Je t’envoie la copie de la dernière lettre (du 1er janvier) de l’Empereur; elle te fera sûrement plaisir. Au reste, quoi qu’il arrive, tant que le ciel te conservera pour mon bonheur, je ne puis jamais être malheureux. Crois-moi pour la vie, etc. »
Vérone, 10 janvier 1814
À la vice-Reine.
Je désirerais beaucoup te voir pour le 14, jour heureux de notre heureuse union, ma bonne Auguste, mais je crains que cela ne te fatigue, ne fasse trop d’allées et de venues; et puisqu’il paraît qu’une division ennemie est arrivée du 4 au 6 à Trente. Je t’en écrirai demain soir ou après-demain. En attendant, je t’en conjure, ménage bien ta chère santé.
Vérone, 12 janvier 1814
À la vice-Reine.
Je ne t’écris que deux mots, ma bonne Auguste, pour t’annoncer que le duc de Vicence est positivement parti pour le quartier général des alliés. Nous avons donc à espérer que tout finira bientôt; avec quel plaisir je t’embrasserai quand je pourrai être assuré de la tranquillité de ma petite famille ; je te serre contre mon cœur ainsi que mes petits anges.
Vérone, 13 janvier 1814
À Napoléon
Sire, Votre Majesté doit être bien impatiente d’apprendre quelque chose de positif sur les projets des Napolitains. Je n’ai pu jusqu’à présent en rien démêler moi-même, quelque surveillance que j’y apporte. Les dernières nouvelles que j’ai reçues de Rome et de Naples portent expressément que l’on croit à l’existence d’un traité d’alliance offensive et défensive entre le roi de Naples et les Autrichiens, et que l’on s’attend d’un moment à l’autre à le voir se déclarer en conséquence. On appuie ces nouvelles de la présence à Naples d’un agent de la cour d’Autriche, d’un agent de l’Angleterre, et même des discours tenus à ce sujet par M. de Gallo. Je dois croire que Votre Majesté aura reçu les mêmes détails. D’un autre côté, je reçois à l’instant, de Bologne, l’avis qu’un secrétaire du roi vient d’y arriver, annonçant de sa part que les hostilités entre les armées napolitaines et autrichiennes vont commencer. Ce secrétaire a ajouté que le roi était à Rome, et il est reparti sur-le-champ pour aller, a-t-il dit, au-devant de Sa Majesté. À ce sujet, je remarque que mes dernières nouvelles de Rome sont du 8, et me sont parvenues par estafette; qu’on ne paraissait point y attendre le roi aussi prochainement, et qu’il était certainement encore dans sa capitale le 7. Il doit paraître également assez singulier que ce soit un secrétaire qui ait été chargé de la missive de faire commencer les hostilités. Enfin, j’observe que ce secrétaire est le même qui, dernièrement, était parvenu à franchir nos avant-postes pour se rendre au quartier général autrichien. Je ne vois donc en cela que de nouvelles ambiguïtés. Je me tiens sur mes gardes, et j’attends avec anxiété le moment où je pourrai apprendre à Votre Majesté pour qui et contre qui les Napolitains auront tiré leur premier coup de fusil.
Vérone, 13 janvier 1814
À la vice-Reine.
Ma bonne Auguste, nous eûmes hier des probabilités d’avoir quelque affaire. L’arrivée de renfort à l’ennemi de 3 nouveaux bataillons qui venaient doubler les postes, les journaux du Tyrol qui annonçaient le passage des Russes, enfin les rapports des déserteurs, parlaient d’une prochaine attaque. Quoique éloigné d’y croire, je n’en avais pas moins pris toutes mes précautions. La plupart de ces nouvelles étaient fausses. J’ai fait savoir au général Bellegarde le départ de Caulaincourt, et j’en aurai réponse dans peu. C’est un premier pas pour s’entendre et faire cesser toute hostilité. Si je parviens à faire une petite suspension d’armes, je te ferai venir à Vérone. Garde encore ceci pour toi. Les Napolitains hésitent toujours, et tu verras qu’ils feront la bêtise de nous déclarer la guerre au moment où la paix générale sera signée.
Vérone, 14 janvier 1814
À Murat
Sire, il ne m’appartient pas sans doute de chercher à pénétrer les secrets de votre politique ; je conjure Votre Majesté d’être persuadée que je connais les bornes de mes devoirs, et qu’il est loin de mon intention de les franchir.
Mais, sire, les sentiments que je porte à Sa Majesté l’Empereur, ceux que j’ai voués à Votre Majesté depuis mon enfance, m’imposent aussi des devoirs, et c’est à ceux-là que je crois être fidèle, au moment où je prends la liberté de vous écrire.
Depuis près de trois mois, je compte sur les secours que Votre Majesté a bien voulu me faire espérer; et, Votre Majesté n’en doute pas, j’ai mis toute ma confiance dans ses promesses.
J’étais persuadé qu’aussitôt que les troupes de Votre Majesté, conduites par elle, se réuniraient aux troupes de l’Empereur, l’Italie tout entière n’aurait bientôt plus rien à craindre des ennemis du dehors.
Les heureux résultats de mes faibles efforts, depuis l’ouverture de la campagne, justifient, ce me semble, et confirment mon opinion.
Cependant (et Votre Majesté ne peut l’ignorer), depuis quelque temps les peuples du royaume. d’Italie redoutent l’influence que les agents de l’étranger ont pu exercer sur votre cabinet, et il faut bien le dire, aujourd’hui plus que jamais, on semble craindre que Votre Majesté, profitant de la situation dans laquelle notre juste confiance l’a placée, ne marche avec l’ennemi contre ce même royaume d’Italie, dont nous avons mis tant d’empressement et de plaisir à lui ouvrir toutes les portes, et à lui offrir toutes les ressources.
Sire, je n’ai pas voulu croire à tous les propos répandus en Italie depuis deux mois; et je proteste à Votre Majesté que je suis encore loin d’y ajouter la moindre foi.
Mais, cependant, les moments se pressent ; les troupes de Votre Majesté sont bien avant dans le royaume, et elles n’agissent pas contre l’ennemi !
Serait-on enfin parvenu à persuader à Votre Majesté qu’il est dans ses véritables intérêts, non-seulement de séparer sa cause de celle de l’Empereur, mais même de porter ses armes contre lui ?
S’il en était ainsi, sire, je n’hésiterais pas à croire qu’on a trouvé le moyen de surprendre votre religion, en offrant à vos yeux le tableau de ce que l’Italie pouvait avoir à redouter sans votre secours, et en dissimulant à Votre Majesté tout ce qu’elle pouvait pour et avec l’Italie, en continuant à servir l’Empereur.
Mais, dans une affaire de cette importance et de cette nature, il faudrait être mieux informé que je ne le suis et ne peux l’être, pour oser considérer mon opinion comme infaillible.
Les événements et le temps pourront seuls dire, lequel de votre cabinet ou de moi se sera trompé.
Quoi qu’il en soit, sire, je crois acquérir de nouveaux droits à votre bienveillance, en osant vous dire : des espérances de paix s’élèvent de toutes parts. Combien il serait désirable que Votre Majesté n’eût pris aucun parti public contre l’Empereur, avant d’avoir pu s’assurer que ses espérances ne sont pas sans fondement !
Puisse au moins Votre Majesté rendre justice au sentiment qui m’a dicté le vœu que je viens d’exprimer!
Dans tous les cas, sire, j’ose vous le dire, il serait indigne de votre caractère que l’homme qui défend ici les intérêts de l’Empereur fût informé par d’autres que par vous du parti auquel vous aurez cru devoir vous arrêter.
Je m’adresse donc à Votre Majesté avec confiance, pour savoir d’elle-même ce que les sujets et les troupes de l’Empereur ont à espérer ou à redouter des troupes qui vous appartiennent.
Si Votre Majesté embrasse un parti contraire à celui de l’Empereur, j’en serai profondément affligé, sire ; mais je n’oublierai pas pour cela les sentiments qui m’attachent à votre personne, et, quelque difficile que soit alors la situation dans laquelle Votre Majesté m’aura placé, je ne pourrai me défendre de former encore des vœux pour son bonheur et pour celui de sa famille.
14 janvier 1814
A la vice-Reine
Je n’ai besoin que de penser à cette journée, ma chère Auguste, pour savoir que la Providence protège ma vie. Que de bonheur, que de charmes je dois à ce 4 janvier qui a uni ma destinée à celle de la plus belle, de la meilleure, de la plus vertueuse des femmes. C’est pour épargner ta modestie que j’évite de te répéter cette vérité; car chaque jour je l’éprouve et voudrais pouvoir l’aimer encore davantage, pour t’aimer autant que tu le mérites. Adieu, ma bonne amie, puissions-nous vivre tous deux jusqu’à célébrer les cinquante ans de mariage. Et puisse le ciel surtout être assez bon pour ne pas appeler à lui l’un de nous sans l’autre !
15 janvier 1814
À la vice-Reine.
Il paraît qu’il sera difficile de s’arranger avec l’ennemi. On a parlé de sacrifices, et je ne puis ni ne veux en faire. Nous verrons cela; en attendant, ils ont assuré que le congrès de Bâle était déjà ouvert, je persiste à penser que nous aurons la paix ce mois-ci.
Paris, 17 janvier 1814
Napoléon à Eugène.
Mon Fils, vous avez su, par les différentes pièces qui ont été publiées, tous les efforts que j’ai faits pour avoir la paix. J’ai, depuis, envoyé mon ministre des relations extérieures à leurs avant-postes. Ils ont différé de le recevoir, et cependant ils marchent toujours ! Le duc d’Otrante vous aura instruit que le roi de Naples se met avec nos ennemis. Aussitôt que vous en aurez la nouvelle officielle, il me semble important que vous gagniez les Alpes avec toute votre armée. Le cas arrivant, vous laisseriez des Italiens pour la garnison de Mantoue et autres places, ayant soin d’amener l’argenterie et les effets précieux de ma maison et les caisses.
(Une lettre du même jour, toute en chiffres, n’a pu être traduite ni aux archives de Russie ni aux archives de France.
Voilà la première lettre dans laquelle l’Empereur parle de l’éventualité pour le vice-roi de quitter l’Italie avec son année, encore n’est-ce pas un ordre. Il me semble important, dit l’Empereur, cela ne veut pas dire: Évacuez l’Italie. En outre, cette mesure d’évacuation est-elle toute conditionnelle. Il n’est plus question dans la correspondance de l’Empereur ni dans celle1 du ministre de l’évacuation de l’Italie jusqu’au 9 février, et Tordre transmis par le duc de Feltre, à cette date, est encore conditionnel, aussi bien que la dépêche télégraphique concernant le même objet et contresignée Cambacérès.)
Vérone, 17 janvier 1814
À la vice-Reine
II paraît, ma chère Auguste, qu’il sera impossible de s’entendre avec l’ennemi pour une suspension d’armes. Oh ! les vilaines gens ! Le croirais-tu ? Ils ne consentent à traiter que sur la même question que m’avait déjà faite le prince Taxis. Aussi a-t-on de suite rompu le discours. Dans quel temps vivons-nous ! Et comme on dégrade l’éclat du trône en exigeant pour y monter lâcheté, ingratitude et trahison ! Va, je ne serai jamais roi !
Vérone, 17 janvier 1814
Au prince Borghèse
Je ne dois pas laisser ignorer à Votre Altesse Impériale l’avis qui m’est donné de toutes parts que les Autrichiens et les Anglais ont enfin entraîné le roi de Naples dans leur parti. Quoiqu’il n’y ait pas encore paru de déclaration officielle, on doit regarder aujourd’hui comme constante la conclusion du traité qui consomme cette nouvelle alliance. Cependant les troupes napolitaines se sont avancées dans le royaume, et elles s’y sont établies sur divers points, à la faveur de l’harmonie qui n’a pas encore cessé d’exister entre les deux États. Dans ces circonstances, Votre Altesse Impériale concevra facilement que je ne puis pas prendre trop de précautions pour me maintenir contre un nouvel ennemi, d’autant plus dangereux qu’il sera sur moi avant même de s’être déclaré. Je fais établir une tête de pont sur le Pô, en face de Mantoue, afin de m’en servir en cas de besoin. J’ai déjà écrit à Votre Altesse Impériale pour la prier de faire mettre Plaisance à l’abri d’une insulte. Il m’importerait actuellement beaucoup de connaître en quel état va se trouver l’organisation des divisions de l’armée de réserve qu’elle commande. Votre Altesse Impériale m’a déjà écrit qu’elle avait sagement arrêté de distribuer chacune de ses divisions pour leur organisation dans les places de Plaisance, Alexandrie et Turin. Je désirerais bien qu’elle pût m’apprendre que la division qui se réunirait à Plaisance fût non pas organisée comme pour entrer en campagne, mais mise en état de pouvoir tenir dans cette place contre un coup de main. Si j’avais cette certitude, je serais plus tranquille sur les entreprises que les Napolitains pourraient tenter sur mes derrières, et n’ayant pas affaire avec deux ennemis à la fois, je serais encore en assez bonne position de faire tête à celui que j’ai en face.
Je n’ai pas besoin, sans doute, de faire observer à Votre Altesse que, dans l’état actuel des choses, les raisons trop fondées que j’ai de prendre toutes les précautions i doivent toujours demeurer secrètes.
Vérone, 18 janvier 1814.
À la vice-Reine
… II est de toute impossibilité d’accéder à la proposition de ton père, et tu vois qu’il lèsent lui-18ijliTer mêmer Espérons que tu ne seras pas éloignée de quitter Milan et, si cela est nécessaire, tu as toujours la route de Gènes à Marseille; d’ailleurs il faut que Bellegarde fasse une campagne bien heureuse pour me pousser au-delà d’Alexandrie, et enfin il n’est pas encore dit que tout ne soit fini d’ici à la fin du mois, comme je l’espère toujours. Tu sauras déjà que Caulaincourt a fait demander à Paris deux secrétaires de plus ; donc, on traite, et l’Empereur en est bien réduit, dans la situation actuelle, à accorder tout ce que l’ennemi demandera. Adieu, ma bonne Auguste. On a tiré hier quelques coups de fusil mais sans conséquence. Adieu encore, j’ai envoyé Gifflenga au roi de Naples. Il est fin, il saura me dire sur quoi on peut compter de ce côté.
Vérone, 20 janvier 1814
À la vice-Reine
Je n’ai rien pu t’écrire ces jours derniers, ma chère Auguste, étant fort occupé à écrire. Je n’ai ici absolument rien de nouveau. Sois tranquille pour toi et tes enfants et sois sûre que je suis le premier intéressé à ce que tu sois prévenue à temps par moi. Ils ne pourront jamais te couper la route d’Alexandrie, je serai là pour les en empêcher, Fontanelli est arrivé après midi et m’a donné de tes nouvelles, ainsi que de celles de mes enfants. Il paraît pourtant que tu as été plus souffrante dimanche que tu ne me l’avais écrit. Je te demande en grâce de bien soigner ta santé… J’ai reçu des lettres de Paris du 14 et de Suisse du 15, on traite toujours de la paix ; mais je ne serais pas étonné qu’il y eût vers la fin de ce mois une grande bataille en France, si cela n’a pas encore été fini. Quant au roi de Naples, il a refusé, dit-on, de se battre contre les Français, et il paraît certain que son alliance avec l’ennemi se bornera à occuper un certain espace. Je fais des vœux sincères pour la paix, puisqu’elle doit enfin me réunir à toi.
Florence, 21 janvier 1814
Fouché à Eugène.
Monseigneur, une lettre de M. Metternich a décidé la reine de Naples à entrer dans la coalition. Je ne connais pas le traité, mais je sais qu’il est conclu. Prévoyant le résultat prochain, j’ai eu l’honneur d’écrire, il y a quelques jours, à Votre Altesse de prendre ses mesures comme s’il était signé.
La lettre de M. Metternich est perfide; après avoir fait le tableau des forces de la coalition et des désastres de la France, elle ajoute que l’empereur Napoléon, dans des négociations avec les puissances coalisées, cède toute l’Italie et même Naples; toutefois, qu’il a fait demander par le roi de Bavière le Milanais pour Votre Altesse.
Le projet de coalition est simple : c’est de remettre les choses comme elles étaient avant 1789; le roi de Naples en sera convaincu trop tard.
Votre Altesse sait ce qui vient de se passer à Rome; nous allons être forcés d’évacuer la Toscane ; la grande-duchesse fait rassembler tous les militaires qui ne sont pas nécessaires pour la garde des forts, et les enverra au quartier général de Votre Altesse; le prince Félix doit s’y rendre, et j’aurai l’honneur de l’y accompagner.
21 janvier 1814
Murat à Eugène.
Monsieur mon cher neveu, je reçois la lettre de Votre Altesse Impériale en date du 14 janvier, et je me hâte d’y répondre. Je suis vivement touché des sentiments que vous me témoignez; ils sont parfaitement en harmonie avec ceux que je vous porte, et que je ne cesserai de vous conserver, quels que soient les événements que la politique et la guerre peuvent entraîner,
Vous me dites que depuis trois mois vous « comptez sur mes secours, et que, si mes troupes s’étaient réunies à celles de l’Empereur, l’Italie tout entière n’aurait rien à craindre des ennemis du dehors.
Ces expressions doivent me faire croire que Votre Altesse Impériale n’a pas été exactement informée des invitations que j’ai reçues de l’Empereur et des déclarations que je lui ai faites. Elles pourraient aussi me porter à penser qu’en parlant de l’Italie tout entière vous perdez de vue mon royaume.
En effet, ce que l’Empereur me demanda lorsque je me séparai de lui pour rentrer dans mes États, ce fut de me porter sur le Pô. Ce même désir fut celui qu’il m’exprima par ses lettres après son retour à Paris, et la réunion de mes troupes aux siennes fut si peu dans son intention, que jamais il n’en a même supposé la possibilité, puisque jamais il n’a déterminé à qui, en pareil cas, appartiendrait le commandement (Murât ne pouvait ignorer cependant qu’une division napolitaine devait, en vertu des instructions de l’Empereur, faire partie de l’armée du vice-roi.). Cependant Sa Majesté Impériale et Royale ayant manifesté, dans une de ses dépêches, l’idée que je pourrais marcher vers la Piave, je m’empressai de lui faire connaître et de lui démontrer qu’il m’était impossible de franchir le Pô sans compromettre évidemment la sûreté de mes États, menacés par des fermentations intérieures contre le système de la France, et par des expéditions que l’ennemi pourrait faire soit de la Sicile, soit des côtes d’Illyrie, soit de l’Albanie.
Votre Altesse Impériale, en y réfléchissant, jugera elle-même que, si mes troupes au-delà du Pô eussent pu devenir utiles au royaume d’Italie, elles n’auraient nullement garanti l’Italie tout entière; elle jugera que mon royaume aurait eu tout à craindre dès l’instant où mon armée s’en serait assez éloignée pour n’être plus à portée de le secourir en cas d’attaque; elle sentira qu’il était de mon devoir de ne pas exposer à de tels périls mes États, la reine et mes enfants.
Cependant ma marche a servi puissamment l’Empereur, j’en atteste Votre Altesse Impériale et les ennemis qu’elle a devant elle; s’ils n’ont pas osé passer l’Adige, s’ils n’ont pas tenté d’envahir la haute Italie, c’est parce qu’il leur était impossible d’entreprendre de telles opérations en présence de mon armée, qui pouvait tomber sur eux, les couper dans leur marche ou leur fermer toute retraite.
II est vrai que je n’ai point agi contre le petit nombre de troupes autrichiennes qui se sont présentées sur la rive droite du Pô, et qu’il m’eût été si facile d’écraser. Mais c’est qu’au moment où j’aurais pu les attaquer un négociateur autrichien était dans ma capitale pour me proposer de concourir au rétablissement de la paix en Europe. J’ai dû écouter de telles propositions, faites au nom d’un grand souverain, parce qu’elles avaient un but, qui est le vœu de l’humanité, et parce qu’elles m’offraient pour mon royaume une garantie d’autant plus précieuse à mes yeux, que je ne recevais du côté de la France ni les informations ni les assurances que j’étais en droit d’attendre.
Toutefois il en est temps encore; si les espérances de paix dont Votre Altesse Impériale me fait part se réalisaient, ainsi qu’elle paraît s’en flatter, cet événement, qui me comblerait de satisfaction, arrêterait tout l’effet des négociations dans lesquelles je suis entré et dont j’ai prévenu l’Empereur.
Si, au contraire, les événements m’entraînaient à séparer ma cause de celle de l’empire, la France et la postérité me plaindraient de la violence que j’aurais dû faire aux sentiments les plus chers et les plus constants de mon cœur; elles jugeraient que je n’ai pu céder qu’à mes devoirs envers mes peuples et mes enfants, et je sens au fond de mon âme, que mon attachement personnel à la France, à l’Empereur, à sa famille, et à Votre Altesse Impériale en particulier, ne saurait jamais s’altérer.
Vous m’avez rendu justice en croyant que dans aucun cas je ne pourrais agir contre Votre Altesse Impériale avant de l’avoir prévenue ; je lui donne ici l’assurance que si je me trouvais forcé à prendre un parti décisif, je ne ferais aucun mouvement qui puisse menacer l’armée qu’elle commande sans l’en avoir préalablement informée.
Je suis instruit que des mesures prises à Ancône après l’arrivée d’un de vos aides de camp ont excité beaucoup d’inquiétude, beaucoup de défiance, et des dispositions presque hostiles entre vos troupes et les miennes. Si elles produisaient des effets fâcheux, j’en serais désespéré. Les ordres que j’ai donnés à mes généraux sont d’éviter autant que cela sera possible toute voie de fait, mais aussi de se mettre à l’abri de toute surprise. Je désire que des ordres analogues de la part de Votre Altesse Impériale préviennent des éclats que le ciel peut encore et voudra, je l’espère, nous épargner.
Vérone, 25 janvier 1814
À la vice-Reine.
Ma chère Auguste, les Napolitains se sont portés sur Reggio et Modène, mais ils ne sont pas du tout placés offensivement, puisqu’ils ont encore des régiments à Rome, Ancône et Rimini, et il leur faut plus de dix jours pour réunir leurs troupes; ainsi, sois tranquille. Ma santé est bonne : les dernières lettres de France nous annoncent une prochaine bataille qui n’arrête pourtant pas les négociations. Lavalette me mande que l’Empereur a déjà réuni vers Châlons 160,000 hommes et plus de 900 pièces de canon. Adieu; je te répète que tout cela doit finir bientôt.
Vérone, 25 janvier 1814
À Napoléon.
Sire, j’ai reçu, hier 24, la lettre chiffrée de Votre Majesté du 17 janvier, qui contient l’instruction pour le cas où le roi de Naples se déclarerait contre nous. J’agirai de manière à remplir les intentions de Votre Majesté.
Jusqu’à présent rien d’officiel à cet égard, et, en supposant que les Napolitains se déclarent, cela peut fort bien ne pas encore changer aussitôt ma position, surtout si ces troupes continuent à rester telles qu’elles sont placées en ce moment, échelonnées depuis Modène jusqu’à Ancône et Rome. Tout au plus, pour le moment, pourrais-je prendre la ligne du Mincio, qui me rapprocherait de mes ponts sur le Pô. Une des trois divisions de l’armée de réserve, quoique incomplète, s’est portée sur Plaisance; on travaille à mettre la ville à l’abri d’un coup de main, et, dans toute hypothèse, cette division suffira pour arrêter les Napolitains s’ils s’avançaient trop rapidement sur la droit. D’ailleurs je ne cache pas à Votre Majesté que l’armée serait bien aise de trouver l’occasion de pouvoir donner une leçon à ceux dont la conduite inspire tant de mépris et d’indignation .
Dans le cas d’un mouvement rétrograde, j’exécuterai les ordres de Votre Majesté quant aux places fortes et aux garnisons à y laisser; mais je ne lui cache pas que l’esprit est tel en Italie que beaucoup d’officiers et surtout la troupe se laissent séduire par le moyen que l’ennemi emploie en ce moment : l’indépendance de l’Italie. Il est fâcheux de le dire, et pourtant il le faut, puisque c’est la vérité, que, dès que l’armée de Votre Majesté aura quitté l’Italie, celle-ci sera perdue pour bien longtemps. Je n’envisage pas non plus sans effroi le mouvement rétrograde que je serai obligé de faire. Il est certain que, y compris les 7,000 conscrits que je viens de recevoir dernièrement, sur les 15,000 promis, je n’ai pas 1,200 Français de l’ancienne France. Tous les hommes que j’ai reçus pour commencer la campagne étaient Toscans, Génois, Piémontais. Votre Majesté doit donc s’attendre, même dans nos rangs, à une désertion considérable.
(Cette lettre prouve que le vice-roi considérait Tordre conditionnel de l’évacuation, comme étant donné par l’Empereur non pas dans l’intention de renforcer les armées agissant en France, mais dans celui de soustraire les troupes d’Italie aux dangers qui résulteraient pour elles de la trahison de Murât. C’est en effet ce qui découle de la lecture de la lettre de Napoléon en date du 17 janvier.)
Vérone, 25 janvier 1814
À la vice-Reine
Les moments deviennent bien pressants, ma bien-aimée Auguste, surtout à cause de ces maudits Napolitains. Peut-on voir plus de perfidie, ne pas se déclarer et continuer à s’avancer sur nos derrières. N’importe, j’en aurai un morceau, je t’en réponds. À tout événement’, je fais partir demain Triaire pour Milan.
Vérone, 26 janvier 1814
À la vice-Reine
Rien encore de nouveau, ma bonne Auguste : tu seras prévenue à temps si les Napolitains avancent davantage, et tu ne devrais quitter Milan qu’autant qu’ils auraient dépassé Plaisance. J’ai pris des mesures pour que cela n’arrive pas. Avant-hier le préfet d’ici a donné une assez nombreuse réunion, à laquelle j’ai été. On a dansé, quoique en conscience personne n’a le cœur à la danse.
Vérone, 25 janvier 1814
À Clarke
Monsieur le duc de Feltre, il y a plusieurs jours que je vous ai écrit sur la situation de l’armée, parce que depuis cette époque il ne s’est passé absolument rien de nouveau. Les Autrichiens n’ont dans cet intervalle reçu d’autres renforts que la division Mayer, forte de 8.000 hommes environ, et qui est venue de Dresde. Les bataillons qui sont arrivés sont très-faibles, mais ils ont trouvé ici à l’armée des 5e bataillons qui étaient très-forts et qui ont été amalgamés avec eux.
L’ennemi a fait venir de Trieste 2 ou 300 matelots et quelques officiers de marine, pour construire et armer sur le lac de Garda des chaloupes canonnières. Il y a à Riva 12 pièces d’artillerie. Je m’occupe de combiner une expédition pour détruire ces préparatifs.
Les Napolitains, qui n’étaient encore venus qu’à Bologne et Ferrare, se sont étendus sur la rive droite du Pô, jusqu’à Modène et Reggio. J’ai fait porter une des divisions de l’armée de réserve à Plaisance pour mettre cette ville à l’abri d’un coup de main et couvrir le pont que j’y fais établir. J’ai fait défendre aux troupes napolitaines de dépasser le Taro sous peine de regarder leur démarche comme un acte d’hostilités. D’après cela, j’attends encore dans ma position qu’il y ait une déclaration officielle, ou que des hostilités aient été commises, et j’agirai pour le mieux et suivant les circonstances.
Vérone, 28 janvier 1814
À Murat.
Sire, mon aide de camp me remet à l’instant la réponse que Votre Majesté a bien voulu faire à ma dépêche du 14. Il est donc vrai que Votre Majesté a jugé indispensable aux intérêts de sa couronne, non-seulement de s’allier aux ennemis de l’Empereur, mais même de marcher contre ses troupes !
Sire, je l’avoue, je n’aurais jamais cru un tel événement possible, et j’éprouve le besoin de lui dire que j’en ressens une profonde douleur. Puisse Votre Majesté ne jamais regretter le parti qu’elle prend aujourd’hui, c’est le vœu de mon cœur.
En disant, sire, que vos efforts réunis aux miens auraient pu sauver l’Italie tout entière, certes je n’ai pas à me reprocher d’avoir perdu de vue son royaume; j’ai dit seulement ce que Sa Majesté a certainement pensé plus d’une fois, ce qu’elle a même exprimé au général Gifflinga. Au reste, je n’ai plus le droit de parler sur cet objet. Je me borne à dire à Votre Majesté que je reçois avec reconnaissance les nouvelles assurances d’amitié qu’elle me donne et que je me repose d’ailleurs entièrement sur sa parole royale, qu’elle ne fera aucun mouvement qui puisse menacer l’armée de l’Empereur qui m’est confiée sans m’en avoir préalablement et à temps informé.
Vérone, 28 janvier 1814
À la vice-Reine
Gifflinga est revenu aujourd’hui de Naples. Le roi est décidément contre nous, et il sera à Bologne d’ici à quelques jours; je vais donc me préparer à un mouvement sur le Mincio, pour être de là plus à portée de passer le Pô, et donner sur le nez des Napolitains, si l’occasion s’en présente.
II faut penser sérieusement à ton voyage, quoique je sois certain de pouvoir toujours te prévenir. Rien ne peut t’empêcher de passer par Turin, le col de Tende et Nice pour aller à Marseille; la route de Gênes serait peut-être moins sûre, à cause des Anglais; qui sont toujours le long des côtes.
Tu feras bien de dire à Triaire de faire partir pour Aix ou pour Marseille mes caisses de livres et de cartes topographiques.
Vérone, 29 janvier 1814
À Napoléon.
Sire, les mauvaises intentions du roi de Naples étant tout à fait déclarées, j’ai l’honneur d’informer Votre Majesté qu’il me devient impossible de conserver ma position sur l’Adige. Il n’a pas encore commencé les hostilités, il attend pour cela la ratification de son traité; mais ce traité est signé, et les vedettes napolitaines sont placées sur le Pô et sur l’Enza, comme si l’attaque devait commencer d’un jour à l’autre. Votre Majesté voit donc que ma droite est déjà dépassée; ainsi dans trois ou quatre jours je serai obligé de me porter sur le Mincio. Si les Napolitains font un mouvement rapide sur Plaisance, ce mouvement devant être combiné avec une attaque de front, je serai forcé d’abandonner le Mincio et de me retirer à Alexandrie. Je ne puis me dispenser de laisser 8.000 hommes à Mantoue, 5.000 à Peschiera, et 2.000 à Legnago. Ainsi, des 36.000 hommes d’infanterie que j’ai maintenant, il ne m’en restera pas 25.000 quand je serai à Alexandrie, et je ne crois pas exagérer quand je dirai à Votre Majesté qu’environ la moitié de ces hommes est de Rome, de Toscane, de Gênes ou du Piémont, gens sur lesquels il est impossible de compter.
Votre Majesté m’a ordonné de me retirer, en cas de besoin, sur les Alpes; j’ose la prier de vouloir bien préciser davantage cette instruction, dans le cas où je devrais repasser ces montagnes ou en défendre les passages. Depuis la Bocchetta jusqu’au mont Cenis, un grand nombre de routes traversent les Alpes, et si je devais en défendre tous les débouchés, je serais obligé de faire beaucoup de petits détachements, et je n’aurais plus d’armée. Il peut cependant entrer dans les vues de Votre Majesté que je me porte en France avec le peu de troupes que j’aurais conservées. Dans cette supposition je préférerais suivre la route de Grenoble plutôt que celles qui conduisent à Nice; car, en me portant sur cette dernière ville, je m’éloignerais davantage de Votre Majesté ; je m’exposerais à trouver Nice et les passages qui y conduisent occupés par des troupes qui auraient pu débarquer dans ces parages, et d’ailleurs l’armée ennemie qui m’aurait suivi pourrait, en forçant le mont Cenis, qui est peu susceptible de résistance, arriver à Grenoble en même temps que j’arriverais à Nice, et me couper bientôt toute communication avec Votre Majesté. Je la supplie donc de me faire connaître, le plus tôt possible, ses ordres très-précis, et elle peut être sûre que je les exécuterai ponctuellement.
Vérone, 30 janvier 1814
À la vice-Reine.
Je t’envoie à la hâte, ma bonne Auguste, la lettre que j’ai reçue du duc de Bassano. Tu pourras en prendre connaissance, et la faire lire, ainsi que le Moniteur, au duc de Lodi et aux ministres. Il ne faut pas qu’on en publie rien. Il paraît certain que Caulaincourt a été reçu. Dans trois ou quatre jours, je serai sur le Mincio.
Extrait du Journal de Francfort, 29 janvier, 1814 : — Le bruit court que les Napolitains ont déjà opéré leur jonction avec le général Nugent. La position du vice-roi devient de plus en plus critique. Mais il faut convenir qu’il la soutient avec beaucoup de force et de dignité. Tous les partis prennent la part la plus vive aux peines qu’éprouve la vice-reine.