Combats d’Aspern

21 mai 1809

Mentionné dès le 13e siècle, le village s’appelle successivement Chlain Asparn ( 1375), puis Asparn Minus (1429).

En 1809, le village où vivent environ 700 habitants, regroupe 106 maisons, la plupart en briques et généralement en bon état: après un incendie deux ans auparavant, il a fallu les reconstruire où les rénover. Chacune de ces habitations a son jardinet. Pour se mettre à l’abri des inondations, fréquentes (les déplacements se font alors en barques), des emplacements sont prévus, situés à près de deux mètres au-dessus du niveau des rues. Précaution héritée du passé: en 1568 les habitants ont du tout simplement fuir la montée des eaux.

On est alors à environ une heure et demie de Vienne, que l’on atteint le plus facilement par Augarten et Brigittenau. Les habitants sont des gens aisés, à la tête d’une agriculture importante, à laquelle s’ajoute l’industrie du bois et la pêche. Le paysage s’orne également de nombreux moulins.

L'église d'Aspern vers 1809 (musée de Deutsch-Wagram)
L’église d’Aspern vers 1809 (musée de Deutsch-Wagram)

Peu avant l’entrée du village, lorsque l’on vient de Vienne, se trouve la petite église et son cimetière, entouré d’un mur qui offre une protection jusqu’à hauteur de poitrine.

Au sud de cet emplacement s’élève la massive maison paroissiale, un jardin jouxte le cimetière. Il est également entouré d’un mur. L’église et la maison paroissiale sont alors sur une hauteur d’environ 4 mètres, (disparue de nos jours), d’où l’intérêt stratégique de la position, qui domine la grande rue du village.

Le village est coupé par deux rues: au sud la rue principale (Hauptstrasse), qui se partage en deux à hauteur de la forge. Ces deux rues sont réunies par de nombreuses ruelles. Vers la sortie sud-est se trouve la Maison des Chasseurs (Jägerhaus), et, encore plus à l’est, isolée, la Tuilerie.

A l’ouest et au sud se trouvent des fossés (Hirschstettner graben, Pfarrerlacke, Gemeindeaugraben) ce dernier reliant le village au Gemeindeau, s’incurvant ensuite vers le Mühlau. Un autre fossé (appelé le Ravin), artificiel, court au nord jusqu’à Essling.

L'église d'Aspern aujourd'hui
L’église d’Aspern aujourd’hui

Ce qui précède montre qu’Aspern a , par son aspect compact et ses limites naturelles, presque l’aspect d’un village fortifié.

Du village de 1809, il ne reste que peu de chose, d’autant qu’Aspern (tout comme Essling), est maintenant intégré au XXIIème arrondissement de Vienne (Leopoldau). On y parvient en empruntant la Erzherzog-Karl Strasse, qui quitte la Wagramerstrasse juste après le Vieux Danube.

(voir également la visite du champ de bataille sur ce site)

Aspern en 1809
Aspern en 1809
Carte des combats
Carte des combats

La première attaque est lancée par les Autrichiens, à 14h30.

Marbot:

« Vers deux heures après midi, l’armée autrichienne s’avança vers nous, et la bataille s’engagea vivement »

L’ordre en est donné par Nordman, qui commande l’avant garde du corps d’Hiller: le 2e bataillon Gyulai doit franchir les petits ponts qui franchissent les fossés et attaquer le village. Les français résistent farouchement, mais sont repoussés, laissant Aspern aux mains des autrichiens. Pas pour longtemps: à peine ces derniers atteignent-ils l’église, que la brigade Viviez (37e et 67e de ligne) de la division Molitor contre-attaque, forçant les autrichiens à se retirer. Pendant la courte pause qui intervient, Masséna fait installer deux canons à droite du cimetière

Le maréchal Berthier, prince de Neuchâtel et de Wagram (1753-1815) portrait de Chatillon Auguste de, d'après Pajou Augustin - Muzeo
Le maréchal Berthier, prince de Neuchâtel et de Wagram (1753-1815) portrait de Chatillon Auguste de, d’après Pajou Augustin – Muzeo

Il est environ 15h. Le maréchal Berthier monte alors au sommet du clocher de l’église, et peut ainsi observer, l’approche de forces autrichiennes, que son oeil exercé évalue à environ 90 000 hommes.

Il n’a pas tout à fait tort. Ce qu’il voit, ce sont les hommes de Bellegarde: l’avant garde de la division du comte Fresnel, les divisions Vogelsang, Ulm et Nostitz. Venant de Gerarsdorf, et passant par Leopoldau, l’avant garde, commandée par Vecsey (2e bataillon de chasseurs, une compagnie de pionniers, le 10e bataillon d’infanterie Mitromewski, une batterie de 3 de la brigade Winzingerode, 8 escadrons du 5e régiment de chevau-légers de Klenau, 8 escadrons du 4e chevau-légers de Vincent, chacun accompagné de leur batterie montée) atteint Kagran et Hirschstetten à 14h30. Le reste de la colonne Bellegarde suivait à peu de distance. Vecsey se dirige vers Essling, Winzingerode vers Aspern.

Face à se déferlement, Berthier ordonne de mettre en place suffisamment d’artillerie: 16 batteries (division Legrand) sont positionnées à l’est d’Aspern, 12 autres (divisions Espagne et Saint-Sulpice) au milieu du front, vers le ravin.

Les combats à Aspern
Les combats à Aspern

Grâce aux renforts apportés par Bellegarde, Hiller peut ordonner un deuxième assaut contre Aspern: 3 bataillons longent le Danube en direction de Gemeindeau, 3 autres attaquent l’entrée ouest, tandis que Winzingerode lance également deux bataillons sur la partie nord. Mais ces attaques ne sont pas concertées et elles sont un échec coûteux en hommes (près de 700 fantassins de Gyulai sont tués ou blessés). Bellegarde envoie alors la cavalerie de son avant-garde à l’est du village (à sa gauche) pour, avec son artillerie montée, soutenir l’attaque en ce point, et porter assistance aux troupes de la troisième colonne (corps d’Hohenzollern), qui arrivent de Breitenlee. En même temps, le 17e d’infanterie (Reuß-Plauen) de la brigade Henneberg reçoit l’ordre d’attaquer Aspern par l’ouest.

Les combats sont d’une extrême violence. Les autrichiens parviennent une nouvelle fois dans Aspern, mais sont de nouveau rejetés hors du village par les français, conduits personnellement par Masséna. Il est 16h15.

Hiller et Bellegarde organisent alors des renforts, afin de se rendre maître de la position. Le premier rassemble le 1er bataillon du 59e d’infanterie (Jordis), ainsi que le 1er bataillon du 14e d’infanterie (Klebek). S’y joint le 31e d’infanterie (Benjovsky). Bellegarde, de son côté donne l’ordre au 17 e d’infanterie (Reuß-Plauen) d’attaquer par le nord.

Les Autrichiens, malgré la canonnade, parviennent jusqu’au mur du cimetière. On se bat au corps à corps, de maison en maison. Le cercle se fait de plus en plus étroit autour d’Aspern, et sur la droite des français, la troisième colonne autrichienne (Hohenzollern) se fait également menaçante.

Il est près de 17h. Napoléon donne à Bessières l’ordre de faire donner toute la cavalerie sur le centre des autrichiens. Marulaz prend position derrière le ravin. A droite se trouvent les cuirassiers d’Espagne, ceux de Saint-Sulpice sont à gauche. L’attaque a pour direction la Neues Wirtshaus. A la tête des 19 e et 14 e chasseurs à cheval, il a en face de lui le bataillon de chevau-légers O’Reilly. Ceux-ci sont rapidement mis en fuite. Pour éviter la déroute, les autrichiens font intervenir deux régiments d’infanterie (25e: Zedwitz, 54e: Froon). O’Reilly peut se mettre en sécurité, Marulaz est même stoppé. Le 1er régiment de dragons badois est même mis en difficulté, pris sous le feu de notre propre artillerie.

Bessières reçoit de nouveau l’ordre d’attaquer. Cette fois, il fait donner les 7 régiments de cuirassiers dont il dispose à ce moment. Ceux-ci s’avancent et s’arrêtent à moins de 100 mètres de l’infanterie autrichienne. Des officiers la somment de mettre bas les armes. Un feu nourri leur répond, déclenchant la charge des cavaliers français. L’infanterie autrichienne attend sans bouger, avec une étonnante discipline, pour commencer le feu à bout portant. Il s’ensuit une mêlée indescriptible, au cours de laquelle le caporal Prager fait acte d’héroïsme en s’emparant, seul, du chef d’escadron Malton, du 1er cuirassiers. Les français, bientôt, doivent se rendre à l’évidence: ils ne passeront pas, l’attaque n’a pas réussie.

Pendant ce temps (il est maintenant 17 h 30) les 26e et 18e de ligne, conduits par le général Legrand, viennent aider Molitor dans son combat contre les autrichiens de Reuß-Plauen. Bientôt ces derniers reculent, laissant de nouveau l’église et le cimetière aux mains des français. Molitor organise aussitôt le reste de ses forces pour la défense. Il n’est que temps: Hiller ordonne une nouvelle attaque: elle est conduite par quatre compagnies du bataillon Gyulai, qui doivent cependant bientôt reculer. L’archiduc Charles, arrivé sur les lieux, ordonne une nouvelle fois de prendre Aspern « quoi qu’il en coûte ». Bellegarde donne l’ordre à la brigade Wacquant de mener l’attaque. Ce dernier empoigne le drapeau du 1er bataillon (Vogelsang) et s’élance au cri de « Vive l’Empereur (François). La victoire ou la mort ! ». Son cheval tombe sous la mitraille, lui-même est ramené de justesse dans les rangs.

L'archiduc Charles à Aspern
L’archiduc Charles à Aspern

A droite, vers le cimetière, les affaires ne vont guère mieux pour les autrichiens. L’archiduc Charles doit s’engager lui-même au cri de « Pour la Patrie, tous en avant ! » auquel les soldats répondent par « Vive notre Archiduc ». Bientôt, cimetière et église sont en leurs mains, les français abandonnant, non sans lutte, deux drapeaux. Ils ne perdent cependant pas complètement le terrain, se défendant pied à pied, utilisant tous les moyens pour se protéger. La situation pour eux devient cependant dramatique lorsque les 14e (Klebek) et 59e (Jordis) régiments d’infanterie attaquent sur le flanc droit des français, alors que par le nord se présentent le 36e (Kolowrat) et le 35e (Argenteau) régiments d’infanterie. La pression est trop forte: les troupes de Legrand doivent reculer. Ce recul surprend un moment Napoléon, qui manque d’être fait prisonnier à la Maison des Chasseurs, et doit se réfugier à la Tuilerie, d’où il ordonne bientôt la reconquête d’Aspern.

Il est maintenant 18h30. Une première contre-attaque, menée par les 2e et 46e de ligne, ainsi que le 24e d’infanterie légère, réussi un moment, mais les Autrichiens se ressaisissent, et les Français ne peuvent ré-occuper qu’une petite partie du village. La situation pour eux devient critique, d’autant que les renforts passent difficilement sur la rive gauche, les ponts étant quelque fois recouverts d’eau. A 19h00, Napoléon n’a à sa disposition, sur la rive gauche, pas plus de 24 000 fantassins, 8 000 cavaliers et 72 canons.

De nouveau, la cavalerie française essaye d’enfoncer le centre autrichien, en particulier pour faire taire l’artillerie qui y est installée. Là aussi, les cavaliers s’affrontent au corps à corps. Marulaz manque d’être fait prisonnier, le général Ransonnet est tué. Seule la nuit sépare les combattants.

A Aspern, attaques et contre-attaques vont également continuer jusqu’à la nuit, sans qu’un résultat définitif soit atteint, d’un coté où de l’autre. De son quartier général à Breitenlee (no 4), l’archiduc Charles donne l’ordre de rester sur les positions pour la nuit.

L’armée restera cette nuit sur les positions conquises ce soir. A l’aube chacun devra reprendre les armes. Les sentinelles nécessaires à la sécurité seront maintenues. Les munitions, dont une grande partie se trouve à Breitenlee, seront renforcées. Messieurs les commandants de corps vérifieront, au moyen de patrouilles, si l’ennemi tout entier est repassé dans la Lobau. Ils feront tout leur possible pour rassembler de la nourriture pour les troupes et pour faire transporter les blessés.

La cavalerie restera attelée durant la nuit et nourrie si nécessaire; l’infanterie restera groupée et gardera les gibernes. Je serais demain, à l’aube, avec la deuxième colonne, derrière Aspern et donnerait de là les derniers ordres. L’ensemble des généraux et officiers d’état-major doivent rester cette nuit près de leurs troupes.

J’établi ce soir mon quartier-général à Breitenlee (4) où les rapports doivent m’être adressés.

Archiduc Charles

 

22 mai 1809

La nuit a été courte.

Marbot:

« Autant mes camarades et moi avions été gais la nuit précédente, autant nous fûmes tristes pendant celle du 21 au 22…Nous fûmes sur pied toute la nuit, pour faire passer le Danube au corps du maréchal Lannes »

Napoléon, qui a maintenant deux fois plus de troupes que la veille, décide de prendre l’offensive. Dès les premières lueurs, vers 4 heures, Masséna forme deux colonnes d’attaque (composées essentiellement des 18e et 4e de ligne), pour définitivement s’emparer d’Aspern. Le résistance autrichienne, sous les ordres de Wacquant, est si forte, qu’elles doivent reculer. Pourtant, ce dernier hésite, marque le pas, demande du renfort à Hiller. L’archiduc Charles, qui est présent sur les lieux, ordonne de tout entreprendre pour reprendre les positions autour de l’église.

Masséna, malgré l’échec de la première attaque, se relance à l’assaut. Celui-ci, mené baïonnette au canon, est couronné de succès: les autrichiens battent bientôt en retraite, perdant 9 officiers, 800 hommes et six canons. A 6 heures, Bianchi ordonne au 14e régiment d’infanterie (Klebek) de s’interposer: peine perdue. A 7 heures, enfin, Aspern est entre les mains des français.

Napoléon voit se développer la situation qu’il avait envisagée, et qui demande maintenant de lancer son armée sur le centre autrichien.

Mais l’archiduc Charles ne reste pas inactif. Il ordonne à l’artillerie des 6e et 1er corps de diriger ses tirs sur l’église et le cimetière. En même temps, les régiments d’infanterie 51 (Splenyi) et 14 (Klebek) se lancent à l’attaque de ces deux positions. De nouveau Aspern est pris et repris tour à tour par les Autrichiens et les Français. On en vient presque aux mains, attaquants et défenseurs se battant avec tous les moyens dont ils disposent, y compris des pierres et des tuiles ! Une pluie d’obus ranime les incendies et des nuages de fumées se répandent sur tout le village, rendant l’air irrespirable. Masséna, devant le danger croissant, fait intervenir les Hessois de la réserve.

Pourtant, les Autrichiens vont s’emparer finalement de la position, au cours d’une violente contre-attaque, menée entre 10 et 11 heures, au cours de laquelle le caporal Pokuras et les soldats Farkas et Szurd se couvrent de gloire. Le mur du cimetière est abattu et ce qui reste de l’église incendié, pour enlever aux Français toute possibilité ultérieure de retranchement.

Une contre-attaque de la Jeune Garde fait un moment illusion, finalement, à une heure de l’après midi, les Autrichiens sont maîtres du terrain. Mais les Français vont continuer à s’opposer, avec succès, à l’avance des troupes d’Hiller.

A ce moment, il n’est pourtant plus question de vaincre, mais de survivre. Les ponts sur le Danube sont devenus incertains, après avoir été endommagés et réparés plusieurs fois de suite. C’est l’heure du repli sur la Lobau.

Boulart:

« Les attaques réitérées et acharnées des ennemis avaient échoué partout devant la bravoure et le dévouement si glorieux des français; notre honneur était sauf et l’avortement des projets de l’archiduc était presque l’équivalent d’une défaite. Je repassai le pont vers dix heures du soir et le reste de l’armée le repassa pendant la nuit, après quoi on le replia »