Charles Maurice de Talleyrand Périgord (1754-1838)

Pierre Combaluzier

 » Tu es le fils de ton époque plus que le fils de ton père « 

 

L’ENFANCE

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord naît à Paris le 2 février 1754.

Prétendant descendre d’Adalbert, comte de Périgord et vassal d’Hugues Capet en l’an 990, il est issu d’une famille de haute noblesse attestée par Lettres Patentes Royales de 1613 et 1735. Ses parents occupent des charges importantes à la Cour de Louis XV.

Victime d’une maladie génétique, le syndrome de Marfan, et non d’une chute accidentelle comme le veut la légende véhiculée par Talleyrand lui-même, il est pied-bot.

De cette infirmité dépendra son destin.

Charles-Maurice est déchu par ses parents de son droit d’aînesse. Ainsi il perd le titre, la majeure partie des biens et la possibilité de transmettre à ses enfants le patrimoine de la famille. En un mot c’est un déclassé. On comprend pourquoi Talleyrand lira à la tribune de l’Assemblée, le jour de la mort de Mirabeau, le discours de ce dernier sur l’égalité des partages dans les successions en ligne directe impliquant la suppression du droit d’aînesse.

TALLEYRAND ET L’EGLISE

Dès l’âge de 15 ans en 1769, on le pousse vers la prêtrise et l’année suivante, il entre au Séminaire de Saint-Sulpice où il montre bien peu d’empressement. Il y affiche une liaison avec une actrice de la Comédie Française.

En 1774 Talleyrand reçoit les Ordres Mineurs. L’année suivante, Charles-Maurice assiste au sacre de Louis XVI où son oncle est coadjuteur de l’archevêque officiant.

Ses études en Sorbonne où il obtient sa licence de théologie grâce à son nom plus qu’à son travail l’amènent à être ordonné prêtre à 25 ans en 1779.

En 1780 Talleyrand est nommé Agent Général du Clergé et, en sa qualité de secrétaire, est chargé, en 1785, de défendre les privilèges fiscaux de l’Eglise face aux besoins d’argent de Louis XVI.

De 1783 à 1792 Talleyrand a pour maîtresse la Comtesse Adelaïde de Flahaut. Le couple a un enfant, né en 1785, prénommé Charles, comme son père naturel. Ce Charles de Flahaut deviendra plus tard l’amant de la Reine Hortense et le père du Duc de Morny, demi-frère de Napoléon III.

 

Charles-Maurice de Talleyrand Périgord

LES ANNEES REVOLUTIONNAIRES

En 1788, à la veille de la Révolution, l’abbé de Périgord, suite à la supplique auprès de Louis XVI de son père mourant, est nommé évêque d’Autun par le Roi. Charles-Maurice restera un peu plus de trois semaines à Autun, le temps d’être élu député du Clergé aux Etats-Généraux.

Le 14 juillet 1789, l’évêque d’Autun est nommé membre du Comité de Constitution de l’Assemblée Nationale où il joue un rôle important multipliant les motions. Talleyrand sera l’un des signataires de la Constitution Française décrétée par l’Assemblée Nationale, acceptée par le Roi le 14 septembre 1791.

Le 14 juillet 1790, sur le Champs de Mars, Charles-Maurice célèbre la messe lors de la Fête de la Fédération commémorant l’anniversaire de la prise de la Bastille.

En 1790 également, notre évêque est l’un des acteurs majeurs de la confiscation des biens de l’Eglise par la Révolution. Il prête serment à la Constitution Civile du Clergé et bien qu’ayant démissionné de l’évêché d’Autun le 13 janvier 1791, il sacre en février les deux premiers évêques constitutionnels qu’on appellera les évêques talleyrandistes.

En 1792 l’ex-évêque est envoyé en mission diplomatique à Londres, chargé d’expliquer la politique française et de tempérer les inquiétudes de la monarchie anglaise.

 

L’EXIL

Revenu en France en juillet, il réussit à repartir en Angleterre muni d’un passeport signé par Danton en septembre car il pressent la venue de la Terreur. Peu de temps après Talleyrand est mis en accusation par la Convention et un décret d’arrestation est délivré. Grâce au passeport de Danton, il pourra à son retour prétendre qu’il n’a pas émigré.

En 1794 Charles-Maurice est expulsé d’Angleterre et part aux Etats-Unis d’Amérique où il sera prospecteur immobilier dans les forêts du Massachusetts et courtier en marchandises. A son retour en 1796, suite à la levée du décret d’accusation de la Convention, il en tirera un  » Essai sur les Avantages à retirer des colonies nouvelles  » faisant suite à un  » Mémoire sur les relations commerciales des Etats-Unis avec l’Angleterre « .

 

LE DIRECTOIRE

En 1797 grâce aux bons soins de Madame de Staël auprès de Barras, Talleyrand est nommé Ministre des Relations Extérieures du Directoire en remplacement de Charles Delacroix. Notre ex-évêque fut-il l’amant de Madame Delacroix et le père d’Eugène Delacroix, le célèbre peintre ? Cette paternité est contestée par certains historiens, retenue par d’autres à cause d’une certaine ressemblance. Talleyrand rencontre Bonaparte, revenu vainqueur de la campagne d’Italie et le projette sur la scène publique grâce à une réception dans les salons de l’hôtel de Gallifet, siège du Ministère, sonnant ainsi le début de la chute du Directoire. Il démissionne du ministère en juillet 1799.

 

L’ENVOL DE BONAPARTE ET LE CONSULAT

Talleyrand a une grande influence dans la réussite du coup d’état du 18 Brumaire en guidant les pas de Bonaparte, après l’échec de l’expédition d’Egypte dont il fut l’un des instigateurs. Ce fut Talleyrand qui fit démissionner Barras de son poste de Directeur et qui garda les trois millions de livres destinées à Barras pour le persuader de quitter le pouvoir sans résister. Charles-Maurice retrouvera ainsi son poste de Ministre des Relations Extérieures sous le Consulat.

Bonaparte, nommé Premier Consul, dirige en fait la politique extérieure de la France et ne laisse guère d’initiatives à Talleyrand. Le traité de Mortefontaine, les négociations ( 1800 ) puis le Traité de Lunéville ( 1801 ) sont réalisés sans son intervention. Charles-Maurice, ébloui par le Premier Consul, le laisse faire et approuve même avec flagornerie des erreurs flagrantes.

Sur le plan personnel, en 1801, apparaît au grand jour dans la vie de Talleyrand Madame Grand, née Worlée, qui deviendra l’année suivante Madame de Talleyrand-Périgord. Charles-Maurice connaît cette jolie française, née aux Indes, depuis 1798. Ce mariage pose une énigme aux historiens : Pourquoi Talleyrand se marie-t-il avec Catherine Grand sur l’injonction du Premier Consul qui somme son ministre de l’épouser ou de la quitter ? car les contemporains sont généralement féroces au sujet de la belle Catherine  » C’est la Belle et la Bête réunies en une seule personne « .

En 1803 on voit surgir auprès de Talleyrand Charlotte une petite fille de cinq ans née de parents inconnus. Talleyrand l’adore, lui donne la meilleure éducation et la dotera en lui faisant faire un bon mariage. Charlotte est peut-être la fille que Charles-Maurice eut avec sa femme en 1798 lors de leur liaison ininterrompue. La loi interdisait à l’époque de reconnaître les enfants nés hors mariage. Charlotte fut-elle une des raisons du mariage de Talleyrand ? C’est possible.

En 1803 également, Talleyrand achète, sur ordre du Premier Consul et avec son aide financière, le château de Valençay, un des plus grands domaines privés de France – 12 000 hectares de terres -. A partir de 1803, il prit l’habitude d’y venir périodiquement, soit avant, soit après sa cure thermale à Bourbon-l’Archambault. Talleyrand s’occupa du domaine et du chef-lieu qui prospéra jusqu’à sa mort en 1838.

Le château de Valençay

L’AFFAIRE DU DUC D’ENGHIEN

Arrive 1804. Le 9 mars Cadoudal, le chef chouan, est arrêté à Paris. Les complots royalistes se multiplient.

Le duc d’Enghien est arrêté dans la nuit du 14 au 15 mars à Ettenheim sur le territoire de Bade par le général Ordener et conduit à Strasbourg puis transféré à Paris. Le 20 mars il est jugé, condamné à mort et exécuté dans les fossés de Vincennes par Savary. Cet enlèvement en terre étrangère et cet assassinat sont l’œuvre de Talleyrand. C’est lui qui en est l’instigateur même si c’est Napoléon qui ordonne.

Comme le dit Jean Orieux, l’ex-évêque d’Autun a voulu  » mettre entre les Bourbons et Napoléon un fleuve de sang  » car il voulait éviter un rapprochement entre le Premier Consul et le futur Louis XVIII, rapprochement qui lui aurait été hautement préjudiciable. C’est donc par intérêt personnel que Talleyrand glissa dans le sang du dernier des Condés. C’est durant l’ensemble de sa carrière sa Faute. Le reste est accessoire. S’il y a un fait à reprocher à Charles-Maurice, ce ne sont pas ses trahisons, ses rapports avec l’argent ou les femmes, c’est bien son rôle dans l’assassinat du duc d’Enghien.

 

L’EMPIRE

Le 11 juillet 1804, Talleyrand est nommé Grand Chambellan.

Talleyrand en habit de Grand-Chambellan – Pierre-Paul Prud’hon – Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Le 2 décembre 1804, Charles-Maurice assiste au sacre de Napoléon, quelque mois après la promulgation de la Constitution de l’an XII créant l’Empire.

En 1805 Talleyrand est au comble de la faveur; il recueille les fruits de sa soumission mais la guerre reprend avec l’Autriche. C’est l’écrasante victoire d’Ulm suivie deux jours plus tard du désastre de Trafalgar compensé par Austerlitz le 2 décembre. Charles-Maurice recherche les moyens d’une paix honorable avec l’Autriche et la Russie mais l’Empereur ne l’écoute pas. Talleyrand signe à contrecœur le Traité de Presbourg.

En 1806 Charles-Maurice est nommé prince de Bénévent, petite principauté prise au Pape. Le 12 juillet, le Prince de Bénévent signe à Paris le traité constituant la Confédération des Etats du Rhin. Talleyrand s’oppose de plus en plus à Napoléon. Son amitié avec Dalberg, espion notoire, fait qu’il communique des renseignements à Alexandre 1er, Tsar de toutes les Russies, par l’intermédiaire de Dalberg. Le Prince de Bénévent réprouve la nouvelle guerre contre la Prusse bien qu’il continue de flatter Napoléon. On peut considérer que depuis Presbourg il porte un masque.

Suite à la bataille d’Iéna et la prise de Berlin, le Blocus Continental est mis en œuvre ; blocus qui appauvrit l’Europe et précipitera un peu plus tard des pays tiers comme l’Espagne dans la guerre. Guerre d’Espagne qui sera le  » commencement de la fin « .

 

LA RUPTURE

En 1807 le Prince de Bénévent, résidant à Varsovie depuis décembre, signe à Tilsitt le traité avec la Russie et la Prusse après la prise de Varsovie et la sanglante bataille d’Eylau. En juillet, Napoléon quitte Tilsitt et rentre en France, préoccupé par l’Affaire d’Espagne. Le prince de Bénévent le suit en s’arrêtant à Dresde chez Frédéric-Auguste, roi de Saxe. C’est probablement là qu’il prît la décision de quitter son poste de Ministre des Relations Extérieures. Comme le dit Emile Dard  » On ne peut pas lui faire le reproche d’avoir abandonné l’Empereur dans sa chute, il s’est séparé de lui en pleine gloire « . Charles-Maurice sait qu’il n’a plus d’influence sur Napoléon qui conduit la France dans une dictature militaire qui va échouer. Il se fait nommer Vice Grand Electeur et justifie ainsi son départ du ministère ; cette charge étant incompatible avec un poste de ministre.

 

L’AFFAIRE D’ESPAGNE – LES PRINCES D’ESPAGNE A VALENCAY

En 1808 les troupes françaises entrent en Espagne et occupent le pays après bien des difficultés. Joseph Bonaparte ceint la couronne espagnole. La guérilla fait rage depuis que les Princes d’Espagne ont été capturés à Bayonne grâce à une ruse de Napoléon. Celui-ci ordonne, dans des termes peu flatteurs, que les Princes d’Espagne soient placés en résidence surveillée au château de Valençay et que Talleyrand leur serve de  » geôlier « . Charles-Maurice acquiesce mais sous son masque toujours impassible, la révolte gronde. Le prince de Bénévent quitte Valençay pour Erfurt et ne reverra son château qu’en 1816. Durant cette période, bien des événements auront changé la face du monde.

LA CONFERENCE D’ERFURT

Le 27 septembre 1808 s’ouvre la Conférence d’Erfurt avec la rencontre de Napoléon et d’Alexandre 1er. Il s’agit, pour l’Empereur, d’empêcher une alliance entre la Russie et l’Autriche en renforçant le traité de Tilsitt. En effet, occupé par la guerre d’Espagne, Napoléon ne peut se permettre une coalition austro-russe c’est à dire l’ouverture d’un second front. François II, Empereur d’Autriche, est au plus mal avec la France et le plan de Napoléon est une alliance avec la Russie pour se partager l’Autriche. Le Corse charge Talleyrand de convaincre le Tsar par de nombreux entretiens de s’allier avec lui mais le Prince de Bénévent est pour l’Autriche et fait tout pour rapprocher Alexandre 1er de François II. Il y réussit.

L’entrevue d’Erfurt (Nicolas Grosse) – Talleyrand est juste au centre

Pour Napoléon la conférence d’Erfurt fut un échec ; il n’obtint rien du Tsar à cause de Talleyrand. Le 14 octobre 1808 fin de la conférence ; toute l’Europe savait qu’elle avait un allié en la personne de Talleyrand au sein même de l’entourage de l’Empereur. Ainsi commença le torpillage de l’Empire.

 

LA  » SCENE  » DU 28 JANVIER 1809

Au retour d’Erfurt Talleyrand rencontre plusieurs fois Fouché, ministre de la Police. Les deux hommes se détestent. Le Prince de Bénévent ne peut supporter cet ex-oratorien, conventionnel régicide et auteur des massacres de Lyon. Tout les oppose, leur façon de penser, d’agir. Ils viennent de deux mondes différents, mais les événements vont se charger de les rapprocher. Ils vont jusqu’à envisager un assassinat de Napoléon.

Le 20 décembre 1808 Talleyrand donne une grande réception. Fouché y est l’invité d’honneur. Toute l’Europe comprend que les deux hommes s’unissent contre l’Empereur. Celui-ci, informé, rentre précipitamment d’Espagne et convoque, le 28 janvier 1809 à l’aube, un conseil restreint. Talleyrand y est présent.

Napoléon accuse le Prince de Bénévent de trahison et l’insulte grossièrement ; c’est le fameux mot  » Vous êtes de la merde dans un bas de soie « . Il se contentera de le destituer de sa place de Grand Chambellan, lui retirant ainsi le privilège d’entrer à toute heure dans son Cabinet.

Talleyrand se met alors ouvertement au service de l’Autriche.

 

TALLEYRAND ATTEND SON HEURE

En 1810 Joséphine de Beauharnais ne pouvant plus avoir d’enfant est répudiée par l’Empereur. Le Prince de Bénévent fait approuver le mariage de Napoléon avec l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche mais ne rentre pas en grâce. Talleyrand se trouve confronté à de grandes difficultés financières et demande des subsides à Alexandre 1er qui refuse. Charles-Maurice doit vendre sa bibliothèque une nouvelle fois.

Le temps s’écoule. Les vexations de l’Empereur continuent suivies de tentatives de rapprochement.

1812 est l’année de la campagne de Russie qui s’achève par la funeste Retraite.

1813 : fin de la Guerre d’Espagne. Par le traité de Valençay du 11 décembre 1813, les Princes d’Espagne recouvrent la liberté. Talleyrand refuse de reprendre le Ministère des Relations Extérieures.

Cette offre de Napoléon montre l’estime et la reconnaissance de l’Empereur pour les capacités diplomatiques de Talleyrand malgré les  » trahisons  » de ce dernier.

 

1814 : L’ANNEE DE LA FIN

Le 10 janvier 1814 Napoléon fait une nouvelle scène au Prince de Bénévent lui reprochant les propos qu’il tient dans les salons ; ce qui n’empêche pas l’Empereur de lui proposer les pleins pouvoirs pour traiter avec les Alliés. Charles-Maurice se rapproche des Bourbons et devient le conseiller du futur Louis XVIII.

Mars 1814 les armées ennemies sont aux portes de Paris ; le 29 l’Impératrice et le Roi de Rome quittent la capitale. Le 31 les Alliés y entrent. Talleyrand reçoit le Tsar Alexandre 1er dans son hôtel de la rue Saint Florentin et fait monter Louis XVIII sur le trône.

 

TALLEYRAND GOUVERNE MALGRE LOUIS XVIII

Le 1er avril 1814 le Prince de Bénévent est élu par le Sénat Président du Gouvernement Provisoire. Le 10 avril, le Prince de Bénévent met au point la Charte Constitutionnelle qui sera acceptée par le Roi malgré les réticences de celui-ci. Charles-Maurice rencontre Louis XVIII à son retour de Gand. Le contact est assez froid ; l’entourage du Roi est très hostile envers l’ex-évêque.

Le 23 avril une convention d’armistice est signée entre la France et les Alliés. Le pays retrouve ses frontières de 1792. Le 13 mai, Talleyrand est nommé Ministre des Affaires Etrangères pour la troisième fois depuis la Révolution.

Le 30 mai le Traité de Paris met fin officiellement à la guerre. Deux mois après doit s’ouvrir à Vienne les négociations pour reconstruire l’Europe sur les décombres de l’Empire.

Louis XVIII (François Gérard)

Le 4 juin, Charles-Maurice reçoit le titre de Prince de Talleyrand et est nommé Pair de France.

 

TALLEYRAND SAUVE LA FRANCE AU CONGRES DE VIENNE

Le Prince de Talleyrand part pour Vienne le 16 septembre 1814. La position de la France est très délicate. Elle n’est pas admise à la table des négociations. Grâce à son entregent, Talleyrand réussit à s’y faire accepter. A Vienne le Prince de Talleyrand est accompagné par Dorothée de Courlande, épouse de son neveu Edmond de Périgord. Dorothée restera auprès du Prince jusqu’à la mort de celui-ci en tant que maîtresse et intendante de sa maison. Dorothée donnera plus tard naissance à une fille prénommée Pauline, dont Talleyrand s’occupera comme un père; paternité qui lui sera attribuée par certains, sans véritable preuve.

Le congrès de Vienne (Isabey)

La Prusse et la Russie veulent dépecer l’Europe en annexant la Saxe et la Pologne. Le projet échoue suite à l’opposition de Metternich et de Charles-Maurice. Talleyrand fait si bien que l’Angleterre, la France et l’Autriche signent en grand secret, le 3 janvier 1815, un traité d’alliance contre la Prusse et la Russie ; mais Londres permet à la Prusse d’annexer la Rhénanie ce qui met les Prussiens à 220 kilomètres de Paris.

Le 26 Février 1815 Napoléon quitte l’île d’Elbe sur l’Inconstant avec 900 hommes : direction la France. Cette  » évasion  » s’effectue avec la complicité probable, mais non prouvée, de l’Angleterre.

Le 4 juin Bénévent est rendue au Saint-Siège.

Le 9 juin Talleyrand signe l’acte final du Congrès de Vienne. Le 18, c’est Waterloo et la fin des Cent-Jours.

LA SECONDE RESTAURATION

A Paris, que Napoléon quitte le 29 juin, la colère gronde ; il y a risque d’émeutes et de guerre civile.

Le 9 juillet le Prince de Talleyrand est nommé Président du Conseil des Ministres et ministre des Affaires Etrangères. Il nomme Fouché ministre de la Police pour maintenir l’ordre dans Paris.

Mais la situation s’envenime en France; les ultraroyalistes font régner la Terreur Blanche en province, les armées d’occupation se livrent à de nombreuses exactions. Le ministère Talleyrand se fait remarquer par son peu d’empressement aux Affaires. Les exigences des Alliés sont énormes; ils veulent faire payer à la France son soutien à Napoléon pendant les Cent-Jours. Le 24 septembre Talleyrand, impuissant, refusant de négocier sur les bases imposées par les Alliés, est forcé de démissionner par Louis XVIII qui le nomme Grand Chambellan. Il ne signe donc pas le second Traité de Paris.

LA RETRAITE POLITIQUE DU PRINCE DE TALLEYRAND

Richelieu remplace Talleyrand comme Président du Conseil des Ministres.

Amer, Charles-Maurice prend plusieurs fois la parole à la Chambre des Pairs pour critiquer le gouvernement. Il assiste en tant que Grand Chambellan au mariage du Duc de Berry second prétendant au trône de France, assassiné quelques années plus tard.

En 1816 Talleyrand se sépare de sa femme en l’exilant provisoirement à Londres. Continuant à médire de Richelieu, en particulier lors d’une soirée à l’ambassade d’Angleterre, Louis XVIII lui interdit de paraître aux Tuileries pendant une longue période.

Le 31 août 1817, Talleyrand est élevé à la dignité de duc et le 2 décembre suivant, Ferdinand, roi de Naples, lui octroie le titre de duc de Dino, immédiatement transmissible à son neveu Edmond ce qui fait que Dorothée devient duchesse de Dino. C’est sous ce nom qu’elle rentrera dans l’Histoire.

La duchesse de Dino. François Guizot.

Les années passent. A chaque changement de ministère, Talleyrand espère en vain rentrer en grâce. La Cour ultraroyaliste ne veut en aucun cas de lui.

Le 24 juillet 1821 Talleyrand fait l’éloge de la liberté de la presse du haut de la tribune de la Chambre des Pairs et s’oppose à la censure.

En 1823 Savary, Duc de Rovigo et ancien ministre de la Police de Napoléon, publie une plaquette mettant en cause Talleyrand dans l’assassinat du duc d’Enghien, mais suite à l’intervention de Louis XVIII, Charles-Maurice n’est pas inquiété.

En septembre 1824 Louis XVIII meurt. Charles X le remplace et est sacré le 29 mai 1825 à Reims. La situation pour Talleyrand ne s’améliore pas. Les séjours à Valençay et Bourbon-l’Archambault se succèdent. De nombreux deuils viennent frapper l’entourage du Prince.

Charles X est sous la coupe des ultras. Le ministère Villèle multiplie les mesures réactionnaires : lois du sacrilège, milliard des émigrés, tentative du rétablissement du droit d’aînesse. Le ministère Martignac tente une politique plus libérale mais il est remplacé en 1829 par le ministère Polignac : triomphe des ultras. Le gouvernement est très impopulaire.

LA REVOLUTION DE JUILLET 1830

Les libéraux se tournent vers le duc d’Orléans. Charles X , mal conseillé par Polignac, commet l’erreur de publier les 4 Ordonnances Royales qui vont déclencher l’insurrection des 27, 28 et 29 juillet. Ce sont les  » 3 Glorieuses « . Paris se soulève. Les insurgés gagnent la partie. Charles X part pour l’Angleterre. Louis-Philippe prend le pouvoir du balcon de l’Hôtel de Ville en brandissant le drapeau tricolore sous les acclamations de la foule. Il devient ainsi le  » Roi des Français  » et adopte une Charte plus libérale.

LE PRINCE DE TALLEYRAND SORT DE SA RETRAITE ET RETOURNE A LONDRES

L’insurrection dans les rues de Paris rappelle de mauvais souvenirs aux capitales européennes inquiètes de voir les libéraux prendre le pouvoir par les armes. Louis-Philippe, très intelligemment, parvient à convaincre le Prince de Talleyrand, âgé de 76 ans, d’accepter le poste d’Ambassadeur à Londres. Cette nomination rassure les capitales au moment où les Belges se révoltent contre les Hollandais en réclamant leur indépendance.

Le 25 septembre 1830 le Prince de Talleyrand part pour Londres où il est accueilli très favorablement par la Cour d’Angleterre.

TALLEYRAND ET L’INDEPENDANCE DE LA BELGIQUE

La Belgique, depuis le Congrès de Vienne, se trouve sous la domination de la Hollande. L’indépendance belge détruisait l’équilibre construit lors du Congrès de 1815 et inquiétait la Prusse et l’Angleterre qui redoutaient une annexion de la Belgique par la France, annexion souhaitée par une partie des Belges.

Talleyrand convainquit Wellington de la non-intervention de la France. Ils mirent sur pied la Conférence de Londres chargée de résoudre le problème belge. La conférence s’ouvrit le 4 novembre 1830 par la cessation des hostilités entre l’armée hollandaise et les insurgés. C’est reconnaître de fait la Belgique comme état indépendant.

Le Prince Léopold de Saxe-Cobourg fut élu Roi des Belges par le Congrès le 4 juin 1831 et après quelques difficultés le traité ratifiant l’indépendance fut signé le 15 novembre 1831; le Roi de Hollande Guillaume 1er finissant par évacuer Anvers le 23 décembre 1832.

Talleyrand travaille à rapprocher étroitement l’Angleterre de la France jusqu’à la fin de son ambassade en août 1834 par la signature du traité de la Quadruple Alliance entre l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre et la France le 22 avril 1834.

Talleyrand à la fin de sa vie

TALLEYRAND QUITTE DEFINITIVEMENT LA SCENE POLITIQUE

Talleyrand, rentré en France, est accablé d’injures par les légitimistes et les républicains alors que pendant 4 ans, à Londres, son action a renforcé la position de la France en obtenant l’appui de l’Angleterre et en affaiblissant la Sainte-Alliance entre la Prusse, l’Autriche et la Russie. Il conserve la confiance de Louis-Philippe.

Talleyrand se retire à Valençay, accompagné par la Duchesse de Dino. Les dernières années s’écoulent au milieu de ses terres et des 10 000 ouvrages de sa bibliothèque. Il finit la rédaction de ses Mémoires et chaque hiver le voit revenir dans son hôtel de la rue Saint-Florentin.

La Princesse de Talleyrand meurt à Paris le 10 décembre 1835. Talleyrand n’est plus marié !

LA CONVERSION ET LA MORT DU PRINCE DUC DE TALLEYRAND

En 1837 Talleyrand rédige un nouveau testament et quitte définitivement Valençay à l’automne.

Le 3 Mars 1838, le Prince de Talleyrand fait une dernière apparition publique en prononçant à l’Institut royal de France, l’éloge du Comte de Reinhard.

Pour Charles-Maurice, il s’agit de finir honorablement sa longue vie. Il lui reste à régler son contentieux avec l’Eglise. Evêque apostat aux yeux de Rome, s’il ne fait pas amende honorable Talleyrand ne pourra avoir un enterrement religieux.

Sa nièce Dorothée met tout en œuvre avec Monseigneur de Quélen et l’abbé Dupanloup pour obtenir du Prince une lettre de rétractation publique où il reconnaîtra ses erreurs passées. Les deux derniers mois de sa vie sont occupés par des tractations sur le contenu et la mise au point de cette missive, dernier acte de la vie de Talleyrand.

Le 17 mai 1838, il est à l’agonie. A 6 heures du matin, Talleyrand signe enfin sa lettre de rétractation, accompagnée d’une lettre au pape Grégoire XVI. A 8 heures, Louis-Philippe, accompagné de sa sœur Madame Adélaïde, vient lui rendre visite pour un dernier adieu. Le Roi savait qu’il devait son trône au Prince et lui rendit ainsi le plus bel hommage. En fin de matinée, l’abbé Dupanloup reçoit sa confession. Talleyrand s’éteint à 3 heures 35 de l’après-midi, ce même jour.

Le 22 mai des funérailles officielles et religieuses lui sont rendues. Le 5 septembre, l’enterrement a lieu à Valençay dans une chapelle à proximité du château.

 

CONCLUSION

Ainsi se termine la vie du plus illustre des diplomates que la France ait jamais connu. Cet homme, qui n’a jamais cessé d’alimenter la haine et les controverses, passa son existence à aimer la France, à la défendre de toutes ses forces dans la période la plus troublée de son histoire. Européen avant l’heure, souhaitant développer le commerce, la paix et l’instruction, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, attaché aux mœurs de l’Ancien Régime, a été en fait un homme moderne toujours tourné vers l’Avenir. C’est là la moindre de ses contradictions.

 

Cette biographie succincte doit beaucoup au livre TALLEYRAND de Jean ORIEUX – Flammarion – 1970 dont je recommande la lecture.

Remerciements à Messieurs André BEAU et Philippe MAILLARD pour leurs précieux conseils.