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Charles-François Lebrun (1739-1824)

Charles-François Lebrun naît le 19 mars 1739, dans le petit village de la Bouchelière, tout près de Saint-Sauveur-Lendelin, qui fait partie du diocèse de Coutances. Il est le quatrième enfant de Paul Le Brun, propriétaire exploitant, et de Louise le Cronier (quatre autres suivront dans la famille).

Maison natale de Lebrun
Maison natale de Lebrun

Il passe ses premières années dans la maison familiale, un abbé et une parente lui donnant, comme aux autres, les premiers rudiments d’éducation, avant qu’il ne soit envoyé, d’abord au (déjà) célèbre collège de Coutances, puis au collège des Grassins, à Paris, qui accueille nombre de jeunes gens des diocèse de Coutances et d’Avranches. Il fait là des progrès considérables, parlant, à l’âge de vingt ans, couramment le latin et le grec, mais aussi l’anglais, l’espagnol et l’italien ! Puis il fait « sa philosophie » au Collège de Navarre.

Ayant appris à connaître l’œuvre de Montesquieu, il décide d’aller en Angleterre étudier la constitution britannique, et entreprend pour ce faire un long voyage qui le mène en Belgique, en Hollande, s’arrêtant à Liège, Louvain, Bruxelles, Anvers (ce sont alors les Pays-Bas autrichiens), puis Delft, Harlem, Leyde, La Haye, Amsterdam (Provinces Unies), cherchant partout le contact avec les érudits et étudiants locaux.

Il débarque finalement en Angleterre, en 1762, où, en particulier, il assiste aux délibérations de parlement, et apprécie le fonctionnement de la monarchie constitutionnelle,  système dont il rêvera toujours pour la France.

 

Au service du roi

Il rentre peu après en France pour y continuer des études de droit. Il est bientôt présenté au premier Président du Parlement de Paris, René-Nicolas de Maupeou. Celui-ci l’engage comme précepteur de son fils. Comme il est, en 1768, nommé Chancelier, ce qui permet à Lebrun de jouer rapidement un rôle important dans la Chancellerie.

Mais la protection de Maupeou a déjà porté ses fruits. En 1765, Lebrun avait été nommé Censeur du Roi, poste associé avec de gros revenus. Trois années plus tard, c’est l’octroi f’un office de Payeur des rentes, qu’il finance grâce à un prêt du Chancelier.

Son rôle, sa notoriété, son influence ne vont pas cesser de progresser, à un point tel qu’on le surnomme « le petit chancelier », qui aura son apogée au moment de la « Révolution Maupeou », jusqu’à la disgrâce de ce dernier, après la mort de louis XV et l’avènement du jeune (il a 20 ans) Louis XVI. Lebrun suit honnêtement son protecteur dans sa disgrâce et sa retraite. Mais on lui laisse ses revenus.

Il vient d’épouser la fille d’une famille de gens de robe, une demoiselle Delagoutte. Il se lance dans l’écriture : il publie La Jérusalem délivrée, que le jeune Bonaparte lira un jour, à Brienne !

En 1779, il achète la terre de Grillon, près de Dourdan. Même s’il a aussi une habitation à Paris, rue de Vaugirard, il reste souvent à Dourdan, y vivant une existence proche des principes de Jean-Jacques Rousseau.

 

La Révolution

Lorsque les idées neuves commencent à bouillonner, Lebrun publie, en 1789, « La voix du Citoyen », particulièrement prémonitoire des évènements qui vont marquer le prochain quart de siècle.

Il nous faut une constitution nouvelle ; le vœu public l’appelle, l’intérêt de la nation la demande, le souverain l’a promise, et nous en sommes venus au point qu’il n’y a plus pour nous de milieu entre être libres ou cesser de l’être. C’est avec les éléments d’une monarchie qu’il faut l’élever cette constitution…

Mais si l’un des ordres s’opposait à cette égalité des contributions…. si cependant un esprit de vertige égarait la raison, si un vil intérêt, un intérêt aveugle dans ses calculs, corrompait les âmes les plus pures ? Alors, libres comme les autres ordres, vous vous refuseriez à un fardeau qu’ils ne voudraient plus partager. Alors plus de puissance publique ; plus de nœud social ; plus de nation ou, si vous pouviez l’être encore, vous seriez la dernière de toutes…

A la vue de ces biens brisés, au craquement de cet empire prêt à s’écrouler, tremblans pour nos propriétés, pour nous-mêmes, pour notre postérité, nous invoquerions, d’une commune voix, la loi fondamentale de toutes les sociétés politiques, et, pour nous sauver d’être anéantis, nous accepterions jusqu’à l’égalité tumultueuse de la démocratie…

Du sein du tiers-état s’élèverait un homme audacieux… qui, sur les débris de nos anciennes formes, établirait une constitution nouvelle… Mais, ajouterait-il l’autorité manque à mes vues bienfaisantes. A chaque pas, des formes importunes arrêtent ma marche et votre prospérité ; des assemblées perpétuelles troublent votre repos… Tranchons d’un seul coup toutes les difficultés ; rompons ces vieux liens qui enchaînent un pouvoir qui n’existe que pour vous rendre libres, heureux et puissans.

Et aussitôt le vœu général remettra dans ses mains toute la puissance publique. Alors sera rétabli un despotisme légal, et nos fers à tous seront rivés au tronc même de la constitution. 

Lebrun est choisi, le 25 mars 1789, par les habitants de Dourdan, comme leur premier député. Il en profite pour renoncer à ses privilèges « pécuniaires et onéreux pour le tiers état ». Le 5 mai, il est avec ses collègues du tiers état, prête le Serment au Jeu de Paume. Lebrun est nommé au Comité des finances et il va souvent être le rapporteur des projets de lois qui y seront discutés. Il n’appartiendra à aucun club, aucune faction. Son indépendance de vue incite ses collègues à le proposer pour la présidence de l’Assemblée. Il n’est battu que de quelques voix par l’abbé Montesquiou.

Lorsque la Constituante se sépare, le 16 mai 1791, Lebrun sait qu’il ne pourra se représenter à la prochaine assemblée. Comme ses collègues, il retourne donc  dans son département de Seine-et-Oise. Nommé peu après á la Présidence du Département, il préfère abandonner ce poste pour prendre la présidence du Directoire, à la demande de ses membres (la fonction peut être comparée à celle que cumulerait, aujourd’hui, un Préfet et un Président de Conseil Général).

L’année 1792 voit les troubles s’installer dans le département, le maire d’Étampes est massacré. Lebrun intervient à l’Assemblée législative, pour réclamer des mesures  énergiques. Ce n’est guère du goût des Jacobins, qui murmurent contre cet « aristocrate forcené », ce « fougueux modéré ». Le 20 juin 1792, l’Assemblée est envahie par la foule, pénètre les appartements du roi. Lebrun est profondément choqué, car, s’il se dit constitutionnel, il est resté royaliste, respectueux des symboles de la représentation nationale, de la personne royale, de la paix intérieure et de la stabilité du régime.

Le 7 août 1792, Lebrun donne sa démission de Directeur du département de Seine-et-Oise. Les événements du 10 août le confortent dans sa décision, il se retire à Grillon.

A Dourdan, on continue d’estimer Lebrun, on le désigne, fin août, pour faire partie du collège électoral chargé de choisir les députés de Seine-et-Oise à la Convention. Cédant aux instances de ses compatriotes, il accepte, un peu contre son gré, de se présenter à l’élection. Une cabale est organisée contre lui, on le traite d’aristocrate, un mandat d’amener est lancé contre lui, on doit le soustraire à ceux qui veulent sa peau.

Le 1er septembre 1793 Lebrun est arrêté comme suspect et enfermés aux récollets de versailles. Malade, il est mis au cachot pour un mois. La chance veut que, au début de 1794, un représentant en mission, du nom de Crassous, intrigué par ce que lui disent les habitants de Dourdan et d#Étampes, étudie son dossier, et ordonne sa remise en liberté. Il retrouve Crillon le 16 février 1794.

Mais la chance tourne de nouveau. Alors qu’il fait une demande pour un certificat de civisme, ce même Crassous fait remettre Lebrun en prison aux Récollets. Nous sommes le 14 juillet 1794. La Terreur bat son plein et envoie tous les jours son lot de victimes à la guillotine. Lebrun s’attend tous les jours à être transféré á Paris. Une nièce, Henriette Lebrun de Rochemont parvient, selon la tradition familiale, à subtiliser le dossier d’accusation de son oncle. Ce qui entraîne le retard salvateur : le 27 juillet, c’est Robespierre qui monte à l’échafaud. La fin de la Terreur sauve Lebrun, et, avec retard (Crassous est tenace), remis en liberté sur ordre du Comité de Sûreté Générale, le 11 0ctobre 1794.

 

Le Directoire

En juillet 1795, il est de nouveau élu à la présidence du département, et ses qualités d’administrateur vont être une nouvelle fois appréciées.

Lors des élections de 1795, Lebrun entre au Conseil des Cinq-Cents où, bien évidemment, il s’occupe de matières financières. Il y lance même l’idée d’une Banque nationale, que ses collègues rejettent. Il a peu de contact avec les Directeurs (si ce n’est avec Carnot – et pourtant Letourneur est de la Manche), mais se lie avec des personnalités comme Barbé-Marbois, Portalis, Dupont de Nemours, Tronchet, peu enclins à céder aux anciens conventionnels.

Il sera élu en janvier 1796 Secrétaire, puis président de cette assemblée le 20 mai.

Après les élections de 1797, toujours à la Commission des finances, il est amener à faire un rapport sur l’administration de la trésorerie des différents armées. Son commentaire sur l’armée d’Italie, mérite d’être cité :

En Italie des résultats plus importants et une marche plus régulière ; là, une armée toujours victorieuse s’est établie dans ses conquêtes ; un général qui sait vaincre et négocier y assure l’exécution de ses traités, et, sous le règne des armes, une administration presque civile. La trésorerie dispose là de plus de soixante millions, soit de revenus, soit de contributions recouvrées ; une partie a fourni aux besoins, soit de l’intérieur, soit des autres armées. Je n’ai pas le temps de louer. J’attends Bonaparte à l’histoire, c’est elle qui lui assignera son véritable rang : elle dira beaucoup du guerrier, mais elle dira davantage et mieux de l’homme d’État ; je pense comme l’histoire.

Lebrun échappe, à sa grande surprise, à l’épuration et aux déportations du 18 Fructidor, peut-être parce qu’on le croit l’ami de Bonaparte. En cela ceux qui le croit se trompent complètement, car les deux hommes ne se sont encore jamais vus. Leur première rencontre se situe en effet lors des réceptions et des festivités organisées en l’honneur de Bonaparte, lors de son retour de Campo-Formio, en décembre 1797. Bonaparte aura ce commentaire lapidaire :

Vous donnez chaque jour un démenti bien imposant à ces hommes médiocres qui crient si haut qu’un littérateur ne saurait être un homme d’état.

Bonaparte parti en Égypte, Lebrun continue son travail dans le domaine qui est le sien. Mais bientôt le désordre s’installe dans le pays, les défaites s’accumulent à l’extérieur. C’est dans ce climat que Sieyès, Talleyrand, Cambacérès, Fouché, se tournent vers le général Bonaparte, rentré d’Égypte en juillet 1798. Lebrun est également de ceux qui voient en lui le seul capable de sauver le pays :

Moi-même, sans trop savoir par quels moyens, je ne voyais que lui qui pût sauver la chose publique, et arracher la France aux factions prêtes à le déchirer. Cependant, renfermé chez lui, il semble se dérober à tous les regards, à tous les vœux. 

 

Lebrun Consul

Mais, peu enclin aux conspirations, il ne participera en aucun cas à la préparation du 18 Brumaire. Mais il donne sa voix à l’approbation du décret qui transfert le corps législatif`de Paris à Saint-Cloud, premier élément, encore légal, du coup d’État. Les évènements qui suivent sont suffisamment connus pour ne pas être répétés ici. Pur ce qui est de Lebrun, il fait immédiatement partie de la Commission des Anciens et, dans la foulée, Président de cette Commission, sans doute en raison de ses grandes connaissances en matières de finances. Car le premier travail qui se présente est le renflouement des caisses de l’État. Il ne participe pas vraiment à l’élaboration de la nouvelle Constitution, mais il fait cependant voter que « tout sénateur (serait) à jamais inéligible à toute autre fonction publique », et pour faire adopter la création d’une Commission de la Comptabilité nationale, ébauche de la future Cour des Comptes.

Cette nouvelle constitution confie le pouvoir exécutif à trois Consuls (mais seul le premier a vraiment les clés du pouvoir, puisque les deux autres n’on qu’une voix consultative). Si Bonaparte – nommé d’emblée Premier Consul – fait rapidement le choix de Cambacérès pour être le Deuxième Consul, il prend relativement son temps pour choisir, pour le Troisième, Lebrun. Dans un longue discussion qu’il aura avec Bonaparte, Roederer lui dira :

Général, pour la gloire de votre Consulat et la sûreté de votre marche, il n’y a pas un homme égal à Lebrun dans toute la République. Vous gouvernerez plus particulièrement l’extérieur; Cambacérès et lui seront vos premiers ministres, l’un pour la justice et la police, l’autre pour l’administration et les finances. Il y est excellent et il vous faut un homme pour ces deux parties.

Les trois consuls
Les trois consuls

Le nouveau gouvernement s’installe le 25 décembre, d’abord au petit Luxembourg. Les réunions seront fréquentes, sous la présidence de Bonaparte. La confiance s’installe entre Lebrun et Bonaparte, qui lui dit un jour :

J’ai passé ma vie dans les camps, la guerre est mon élément ; je me trouve ici dans un monde nouveau ; je n’y suis point sans quelque embarras. J’ai besoin d’un guide sûr, éclairé, et, comme moi, animé du désir de reconstituer la société sur des bases solides : les lois, la religion et les mœurs ; ce guide, je l’ai trouvé en vous, Monsieur Le Brun

 

 

Installation des trois consuls (Auguste Couderc)
Installation des trois consuls (Auguste Couderc)

Le 21 mai 1800, Lebrun perd sa épouse, Anne Delagoutte, avec qui il était marié depuis 1773. D’elle il avait eu cinq enfants. L’aîné, Charles, est aide de camp de Bonaparte et de Desaix (mais celui-ci va mourir à Marengo). Le second, Alexandre fait lui aussi une carrière similaire. Quant aux trois autres, ils sont encore jeunes : Sophie (14 ans), Auguste (11 ans), enfin Dorothée (8 ans) et Lebrun doit s’en occuper, alors qu’il a déjà 61 ans.

Après Marengo, Bonaparte gouverne de plus en plus par lui-même. Lebrun participe de moins en moins aux affaires nationales (mais il a poussé à faire la paix religieuse (le Concordat est signé le 15 juillet 1801), a applaudi des deux mains à la paix d’Amiens), tout en étant de ceux qui participe à la chute de Fouché.  Lorsque le Consulat à vie est promulgué, il est lui-aussi, tout comme Cambacérès, promu Consul à vie. Il sont aussi, de droit, membre du Sénat et membre du Conseil privé, qui vient d’être créé. Lebrun atteint là le sommet de sa carrière politique.

Dans les années qui suivent, son rôle devient de plus en plus honorifique, même s’il fut l’inspirateur de la création des lycées, s’il s’opposa à la création de la légion d’honneur et s’il aura le courage de déclarer illégal l’enlèvement du duc d’Enghien.

 

L’Empire

Alors, il peut apparaître naturel que le troisième Consul ait marqué son opposition quant à la création de l’Empire, car il craint le mécontentement des militaires et des républicains. Rien n’y fait. Le 18 mai 1804 :

Le gouvernement de la République est confié à un Empereur qui prend le titre d’Empereur des Français (…) Napoléon Bonaparte, Premier Consul actuel de la République, est Empereur des Français (..)

et Lebrun sera derrière le nouveau souverain, au milieu des ministres, lorsque Cambacérès présentera à Bonaparte ce sénatus-consulte qui le fait Empereur des Français, tout comme il sera également présent lors du couronnement à Notre-Dame.

En même temps, six grands dignitaires de l’Empire sont créés. Un décret nomme, immédiatement, Lebrun à la dignité d’Architrésorier, nomination que Napoléon accompagne d’une lettre de compliment :

Saint-Cloud, 18 mai 1804

Au consul Lebrun

Citoyen Consul, votre titre va changer; vos fonctions et ma confiance restent les mêmes. Dans la haute dignité d’archichancelier de l’Empire, dont vous allez être revêtu, vous manifesterez, comme vous l’avez fait dans celle de consul, la sagesse de vos conseils et ces talents distingués qui vous ont acquis une part aussi importante dans tout ce que je puis avoir fait de bien.

Je n’ai donc à désirer de vous que la continuation des mêmes sentiments pour l’État et pour moi.

Bonaparte (sic)

Si le titre et la fonction sont, pour une grande part, honorifiques (et assortis de revenus confortables), Lebrun n’en continue pas moins de remplir un certain nombre de tâches, souvent à la demande expresse de l’Empereur : arrêter le grand Livre de la Dette Publique, recevoir le serment des fonctionnaires des finances, vérifier (tous les trois mois) le compte des travaux de la comptabilité nationale, étudier des réformes et améliorations à apporter à la comptabilité nationale. Le 10 février 1805, comme tous ses confrères grands Dignitaires de l’Empire, il reçoit la « Grande Décoration de la Légion d’Honneur » (ce qui sera plus tard le grand Aigle).

Mais cette situation va bientôt changer dramatiquement.

 

Gouverneur en Italie

Le 26 mai 1805, Napoléon s’est fait sacrer roi d’Italie. Dans la foulée, la République ligurienne est rattachée à l’Empire. Le 30 mai, l’empereur écrit à Lebrun :

Milan, 30 mai 1805

A M. Lebrun

Mon Cousin, la nation génoise de toutes les classes, prêtres nobles, peuple, ont signé des volumes d’adresses pour demander la réunion de leur pays à la France. Je recevrai samedi la députation qui doit me les présenter, et dimanche je ferai un projet de réunion. Je serai du 20 au 25 prairial à Gênes; je voudrais pouvoir y rester un mois, mais les affaires militaires me rappellent en France; il faut que je rentre à Paris. Dans ces circonstances extraordinaires, j’ai pris la résolution de vous confier le gouvernement de ce pays jusqu’au mois de septembre, afin, de pouvoir en préparer progressivement la réunion. Mon intention est que vous vous rendiez à Turin, où vous arriverez du 23 au 25, et où vous trouverez des indications sur la route que vous devez prendre pour me joindre. L’expérience que j’ai eue en Piémont des fausses opérations qui y ont été faites m’a appris que je ne puis me fier sur des affaires aussi importantes qu’à une personne qui, comme vous, ait la connaissance intime de mes affaires et un attachement aussi vrai pour ma personne. Prévenez M. l’archichancelier seulement de votre départ : je suis bien aise qu’on ne se doute point du but de votre voyage.

Charles-Alexandre Lebrun nommé Gouverneur Général des trois départements de gêne, de Montenotte et des Apennins ! Napoléon assorti cette nomination de recommandations (d’ordres ?) plus détaillées, le lendemain même :

Milan, 31 mai 1805

A M. Lebrun

Mon Cousin, hier je vous ai mandé de partir. Toutes les nouvelles que je reçois de Gênes portent que le peuple de cette ville et de Rivière est enthousiasmé de se voir français. Je pense, lorsque vous lirez ceci, avoir déjà fait mon décret de réunion. Je vous laisse M. Collin pour organiser les douanes et M. Bigot-Préameneu pour organiser la justice. Menez avec vous un secrétaire des commandements. Le ministre de l’intérieur a prévenu à Turin pour que l’on vous rende les honneurs qui vous sont dus. Arrivez dans cette ville en règle et au moins avec trois voitures de votre suite. Je ne vois pas d’inconvénient que vous y restiez deux ou trois jours. Votre logement sera préparé au palais. Pendant ces deux ou trois jours, vous jetterez un coup d’œil sur l’administration de la ville et sur cette espèce de régime économique assez bizarre auquel je me propose de retoucher à mon retour, et sur lequel je voudrais avoir votre avis. Je pense qu’il serait utile d’accorder le privilège du sel et du tabac pou Parme, Plaisance et pour le royaume d’Italie; cela rendrait huit à dix millions. Je ne serais pas arrêté par la fraude, car je placerais sur les Alpes une trentaine de brigades qui suffiront pour arrêter la contrebande du tabac; celle du sel est impossible. Cette imposition me mettrait à même de diminuer de beaucoup l’imposition foncière, imposition pesante pour tous les peuples et dont les Piémontais recevraient le dégrèvement avec un grand sentiment de reconnaissance.

Comme vous trouverez M. Gaudin à Turin, vous pourrez en causer avec lui. Je désire arrêter ces mesures à Gênes.

Gênes, dans l’esprit de Napoléon, est un atout important dans sa lutte contre l’Angleterre. A la députation venue le saluer, le 4 juin, il dira :

Les nouveaux principes de la législation des mers que les Anglais ont adoptés et obligé la plus grande partie de l’Europe à reconnaître ; le droit de blocus qu’ils peu-vent étendre aux places non bloquées, et même à des côtes entières et à des rivières, qui n’est autre chose que le droit d’anéantir à leur volonté le commerce des peuples ; les ravages toujours croissants des Barbaresques, toutes ces circonstances ne vous offraient qu’un isolement dans votre indépendance.

Où il n’existe pas d’indépendance maritime pour un peuple commerçant, naît le besoin de se réunir sous un puissant pavillon. Je réaliserai votre vœu.  … Vous trouverez dans votre union avec mon peuple un continent, vous qui n’avez qu’une marine et des ports. Vous y trouverez un pavillon que, quelles que soient les prétentions de mes ennemis, je maintiendrai, sur toutes les mers de l’univers, constamment libre d’insultes et de visites, et affranchi du droit de blocus, que je ne reconnaîtrai jamais, que pour les places véritablement bloquées par terre comme par mer. Vous vous y trouverez enfin, véritablement à l’abri de ce honteux esclavage, dont je souffre malgré moi l’existence envers les puissances les plus faibles, mais dont je saurai toujours garantir mes sujets.

Et le 12 juin, un décret investit Lebrun de la puissance législative dans les trois nouveaux départements :

Brescia, 11 juin 1805

DÉCRET

M. l’architrésorier de l’Empire est investi de toute l’autorité nécessaire pour préparer la réunion des départements de Gênes, de Montenotte et de l’Apennin au reste de l’Empire; et, jusqu’à ce qu’il été autrement statué, ses actes auront toute la force de lois seront exécutés comme tels dans les départements de Gênes, Montenotte et de l’Apennin.

Napoléon joint au décret une lettre personnelle :

Brescia, 12 juin 1805

A M. Lebrun

Mon Cousin, je compte que vous arriverez à Turin le 26. Je désire que vous vous rendiez directement à Gênes. Vous trouverez ci-joint un décret pour vous investir de toute l’autorité qui vous est nécessaire, et une lettre pour M. Champagny. Les conseillers d’État Collin, Lacuée et Bigot-Préameneu se sont rendus à Gênes; mon intention est que vous les employiez chacun dans sa partie. Le ministre des finances pourra également se rendre à Gênes; du moment que ses opérations seront terminées à Turin. Comme je ne pense pas être à Gênes avant le commencement du mois prochain, je vous y trouverai tout installé et déjà au fait des affaires du pays.

Lebrun, grâce à ses bonnes manières, sa connaissance de l’italien, son expérience, l’impartialité de ses décisions, se fait rapidement accepter par la société de Gênes. De fait, il doit concilier les désirs d’un parti aristocratique, fortement opposé aux idées de la Révolution française, et ceux d’un parti populaire, qui lui est tout acquis aux idées nouvelles.

A la fin du mois de juin, Napoléon et Joséphine sont à Gênes, où de grandes fêtes sont organisées en leur honneur. Mais l’empereur discute aussi longuement avec Lebrun de l’organisation de cette partie de l’empire. Il va rester à Gênes jusqu’au 6 juillet, laissant Lebrun continuer de s’occuper des affaires génoises. Pas toujours de la façon dont le voudrait l’empereur, tout a la préparation de son expédition d’Angleterre. Comme en témoigne cette lettre à propos concernant la levée de matelots génois :

Camp de Boulogne, 11 août 1805

A M. Lebrun

Mon Cousin, j’ai vu avec peine votre arrêté qui défend la levée des matelots à Gênes. C’est sans doute une manière de se rendre très-populaire, mais c’en est une aussi de nuire au bien du service. Je n’ai réuni à Gênes que pour avoir des matelots, et, cependant, les trois seules frégates que j’ai dans ce port ne sont pas armées. En acceptant Gênes et en l’admettant à tous les immenses avantages qui résultent pour elle de sa réunion à mon Empire, je n’y ai été porté ni par l’argent que je puis en tirer, ni par les forces et l’accroissement qu’elle donne à mes armées de terre : je n’ai eu qu’un seul but, avoir 15,000 matelots de plus. C’est donc agir en sens contraire de l’esprit de l’acquisition de Gênes que de prendre un arrêté qui désavoue la levée des matelots. Je ne sache rien de plus impolitique que cette mesure. Si l’on s’était conduit ainsi en Piémont, on n’aurait jamais eu de conscrits. Gênes ne sera française que lorsqu’elle aura 6,000 hommes à bord de mes escadres. Je désire donc que vous vous occupiez sérieusement d’avoir des matelots; que vous fassiez sentir, par une circulaire, que c’est là la seule espèce de secours dont peuvent m’être les Génois. Enfin, cet objet doit être le sujet le plus constant de toutes vos sollicitudes. Encore une fois, ce ne sera que quand j’aurai des matelots à bord de mes bâtiments que ce peuple se trouvera entièrement francisé. Que voulez-vous que je fasse de 225 jeunes gens de douze à vingt ans ? J’en abonde en France : c’est de vieux matelots que j’ai besoin. Je ne puis être de votre avis, qu’on ne peut rien attendre de matelots faits; qu’ils ne sont bons que pour le cabotage, et que les expéditions armées leur font peur : eh bien, il faut leur faire plus de peur que ne leur en feraient les expéditions armées. Je crains bien que vous ne vous soyez conduit dans votre administration, sur un point si important, par la crainte de mécontenter les Génois; n’en craignez rien. Bon gré ou mal gré, il faut qu’ils aillent sur mes vaisseaux, sans quoi on me poussera à des mesures extrêmes qui intercepteront leur cabotage jusqu’à ce que j’aie le nombre de matelots dont j’ai besoin. Vous êtes mal instruit , et c’est me supposer bien ignorant de la situation du peuple de Gênes que de croire qu’il ne me sera bon à rien. Avec de la faiblesse, on ne gouverne point les peuples, et on attire sur eux des malheurs; je crains que vous n’en montriez plus que votre caractère n’en est susceptible.

Avez-vous espéré gouverner des peuples sans les mécontenter d’abord ? Que feriez-vous donc en France, si vous étiez chargé de faire marcher la conscription du Calvados, des Deux-Sèvres, ou un tel autre département ? Vous savez bien qu’en fait de gouvernement, justice veut dire force comme vertu. Quant à ceux qui disent que cela mécontenterait les Génois et les pousserait à se mal conduire ce n’est pas à moi que ce langage s’adresse; je sais ce qu’ils pèsent et ce qu’ils valent. Serais-je déjà assez décrépit pour qu’on pût me faire peur du peuple de Gênes ? La seule réponse à cette dépêche c’est des matelots et des matelots. Vous connaissez assez la promptitude de mes résolutions pour savoir que cela ne diminuera en rien l’estime et l’amitié que je vous porte. Ne voyez dans votre administration, ne rêvez que des matelots. Dites tout ce que vous voudra de ma part, j’y consens; mais dites que je veux des matelots.

Cela n’empêche pas de procéder aux réformes. Lebrun met ainsi en place d’une Cour d’Appel, il crée et met en place une université ouverte à toutes les disciplines (il prévoit d’y ajouter une bibliothèque), lance la construction d’un observatoire et celle d’un lycée impérial. Accessoirement, il fait l’acquisition, pour le compte de Napoléon, du palais Doria.

Et aussi de s’occuper, pendant la campagne de 1805, de l’insurrection fomentée dans les Etats de Parme, Plaisance et Guastalla, et devant laquelle, au début, le conseiller d’État Moreau de Saint-Mery, charge de l’administration de ces régions, tergiverse. Lebrun prend les choses en main lorsque le risque de voir cette insurrection s’étendre à la Ligurie. Dans une proclamation, il annonce sa prochaine visite et sa volonté d’y prendre le commandement. Sa fermeté, et les évènements extérieurs (Austerlitz – ses fils s’y comportent fort bien, et c’est le colonel Lebrun qui a Pais la nouvelle de la victoire) ramènent le calme. Le 27 janvier 1806, l’empereur lui écrit :

Paris, 27 janvier 1806

A M. Lebrun

Mon Cousin, je vous ai témoigné, par ma précédente lettre, mon mécontentement du bulletin que vous avez fait imprimer sur l’insurrection de Plaisance. Je serais cependant fâché que vous lui donnassiez une interprétation différente. Je veux, par celle-ci, vous témoigner toute ma satisfaction des mesures que vous avez prises pour détruire cette insurrection. J’ai blâmé vos paroles, mais je loue beaucoup votre zèle. Je vous ai écrit le 20 de ce mois pour vous annoncer que j’avais fait partir le général Junot pour se rendre a Parme, avec le titre de Lieutenant Général, ayant l’administration civil et militaire des duchés; je lui ai donne des instructions pour faire de sévères exemples.

Mais depuis le 1er janvier, les trois départements de Gênes, de Montenotte et des Apennins existent officiellement, avec une administration conforme avec ce qui se fait dans le reste de l’Empire. Lebrun laisse entendre qu’il retournerait volontiers à revenir en France :

Je prie Votre Majesté de me dire, avec sa bonté ordinaire combien de temps je dois rester ici. Si je réussis mal, je la prierai de me rappeler. Si j’y fait quelque bien, mon bonheur serait d’y rester tant que je pourrais être utile.

Avant de lui donner, presque, satisfaction, Napoléon lui envoie encore des reproches :

Paris, 22 février 1806

A M. Lebrun

Mon Cousin, j’ai appris avec peine la manière dont les douanes sont administrées à Gênes. Vous montrez trop de faiblesse pour le commerce de cette ville. Faites faire des visites et poursuivez les contrebandiers. On m’assure qu’on a osé dire, en plein conseil, que, si l’on voulait mettre de l’ordre dans le port franc , le stylet jouerait. Pardieu, dites-leur bien que nous nous connaissons depuis longtemps, et qu’il y a une furieuse différence de moi aux Autrichiens de 1745. Soyez inflexible, car je veux que mes douanes soient organisées.

mais, quelques jours après, lui mande :

Paris, 26 février 1806

A M. Lebrun

Mon Cousin, je reçois vos lettres du 20 février. Vos services m’ont été fort utiles à Gênes, et votre présence y est encore nécessaire. Si vous voulez absolument revenir, passez au moins à Gènes le reste de la mauvaise saison, et attendez que vous y ayez installé le nouveau préfet que je vais vous envoyer. Je suis surpris que le 67e ne soit pas encore arrivé. J’écris au général Junot et au prince Eugène pour leur en témoigner mon mécontentement, si toutefois il y
a du retard de leur part.

Lebrun va donc rester encore a Gênes, jusqu’en juin 1806. En mars, il aura la satisfaction de voir son travail consacré devant le Corps législatif,

Gênes, française, reçoit les denrées du Piémont, fournit à la France les produits de son industrie, vit et s’enrichit par elle, et lui promet, à son tour, un accroissement de force maritime et de richesse commerciale. Plusieurs de ses citoyens, déjà connus de l’Empereur, reçoivent de lui des distinctions flatteuses. Les lois françaises y sont introduites sans blesser aucun des intérêts qui l’avaient fait fleurir autrefois. Ses finances sont améliorées ; la dette publique est consolidée. Son territoire est agrandi, il est partagé en départements, et le département le plus près de la France reçoit un nom qui rappelle un des premiers succès du héros de la France, une des premières couronnes dont la victoire orna ce front, depuis si chargé de lauriers. La terre où ce premier laurier, présage de tant d’immortels succès, fut cueilli, avait bien mérité d’être française ! Le bienfait de cette organisation est assuré à Gènes par le choix d’un grand dignitaire nommé pour l’établir.(Discours sur l’État de l’Empire)

De retour à Paris, Lebrun s’enquiert auprès de l’empereur de ce qu’il croit être de la froideur. La réponse de Napoléon ne peut que lui faire chaud au cœur :

Saint-Cloud, 12 juin 1806

A M. Lebrun

J’ai vu avec peine votre lettre du 10 juin. Ma confiance en est toujours la même, rien ne peut l’altérer. Je n’ai eu lieu que d’être satisfait de votre mission à Gênes.

 

La Cour des Comptes

Lebrun prend quelques temps de repos, mais se remet bien vite aux affaires liées à ses fonctions d’Archichancelier et de membre du Conseil privé. Et lorsque Napoléon se prépare a la confrontation contre la Prusse et la Russie, en Allemagne et en Pologne, l’Archichancelier se voit attribuer les responsabilités d’une sorte de premier ministre par intérim.

Pendant que les armées françaises se distinguent sur les champs de bataille, Lebrun s’occupe de tout autre chose : de l’organisation de la création et de l’établissement de la Cour des Comptes, ayant recommandé à l’empereur :

une institution, une dans son objet, puissante dans son unité, présente a tous les comptables par la rapidité de son action, embrassant toutes les comptabilités qui se lient a la fortune publique.

ce à quoi, Napoléon lui avait répondu :

Ayez soin surtout, que cette organisation soit telle que la connaissance des abus, qui auraient été reconnue par la Cour des Comptes, doive arriver nécessairement jusqu’a moi.

La Cour des Comptes, issue essentiellement des propositions de Mollien, est fondée le 6 septembre 1807, et l’Architrésorier Lebrun est charge du choix des magistrats destinés à la composer et qui seront nommés par l’empereur. C’est le vieil ami de Lebrun, Barbé-Marbois, qui est choisi comme premier président. Le 7 novembre 1807, la Cour des Comptes est officiellement installée et c’est Lebrun qui préside à l’évènement. S’adressant au premier président, il lui déclare :

Sans que vous ayez osé former un vœu, sans que l’amitié ait prononcé votre nom, sans qu’elle se soit permis une pensée, Sa Majesté vous appelle à des fonctions qui se lient aux plus grands intérêts de l’Empire »

S’adressant à tous ses collègues,

L’institution à laquelle vous appartenez est un des principaux appuis de l’Empire : c’est le mur d’airain qui doit garantir la fortune publique des infidélités des comptables, des prévarications de l’administrateur, des dilapidations de ses agents. Si elle fléchit, tout chancelle ; si elle succombe, tout périt : il ne reste au milieu des ruines que le nom du plus grand des héros, du plus grand des souverains ; semblable à ces monuments solitaires que le temps a laissés debout sur son passage, et qui ne servent plus qu’à mesurer la hauteur d’où les nations sont tombées.

Mais elle ne fléchira point ; elle ne succombera point, cette institution tutélaire ; vous la remettrez à vos successeurs toute empreinte de celui qui l’a créée, toute forte de vos principes et de votre exemple …

L’année 1807 voit Lebrun s’opposer à l’Empereur, sur la question du Tribunat, que Napoléon veut supprimer (et qu’il supprimera effectivement le 19 août de la même année). L’Architrésorier faisant valoir que c’est une des dernières tribunes où les idées de liberté peuvent s’exprimer, Napoléon lui lance un péremptoire :

Monsieur l’Architrésorier, ce sont la des idées de Constituant.

Ce a quoi, sans se démonter, Lebrun lui répond :

Sire, la Constituante avait des idées saines; si elle se trompa, ce fut par l’excès de l’amour du bien public : je regrette que ces idées déplaisent aujourd’hui à Votre Majesté.

Le 19 mars 1808, Lebrun est nommé duc de Plaisance, titre qui lui est confirmé par lettre patente du 24 avril de la même année. Et pourtant, il avait été l’un des rares membres du Conseil privé à marquer son opposition à la création de titres héréditaires honorifiques car, « on ne fait pas des nobles comme on fait des champignons. »

Napoléon, par la grâce de Dieu, Empereur des Français, Roi d’Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, à tous présents et à venir, Salut :
Voulant donner à notre cher et bien aimé cousin le Prince Le Brun, Architrésorier de l’Empire, une preuve éclatante de l’affection que nous lui portons et le récompenser dignement des services qu’il n’a cessé de rendre à l’État et à nous, soit dans nos Conseils, soit dans l’exercice des différentes fonctions auxquelles il a été appelé, nous l’avons, par notre Décret du dix neuf Mars mil huit cent huit, nommé l’un des Ducs de notre Empire sous le titre de Duc de Plaisance. En conséquence et en vertu dudit décret, notre cher et bien aimé cousin Charles François Le Brun, âgé de soixante neuf ans, né à Saint-Sauveur- Landelin (sic) département de la Manche, s’étant retiré par devant notre cousin le Prince Archichancelier de l’Empire, à l’effet d’obtenir de notre Grâce les lettres patentes qui lui sont nécessaires pour jouir de son titre, nous avons par ces présentes, signées de notre Main, conféré et conférons à Notre Cher et bien aimé Cousin le Prince Le Brun, Architrésorier de l’Empire le titre de Duc de Plaisance. Voulons que ce titre et les biens qui y sont attachés soient transmissibles à sa descendance directe, légitime, naturelle ou adoptive, de mâle en mâle par ordre de primogéniture ; les dits biens se trouvant désignés dans l’acte de constitution fait de notre autorité par notre cousin le Prince Archichancelier de l’Empire, en présence du Conseil du Sceau des Titres, dans lequel acte sont énoncées les conditions sous lesquelles jouiront des dits biens notre cher et bien amé Cousin le Prince Le Brun et ceux de ses descendants appelés après lui à les recueillir, ainsi que
le titre auquel ils sont attachés. Autorisons notre cher et bien aimé le Prince Le Brun à se dire et qualifier Duc de Plaisance en tous les actes et contrats, tant en jugement que dehors. Voulons qu’il soit reconnu partout en ladite qualité, qu’il jouisse des honneurs attachés à ce titre après qu’il aura prêté entre nos mains le serment prescrit par l’article trente-sept de notre second statut du premier mars mil huit cent huit, qu’il puisse porter en tous lieux les armoiries telles qu’elles sont figurées aux présentes : de sable à la louve arrêtée d’or, surmontée de deux billettes d’argent, chef de Grand Dignitaire ; et pour livrée sable, blanc, bleu, jaune.
(..)
Car tel est notre bon plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, notre Cousin le Prince Archi-Chancelier de l’Empire y a fait apposer par nos ordres notre Grand Sceau, en présence du Conseil du Sceau des Titres.
Donné à Bayonne, le vingt-quatre du mois d’avril de l’an de grâce mil huit cent huit.
Napoléon.

Mais le nouveau duc de Plaisance ne fait pas vraiment la fine bouche devant les revenus substantiels que son nouveau titre lui confère, qu’ils soient situés dans les domaines de Parme et de Plaisance, ou en Hanovre, et dont il suivra de très près la gestion.

Mais il continue aussi de travailler et d’occuper ses fonctions d’Architrésorier. Pourtant, les années commencent à lui peser (il a 71 ans), il aspire au repos. Il en est loin…..

 

La Hollande

Le 8 juillet 1810, Napoléon lui écrit :

Mon Cousin, j’ai besoin de vos services en Hollande. Faites préparer vos équipages et rendez-vous le plus tôt possible a Rambouillet pour y prendre vos instructions. Il est absolument nécessaire que vous partiez de Paris demain soir pour vous rendre à Amsterdam.

Voilà donc Lebrun  en Hollande, qui vient de perdre son roi (Louis a abdiqué) et son « indépendance » : par décret du 9 juillet, elle a purement et simplement été rattachée à l’Empire. et l’Architrésorier nommé lieutenant-général de l’Empereur, chargée de présider le Conseil des ministres et d’expédier les affaires. Le même jour, Napoléon expédie à Lebrun une série d’instructions sur la manière dont il entend que son lieutenant-général s’occupe des affaires.

Pendant 15 mois, Lebrun va s’occuper, fort bien, de mettre en place la nouvelle administration des nouveaux départements. Napoléon lui écrit très souvent, afin de bien fixer les orientations. La date du 1er janvier 1811 a été fixée pour le passage de la Hollande sous complète administration française et Lebrun espère bien être en mesure de reprendre sa liberté :

Sire, je dois rappeler à Votre Majesté que les pouvoirs, dont Elle avait bien voulu m’investir, finissent au 1er Janvier prochain, et que, si Elle veut que je reste ici après cette époque, il est nécessaire qu’Elle détermine ce que je pourrai et ce que je ne pourrai pas y faire.

Si Elle daigne me rendre ma liberté, il est temps que je songe à prendre mes mesures pour retourner auprès d’Elle. Je ne crois pas être bien nécessaire ici et je suis bien aise de sortir de scène avant que de mériter le ridicule ou la pitié… 

Le pauvre Lebrun s’illusionne pourtant totalement : Napoléon a déjà décidé que Lebrun resterait en Hollande, en tant que Gouverneur des départements de la Hollande !

Sire, Votre Majesté daigne me donner une marque de satisfaction en me nommant gouverneur général des départements de Hollande. Je n’avais garde d’aspirer à cette place, et je ne puis qu’y être bien inutile à votre service ; mais je me soumets à sa volonté, et j’espère qu’Elle voudra bien me permettre, dans quelque temps, d’aller finir auprès d’Elle une vie qui n’a de prix pour moi qu’autant que je puis lui donner des preuves efficaces de mon zèle et de mon dévouement.

En cette année 1811, l’Empereur et l’Impératrice Marie-Louise vont effectuer un long voyage dans les « Provinces du Nord » et notamment a Amsterdam, où ils reçoivent un accueil enthousiaste.

Mais 1812 va être le début de la fin. Les mauvaises nouvelles de la campagne de Russie parviennent a Lebrun, et notamment celle, de la main même de Napoléon, de la mort du second fils de Lebrun, le colonel des Lanciers de la Garde Alexandre Lebrun, mort à Leppel le 24 novembre, juste avant le passage de la Berezina. Cette nouvelle l’affecte terriblement et sa santé s’en ressent. »Ses bons Hollandais » manifestent leur sympathie au vieil homme de 73 ans.

1813 va être l’année noire. Au début de l’année, une rébellion s’instaure dans le pays, l’armée doit intervenir, il y a des morts. Un complot est découvert qui prévoyait l’arrestation de Lebrun. Au mois d’octobre, les nouvelles de la défaite de Leipzig et de l’évacuation de l’Allemagne commencent à provoquer une certaine panique en Hollande. Début novembre, trois départements sont envahis par les troupes alliées. Le 15 novembre, le peuple d’Amsterdam se soulève, comme celui de La Haye et de Rotterdam. La préfecture est attaquée, mais le palais du Gouverneur est épargné. Après avoir essaye d’organiser une administration provisoire, Lebrun se voit contraint au départ, ce qu’il fait le 16 novembre 1813.

Quand j’ai eu reconnu que nous n’avions ni forces, ni moyens de réprimer ce mouvement, et que les autorités étaient désormais sous le pouvoir de la faction, je me suis décidé à me retirer à Gorcum. J’en ai prévenu les différents fonctionnaires, et je les ai invités à s’y rendre avec moi…

Je suis parti d’Amsterdam avec l’escorte accoutumée de gendarmerie. J’ai entendu quelques cris, mais je n’ai éprouvé aucune insulte. J’ai vu les restes encore des baraques incendiées et le triomphe des incendiaires… 

 

La chute de l’Empire

Il arrive à Paris le 27 Novembre, tandis qu’en Hollande, le pillage et les excès de la révolution orangiste sont difficilement contenus. Il se rend aussitôt aux Tuileries, où Napoléon commence par manifester son mécontentement de ce départ qu’il trouve précipite. Les explications de Lebrun finissent pas le convaincre et le calmer.

Bientôt, c’est la campagne de France, et les journées pathétiques de fin mars. Lorsque, après bien des palabres, Marie-Louise et le gouvernement se décident à quitter Paris, Lebrun, sur les conseils de Talleyrand qui en fait autant, de rester a Paris et celui-ci suit ses recommandations. Il assiste donc à la capitulation de Paris, à l’entrée des Alliés. Le 1er avril, un gouvernement provisoire est installé, mais Lebrun ne participe pas à cette décision.

Le 2 avril, on discute de déchéance au Sénat. Bien que pressé par Talleyrand, Lebrun refuse de se mêler à cette procédure. Le 6, Napoléon signe son acte d’abdication.

 

Première Restauration

Voila Lebrun par le tourbillon de l’Histoire. Il est en effet chargé par le Gouvernement provisoire de rédiger le projet de constitution. La besogne parait être simple : le lendemain, il présente aux membres du gouvernement pour le poins surpris… un exemplaire de la Constitution de 1791 ! On se passe de lui, et le 6 avril la royauté constitutionnelle est adoptée par le Sénat. Le duc de Plaisance signe l’acte qui rétablit les Bourbons en France (mais il attend d’avoir connaissance de l’abdication de Napoléon).

Le 12 avril, le comte d’Artois arrive a paris, et demande au duc de Plaisance de lui préparer un expose sur la situation de la France, qui doit être remis à Louis XVIII, et qui comprendra les idées maîtresses devant gouverner le nouveau gouvernement. Il se met a la tache et remet bientôt son travail. Mais il ne croit pas devoir passer sous silence les travaux du gouvernement impérial, les qualités, avec aussi, bien sûr, les défauts de l’Empereur lui-même qui ont fait alterner, sur le plan intérieur, comme sur les champs de bataille, les réussites et les insuccès. Il met en avant la bonne organisation administrative du précédent régime et les réformes qu’il conviendrait d’y apporter pour la compléter.

On conçoit que tout ceci n’est pas dans « l’air du temps » et on lui demande de retirer purement et simplement certains paragraphes, d’apporter quelques changements dans la présentation. Il s’y refuse, car ce serait dénaturer son ouvrage et renier ses principes. Son travail restera dans le fond d’un tiroir et l’on n’en parle plus.

Le 4 juin, Lebrun est nommé pair de France par Louis XVIII. Le 8 juin, a la Chambre haute, le duc de Plaisance est choisi comme président de la commission chargée de présenter le budget, puis comme rapporteur de ce budget.

Durant les Cent-Jours, Lebrun se tiendra relativement à l’écart. Si Napoléon lui rend son poste d’Architrésorier, c’est en souvenir des services passes et de l’amitié qu’il éprouve pour le vieil homme. Et c’est cette même amitié qui le pousse à proposer à Lebrun le poste de Grand Maître de l’Université ! Celui-ci accepte cette nomination, effective le 2 juin 1815.

Les dernières années

Mais les évènements vont beaucoup trop vite pour que le nouveau Grand-Maître ait le temps d’agir pour calmer l’agitation qui s’est faite jour dans les établissements. Le 18 juin, c’est la défaite de Waterloo. La seconde abdication intervient le 22 juin.

Bien qu’il n’ai pris aucune part active aux évènements des Cent-Jours, Lebrun est rayé de la liste des Pairs du Royaume. Il se retire sur ses terres de Grillon. La, il ne se mêle plus de politique, se consacrant presque exclusivement de ses petits-enfants. Cette attitude réservée, que les rapports de police confirment, amène Louis XVIII à lui accorder la Grand’Croix de l’Ordre royal de la Légion d’honneur. Peu après (décembre 1815) il achète le château de Saint-Mesme (à 4 kilomètres de Dourdan). Il y fait construire une école, qu’il offre a la municipalité.

En 1819 (décret du 5 mars 1819), Louis XVIII réintègre, parmi d’autres, Lebrun dans la Chambre haute. A la fin de la même année, il a l’honneur de répondre  au discours du duc d’Angoulême lors de l’installation de la Société Royale des Prisons, société dont il a été l’un des initiateurs. Il a maintenant 81 ans.

Il passe les dernières années de sa vie dans sa campagne de la vallée de l’Orge. Sa mort survient de façon curieuse, comme le rapporte une tradition familiale : au cours d’un repas au château de Saint-Mesme, le vieil homme se lève pour dire une plaisanterie. Le domestique, placé derrière, croyant que le duc veut sortir de table, recule la chaise. Lorsque le duc veut se rasseoir, il tombe à la renverse, et ne s’en remettra pas. Il meurt deux jours après, le 16 juin 1824.

Charles-Alexandre Lebrun, duc de Plaisance, sera inhume au cimetière du Père Lachaise.

 

La tombe de Lebrun au cimetière du Père Lachaise (division 65)
La tombe de Lebrun au cimetière du Père Lachaise (division 65)

Repères bibliographiques

  • Louis Laisney : Charles-François Le Brun – Revue du département de la Manche – Tome 15, Fasc. 59-60 – Juillet Octobre 1973.
  • François-Amédée Curial de Brévannes. Charles-François Le Brun, duc de Plaisance, Architrésorier de l’Empire. Paul Roubaud, Aix en Provence, 1941.
  • Marquis de Comont La Force. L’Architrésorier Lebrun, gouverneur de la Hollande. Plon, Paris, 1907.

Cet article doit beaucoup à celui de M. Louis Laisney, qui avait fondé l’Association Charles-François Lebrun, et considérablement aidé à la connaissance de ce célèbre normand. Il est décédé le 28 février 2002 et je tenais à saluer ici sa mémoire.

Un grand merci est dû à Monsieur Luc Chatelais.

Pour l’orthographe du nom j’ai choisi de suivre celle figurant dans le Dictionnaire Napoléon.