Campagne des Autrichiens contre Murat en 1815 – V** C** de Br, témoin oculaire.(Première partie)
Depuis le 4 avril, où les Autrichiens prennent l’offensive, jusqu’au 17 avril, où l’armée autrichienne se trouve concentrée à Bologne,
Le général eu chef baron de Frimont s’occupait, en attendant, de toutes les dispositions nécessaires pour pouvoir prendre l’offensive, dès que tous les renforts qu’il attendait de l’intérieur, et dont les premiers détachements avaient déjà atteint Vérone, seraient arrivés. Son intention était de rassembler alors son armée derrière le canal de Bentivoglio, et il résolut, en attendant ce moment, tant pour gagner du terrain que pour faciliter la jonction des troupes, de s’emparer de la ville de Carpi, située à deux lieues au Nord de Modène. Il en confia l’exécution au général Bianchi. Ce général attaqua, le 11 avril, cette ville entourée de hauts murs et défendue par la brigade Pepe, et s’en rendit maître après un combat très-opiniâtre. Les Napolitains se replièrent derrière la Secchia, et l’avant-garde autrichienne avança jusqu’à cette rivière. En même temps, le général de cavalerie baron de Frimont avait donné l’ordre au lieutenant-général Mohr de déboucher de la tête du pont d’Occhiobello, pour porter des secours à la citadelle de Ferrare, et assurer par là plus efficacement le flanc gauche de la position de l’armée. La brigade d’infanterie d’Haugwitz reçut l’ordre de se porter à Occhiobello, pour soutenir le général Mohr, et le 12 avril était destiné pour l’exécution de cette entreprise. Le général en chef arriva ce jour auprès du lieutenant-général Bianchi à Carpi, avec le chef de son état-major, le colonel Kudelka, afin de faciliter, par une diversion, les opérations du lieutenant-général Mohr. Celui-ci sortit de la tête de pont le 12 au matin, et repoussa les Napolitains jusqu’à Casaglia. Mais comme la brigade Haugwitz ne put arriver que pendant le combat, on dut remettre l’attaque décisive jusqu’au lendemain. Les Napolitains ne l’attendirent point : ils se retirèrent pendant la nuit et les Autrichiens marchèrent, sans éprouver les moindres obstacles, sur Ferrare, et y rétablirent la communication avec la citadelle.
La marche du lieutenant-général Bianchi sur la Secchia, donna à Murat des inquiétudes pour son aile gauche. Il fit replier, dans la nuit du 12 au 13, ses troupes derrière le Podi volano et le Panaro, et occupa avec de forts détachements Bondeno et Finale, petites villes situées sur cette dernière rivière.
En recevant la nouvelle de ces mouvements et celle que Murat concentrait ses forces près de Bologne, le général de cavalerie baron de Frimont espérait que les Napolitains , en restant dans cette position , lui donneraient l’occasion de pouvoir les y attaquer , et leur livrer une bataille décisive. Le général de cavalerie le désirait d’autant plus qu’il se serait trouvé, par là, dans le cas de pouvoir remplir entièrement les instructions qu’il avait reçues du feld-maréchal, prince de Schwarzenberg, généralissime de toutes les armées autrichiennes , et qui lui enjoignait d’engager, s’il était possible, une affaire décisive avec les Napolitains, aussitôt que les renforts seraient arrivés, afin de terminer rapidement la campagne.
Le général en chef prit toutes les dispositions nécessaires pour la bataille qu’il espérait pouvoir livrer près de Bologne. Toutes les troupes dont on pouvait se passer sur la ligne du Pô, furent réunies aux renforts qui venaient d’arriver. On en forma une division sous les ordres du lieutenant-général comte de Neipperg, qui poussa, le 13, jusqu’à Carpi. Le même jour, une réserve de 8 bataillons hongrois et de 8 escadrons de hussards, sous les ordres du général de Best, prit position près de Campagnola, à trois lieues en arrière de Carpi, sur la route de Guastalla. Le 14, le lieutenant-général comte de Neipperg s’avança jusques sur la Secchia, le général de Best jusqu’à Carpi.
Le lieutenant-général Bianchi s’était pendant ce temps porté, le 13, au Sud de Modène jusqu’au Panaro.
Le 14, il fit traverser ce fleuve aux hussards, pour attaquer l’arrière-garde napolitaine campée près de Spilimberto, et ordonna au général Senitzer de passer cette rivière plus haut, près de Vignola, avec deux bataillons et un escadron, et d’entamer la gauche de l’ennemi. L’attaque réussit complètement, le camp de Spilimberto fut dispersé, et l’on prit beaucoup de bagages. Le général Carascosa, qui commandait l’arrière-garde ennemie, n’attendit point une nouvelle attaque. Il se retira dans la nuit du 14 au 15 derrière le Reno, et le 16 plus loin jusqu’à Imola sur le Santerno. Le 15, le lieutenant-général Bianchi avança jusqu’à Samoggia, situé sur la rivière de ce nom. Il arriva le 16 à Bologne où les divisions Neipperg et de Best suivirent, et où le lieutenant-général Mohr, que nous avons laissé à Ferrare, et dont la marche avait été entravée par la destruction des ponts; dé Malalbergo et de Cento que les Napolitains avaient démolis en se retirant, y arriva également le 17 par la route de Malalbergo.
Le lieutenant-général Nugent qui observait en Toscane les divisions Livron et Pignatelli, envoya le rapport que l’ennemi avait quitté Florence le 15, pour prendre la route de Foligno. La retraite imprévue de Murat paraissait faire évanouir l’espérance de voir la guerre se terminer rapidement, il y avait dès lors à craindre qu’elle traînerait en longueur, sans présenter une nouvelle occasion pour livrer une bataille décisive ; ce qui était d’autant moins à désirer, que les nouvelles arrivées au quartier-général , du Midi de la France, annonçaient combien la cause des Bourbons avait pris une tournure défavorable et contenaient des détails sur le rassemblement de troupes françaises réunies près de Lyon, sous les ordres du Maréchal Suchet, pour agir effectivement contre le Piémont,
Dans cet état de choses, le général en chef, ayant acquis, à son arrivée à Bologne, la certitude que Murat se retirait, avec toute son armée, sur la route par Imola vers Ancône, résolut d’essayer de tourner le roi, afin de le devancer à la hauteur d’Ancône et de le forcer, ainsi à s’arrêter et à livrer bataille.
Voici le plan d’opération qui fut alors arrêté : le total de l’année autrichienne destinée à agir contre Murat, présentait alors (voyez le tableau ci-joint), 29,574 fantassins, 2,939 chevaux et 60 bouches à feu ; le lieutenant-général Neipperg avait sous ses ordres les trois brigades Geppert, Lauer et Haugwitz ; le lieutenant-général Bianchi, les deux division Mohr et Eckardt, formées des quatre brigades Starhemberg, Senitzer, Eçkardt et Taxis, et une 3e division détachée sous les ordres du comte Nugent. L’armée napolitaine, sous les ordres immédiats de Murat, était alors déjà fort diminuée, mais présentait toujours un total de 30.250 fantassins, 2,400 chevaux et 72 bouches à feu.
Le lieutenant-général Bianchi reçut l’ordre de se rendre, par des marches forcées, à Foligno, en passant par Florence et Peruggia , avec 12 bataillons , 10 3/4 d’escadrons, 28 bouches à feu et une compagnie de pionniers, ensemble10.308 hommes d’infanterie et 1,167 chevaux, afin de gagner les défilés qui conduisent à Fanno et Loretto, par les Apennins.

Le lieutenant-général Neipperg fut destiné, avec 14 bataillons, 9 escadrons, 20 bouches à feu et une compagnie de pionniers, 14,175 hommes d’infanterie et 1,291 de cavalerie, à suivre l’armée napolitaine sur la route d’Ancône, à veiller sur ses mouvements et à lui faire perdre du temps par de fausses attaques. Pour soutenir ce général, qui suivait l’armée napolitaine, supérieure du double en forces, le général de Best fut posté momentanément entre Bologne et Ravenne, avec ses 8 bataillons, 8 escadrons et 2 batteries, qui appartenaient au corps de la grande armée et étaient destinés aux opérations contre la France.
Par ces dispositions, le général en chef comptait pouvoir devancer l’ennemi vers Loretto et lui couper la retraite, ou au moins l’empêcher de prendre la route de Foligno, ce qui ne lui laisserait d’autre ressource que de prendre le chemin extrêmement mauvais et difficile qui conduit de Loretto à Popoli, et, dans ce cas, il était à supposer qu’on aurait le temps et l’occasion de l’attaquer et de le disperser pendant sa marche. En cas où Murat réussirait, contre toute apparence, à atteindre les frontières de ses états, le lieutenant-général Bianchi ne devait envoyer sur ses derrières que de petits détachements, et attendre des ordres ultérieurs, que la nouvelle tournure que la guerre prendrait vraisemblablement alors, pourrait nécessiter.
Ce plan, qui fut, comme nous le verrons, couronné du plus brillant succès, grâce à l’activité et l’énergie peu commune que déploya le général Bianchi, et à la bravoure des troupes qui étaient sous, ses ordres, était cependant à mon avis défectueux. On opérait sur deux lignes d’opérations extérieures, tandis qu’on laissait à l’ennemi l’inappréciable avantage d’avoir, aussitôt qu’il voulait reprendre l’offensive, une ligne d’opération simple.
La direction donnée par le général Frimont à ses deux corps d’armée, pour opérer simultanément sur un objectif (Loretto et Ancône ) à plus de 60 lieues de leur point de départ, est, selon moi, une de ces opérations qu’on peut classer parmi les manœuvres trop étendues; manœuvres où il faut un concours rare d’heureuses circonstances pour réussir, et où l’ensemble, l’exactitude des calculs, et la protection réciproque des deux grandes masses manquent presque toujours. Ce n’est que dans le cas où chaque corps d’armée isolé a la certitude de pouvoir seul combattre l’ennemi avec des forces à peu près égales, qu’on peut suivre un pareil plan d’opération. Encore faut-il faire entrer en ligne de compte la nature du pays, et ne point oublier que ces deux corps se trouvaient, par la direction qu’on leur avait donnée, séparés par les hautes et, pour la plupart, impraticables montagnes de la chaîne des Apennins.
Le lieutenant-général Neipperg se trouvait donc seul, avec 15,000 hommes, chargé de la commission délicate, de suivre et de contenir toute l’armée de Murat de près de 35,000 hommes, tandis que le général Bianchi, avec ses 11,000 hommes et le corps du comte Nugent de 3,000 hommes, en marche de l’autre côté des Apennins, se trouvaient hors d’état de venir à temps à son secours, en cas d’attaque. Murat aurait eu 99 chances pour lui, s’il avait pris la résolution de resserrer spontanément son offensive, pour se porter sur le corps de Neipperg, comme le plus voisin, afin de l’écraser avec toute la supériorité de ses forces concentrées ; puis il devait se tourner, avec cette même vigueur et célérité, sur le corps de Bianchi, dès lors isolé, pour lui préparer un pareil sort, et rappeler le principe trop souvent oublié : que l’on ne met l’ ennemi entre deux feux, que sur le champ de bataille même, et que tout autre adoption et extension de cette phrase n’a presque toujours entraîné qu’à de faux calculs et à des erreurs
très-préjudiciables.
Les mesures habiles et énergiques que le lieutenant-général comte de Neipperg sut prendre, la brillante réputation que sa bravoure et ses talents lui avaient déjà acquise dans les nombreuses campagnes où il avait constamment développé d’éminentes qualités, en imposèrent à Murat, qui, forcé enfin, comme nous le verrons, à livrer la bataille de Tolentino, échoua dans son entreprise, par la valeur des troupes et par les énergiques et savantes dispositions du général Bianchi, qui y acquit une gloire justement méritée et à jamais mémorable.
Murat prouva dans cette campagne qu’il était excellent soldat, plein de bravoure et d’intrépidité, mais qu’il n’avait aucune des qualités qui constituent le général. Il ne sut point profiter des avantages de sa position, et il dut beaucoup se repentir de la faute grave qu’il avait commise de n’avoir pas fait occuper en force, et plus à temps, les deux débouchés de l’Apennin, de Florence et Pistoja.
Mais reprenons le fil des évènements dans le chapitre suivant.