Bonaparte et les États-Unis

Influence des plans supposés du Premier Consul Bonaparte
vis à vis de l’Amérique du Nord
sur la politique étrangère des États-Unis
1799-1804.

Matthew Zarzecny, FINS

Matthew Zarzuecny est étudiant à l’Université de Kent (Ohio) où il prépare actuellement une Maîtrise d’Histoire, sur le thème « L’Union européenne de Napoléon : le grand empire des États-Unis d’Europe ». Il est aussi l’auteur de très nombreux textes poétiques. Il est également membre du Souvenir Napoléonien et de la Napoleonic Society of America

Traduction – Adaptation – Illustration : Robert Ouvrard

Cet article a été publié dans sa version originale anglaise sur le site The Napoleonic Series


Introduction

Lorsque, en 1803, les États-Unis d’Amérique acquièrent, de la République Française, le territoire de la Louisiane, les négociateurs américains à Paris s’enquièrent des frontières et de l’ampleur de leur nouvelle acquisition. Le ministre des affaires étrangères français, Talleyrand, répond à l’interrogation américaine par un simple : « Vous avez fait une bonne affaire et je suppose que vous en tirerez le meilleur parti. »[1]. Les évènements menant à cette conversation avaient progressé comme un rouleau compresseur dans la politique des États-Unis vis-à-vis de la France, avec des hauts et des bas, avec beaucoup d’engagement, et, comme le montre la réponse de Talleyrand, une perte de clarté de la part des diplomates américains et français, des journalistes, et des politiciens  essayant de caractériser ce qui avait vraiment transpiré historiquement.

Après que l’alliance entre la France et les jeunes États-Unis d’Amérique se soit effritée durant la Révolution française, les tensions provoquées par les projets de divers hommes politiques américains et français s’intensifient lorsque le gouvernement consulaire pro-américain de Napoléon Bonaparte prend les rênes du pouvoir en France et rêve de restaurer l’influence, jadis importante, de la France en Amérique du Nord. La question de savoir dans quelle mesure ces ambitions inspirèrent de la crainte dans la population américaine, tout en incitant les politiciens américains à suivre une politique étrangère déterminée, peut trouver sa réponse dans l’étude des relations franco-américaines, avant la conversation mentionnée ci-dessus, en 1803. On voit alors que, durant le premier quart de siècle de l’histoire des États-Unis, non seulement les ambitions d’américains aventureux affectèrent profondément la politique américaine vis-à-vis de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Espagne, mais également, si ne n’est plus, que les ambitions du Premier Consul eurent un impact significatif sur cette politique.

La bonne compréhension de l’influence des idées de Napoléon Bonaparte sur la politique étrangère américaine fait appel à la fois à l’histoire et à la science politique. L’étude des nombreuses sources disponibles aide à se faire une meilleure idée d’une ère volatile qui influença la politique étrangère américaine d’une façon qui n’est pas toujours considérée. La présentation d’un tel sujet permet une approche unique des évènements liés à l’achat de la Louisiane, sans répéter ce que d’autres historiens ont écrit sur cette période. Ceux-ci tendent à ne considérer que certains personnages clés impliqués dans l’achat de la Louisiane, ou seulement l’histoire diplomatique des évènements ayant conduits à cette transaction territoriale. Pourtant, le moment est venu  d’un nouveau regard, en particulier sur l’impact sur la politique étrangère de l’Amérique, des plans avortés de Bonaparte sur le continent nord-américain , du point de vue du public et du gouvernement américain. Les historiens futurs bénéficieront d’une analyse ………………….. de l’influence des plans de Bonaparte pour l’Amérique du Nord et de la crise qui en résulta, qui contribue considérablement à la connaissance historique de cette période dans l’histoire du XIXe siècle américain et mondial.

Les origines de la crise qui survint après que les Américains aient pris connaissance de l’acquisition (également connue sous le nom de rétrocession) par la France, de la Louisiane, durant les premières années de règne de Bonaparte, remontent quarante années avant cet événements.

En novembre 1762, Louis XV le Bien-Aimé cède à Charles III d’Espagne, par le traité de Fontainebleau, le territoire de la Louisiane, y compris le port de la Nouvelle-Orléans et la partie trans-Mississippi de ce territoire. A la fin de la guerre de Sept Ans, en 1763, la Grande-Bretagne reçoit la partie trans-Allegheny de la Louisiane française, puis, en 1765, occupe le territoire de l’Illinois. En 1766, l’Espagne envoie en Louisiane le premier gouverneur espagnol, Antonio de Ulloa,  afin de remplacer le dernier gouverneur français, Jean-Jacques Blaise d’Abbadie. En 1768, durant la révolte de la Louisiane, les habitants français, tels que Pierre Carresse, qui professe fidélité au roi de France, envisagent une république qui encouragerait également les colons anglais à se révolter contre la monarchie britannique. Bien que, en 1769, l’Espagne ait envoyé Alejandro O’Reilly pour mater la révolte, peu d’Espagnols s’installent en Louisiane et les immigrés français continueront d’arriver en Louisiane, avant et après l’achat de la Louisiane de 1803. De nombreux exilés des divers régimes français, y compris les royalistes autour de 1800, arriveront dans ce vaste territoire. En particulier, les Français de Saint-Domingue débarquent à Saint-Louis et à la Nouvelle-Orléans, entre 1793 et 1804, en nombre significatif. En plus de ces immigrés français, des Américains se précipitent pour des concessions territoriales espagnoles, en Louisiane supérieure et inférieure, entre 1795 et 1803.[2]

L’établissement américain dans les anciens territoires français en Amérique du nord, n’a pas commencé en Louisiane. Des citoyens des États-Unis ont peuplé et acquis d’anciens territoire français, avant l’immigration américaine en Louisiane espagnole, en 1795. La région de Detroit et le territoire du Mississippi, tous les deux autrefois territoires français en Amérique du Nord, deviennent parties des États-Unis dans les années 1790. [3] Durant les dix années qui précèdent l’achat de la Louisiane, les Français, qui vivent toujours dans leurs anciennes colonies nord-américaines, réagissent négativement à l’accroissement du nombre de colons américains. Le Gouverneur français Zenon Trudeau, gouverneur de la Haute Louisiane sous le régime espagnol, parle des Américains comme d' »un peuple sans loi ni discipline » [4]  De leur côté, les Américains, comme John Quincy Adams, voient également les Français en Louisiane avec désapprobation, parce que ces nord-américains français  parlent français et sont catholiques.[5] De plus grands soupçons surgissent après le début de la Révolution française, en 1789.

Comme une montagne russe, l’opinion américaine envers la France se propage tout au long de la révolution américaine, lorsque les deux états deviennent des alliés. La victoire américaine de Saratoga, dans sa lutte pour se libérer de la  Grande-Bretagne, montre au monde que la mère-patrie peut être vaincue par ses treize colonies et inspire l’idée à la France et à l’Espagne, toutes deux désireuses de se venger du traité de Paris (1763), d’aider l’armée rebelle. La participation française ira bien au-delà du simple envoi de La Fayette, ……………et du siège de Gibraltar. Durant la guerre d’indépendance américaine, une flotte et une force terrestre françaises, aident les Américains, sous les ordres général George Washington, à battre Lord Cornwallis et 7.000 soldats anglais, à Yorktown, en 1781. Cette victoire décisive met pratiquement fin à la révolution et assure l’indépendance américaine. Ironiquement, cependant, alors que la révolution américaine avait forgé l’alliance entre la France et l’Amérique, la Révolution française allait  détruire cette amitié. [6]

La période chaotique de la Révolution française commence par la prise de la Bastille par des insurgés de Paris, le 14 juillet 1789. Lorsque la première République remplace la monarchie française en 1792, la Terreur règne et plusieurs évènements se succèdent, parmi lesquels la création de la Convention nationale et de l’infâme Comité Salut Publique. La majeure partie de l’Europe se range contre la France, espérant reconstituer la monarchie, mais le général Charles-François-François du Périer Dumouriez stoppe l’invasion alliée à Valmy, le 20 septembre 1792. Après cette bataille, la France commence une politique expansionniste, conquérant de nouveaux territoires et créant des républiques satellites, toutes au nom de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité, idéaux rappelant ceux des révolutionnaires américains, une décade plus tôt ; toutefois, ces idéaux ne limitèrent pas son esprit de conquête en Europe.

Après que la Révolution française ait commencé et avant qu’il n’apprenne les vues de la France en Amérique du Nord, le politicien américain et principale figure de la révolution américaine, Thomas Jefferson, exprime d’abord son enthousiasme pour la Révolution française. Les Français, comme le ministre Adet, enregistrent les sentiments de Jefferson, et lui « renvoient l’ascenseur » en essayant de le faire élire Jefferson président États-Unis. Bien plus, le gouvernement du Directoire, à la fin des années 90, tout comme les républicains Jefferson et Monroe, désapprouve les Fédéralistes, tel Hamilton, qui soutiennent l’Angleterre. Les efforts français commencent par le remplacement du ministre français aux États-Unis et, comme l’on pouvait le prévoir, Jefferson ne désapprouve pas cet appui. Les fédéralistes, assez astucieux pour réaliser ces rapports, condamnent Jefferson comme agent de l’athéisme et de l’anarchie française. Néanmoins, l’enthousiasme des américains comme Jefferson, va décliner de façon drastique pendant l’affaire XYZ et continuera de décliner durant la Quasi-guerre entre la France et les États-Unis, durant la présidence de John Adams [7]

Les relations entre l’Amérique et la France se détériorent constamment pendant cette  époque troublée. Les tensions apparaissent au début du conflit naval entre les flottes britanniques, hollandaises, françaises, et espagnoles opérant dans les Caraïbes, perturbant le commerce américain. Durant la première partie de la partie navale des guerres révolutionnaires françaises, les lois du Congrès des États-Unis entraînent la nation dans la guerre. Telle la loi imposant des limites sur les tonnages, du 20 juillet 1789 et celle imposant des limites sur le tonnage des bateaux, du 2 juillet 1790. Le 11 septembre 1790, au moment de la chute de Louis XVI, le roi écrit au président américain George Washington, qui voulait que l’Amérique évitât tout implication dans des conflits européens, qu’il veut renouveler « ces assurances de considération et d’amitié que nous ressentons pour les États-Unis ».  Les « assurances » mentionnée par Louis XVI, font sans doute référence au traité de 1778, qui donnait aux États-Unis l’obligation de défendre les possessions de la France dans les Caraïbes [8]. Les américains, y compris Alexandre Hamilton et Thomas Jefferson, veulent, à ce moment-là, la paix . Reconnaissant le manque de désir pour la guerre, Washington met de côté le traité, déclarant la neutralité américaine, mais d’autres facteurs vont bientôt faire naître des passions américaines dans la direction opposée. [9]

Avec la monarchie française mise à mal, la Convention nationale, dominée par Georges-Jacques Danton, Jean-Paul Marat, et Maximilien-François-Marie-Isidore de Robespierre, plonge encore plus la France dans un bain de sang, avec notamment l’exécution de Louis XVI, qui avait réalisé l’alliance avec l’Amérique, et la guerre s’étend au-delà des frontières de la France, et même par-delà l’Atlantique. Le nouveau gouvernement républicain des Girondins envoie, en 1793, Edmond Charles Genêt comme ambassadeur aux États-Unis.

Les entreprises audacieuses de ce dernier, notamment un plan d’attaque des possessions espagnoles en Floride et en Louisiane, que Genet mentionne à Jefferson en 1793, entraînent son rappel en France. Entre-temps, Talleyrand a envoyé le comte Constantin de Volney à Monticello, dans le but d’explorer les possibilités de colonisation française sur le continent américain et découvre rapidement que les américains seront loin de sourire à une rétrocession de la Louisiane à la France.[10]


NOTES

[1] Curtis M. Geer, The Louisiana Purchase and the Westward Movement (Philadelphia: 1904), 212; Jerry W. Knudson, “Newspaper Reaction to the Louisiana Purchase: ‘This New, Immense, Unbounded World’” in Missouri Historical Review (63, 2 [1969]), 184.

[2] Mark Fernandez, “Edward Livingston and the Problem of Law” in The Louisiana Purchase, edited by Peter J. Kastor (Washington: CQ Press, 2002), 95; Jay Gitlin, “Children of Empire or Concitoyens?  Louisiana’s French Inhabitants” in The Louisiana Purchase, edited by Peter J. Kastor (Washington: CQ Press, 2002), 24-25, 30, 32, 34; Kastor, The Louisiana Purchase, 3; “Provision for Claims of Citizens of the United States on the Government of France” on The Avalon Project: The Louisiana Purchase; 1803, (New Haven: Yale Law School, 1997) http://www.yale.edu/lawweb/avalon/statutes/2us247.htm.

[3] Gitlin 27; “Provision for Claims of Citizens of the United States on the Government of France.”

[4] “A people without law or discipline.”  See Gitlin 27.

[5] Gitlin 28; Alexander Hamilton, “Alexander Hamilton on the French Revolution” in Liberty, Equality, Fraternity: Exploring the French Revolution, edited by Jack R. Censer and Lynn Hunt (University Park: The Pennsylvania State University Press, 2001), 194-196.

[6] John Adams, “Fourth Annual Message” on The Avalon Project: Quasi War with France 1791 1800 (New Haven: Yale Law School, 1997) http://www.yale.edu/lawweb/avalon/presiden/sou/adamsme4.htm#france; John Adams, “Message to the Senate and House of Representatives, February 5, 1798, Regarding a French Privateer” on The Avalon Project: Quasi War with France 1791-1800 http://www.yale.edu/lawweb/avalon/quasi.htm 31 December 1969.

[7] Thomas Jefferson, “To Samuel Adams, February 1800” in The Writings of Thomas Jefferson, edited by Paul Leicester Ford (New York: G. P. Putnam’s Sons, 1892-99), 425; Kaplan 68-70, 73, 86.

[8] French ambitions in the Americas during this period initially concentrated on the Caribbean as best exemplified in 1795, when Spain ceded Hispaniola to France, but soon expanded to include much larger portions of the so-called “New World.”  See Stephen Pope, Dictionary of the Napoleonic Wars (London: Cassell, 1999), 436; “Treaty of San Ildefonso: October 1, 1800” on The Avalon Project: The Louisiana Purchase; 1803 (New Haven: Yale Law School, 1997) http://www.yale.edu/lawweb/avalon/ildefens.htm.

[9] George Washington, “Message to the Senate of January 17, 1791 Transmitting a Letter from the King of France” on The Avalon Project: Quasi War with France 1791-1800, http://www.yale.edu/lawweb/avalon/quasi.htm (31 December 1969); Ariel and Will Durant, The Age of Napoleon (New York: Simon & Schuster, 1975), 3-87.

[10] Thomas Jefferson, “Thomas Jefferson on the French Revolution” in Liberty, Equality, Fraternity: Exploring the French Revolution, edited by  Jack R. Censer and Lynn Hunt (University Park: The Pennsylvania State University Press, 2001), 192-193; Kaplan 56, 74, 79.

Sommaire

 

Introduction

La quasi guerre

Les plans supposés de Napoléon

La réponse américaine

Conclusion

Bibliographie