Badajoz – 1812 – Histoire du Consulat et du Premier empire
La chute de Badajoz
6 avril 1812
Le siège de la ville
Après avoir au cours de sièges précédents pris les villes frontières d’Almeida et de Ciudad Rodrigo, l’armée anglo-portugaise a fait mouvement sur Badajoz afin de prendre la ville et de sécuriser les lignes de communication avec Lisbonne, base principale d’opérations pour l’armée alliée. Badajoz a alors une garnison d’environ 5 000 hommes sous le commandement du général Armand Philippon, gouverneur militaire de la ville, et possède des fortifications bien plus redoutables que celles d’Almeida ou de Ciudad Rodrigo. Entourée d’une forte muraille couverte par de nombreux points fortifiés et bastions, Badajoz a déjà résisté, en 1811, à deux tentatives de sièges et est donc bien préparée pour une troisième tentative, avec ses murailles renforcées et une partie de la zone autour de l’enceinte, inondée ou minée avec des explosifs.
L’armée alliée, forte de 25 000 hommes, surpasse de cinq fois la garnison française. Après avoir encerclé la ville, elle commence le siège par le creusement des tranchées, des parallèles et des terrassements destinés à protéger l’artillerie de siège. Ce travail est rendu difficile par des pluies torrentielles et prolongées. De leur côté, les Français effectuent plusieurs raids afin de détruire les lignes d’approche vers la muraille, mais sont chaque fois repoussés par les tireurs d’élite britanniques et l’infanterie de ligne.
Avec l’arrivée de mortiers lourds de 18 et 24 livres, les alliés commencent à bombarder les défenses de la ville, et un des bastions avancés est enlevé par les tuniques rouges de la 3e division du général Thomas Picton, ce qui permet d’élargir les terrassements de siège. Bientôt les tranchées s’avancent vers les hauts murs de pierre, les canons continuant à pilonner la maçonnerie de la muraille.
Le 5 avril deux brèches sont faites dans la muraille et les assaillants se préparent à donner l’assaut. L’ordre d’attaquer est toutefois différé de 24 heures, pour permettre d’ouvrir une troisième brèche. Des nouvelles commencent à circuler chez les alliés : le maréchal Soult serait en route pour porter secours à la ville. L’ordre de lancer l’attaque est donc donné à 22 heures, le 6 avril.
La garnison française qui sait à quoi s’attendre, mine les larges brèches dans les murs et se prépare pour un assaut immédiat.

L’assaut
A l’heure dite, les troupes s’avancent avec des échelles d’assaut et différents outils. Les premiers hommes à donner l’assaut sont ceux du Forlorn Hope [1], qui précédent l’attaque principale, menée par la 4e division et la division d’infanterie légère de Craufurd, pendant que les attaques de diversion sont faites au nord et à l’est par les Portugais et les Britanniques de la 5e division de Picton et la 3edivision.
Lorsque le Forlorn Hope lance son attaque, une sentinelle française est alertée et donne l’alarme. En quelques secondes les remparts se couvrent de soldats français, qui déversent une grêle mortelle de mousquèterie sur les troupes à la base de la brèche. Britanniques et Portugais foncent en avant en masse et escaladent la brèche, faisant face à un barrage meurtrier de tir de mousquets, complété par des grenades, des pierres, des barils de poudre à canon avec des mèches rudimentaires et même des balles de foins enflammées.
Les rangs britanniques sont décimés et la brèche commence bientôt à s’emplir de morts et de blessés, à travers lesquels les assaillants doivent se frayer un passage. Malgré ce carnage, les tuniques rouges continuent à pousser en avant en grand nombre, avec pour seul résultat d’être fauchés par les volées de mousquets et la mitraille. En deux heures, quelque 2 000 hommes sont tués ou grièvement blessés à la brèche principale, alors que de nombreux autres hommes de la 3e division sont abattus dans les attaques de diversion. Picton lui-même est blessé alors qu’il escalade une échelle afin d’atteindre le haut de la muraille. Partout où les alliés attaquent, ils sont arrêtés. Le carnage est si immense que Wellington est sur le point de rappeler ses troupes, quand, finalement elles prennent pied sur le sommet de la muraille.
La 3e division de Picton finit tout de même par atteindre le sommet du mur et, en même temps, à faire sa jonction avec les hommes de la 5e division, qui eux aussi progressent vers l’intérieur de la ville. À partir du moment où ils avaient réussi à prendre pied dans la ville, les alliés avaient l’avantage de leur supériorité numérique et ils commencèrent à repousser les Français. Voyant qu’il ne pouvait plus tenir, le général Philippon se retira de Badajoz vers la forteresse voisine de San Cristobal et il capitule peu après.
Le sac de Badajoz
Avec la victoire, c’est le pillage en masse et le désordre, quand les tuniques rouges se mirent à boire. Il faudra 72 heures pour que l’ordre puisse être définitivement rétabli. Le sac de Badajoz, acte de sauvagerie gratuite, est considéré par de nombreux historiens comme un exemple de conduite particulièrement atroce de la part de l’armée britannique. Les vainqueurs entrent par effraction dans de nombreuses maisons, les biens sont vandalisés ou volés, des citoyens espagnols de tous âges et de tous bords sont tués ou violés, et de nombreux officiers britanniques sont abattus par ceux-là même qui essayent de ramener à l’ordre. Parmi les civils qui réussirent à survivre, on comptera Juana de los Dolores de Leon, future épouse du général Harry Smith et sa sœur.
À l’aube du 7 avril, on peut mesurer l’horreur du massacre tout autour de la muraille. Les corps sont empilés sur plusieurs épaisseurs et le sang a coulé par ruisseaux entiers dans les tranchées. Spectateur effaré de cette destruction et du massacre, Wellington pleure [2], et maudit le Parlement britannique qui ne lui a accordé que si peu de ressources et de soldats.
L’assaut et les engagements précédents ont coûté aux alliés près de 4.800 hommes hors de combat. La division d’élite et la division légère ont le plus durement souffert, perdant 40% de ses effectifs. Mais le siège est désormais terminé et Wellington a sécurisé la frontière entre l’Espagne et le Portugal. Il peut désormais marcher contre le Maréchal Marmont, à Salamanque.
NOTES
[1] Littéralement Chance désespérée. Dans l’armée britannique on appelait ainsi les unités constituées en vue de mission suicide ou à haut risque, généralement constituées de volontaires, ou pour le moins encadrées par des officiers et sous-officiers volontaires, dont les survivants en cas de succès étaient systématiquement promus à un grade supérieur. Dans une armée où les commissions d’officier s’achetaient fort cher, c’était à peu près la seule manière d’obtenir une promotion pour un officier subalterne désargenté.
[2] Mais certains pensent qu’il s’agit là de larmes de comédie, propre à impressionner l’envoyé de Londres…