Août 1801 – L’affaire de Boulogne
Le projet de descente en Angleterre
Après la signature de la Paix de Lunéville (le 5 février 1801), Bonaparte entrevoit la possibilité d’envoyer une expédition sur le sol britannique.
Mais qui dit Angleterre, dit île, et donc besoin d’embarcations et d’une marine opérationnelle.
Le 10 mars 1801, par arrêté secret, les consuls ordonnent l’organisation d’une « flottille légère », répartie en 12 divisions qui trouveront leur place entre Flessingue et le Morbihan, le point d’ancrage étant le port de Boulogne.
Les directives des consuls sont claires :
« renforcer les moyens défensifs de la côte, procurer une plus grande protection au cabotage, et, par conséquent, réunir des forces qui puissent être promptement opposées aux bâtiments ennemis, toutes les fois que leur nombre en permettra l’attaque et que les occasions paraîtront même favorables pour prendre l’offensive ».
Quant aux ordres de Bonaparte ils sont on ne peut plus clairs :
« Les chaloupes canonnières seront le plus souvent à la mer… Les soldats, matelots et officiers resteront toujours à bord ».
L’effectif initial de la flottille n’est pas des plus nombreux : seuls 450 navires sont en état de prendre la mer. Mais le matériel, en aussi mauvais état soit-il, ne suffit pas. Il faut trouver l’homme qui acceptera la mission. L’amiral Latouche Tréville accepte de relever le défi.

Ainsi, grâce à lui, grâce à toute l’énergie qu’il déploie, la flotte, tel le phénix, renaît de ses cendres. Elle s’organise, s’exerce et arrive même à se compléter de quelques bâtiments de transport. L’affaire est rondement menée, à un tel point, qu’à la fin du mois de juillet, cette flottille peut fournir les moyens pour transporter quelques 30 000 hommes.
Pourtant, ne voyant aucun ordre compléter cette montée en puissance, l’amiral s’inquiète et ne voulant absolument pas servir de simple diversion, il en réfère à son ministre, menaçant de démissionner.
Mais déjà Bonaparte entrevoit la possibilité de l’installation d’un camp à Boulogne, complétant ainsi l’infrastructure mise en place.
Tout ce déploiement de forces inquiète quelque peu la population et le gouvernement anglais (même si la « flottille légère » les fait sourire). Certes, ils possèdent une milice – environ 100 000 hommes (sur le papier) – , mais elle est bien fragile face à ce que semblent préparer les Français.
La décision est prise d’arrêter les « futurs » assaillants avant qu’ils n’abordent le sol anglais. Ce sera l’amiral Nelson qui dirigera les opérations.

Le Plan de Nelson
Le vice-amiral pense que Bonaparte ne vise que Londres. Donc les soldats français – dont il estime le nombre à quelque 20 000 hommes – seraient débarqués à l’ouest de Douvres, à bord d’environ 250 chaloupes. Devant cette hypothèse, Nelson établit deux plans :
– par temps de vent : il entrevoit l’intervention de l’escadre de frégates et de bâtiments légers, le tout soutenu par la milice maritime.
– par temps avec brise : l’escadre décrite ci-dessus serait renforcée de bricks.
Dans ces deux cas de figures, les Anglais pensent détruire la flotte du Premier Consul.
Mais face à la pression médiatique de l’époque – et notamment pour contrer les nombreuses rumeurs persistantes – l’amirauté ordonne à Nelson de bombarder Boulogne. L’amiral aura à sa disposition des frégates, corvettes et bricks, formant un effectif d’environ 80 navires auxquels s’ajoutent des galiotes à bombes et à brûlots et des bateaux canonniers.
Si l’espion s’en mêle…
En France, alors que la flottille continue sa montée en puissance, l’amiral Latouche Tréville prend connaissance des projets de Nelson. Il va, par conséquent, prendre toute une série de mesures destinées à contrer l’attaque du vice-amiral anglais.
Il fait donc sortir du port de Boulogne quelques bâtiments pour former une ligne d’embossage [1]Action d’amarrer les navires de façon à las maintenir dans une direction ou une position déterminée.. Pour se faire, il utilise 6 bricks, 2 goélettes, 20 chaloupes canonnières et bon nombre de petits bateaux plats. Tous attendent l’arrivée des anglais de pied ferme – même les marins.
L’attaque du 4 Août 1801
L’attaque débute à la pointe du jour. Nelson, à bord du vaisseau amiral La Méduse, et sa flotte viennent se placer devant la ligne française, ayant l’espoir qu’elle recule et fuit se réfugier dans le port de Boulogne. Mais les Français ne bougent pas et vers neuf heures, le bombardement commence. Le feu est nourri et la canonnade dure près de cinq heures. Par deux fois, les tentatives d’abordage échouent, n’ayant pour seul résultat que la destruction d’un canonnier et d’un bateau plat.
C’est un échec pour Nelson, dont la flotte doit se retirer. Ne pouvant rester ainsi, l’amiral entrevoit déjà une revanche.
L’attaque du 15 Août 1801
Échaudé par sa précédente défaite, l’amiral élabore un nouveau plan d’attaque et renforce ses troupes. Cette offensive-là, il la fera de nuit, comptant sur l’effet de surprise pour briser ces « maudits français ».
A la flottille précédente, il ajoute plusieurs vaisseaux. Ce sont donc 57 embarcations, partagées en quatre divisions principales, placées sous les ordres des capitaines Sommerville, Parker, Cotgrave et Jones. Dans chacune de ces divisions, se trouvent 2 canots chargés de couper les câbles et les amarres des navires embossés. Puis, à l’aide de leurs crocs, ils doivent entraîner au large les navires capturés. Les marins de ces canots sont bien armés : piques, haches, sabres, fusils et baïonnettes.
Outre ces canots, chaque division est formée de six bateaux plats et de dix péniches. Une cinquième division doit rester à l’arrière pour former la réserve. Là, sont regroupés les bateaux armés d’obusiers.
Le début de l’attaque commence vers une heure du matin, après une approche silencieuse, et se déroule selon le plan suivant :
– les capitaines Parker et Cotgrave lancent l’attaque sur l’embossage. C’est Parker qui ouvre l’offensive sur la canonnière L’Etna, qui garde le guidon de commandement. Mais le capitaine français Pévrieux « veille au grain ». Il a protégé ses navires à l’aide de filets d’abordage et fait répliquer ses hommes par un feu de file bien nourri et des bordées de mitrailles de même nature. Dans le même temps, le capitaine Cotgrave lance l’attaque contre les canonnières Le Volcan et La Surprise. Le choc est violent. Le combat devient général.
Les deux autres divisions ne sont pas en reste.
– Sommerset tente une attaque sur l’aile droite de la flottille française, mais il doit se retirer sous le feu nourri des marins. Il doit rapidement regagner le large, après des pertes considérables.
– Jones, à la tête de la quatrième division, se réserve l’aile gauche. Mais, confronté à la marée contraire, il voit les courants rompre le bon ordre de ses troupes et ralentir sa course. Lorsqu’il arrive enfin sur le lieu de combat, ce n’est que pour recueillir les blessés et aider au repli des navires anglais.
A la pointe du jour, après quatre heures de feu intense, le combat cesse et les britanniques comptent leurs pertes. Elles sont lourdes : 170 hommes et 12 embarcations perdus. La Surprise a coulé, à elle seule, 4 péniches et en a capturé un pareil nombre.
La Flottille française est intacte. C’est le second échec de Nelson. L’Angleterre est sous le choc. L’amiral est douloureusement affecté. Non seulement il a été vaincu deux fois, mais il a perdu le capitaine Parker.
Pourquoi ? Ce qui sauva la flottille française, ce fut la vigilance de l’amiral Latouche-Tréville qui garda sa flotte, telle une place forte, maintenant ses hommes en alerte constante. Il avait exigé un service devant le port de Boulogne. Les Français étaient donc prêts à parer toute attaque éventuelle.
C’est ainsi que nos bateaux plats – risée des marins anglais – avaient tenu en échec les Maîtres des Mers !
Références
Julien de la Gravière. Guerres maritimes sous la République et l’Empire, G. Charpentier Éditeur Paris, 1881, 2 tomes
Tramond Joannès. Manuel d’Histoire Maritime des origines à 1815, Société d’Éditions Géographiques, Maritimes et Coloniales, Paris, 1927
Thomazi A. Napoléon et ses Marins, Éditions Berger-Levrault, Paris, 1950
Hugo, A. France Militaire – Histoire des Armées Françaises de terre et de Mer de 1792 à 1837, Delloye – Éditeur de la France Pittoresque, Paris, 1838, 5 tomes.