Zacharie Allemand (1762-1826)

Né à Toulon le 1er mai 1762, Zacharie Allemand, dont le père est alors lieutenant de vaisseau, devient très jeune orphelin de père et de mère, destin qui l’amène à embarquer dès l’âge de 12 ans sur un navire français de la compagnie des Indes, comme mousse puis pilotin. A l’âge de 17 ans, il s’engage dans la Royale, dans l’escadre du bailli de Suffren. Il sera blessé à trois reprise, et perdra l’oeil gauche.
Nommé lieutenant de frégate en octobre 1783 – il n’a donc que 21 ans – il embarque – aux Indes – sur l’Annibal, puis sur les frégates Baleine et Outarde. Il rentre en France en 1786. Promu sous-lieutenant de vaisseau, il fait ensuite campagne à Saint-Domingue, en Nouvelle-Angleterre et aux Iles du Vent, de 1787 à 1791.
En 1792, il est nommé lieutenant de vaisseau et reçoit le commandement d’une corvette. La Révolution propulse rapidement Allemand : il est fait capitaine de vaisseau en janvier 1793 et commande la frégate Carmagnole de 44 canons, qui croise entre Ouessant et Dunkerque, . Il fait plusieurs prises, capturant même, le 25 octobre 1793, la frégate anglaise Thames, mise à mal la veille par l’Uranie (dont le commandant, le capitaine de vaisseau Tartu, a trouvé la mort durant ce combat). Allemand reçoit ensuite le commandement d’une petite division (3 frégates et 2 bricks), avec laquelle il ravage les établissements anglais de Sierra Léone et de Guinée, prenant ou détruisant 21 navires.
De 1795 à 1797, Allemand commande le vaisseau Duquesne (74 canons – escadre de la Méditerranée), sous les ordres du contre-amiral Martin et prend part à de nombreux petits combats (cap Noli en mars 1795, îles d’Hyères, Fréjus…) avant de capturer un riche convoi dans l’Atlantique. En mars 1796, il est promu chef de division.
Sous les ordres du contre-amiral Richery, il prend part, en septembre de la même année, à l’attaque des établissements anglais de Terre-Neuve. Plus tard, à la tête d’une division de 2 vaisseaux et 1 frégate, il détruit les installations anglaises du Labrador. Il capture un important convoi de Québec, et rentre à Brest en novembre avec ses prises d’une valeur de 80 millions et près de 1.800 prisonniers !
Mais en mars 1797, Allemand est destitué de son commandement pour abus de pouvoir et mauvais caractère. Deux ans plus tard (mars 1799), il reçoit de nouveau un commandement : celui du Tyrannicide, au sein de l’escadre de Bruix. Il fait une brillante campagne en Atlantique puis en Méditerranée (mais l’objectif de ravitailler l’Egypte, où se trouve bloquée l’armée française après le départ de Bonaparte, n’est pas atteint).
En 1800, il est de nouveau destitué, cette fois pour indiscipline, par son nouveau commandant en chef, Latouche-Tréville. Mais, en 1801, on le retrouve dans son escadre, à Saint-Domingue, commandant le vaisseau Aigle. Rentré en France, il sert à terre jusqu’en 1802, à Brest puis à Rochefort. Il prend alors le commandement du Magnanime dans l’escadre de Missiessy, qui appareille le 11 janvier 1805 pour les Antilles, lieu de rassemblement prévu des escadres de Brest, Toulon et Rochefort, dans le but d’y attirer la flotte anglaise et de libérer l’entrée de la Manche. Il participe activement à la prise de la Dominique.
On sait que Missiessy quittera les Antilles le 28 mars pour Rochefort, ayant vainement attendu l’escadre de Villeneuve, qui a été retardée et n’a quitté Toulon que le 30 mars ! De retour à Rochefort, Missiessy, injustement blâmé pour sa conduite par Napoléon, tombe malade et Allemand reçoit officieusement le commandement de l’escadre (ceci sera officialisé avec la disgrâce de Missiessy, le 26 juin), et, le 22 juin 1805, une nouvelle mission : faire diversion, partir vers les côtes d’Irlande comme s’il venait d’Amérique, s’y montrer entre le 4 et le 9 juillet, être ensuite à 100 nautiques à l’ouest du Ferrol entre le 29 juillet et le 3 août, y rejoindre l’escadre de Villeneuve, mais sans se faire repérer des vaisseaux anglais qui bloquent le port !
Le 17 juillet, Allemand prend la mer avec ses 5 vaisseaux (le Majestueux de 118 canons, les Jemmapes, Magnanime, Suffren et Lion de 74 canons, les frégates Armide, Thétis et Gloire de 40 canons, et les bricks Sylphe et Palinure de 16 canons). Comme il est trop tard pour aller reconnaître l’Irlande, il se dirige vers le point de rendez-vous et y croise effectivement du 29 juillet au 3 août. Il n’y trouve pas l’escadre de Villeneuve, qui a affronté Calder le 22 juillet (combat des Quinze-Vingts), entre au Ferrol le 31 juillet, avant de se diriger sur La Corogne, puis se dirige vers le sud de Penmarc’h, second lieu prévu de rendez-vous, y reste du 6 au 11 août.
Pendant ce temps, Villeneuve tente lui aussi d’établir le contact. Il envoie une frégate, la Didon, à la recherche d’Allemand, qui se fait capturer par la frégate anglaise Phénix ! Le 13 août, il quitte La Corogne pour se rendre à Brest, où il devrait rejoindre l’escadre de Ganteaume. Allemand, de son côté, redescend vers l’Espagne, toujours à la recherche de Villeneuve. Le 14 août, les deux flottes s’aperçoivent, mais, pensant être tombé sur une flotte anglaise très supérieure en nombre, Allemand se dérobe habilement ! De son côté, Villeneuve ne cherche pas à reconnaître cette flotte, car les Anglais ont réussi à lui faire croire qu’une de leurs escadres, forte de 25 vaisseaux, descendait vers Vigo !
Arrivé à Vigo le 16 août, Allemand prend connaissance des instructions laissées par Villeneuve : repartir sur Brest ! Son escadre repart donc dès le 17, arrive à Penmarc’h le 30 août et y croise jusqu’au 6 septembre, échappant aux navires Anglais de Stirling. Mais Villeneuve a fait demi-tour depuis bien longtemps ! Allemand décide alors de redescendre vers l’Espagne.
Le 11 septembre, au large de Cadix, il apprend que Villeneuve y est étroitement bloqué. Le 15 septembre, il intercepte un convoi des Indes, et capture le vaisseau de 50 canons Calcutta ainsi que 10 navires de commerce. Du 24 au 30 septembre, il est à l’ouvert de la Manche, échappant à l’Anglais Cornwallis. Le 9 octobre, il est au Cap Finisterre, pourchassé par l’amiral Strachan, lui-même poursuivant un convoi de Lisbonne. Il fait alors route sur Santa Cruz de Ténériffe, faisant de nombreuses prises, fait escale aux Canaries du 3 au 16 novembre pour y soigner ses malades et vendre les prises qu’il a pu faire. Il est de retour à Rochefort le 24 décembre, après 161 jours de croisière dont 148 de mer !. Il ramène pas moins de 1.200 prisonniers, pris sur 52 navires de commerce anglais !
Allemand est promu contre-amiral en janvier 1806, et conserve le commandement de l’escadre de Rochefort. Jusqu’en 1807, il reste à Rochefort, bloqué par les Anglais. En janvier 1808, il réussit mener 5 de ses vaisseaux jusqu’à Toulon, pour y renforcer l’escadre du vice-amiral Ganteaume, chargée d’aller renforcer l’île de Corfou (retournée à la France par le traité de Tilsitt). L’opération est un succès. A son retour, Allemand prend alors, par interim, le commandement de l’escadre de Méditerranée.
Après l’échec de l’expédition que Napoléon a décidé d’envoyer au secours des Antilles, de plus en plus menacées par les Anglais, l’amiral Willaumez, qui la commandait, est destitué et Allemand, nommé vice-amiral, est désigné pour le remplacer. Il arrive sur zone le 15 mars, trouvant son escadre bloquée par les forces de l’amiral Gambier. Au lieu de prendre l’offensive, pour tenter de profiter du fait que l’escadre anglaise, elle-aussi au mouillage, est encombrée de brûlots, il se contente de prendre des mesures défensives : s’embosser derrière une estacade, déverguer les voiles et caler les mâts de hunes pour donner moins de prise aux incendies.

Dans la nuit du 11 au 12 avril, ce sont 28 brûlots britanniques qui dérivent vers les navires français avec la marée, précédés par 4 vaisseaux explosifs dont le but est de faire sauter l’estacade et d’ouvrir des chemins pour les brûlots. La panique s’empare des navires français, qui, à l’exception des seuls Foudroyant et Cassard du contre-amiral Gourdon, coupent leurs amarres et vont s’échouer. Le Régulus, commandé par le capitaine de vaisseau Lucas, héros de Trafalgar, dérive sur l’Océan d’Allemand et y met le feu avant d’aller finir au sec ! Seule la frégate Elbe a pu rentrer se mettre à l’abri dans la Charente. Au lever du jour, 8 vaisseaux et 1 frégate sont échoués ; le Foudroyant et le Cassard appareillent tranquillement et vont se mettre à leur tour en sécurité. Le Régulus et l’Océan se remettent à flot, mais s’échouent à nouveau sur les vases de Fouras.
C’est le moment que choisissent les Anglais pour se précipiter sur les navires les plus exposés à l’ouest : à l’approche des frégates anglaises, le vaisseau Calcutta est abandonné après avoir été incendié ; le Varsovie amène son pavillon ; l’Aquilon se rend et est incendié par les hommes de Gambier. Le Tonnerre, attaqué, est à son tour incendié sur ordre de son commandant. Dans cette même matinée, le reste des navires est dégagé, et mis à l’abris dans la Charente, à l’exception du Régulus et de la frégate Indienne, qui se brise en deux. Seul le capitaine Lucas, refuse d’abandonner son navire, résiste 15 jours aux attaques anglaises, faisant même percer des brèches dans la coque pour pouvoir mettre ses canons en batterie ! Renfloué, il rentrera à Rochefort le 29 avril, sous les acclamations de la foule.
Cette affaire coûte cher à la mairne française : 4 vaisseaux et 1 frégate ont été incendiés, 7 vaisseaux et 3 autres frégates, sauvés, sont cependant inutilisables. Les Anglais eurent à déplorer 32 tués et blessés, les Français comptant environ 250 tués, 800 blessés et 650 prisonniers !
Le ministre de la marine, Decrès, fait passer en conseil de guerre les quatre commandants rescapés des navires incendiés. Le tribunal, qui se réunit le 31 août à Rochefort, est truffé d’anomalies ; Allemand, ami de Decrès, n’est ni mis en cause, ni même entendu. Les sanctions sont sévères pour les intéressés : Lafon, commandant du Calcutta, est condamné à mort et fusillé à bord de l’Océan ; La Caille, commandant le Tourville, est condamné à deux ans de prison, dégradé et rayé de la Légion d’Honneur ; Proteaux, commandant de l’Indienne, est mis aux arrêts pour 3 mois. Seul La Roncière, commandant du Tonnerre, est acquitté. L’amiral Martin, qui désapprouve publiquement la condamnation à mort, est relevé de ses fonctions.
Allemand est alors remplacé par l’amiral Truguet, sans emploi depuis 5 ans. Il n’est toutefois pas disgracié, recevant le 7 juillet le commandement de l’escadre de Méditerranée (il met sa marque sur le vaisseau Austerlitz). Mais les évènements de Rochefort sont connus, et Allemand ne trouve pas de capitaine de pavillon volontaire pour commander son navire ! Celui-ci devra être désigné par Decrès.
Le 15 août 1810, il est fait comte, et reçoit une rente de 80.000 francs sur le Hanovre.
En 1811, il prend le commandement de l’escadre de l’Atlantique et met sa marque sur l’Eylau, à Brest.
En avril 1813, Allemand est fait Grand Officier de la Légion d’honneur. Désigné pour commander les forces navales de Flessingue, il refuse de servir sous les ordres de Missiessy. C’est la disgrâce : il est remplacé à Brest par le contre-amiral Hamelin.
Durant la Première Restauration, Louis XVIII le nomme membre de l’Académie des Sciences, dont il devient président en août. Il est fait Chevalier de l’Ordre de Saint-Louis en juin et admis à la retraite en décembre, à peine âgé de 52 ans. Il refuse de servir pendant les Cent Jours, et se retire dans sa propriété de Toulon. Il meurt dans cette ville le 2 mars 1826, âgé de 64 ans.
LIEUX DE MÉMOIRE
- L’amiral Zacharie Allemand repose dans l’ancien cimetière de Toulon (Carré Gimelli – Monument horizontal surmonté d’une urne)