Alexis Bondurand – Commissaire des guerres (1772-1835)
Alexis Bondurand naît le 28 décembre 1772 à Sénéchas, dans le futur département du Gard. Son père, barbier chirurgien est un homme en vue dans son village natal. Partisan des réformes, il est un des signataires du cahier de doléances de la paroisse. Alors que la République est proclamée, le service des vivres, très désorganisé par l’émigration des officiers nobles et rattaché à l’administration de la Guerre, doit, dès 1793, « recourir à des appels de candidature pour trouver des personnes compétentes dans ce domaine« [1].
C’est à ce moment qu’Alexis Bondurand, comme son frère Clément, embrasse la carrière, et est nommé commissaire ordonnateur adjoint en 1794. Le 28 Nivôse An III, une loi réforme définitivement le service des vivres de l’armée. Les commissaires de guerres reçoivent des prérogatives très précises : la surveillance des approvisionnements, la levée de contributions en pays ennemis, la police des étapes, les équipages de vivres, artillerie et ambulance, les hôpitaux, prisons, corps de garde, distributions des vivres, fourrages, habillement et équipement, la vérification des dépenses excepté la solde. La loi porte que désormais, les commissaires des guerres sont choisis parmi les quartiers maîtres des troupes de la République ayant au moins trois ans de service et un âge de 25 ans. Ils doivent avoir un civisme, une probité et des capacités reconnues, « ils devenaient en quelque sorte des gardiens de la Loi« [2].
La nouvelle loi le dote d’un habit d’uniforme : habit de drap bleu national sans revers, boutonnant droit sur la poitrine à l’aide de neuf gros boutons dorés. Le collet renversé est écarlate, parements et pattes de parements avec trois boutons.
Extrait du Dictionnaire Militaire de 1898 (sources: SHAT – Vincennes): Commissaire des guerres – Fonctionnaire militaire chargé autrefois de veiller à l’exécution des ordonnances et règlements concernant les gens de guerre. Chaque corps de troupe était en quelque sorte la propriété de son chef qui recevait du Roi une somme déterminée par homme entretenu. C’était une véritable entreprise militaire qui devait prêter à bien des abus. Il était donc de toute nécessité qu’on pût se rendre compte de l’état réel des troupes sous les armes, pour prévenir le gaspillage du Trésor. Le Roi envoyait alors dans les lieux de garnison des commissaires ayant mission de s’assurer de l’existence des hommes et des chevaux portés présents sur les rôles, ou en se les faisant exhiber ou montrer dans des revues d’effectifs qu’on appelait montres et en les contrerollant aussi sous le rapport des détails de l’organisation et de l’instruction. […] En 1791, tous les détails de l’administration militaire, tant dans les places de guerre et autres lieux de garnison ou rassemblements des troupes que dans les camps ou armées, furent confiés à des commissaires des guerres ordonnateurs et ordinaires. Il fut créé 600 commissaires des guerres, dont 60 commissaires ordonnateurs. Entraient dans les fonctions des commissaires des guerres: « la direction des services, subsistances, transports, hôpitaux, remonte, habillement, équipement, campement, et l’ordonnancement des dépenses. » Cette organisation subsista jusqu’à la fin de l’Empire. (NDLR) |
Bondurand est employé, à compter de janvier 1797 et durant 2 mois à l’armée des Alpes au sein de la division de Bernadotte [3]. Il est chef du service et de la police de la division. Il s’y rend indispensable et gère les troupes de manière à faire mentir le surnom de « ripainsel » donné aux commissaires des guerres [4]. Son activité est exemplaire, alors que la campagne, difficile, se déroule sous la canicule, il parvient à assurer le service des vivres et des subsistances. En outre, il se fait aussi combattant, puisque le 16 mars au passage du Tagliamento [5] et le 19 mars à la prise de Gradisca, il fait le coup de feu et
« n’a point quitté le champ de bataille, qu’il a pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour faire enlever les blessés et que c’est à son zèle que beaucoup de braves doivent les moyens de servir encore leur patrie » [6].
Bondurand est si efficace, que lorsqu’il est employé à un autre corps par décision du commissaire général, Bernadotte, avec qui il est en de très bons termes [7], lui adresse un brillant hommage :
« le zèle et l’activité que vous avez mis à la faire vivre dans des circonstances difficiles vous méritent mon estime » [8].
Le lendemain de cette preuve d’estime du futur roi de Suède, l’adjudant général chef de l’état major de la division Bernadotte adresse à Bondurand un certificat de bons services, et loue l’exactitude du fonctionnaire des vivres dans son travail :
« il a rempli ses fonctions avec zèle et…n’y a eu aucune plainte sur son compte. Tous les services ont été faits à la satisfaction générale, les talents et la probité du commissaire Bondurand lui ont acquis de justes droits à l’estime de tout ceux qui ont eu l’occasion de la connaître » [9].
C’est alors qu’il tombe sous la coupe de la loi du 9 Pluviôse An VIII qui réorganise de manière radicale le rôle des commissaires des guerres. En effet, le corps des commissaire ordonnateur est divisé en deux entre commissaire des guerres et inspecteur aux revues : deux corps bien distincts et indépendants. Avec cette réorganisation profonde, les commissaires des guerres sont spécialisés dans l’habillement, l’équipement et les subsistances militaires. Le recrutement des commissaires des guerres devient plus pointu, ils
« seront recrutés parmi les officiers de la ligne et de l’état-major qui en seront jugés susceptibles…par la suite, un examen prévu par le ministère donnait les règles du recrutement. L’examen portait principalement sur les mathématiques, la théorie de l’administration militaire…et le mode de comptabilité de toutes les dépenses. En outre, il fallait être français, âgé de plus de vingt-et-un an, justifier d’au moins trois ans dans les troupes et être porteur d’un certificat de bonne conduite » [10].
La légion italique est créée par la loi du 22 Fructidor an VII (8 septembre 1799).Elle est destinée à accueillir le « grand nombre de patriotes italiens, (Cisalpins, Piémontais, Romains et Napolitains), réfugiés en France, brûlant du désir de combattre pour la cause de la liberté, qu’ils ont si généreusement embrassée à l’entrée des Français en Italie« . Cette légion étrangère sera composée de quatre bataillons d’infanterie, de quatre escadrons de chasseurs à cheval et d’une compagnie d’artillerie légère. Son organisation débute à Nice, et se poursuivit à Lyon. La légion italique, sous les ordres du général Lecchi, prendra part à la campagne d’Italie de 1800. |
Ils sont placés sous les ordres du ministre de l’Administration de la Guerre et des commissaires ordonnateurs. Bénéficiant de l’appui de Bernadotte, le 4 nivôse An VIII (25 décembre 1799), Alexis Bondurand devient commissaire des guerres à Lyon où il est chargé, concurremment avec son collègue de l’Ain, Jérôme Quinet [11], de l’organisation de la Légion Italique, cantonnée dans l’Ain [12].
Alors qu’un nouvel uniforme est fixé par le règlement du 1er Vendémiaire An XII (24 septembre 1803):
« l’uniforme des commissaires des guerres sera composé d’un habit de drap bleu de ciel, d’une veste et d’une culotte de drap blanc. L’habit aura doublure bleu de ciel, collet et parements de drap écarlate ; il sera coupé droit, boutonnera sur la poitrine et dégagera le côté des cuisses ; le collet sera droit de sept à huit centimètres ; les parements fermés et coupés en botte ; les poches en travers à trois pointes ; la taille croisée par derrière ; les pans tombants et non agrafés. Cet habit sera garni de neuf gros boutons sur le devant, du côté droit, trois à chaque parement, trois à chaque poche, un sur chaque hanche et deux au bas des plis…le col sera blanc en temps de paix, noir en campagne. Le chapeau uni sera bordé d’un galon de poil de chèvre…en grande tenue, les bottes à l’écuyère, en petit uniforme, à retroussis rabattu en cuir jaune. Les éperons, seront plaqués en argent…l’arme sera une épée à la française, à la poignée, la garde, les garnitures en métal argenté, le fourreau noir »[13] ,

Alexis Bondurand est employé auprès du général Suchet, alors commandant en chef de la 4e division du camp de Saint Omer. A ce poste, comme aux précédents, les talents et le travail de Bondurand font merveilles et suscitent l’admiration, le respect mais aussi l’amitié de Suchet. Et lorsqu’il est nommé à un autre poste, le général Suchet, comme Bernadotte avant lui, lui adresse une lettre de remerciement dans laquelle transparaît son amitié :
« votre activité et votre zèle et les talents que j’ai été à porté de reconnaître…seront difficilement remplacés auprès de moi, et il m’en coûte d’avoir à reporter ailleurs ma confiance…je ne perds pas l’espoir de vous rapprocher de moi » [14].
Ce départ est, pour Bondurand, synonyme de promotion, puisqu’il est nommé commissaire des guerres le 16 juin 1804. Grâce aux recommandations de Suchet, Bondurand est rapidement de retour à la tête de l’administration de la division du lyonnais, au camp de Boulogne puis lors de la campagne de 1806. Durant ces 3 ans, ses services font merveilles et Suchet, satisfait, le soutien afin de permettre son avancement aux fonctions d’ordonnateur, « qu’aucun de vos camarades ne serait plus capable que vous de remplir » [15]. En août 1806, Bondurand est affecté à Naples auprès de Joseph Bonaparte [16] et ce contre le désir de Suchet qui l’appuie auprès du ministre Dejean.
Le 30 août 1808, il est nommé commissaire ordonnateur des guerres et rejoint Suchet en Espagne [17]. A cette nouvelle nomination se joint un nouveau changement d’uniforme : désormais, Bondurand aura un uniforme avec un seul rang de broderies sur le collet, les parements et les poches. Avec le maréchal, Bondurand contribue à la bonne marche financière de l’armée par des économies et de bons emplois des effets et de l’argent publics. Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur le 11 juin 1810. Devenu ordonnateur en chef de l’armée d’Aragon et de Catalogne, il occupe aussi les fonctions d’intendant et participe à ce titre aux opérations militaires menées par le duc d’Albufera. Durant les 6 ans qu’il est en poste auprès de son ami Suchet, Bondurand gère plus de 135 employés aussi bien au niveau du quartier général que de l’état major de chaque division de cavalerie ou d’infanterie. Comme à l’armée d’Italie, il fait plus que son devoir :
« parcourant les tranchées dans les sièges pour faire enlever les blessés et en assistant aux batailles où il bravait tous les dangers pour veiller au bien être des soldats » [18].
Rallié à Louis XVIII, il lui fait un rapport détaillé des finances et de l’emploi des fonds à l’armée d’Aragon et de Catalogne, le 7 novembre 1814. Il est fait officier de la Légion d’Honneur et baron d’Empire avec titre héréditaire. Durant les Cents Jours, Bondurand est employé à l’armée des Alpes sous le commandement de Suchet. Il parcours sans relâche le département de l’Ain : le 3 juillet il est à Nantua et le 7 à Meximieux. S’il s’emploie activement à assurer les vivres de l’armée à Lyon et à Bourg par des réquisitions de bœufs, il s’intéresse au sort des soldats blessés laissés sans secours et, le 4 juillet, il demande au préfet de l’Ain de préparer des gîtes d’évacuation sur la route allant de Nantua à Lyon. C’est lui qui apprend, le 7 juillet 1815, de Meximieux, la victoire d’Exelmans au préfet de l’Ain mais aussi l’armistice.

Après le licenciement de l’armée des Alpes, auquel il participe sur ordre du duc d’Albufera, le 1er octobre 1815, il est employé auprès du corps prussien du général Zieten à Sedan. Là encore, ses compétences d’intendant sont reconnues par l’adversaire [19]. Employé à la 19e division militaire en 1822, sa carrière est au point mort, sans doute à cause de son ralliement de 1815, lorsque Suchet décide de relancer son ami, le 22 septembre 1822, en demandant au ministre de la Guerre de faire paraître le nom de Bondurand sur la liste des nouvelles nominations au poste d’Intendant promu par Louis XVIII. Bien qu’il soit bonapartiste, Bondurand est confirmé dans son titre de Baron d’Empire et reçoit même la croix de St Louis le 3 juillet 1823.
Un mois plus tôt, le 12 juin 1823, il épouse Sophie Félicité de Saire. A l’enterrement de Suchet, en 1826, il lit un éloge du maréchal. Malgré la disparition de son ami, Bondurand reste lié à la maréchale, lui envoyant une copie de son éloge et en l’encourageant à travailler sur la publication des mémoires de son mari.
A son tour, Bondurand décède à Paris le 23 juin 1835, à l’âge de 63 ans, laissant un fils, Alexis Adolphe Bligny Bondurand, né à Paris le 11 janvier 1811.
NOTES
[1] Pigeard (Alain) : L‘armée de Napoléon, organisation et vie quotidienne, Editions Taillandier, Collection Approches, 2000, page 228.
[2] Pigeard (Alain) : « Commissaire ordonnateur des guerres » in Tradition Magazine n° 137.
[3] La division Bernadotte fait partie du corps d’armée commandé par Bonaparte. Elle compte 3 brigades pour un total de 9 900 hommes.
[4] Alors que Bondurand reçoit les éloges de Bernadotte, le commissaire des guerres Gosselin, employé à l’armée d’Italie est destitué par le Directoire le 3 Floréal an V pour abus ce qui ouvre une enquête de la part du ministre de la guerre. « Pour les soldats qui sont le plus souvent démunis de tout en campagne, les responsables sont évidemment les commissaires des guerres…il faut ajouter que bon nombre de commissaires des guerres avaient une fâcheuse tendance à privilégier matériellement et grassement leur personne…à peu d’exceptions près, c’étaient des voleurs qui rançonnaient leur pays pour le compte des magasins et d’entrepreneurs« . Pigeard (Alain) : « Commissaire ordonnateur des guerres » in Tradition Magazine n° 137.
[5] Lors de cette bataille, la division Bernadotte, se trouvant à droite du dispositif de Bonaparte, est mal menée par la cavalerie autrichienne.
[6] Certificat de bons services de Bondurand par Bernadotte, Paris, 4 nivôse an VIII. Collection particulière Aubin.
[7] « Mon cher Bondurand » lui écrit Bernadotte, de St Michel près de Leoben, le 26 germinal an V. Collection particulière Aubin.
[8] Lettre de Bernadotte, de St Michel près de Leoben, le 26 germinal an V. Collection particulière Aubin.
[9] Certificat de bons services de Bondurand, 27 germinal an V. Collection particulière Aubin.
[10] Pigeard (Alain) : « Les commissaires des guerres, 1804-1815 » in Tradition Magazine
[11] Voir Croyet (Jérôme) : « Jérôme Quinet, commissaire des guerres » in Edgar Quinet et sa famille, Spécial Annales de l’Ain publiées par la Société d’Emulation de l’Ain, Bourg-en-Bresse, 2003.
[12] Voir Croyet (Jérôme) : L’armée de réserve et la Légion Italique dans l’Ain, ventôse-messidor an VIII, C.T.H.S., colloque de Toulouse, 2001.
[13] Pigeard (Alain) : « les commissaires des guerres, 1804-1815 » in Tradition Magazine
[14] Lettre de Suchet à Bondurand, Wimille, 20 pluviôse an 12. Collection particulière Aubin.
[15] Lettre de Suchet à Bondurand, Dunkelspülh, 9 août 1806. Collection particulière Aubin.
[16] Cette nomination se fait sûrement sur insistance de Joseph, qui connaît et estime déjà à cette date Bondurand.
[17] Les commissaires ordonnateurs des guerres ne sont que 50 à partir du 30 août 1808.
[18] Lettre de Suchet au ministre de la Guerre, 22 septembre 1822. Collection particulière Aubin.
[19] Cela lui vaut de recevoir l’Aigle rouge de Prusse.