7 novembre – 5 décembre 1808. Siège de Rosas

[1] Le 17 août 1808, le général Gouvion Saint-Cyr reçut à Boulogne l’ordre de partir sur-le-champ pour se rendre en poste à Perpignan, où des troupes parties d’Italie devaient incessamment arriver, sous le commandement des généraux de division Souham et Pino. Ces troupes, avec celles qui se trouvaient déjà en Catalogne, sous les ordres des généraux Duhesme et Reille, devaient former le septième corps de la grande armée, qui traversait dans ce moment la France pour entrer en Espagne sous le commandement direct de Napoléon.
Le septième corps se composait, comme on le verra plus bas, de troupes de plusieurs nations et, en grande partie, de formation nouvelle.
Le commandement en fut confié au général Gouvion Saint-Cyr, qui dut s’occuper sans retard de son organisation ; il n’avait pas un moment à perdre pour être prêt à entrer en Catalogne au moment où l’empereur entrerait en Espagne.
À son passage à Paris, le général en chef vit Napoléon qui lui apprit les désastres de ses armées, encore ignorés du public : c’étaient les premiers revers qu’il éprouvait sur le continent ; il en était singulièrement affecté, presque abattu. Nous l’avons vu depuis recevoir les nouvelles des plus grands désastres avec la plus froide insensibilité.
Le général en chef lui demanda, en le quittant, s’il n’avait point d’instructions particulières à lui donner :
« Non, répondit-il, la seule chose que je vous recommande, c'est de faire tous vos efforts pour me conserver Barcelone : car, si vous perdiez cette place, je ne la reprendrais pas avec quatre-vingt mille hommes. »
Le général en chef arriva à Perpignan à la fin du mois d’août; il trouva cette ville encombrée de blessés et de malades, sans que rien eût été prévu pour les recevoir et les soulager; il y trouva aussi des troupes que le général Reille avait renvoyées de Figuières, comme incapables de continuer la campagne par le défaut total d’instruction, et le manque absolu d’habillement, d’équipement et d’une partie de l’armement nécessaire. Ces troupes étaient : le bataillon valaisan, un régiment toscan qu’on venait de former et de nommer, le cent treizième régiment d’infanterie française et un régiment de cavalerie de la même nation, les gardes de la reine d’Étrurie, dont on allait former le vingt-huitième régiment de chasseurs à cheval.
Le dénuement de ces hommes était si affreux que la vue ne pouvait s’arrêter sur eux; on les plaça, en attendant leur organisation r dans les endroits les plus éloignés des communications pour les soustraire à la pitié publique.

Le général en chef apprit à Perpignan la levée du siège de Gironne, la retraite du général Reille à Figuières, et celle du général Duhesme à Barcelone, avec la perte de toute son artillerie et de ses voitures. Tout ce qu’il y avait de troupes françaises en Catalogne se trouvait, après des revers successifs, fatigué, réduit de beaucoup par la désertion et les souffrances, plus encore que par les combats, extrêmement découragé, renfermé dans deux places, tout cela avant la formation d’une armée de ligne espagnole dans cette province, et seulement après le débarquement d’une partie des garnisons de Majorque, etc. A aucune époque, le général en chef ne vit un pareil découragement ; il est vrai que cette armée n’était, pour la plus grande partie, composée que de troupes étrangères et de nouvelle formation.
La Catalogne présente des difficultés innombrables pour la guerre ; mais la plus grande de toutes est celle de s’y procurer des subsistances. C’est un pays de montagnes, élevées plus ou moins selon leur proximité des Pyrénées ou des rivages de la mer ; le peu de plaines qui s’y rencontrent sont d’une très petite étendue, et très coupées ; en général, le sol est constamment tourmenté et brisé. A toutes ces difficultés du terrain, il faut ajouter que cette province est la seule d’Espagne que l’art ait complètement fortifiée ; elle est hérissée de places fortes, plusieurs du premier ordre, et toutes dans des situations bien choisies, où la nature a fait la plus grande partie des frais ; enfin la péninsule n’a nulle part une population ni si nombreuse, ni si belle. Il n’est pas d’espèce d’hommes plus propre à défendre un semblable pays.
La Catalogne doit sa richesse à son commerce, à son industrie, à ses manufactures ; de là vient que dans toutes les guerres elle a fait et fera toujours des sacrifices immenses pour ne pas devenir, même momentanément, province française, parce que cette réunion entraînerait la ruine inévitable de ses fabriques, qui ne peuvent, sous aucun rapport, soutenir la concurrence avec les nôtres. C’est néanmoins la seule province que Napoléon ait voulu réunir à la France, tant les difficultés à vaincre avaient de charmes pour lui ; il l’organisa en plusieurs départements, et défendit à ses généraux de correspondre avec Joseph ou ses ministres ; mais il différa de publier le décret de réunion qu’il avait rendu.

Ses efforts, dans la dernière lutte, sont inouïs. Elle a armé presque tous ses habitants en état de porter les armes, sous la dénomination de somatènes[2], espèce de milice depuis longtemps particulière à cette province. Au premier coup de cloche, ou à tout autre signal, ils se pourvoyaient de vivres pour plusieurs jours, se rendaient sur les positions reconnues les plus fortes de leurs cantons respectifs, et contribuaient avec et plus que les troupes de ligne à la défense du pays ; elle a organisé quarante tercios de miquelets, sans compter un nombre assez considérable de recrues qu’elle a fourni à l’armée régulière, et elle entretenait déjà depuis huit mois, à ses frais, et sans aucun secours du trésor, quarante-six mille hommes. Les miquelets campaient avec la troupe de ligne et prenaient part à toutes ses opérations, pendant que les somatènes gardaient les montagnes, les routes, les défilés, rendaient impraticables les communications, éclairaient la marche des colonnes ennemies sur leur front et sur leurs flancs, appuyaient tous les mouvements et protégeaient les retraites de l’armée de ligne. Les habitants des places fortes défendaient eux-mêmes leurs remparts, dévouement qui, permettant de réduire les garnisons, laissait disponible un plus grand nombre de soldats. Des compagnies de femmes furent même organisées à Gironne : ces héroïnes y rendirent pendant le siège de grands services.
Ajoutez à toutes ces difficultés que l’Espagne est une puissance maritime, et qu’elle peut employer ses vaisseaux avec autant de facilité que de succès à la défense d’une province où de bonnes rades les abritent, et où des places fortes les protègent. Dans cette guerre, les Anglais suppléèrent par leur marine à celle des Espagnols que diverses circonstances avaient presque entièrement détruite. Ce sont tous ces avantages réunis qui ont fait appeler la Catalogne le boulevard de l’Espagne.
Si Napoléon avait voulu faire une conquête solide, c’est par la Catalogne qu’il aurait dû commencer; c’est là qu’il devait employer la majeure partie de ses forces; il préféra entrer par le pays le plus ouvert, le plus facile, pour arriver promptement à Madrid; il crut que, maître de la capitale, il y dicterait la paix, comme il l’avait fait à Vienne, etc.

Il fut dans une erreur impardonnable pour un homme aussi éclairé que lui. Un peuple qui défend son territoire, ne voit dans la capitale qu’une ville à reprendre, dans un grand échec qu’un grand motif de plus pour continuer la guerre. En Espagne il n’y avait point de souverain; mais il y avait une nation abandonnée à toute son énergie, et personne pour accepter les conditions humiliantes imposées à Bayonne. Si, dans l’armée française, le moral avait été aussi affaibli que le physique, par les revers qu’elle venait d’éprouver, et par ceux des autres corps de l’armée en Espagne, les Espagnols étaient au contraire dans un état d’enthousiasme qu’il serait impossible de décrire, parce que aucun peuple de l’Europe n’en est aussi susceptible. L’exaltation était portée chez eux à un point si extraordinaire, après l’affaire de Baylen, la levée des sièges de Saragosse et de Gironne, l’évacuation de Madrid, et la retraite de Valence, qu’elle ne contribua pas moins que les renforts envoyés en Espagne à la destruction de leurs armées et à l’envahissement de tout le royaume. Les têtes les plus sages n’étaient pas même à l’abri de la contagion ; il n’était plus question de défendre le pays, mais d’entrer en France.
En arrivant à Perpignan, le général en chef crut que c’était par oubli ou par imprévoyance que rien n’était préparé pour le service d’une armée qui devait tirer tous ses moyens de cette ville, base naturelle de ses opérations en Catalogne; il profita du temps qui devait s’écouler pendant la marche des troupes d’Italie vers les Pyrénées, pour faire connaître au ministre de la guerre et au major-général les besoins urgents de l’armée ; il réitéra même plusieurs fois ses réclamations auxquelles ils répondirent comme s’ils ne les avaient point lues, demandant des renseignements sur les mêmes objets qu’on sollicitait avec tant d’instance.
Les réponses du major-général paraissaient une dérision, et n’étaient cependant l’effet que d’une blâmable négligence ; on ne craignit pas de la lui faire trop sentir en lui renvoyant copie des premières lettres : mais il ne les lut probablement pas davantage, car il demanda de nouveau les mêmes renseignements; de secondes copies tinrent lieu de réponses. On n’assurera pas qu’elles aient eu un meilleur sort.
Le temps s’était rapidement écoulé et perdu; les troupes d’Italie arrivèrent successivement. Tout ce qui était nécessaire à leurs besoins manquait; les hôpitaux étaient dépourvus de tout; les hommes n’avaient ni capotes, ni souliers, ni effets de campement ; les chevaux, point de fourrages ; il ne se trouvait pas, enfin, une voiture couverte pour transporter seulement la charpie et les médicaments, à plus forte raison n’y en avait-il pas une qui appartînt à l’armée pour transporter des farines ou du pain. Ces objets manquaient-ils en France ? non ; les bataillons du train des équipages encombraient la route d’Espagne, mais la route par Bayonne, celle où marchait Napoléon. Il ne fallait que de l’argent pour se procurer tous ces objets. On croira peut-être que Perpignan était dénué de fonds ? non, les caisses du payeur en regorgeaient ; mais on ne pouvait obtenir du ministre l’ordre d’en affecter la moindre partie aux plus pressants besoins de l’armée. Il fallut bien dès lors se convaincre que l’on ne voulait point mettre cette petite armée en état d’obtenir quelques succès, puisqu’on lui refusait non seulement les objets les plus nécessaires, mais encore les plus indispensables à son existence.
A mesure que les événements de la campagne qui va s’ouvrir se développeront davantage, on pourra moins échapper à la pensée que Napoléon, avec sa force immense, a été assez faible pour ne vouloir que des succès obtenus par lui-même, ou du moins sous ses yeux. Autrement on eût dit que la victoire était pour lui une offense ; il en voulait surtout à la fortune quand elle favorisait les armes d’officiers qui ne lui devaient pas leur élévation.
Les troupes venant d’Italie commencèrent à arriver à Perpignan, le 14 septembre, et les colonnes se succédèrent jusqu’au 28 octobre que la dernière, composée du train d’artillerie, apporta les munitions nécessaires pour entreprendre les opérations.
Le général en chef, n’ayant pu obtenir ni fourgons ni autres voitures quelconques pour le transport des vivres ou pour tout autre service, fut obligé d’en requérir, comme en pays ennemi, dans les départements voisins, qui fournirent naturellement ce qu’ils avaient de plus mauvais en charrettes, chevaux et mulets de bât; les conducteurs furent plus mauvais encore, parce qu’on les prit dans le rebut de la populace des villes. Mais on était pressé par le temps; on n’avait recouru à un aussi mauvais parti, qu’après avoir acquis la certitude qu’il n’y avait pas d’espoir d’obtenir quelque chose du gouvernement : encore les mulets, conduits par des hommes non accoutumés à les soigner, n’arrivèrent-ils que trop tard, et en partie seulement, car beaucoup des conducteurs avaient déserté, emmenant les bêtes de somme qui leur étaient confiées.
Depuis le 12 octobre, la cavalerie avait été renvoyée en Languedoc, à cause du manque absolu de fourrages dans le département des Pyrénées-Orientales, l’un des plus petits du royaume et où, comme on l’a déjà dit, rien n’avait été disposé, ni prévu pour la nourriture des chevaux.
Napoléon étant arrivé à Bayonne, transmit l’ordre d’entrer en Catalogne du 8 au 10 novembre. Il donnait, selon l’expression de sa lettre, carte blanche au général en chef, le laissant ainsi maître de ses plans. Mais le général en chef avait toujours présent à l’esprit ce qui lui avait été recommandé à Paris, la conservation de Barcelone, et sa tâche lui paraissait bien difficile, pour ne pas dire impossible à remplir, surtout avec le peu de moyens qu’il avait à sa disposition relativement aux avantages de l’ennemi. Après avoir fait toutes les observations possibles, il se soumit à tenter la fortune.
Les forces espagnoles étaient partagées en trois armées : la première sous le commandement du marquis de la Romana, formant la gauche et s’appuyant à la mer océane, vers Bilbao ; la seconde, sous les ordres de Castaños, vers Tudela, sur les frontières de la Navarre et de l’Aragon, ayant une réserve à Saragosse, sous les ordres de Palafox ; et la troisième en Catalogne, avec don Juan Vives, qui venait de remplacer le marquis del Palacio : indépendamment de ce général en chef, Saint-Narcisse avait été, par un décret de la junte, nommé généralissime des armées de terre et de mer. Les Espagnols avaient réparti leurs armées à-peu-près comme dans la guerre précédente ; ils ne s’attendaient pas que Napoléon entrerait par la Biscaye, avec tout ce qu’il tirait d’Allemagne.
L’armée française étant réunie à ce que le roi Joseph avait conservé de troupes, les Espagnols eurent sur les bras, peut-être sans s’en douter, entre Bilbao et Tudela, les six premiers corps d’armée et la nombreuse garde de l’empereur, composée, comme on le sait, des troupes les meilleures et les plus aguerries de l’Europe.
En Catalogne, ils avaient à combattre les huit mille hommes renfermés dans Barcelone sous les ordres de Duhesme , les quatre mille commandés par le général Reille, dans Figuières, plus les renforts arrivant d’Italie et consistant dans les divisions Souham et Pino, non compris les deux bataillons d’infanterie napolitains aux ordres du général Chabot.
Ces renforts se composaient de conscrits français, de troupes italiennes de quelques années de formation, de nouvelles troupes napolitaines, de Génois, de Toscans, d’un bataillon valaisan et d’un bataillon des troupes du pape.
L’armée de M. de Vives avait d’abord été organisée par le marquis del Palacio, avec les nombreux tercios de miquelets de la province, avec les troupes venues de Majorque et Minorque, de Valence, d’Andalousie sous Reding, et de Portugal après l’évacuation de ce pays par le duc d’Abrantès; plus la division du marquis de Lazan, arrivée de Saragosse, le tout formant cent dix bataillons et trente-deux escadrons. Le principal but des opérations du septième corps étant la conservation de Barcelone, on devait prévoir, dès le 1er novembre, qu’il serait forcé, un peu plus tôt ou un peu plus tard, de se porter sur cette place pour faire lever le siège, dont on commençait déjà les apprêts, ou pour protéger le ravitaillement, qui ne pouvait avoir lieu que par mer, tant que les forteresses de Gironne et d’Hostalrich ne seraient pas au pouvoir des Français.
Le général en chef se décida à faire commencer de suite le siège de Rosés, cette place étant de la plus grande importance pour les opérations en Catalogne, par la magnifique rade qu’elle protège, et qui abritait les vaisseaux ennemis dans toutes les saisons. Une escadre anglaise y était établie, et tant qu’elle aurait pu s’y maintenir, il devenait presque impossible de ravitailler Barcelone par mer; par conséquent cette place devait tomber au pouvoir des Espagnols vers la fin du mois de décembre, ainsi que Duhesme l’écrivait au major général, si, d’une manière ou d’autre, on n’y faisait parvenir des approvisionnements pour cette époque.
On a déjà fait observer qu’on ne pouvait conduire de voitures ni de vivres par terre à Barcelone, qu’après la prise de Gironne et d’Hostalrich, et l’on était bien loin d’avoir le temps et les moyens de les assiéger. D’ailleurs ces opérations n’auraient point dispensé du siège de Rosés : le succès eût donné un chemin, il est vrai, mais voilà tout : car si l’on ne pouvait seulement approvisionner Figuières, qui n’a pas besoin d’une forte garnison, à plus forte raison n’aurait-on pu approvisionner Hostalrich et Gironne, dont l’ennemi, maître de Rosés, serait parvenu à s’emparer après un blocus de quelques jours.

Nous avons cru devoir entrer dans ces détails, ils laissent apercevoir ce que l’armée espagnole aurait dû faire pour empêcher le général en chef français d’atteindre son but, la conservation de la capitale de la province; car puisque l’Espagne n’avait point la totalité de ses forces là où Napoléon avait les siennes, elle aurait dû profiter des points où elle possédait, entre autres avantages, celui du nombre ; et puisqu’elle ne pouvait avoir la supériorité partout, elle devait se l’assurer quelque part; puisqu’il n’était pas en son pouvoir de repousser l’agression principale, elle devait au moins repousser l’attaque secondaire. Si elle avait les moyens de la faire échouer, il ne fallait point qu’on pensât à assiéger Barcelone prête à tomber faute de vivres ; mais il était nécessaire d’empêcher qu’elle ne fut secourue, et en supposant que le but de l’armée espagnole fût seulement de reprendre la capitale de la province, ce qui était déjà pour elle un grand avantage, il ne fallait laisser devant cette place qu’un corps de troupes égal en force à la garnison; le reste de l’armée se serait rassemblé à Gironne et sur le Ter, y formant la base des opérations ; soixante bataillons de ligne pouvaient être placés et campés sur la Fluvia, la droite à Saint-Père-Pescador, la gauche à Bascara; huit à dix tercios de miquelets devaient être portés sur le flanc droit des Français dans la montagne, et placés aux sources des ruisseaux de Turbay, d’Alga, de Manol et de la Muga, l’avant-garde sur le Manol, ou au moins sur l’Alga, et composée de miquelets, parce que ce sont les meilleures troupes légères connues, et les plus propres au service des avant-gardes et des flanqueurs.
Cette position pouvait être occupée par les Espagnols avant que le septième corps eût débouché dans le Lampourdan, et en admettant qu’ils ne s’y fussent établis que pendant le siège de Rosés, ou même vers sa fin, ils empêchaient la prise de cette place, et Barcelone tombait en leur pouvoir, sans coup férir.
Après la reddition de cette dernière ville, il était temps encore, si l’on avait craint de le faire plutôt, d’aborder franchement le septième corps qui ne pouvait opposer aux Espagnols que les vingt-six bataillons dont se composaient les divisions Souham, Pino et Chabot; car Reille avait à peine ce qui était nécessaire pour la garnison de Figuières. Ces vingt-six bataillons, comme on l’a déjà dit, étaient composés de conscrits français et italiens, de Génois, et de Napolitains de nouvelle formation, qui désertaient, par bandes, tous les jours.

Ce serait trop présumer des forces du septième corps que de croire qu’il eût réussi à lutter plus d’un jour contre les forces réunies et bien dirigées de la Catalogne. On ne peut douter qu’il n’eût été bien vite rejeté en France, où les Espagnols auraient pu entrer avec lui et comme les places du Roussillon n’étaient point approvisionnées, notamment Perpignan, il est difficile de calculer jusqu’à quel point cette opération aurait pu nuire à Napoléon, qui n’a jamais été aimé dans le Midi, et qui y était abhorré alors, parce que la guerre qu’il faisait à l’Espagne était jugée injuste, inique, contraire aux intérêts de la France, et surtout à ceux des provinces méridionales.
Mais laissons ce que l’on aurait dû faire pour nous occuper de ce qui a été fait. Il y a longtemps qu’on a dit que la guerre est un art si difficile, que ceux qui font le moins de fautes sont encore réputés habiles.
Le 1er novembre, l’empereur étant arrivé à Bayonne, le septième corps reçut l’ordre de commencer ses opérations. La division Pino était campée à la Junquera depuis son arrivée. Elle avait servi à escorter les convois de vivres envoyés à la division Reille , et ceux d’artillerie destinés au siège de Rosés, que l’on entreposait à Figuières, en laissant croire que c’était pour recommencer le siège de Gironne.
La division Souham était campée en arrière des Pyrénées, sur la rive gauche du Tech, que des pluies considérables l’empêchèrent de passer jusqu’au 5 qu’elle y parvint avec beaucoup de peine; les débordements de cette rivière ajoutèrent encore aux contrariétés que le défaut de moyens de transport faisait éprouver.
Le 5, le quartier-général était à la Junquera; le 6, il s’établit à Figuières, les divisions Reille et Pino campèrent devant Rosés, et la division Souham à la Junquera. Le 7, le général Reille, chargé du siège de Rosés, compléta l’investissement de cette place en y faisant rentrer les troupes espagnoles qui étaient en dehors, ainsi que les paysans des villages environnants qui, à l’approche de nos troupes, avaient fui emmenant avec eux leurs effets et leur bétail. Il y eut dans cette journée un engagement assez vif, où de part et d’autre on perdit du monde ; mais notre feu étant plus concentré, et celui de nos adversaires plus divergent, leur perte fut plus considérable, malgré l’artillerie de la place, celle d’un vaisseau, d’une frégate et de quelques canonnières anglaises qui occupaient la rade, et qui les protégèrent en prenant part à l’action.
Le lendemain, la plus grande partie des habitants s’embarqua pour s’éloigner des pays que nous occupions ; la pluie continua ; les torrents et les ruisseaux débordèrent, au point d’empêcher tout transport d’artillerie, ou autres, devant Rosés. On fut obligé de cantonner les troupes pour éviter les maladies.
Le 9, la division Souham quitta la Junquera, pour aller prendre position entre Figuières et la Fluvia, couvrir les opérations du siège de Rosés, et observer le corps espagnol, qui se rassemblait à Gironne sous les ordres du marquis de Lazan, arrivant de Saragosse, et détaché du corps de réserve commandé par Palafox.
Le 10, le général Chabot prit, avec les deux bataillons napolitains, position à la Junquera, et le 11 à Espolla et à Rabôs, afin de couvrir les derrières du général Reille, car dans cette guerre, où l’on était sans cesse entouré d’ennemis, il ne suffisait pas des dispositions usitées dans les guerres ordinaires : il fallait, pour jouir de quelque tranquillité, des précautions bien autrement étendues, parce que ce n’était pas seulement à l’armée, mais à toute la population espagnole qu’on avait affaire.

En attendant le générai Chabot, le général Reille avait envoyé un bataillon italien pour éclairer ses derrières dans les directions de Selva de Mar et de Llanzâ; un grand brouillard survenu pendant sa marche l’empêcha de remplir sa mission, et de rentrer à sa division. Le général Reille en conçut des inquiétudes et envoya à sa rencontre, sous les ordres du général Fontane, trois bataillons qui le joignirent à temps pour le dégager des miquelets, des somatènes et des Anglais qui l’entouraient, en les culbutant et les forçant à s’embarquer à Selva, où ils abandonnèrent les dix pièces de canon qu’ils avaient voulu enlever, et un bon nombre de tués et de blessés. L’ennemi, qui avait compté sur la diversion de Selva, fit avec environ deux mille hommes, soutenus par l’artillerie de la place et de la marine anglaise, sur la gauche de la division Pino, commandée par Mazuchelli, une sortie qui fut repoussée jusque dans la ville après avoir essuyé une grande perte. Le 12, avec les mêmes forces et le même appui, il en tenta une seconde dont le résultat fat le même.
Pendant le brouillard, le bataillon italien dont nous venons de parler avait eu deux compagnies séparées de lui; ces deux compagnies commandées par un officier peu intelligent, s’en étant trop éloignées, furent enveloppées et prises sans qu’il eût entendu tirer un seul coup de fusil. Comme elles avaient été trompées par les habitants de Llanzà, Rabôs, Espolla, Saint-Qufrch et Vila-manisde, qui les avaient égarées et livrées, on s’empara d’un nombre d’habitants égal à celui auquel s’élevaient les deux compagnies, et on les envoya prisonniers en France, jusqu’à leur échange, préférant ce mode à celui d’incendier leurs villages, rigueurs employées jusqu’alors. Ce petit événement, malgré la perte de deux compagnies qu’il nous causa, nous fut cependant encore avantageux en ce qu’il inspira, pour quelque temps, aux Italiens, une salutaire défiance, et fit cesser les intelligences que les Catalans entretenaient parmi eux, et dont ils avaient si bien profité, que le général Pino avait conçu et manifesté, à plusieurs reprises, au général en chef les inquiétudes les plus vives sur les progrès de la désertion qui semblait menacer sa division d’une destruction totale.
La continuation des pluies faisait un lac de la plaine du Lampourdan ; les chemins s’étaient transformés en ruisseaux, et les ruisseaux en de véritables rivières. Les hommes de garde devant Roses étaient dans la boue jusqu’aux genoux, et les chefs de corps voyaient avec anxiété la perte prochaine de la chaussure dont on était si peu pourvu. On avait, par une faute grave, défendu aux troupes d’Italie d’emmener leurs masses, et la Catalogne n’offre en cuirs que des ressources peu considérables, parce que le peuple de cette province ne se sert pas de souliers, mais seulement d’une espèce de sandales nommées espadrilles, dont le soldat français, malgré la nécessité la plus absolue, et l’exemple de ses chefs, a toujours montré une grande répugnance à se servir.

Le 13, le sixième régiment italien arriva à l’armée et rejoignit la division Pino. Il avait été retardé par les torrents, et avait même perdu six hommes qui s’étaient noyés.
Ce régiment, formé à l’île d’Elbe, de la légion italique, dans laquelle on incorporait tous les mauvais sujets de l’armée italienne, afin qu’il ne pussent s’échapper, donna beaucoup d’inquiétude à son arrivée, par les rapports qu’on reçut de sa conduite et des propos qu’il avait tenus dans les divers lieux de son passage, notamment à Perpignan, d’où l’on avait de suite sollicité son départ. Mais ce régiment gagna tellement à l’armée que, malgré sa composition, il se disciplina très vite: on eut souvent des éloges à faire de sa conduite, et presque toujours à se louer de sa bravoure et de la fermeté de ses chefs.
Le 13 la pluie cessa, et le 15 les routes ayant paru praticables, on commença le 16 à transporter l’artillerie de siège devant Rosés; on s’occupa aussi de refaire le chemin pour en conduire devant le fort de la Trinité, autrement dit le Bouton, et deux bataillons de la division Pino prirent position sur la hauteur qui le domine. Le petit bataillon de miquelets du Roussillon fut placé pour couvrir la communication de Bellegarde à Figuières.

Le général Souham était constamment harcelé sur la Fluvia, et l’on devait craindre que, d’un moment à l’autre, l’ennemi ne dirigeât sur lui une attaque vigoureuse qui eût fait échouer les projets sur Rosés. Mais heureusement, ce qu’on a lieu de redouter le plus à l’armée, n’y arrive pas toujours, et le septième corps, dans cette pénible campagne, devait avoir plus à souffrir de l’imprévoyance ou de la mauvaise volonté du gouvernement français, que des entreprises de l’ennemi qu’il était destiné à combattre.
La tranchée fut ouverte dans la nuit du 18 au 19, sur le front D. C. Le général en chef qui, pressé par la position de Duhesme, sentait qu’il n’avait pas de moments à perdre pour s’approcher de Barcelone, avait aussi ordonné l’attaque simultanée du fort de la Trinité, malgré l’opinion où l’on était qu’on ne pouvait attaquer Rosés avec avantage qu’après s’être emparé de ce fort. Les Anglais, connaissant toute l’importance de son action sur la rade dont ils avaient un si grand besoin, s’étaient chargés de le défendre conjointement avec les Espagnols.
À tant de difficultés qui naissaient de la position du septième corps, il faut ajouter la résolution qu’on semblait avoir prise de ne point lui fournir de vivres de France. Des ordres du gouvernement avaient été adressés, à ce sujet, à Perpignan, par le directeur-général Maret; on savait très bien cependant que le pays était ravagé , et que les récoltes restées sur pied étaient pourries ou brûlées. En réponse aux demandes réitérées du général en chef pour que l’on vînt au secours de son armée, le ministre de la guerre l’invitait à faire passer des farines et des vivres à Barcelone.
Le septième corps devait commencer ses opérations par un siège qui nécessitait des transports considérables : on ne voulut fournir ni avoine, ni fourrages pour les chevaux; de sorte que le général en chef fut obligé de renvoyer sa cavalerie en France, jusqu’aux environs de Béziers, et de l’y laisser pendant toute la durée du siège, pour ne point la voir périr sans rendre aucun service. Cette mesure impérieusement commandée par les circonstances fut néanmoins blâmée. Les officiers du génie et de l’artillerie qu’on avait demandés depuis longtemps, et qui étaient indispensables pour le siège, ne furent envoyés que quand il était déjà avancé, et il était en bon train quand le major-général ordonna au général en chef d’être rendu à Barcelone du 20 au 25 novembre.
Il fut évident pour les observateurs que l’armée de Catalogne, si peu nombreuse, et d’une qualité si inférieure aux troupes que Napoléon commandait, réduite par sa faiblesse et surtout son dénuement à ne tenter que des opérations inexécutables, se trouvait condamnée à échouer partout, et à rendre plus éclatants par ses revers les avantages qui allaient être remportés ailleurs; comme si Napoléon, avec son génie, avait eu besoin de ces ressources de la médiocrité pour rester au-dessus de ses lieutenants par l’éclat de la renommée ainsi que par celui du rang. La foule de ses adulateurs voulait que l’événement justifiât toujours ce qu’ils répétaient sans cesse, que des malheurs attendaient nos armes partout où Napoléon n’était pas. C’était un système aussi favorable aux intérêts de son pouvoir qu’outrageant pour la dignité nationale.
Le général en chef écrivit à Napoléon qu’il ne pouvait lever le siège de Rosés, comme le lui prescrivait son major-général, et qu’à moins d’un ordre formel de sa part il ne s’y déterminerait pas. Le siège continua : le 20 novembre, les pièces qui avaient été transportées à bras sur la hauteur de Puigrom, qui commande le fort du Bouton, furent mises en batterie et commencèrent à tirer.
Deux des vaisseaux anglais qui étaient dans la rade, ainsi que trois bombardes et plusieurs canonnières, firent un feu très vif et continuel sur la batterie et les troupes.
Le 21, l’établissement de nouvelles batteries força l’escadre anglaise à se tenir plus éloignée de la place.
Le 23, l’arrivée successive des officiers du génie et de l’artillerie permit de mettre plus d’activité dans les travaux.
Le même jour, à deux heures du matin, les Anglais ayant débarqué, au pied du château de la Trinité, trois ou quatre cents hommes, cherchèrent à surprendre et à attaquer les troupes campées sur la hauteur qui domine ce fort, et furent repoussés avec perte d’une vingtaine de blessés et de huit à dix morts, parmi lesquels se trouva un officier de marine anglais.
Le 24, un corps de cinq à six mille hommes, détaché de l’avant-garde de l’armée espagnole, attaqua avec assez de vigueur, et sur plusieurs colonnes, les positions du général Souham, à Navata, Pontons, Armadas et Ganigas, et fit replier les avant-postes ; mais l’ennemi, attaqué à son tour par ce général, fut culbuté et rejeté avec une grande perte sur la rive droite de la Fluvia, laissant entre nos mains le commandant en second de l’expédition, le colonel Lebrun, son major, et un capitaine du régiment de Tarragone , avec un assez bon nombre de sous-officiers et de soldats. Cette affaire fit beaucoup d’honneur au premier régiment d’infanterie légère et au quatrième bataillon du troisième. Elle prouva au général Alvarès , commandant cette expédition, la vigueur des nouvelles troupes arrivées en Catalogne, et aurait dû apprendre aux Espagnols que ce n’était pas avec leur avant-garde qu’ils pourraient faire lever le siège de Rosés, mais qu’il leur fallait avoir sur le terrain, où partie de cette avant-garde avait combattu, les bataillons dont on a parlé plus haut, c’est-à-dire toute l’armée qui était si inutilement employée au siège d’une grande ville, dénuée d’approvisionnements et prête à capituler à moins de prompts secours. Toutefois cette affaire donna, momentanément, un peu d’espoir à la garnison de Rosés qui avait entendu, si près d’elle, le bruit du canon et de la mousqueterie, et nous força, quelques jours après, à détacher du siège une partie de la division Pino, pour renforcer la ligne d’observation.
Le 26, le général Lazan, venant d’Aragon, arriva avec un renfort de six mille hommes, et réunit à son commandement la division Alvarès battue l’avant-veille.
Le 27, les pièces de la batterie pointées sur le château de la Trinité reçurent une meilleure direction, et toutes les autres batteries dressées contre la place firent un feu continuel qui causa beaucoup de mal à la garnison.
Les circonstances prescrivant impérieusement de presser le siège, on fit attaquer, pendant la nuit, la ville de Rosés. Cinq cents hommes, bien retranchés dans les maisons, la défendirent. On connaît la bravoure des Espagnols dans ce genre de guerre ; ils se battirent avec un acharnement remarquable : mais le sixième régiment italien, chargé de cette attaque, la fit avec une valeur au-dessus de tout éloge ; cinquante Espagnols seulement parvinrent à s’échapper et à rentrer dans la place. Cent soixante hommes et quatre officiers furent faits prisonniers; le reste fut tué.
La prise de cette ville ou bourg mettait la place assiégée dans une très fâcheuse situation : nous pouvions établir une seconde batterie de brèche en face d’un bastion endommagé autrefois par l’explosion d’un magasin à poudre, et qui devait bientôt céder à l’effet de la batterie projetée : de plus il nous devenait facile d’en établir une sur le rivage, pour gêner la communication des assiégés avec l’escadre anglaise. Comme la place souffrait extrêmement de nos mortiers, de nos batteries de ricochets et d’enfilade, on la fit sommer de se rendre ; mais elle refusa, et on s’occupa de la batterie de brèche et de celle de la mer.

Le général Sanson, commandant du génie, qui avait déjà fait le dernier siège du fort de la Trinité, et qui par cette raison devait d’autant mieux le connaître, ayant déclaré que la brèche en était praticable, on commanda, le 30 novembre, un capitaine et cinquante grenadiers italiens pour monter à l’assaut et s’en emparer. Ce capitaine, qui avait été au service d’Espagne et en garnison au fort de la Trinité, fit observer que le trou qu’on y apercevait n’était point une brèche, et ne pouvait y donner entrée; que cependant si, malgré ses observations, on exigeait qu’il y allât, il irait, mais par obéissance, certain qu’il était de n’y pouvoir pénétrer, et d’y périr, lui et les hommes destinés à le suivre. Le génie et l’artillerie avaient décidé qu’il y avait brèche praticable : le malheureux officier, quoique sûr du contraire, dut obéir et mourut victime de son devoir, peut-être aussi de la négligence d’autrui. Il faut observer qu’on n’avait approché du fort aucun boyau de tranchée, de sorte que les assaillants avaient, en outre, une assez grande distance à parcourir à découvert, avant d’arriver, au pied de la brèche : deux de ses malheureux compagnons, revenus , déclarèrent qu’ils étaient entrés par un trou où ils n’avaient trouvé aucune issue, et qu’ils s’étaient échappés pendant que les Anglais, qui auraient pu les tuer, hissaient sur la plate-forme où ils étaient, deux de leurs camarades, par le moyen d’une corde dont ils leur avaient jeté un bout en leur disant de s’y attacher.
Les généraux Ruty et Kirgener, l’un destiné à commander le génie et l’autre l’artillerie au septième corps, arrivèrent en ce moment. C’était un peu tard à la vérité, mais encore assez à temps pour rendre de grands services au siège de Rosés.
Le général Souham avait fait, le 29, une reconnaissance sur la ligne de la Fluvia. Le général en chef lui avait bien recommandé de s’assurer s’il n’était point arrivé de nouvelles troupes étrangères au corps de Lazan, et venues des environs de Barcelone ; car la destinée du septième corps en Catalogne dépendait de ce qui pouvait se passer sur la Fluvia.
L’armée espagnole, moins ce qui était nécessaire pour contenir Barcelone, arriverait-elle d’ici à huit jours, ou n’arriverait-elle point ? Tout était là. Si elle arrivait, après bien des pertes et des fatigues, le siège de Rosés était levé; le septième corps, qui ne pouvait opposer en ligne que vingt-six bataillons aux cent dont l’armée espagnole pouvait disposer pour cette expédition, s’il résistait était détruit ; le Roussillon se voyait envahi, et les deux places de Catalogne, occupées par les Français, tombaient, faute de vivres, au pouvoir des ennemis ; de plus, les places du département des Pyrénées n’étaient pas mieux approvisionnées en vivres et en munitions, et Napoléon n’eût pu envoyer assez tôt à leur secours. Dans l’hypothèse contraire, la place de Rosés était prise, la position du septième corps restait toujours très pénible, mais n’était plus désespérée ; les Espagnols avaient encore la possibilité de s’emparer de Barcelone, mais on pouvait espérer de conserver intacte la frontière de France.
Le résultat de la reconnaissance faite par le général Souham, fut de nous assurer que l’armée ennemie n’arrivait pas. Cette faute de son général nous remplit d’espérance pour l’avenir.
La place de Rosés ayant, comme on l’a dit plus haut, refusé de se rendre à la sommation qu’on lui avait faite, on établit les batteries de brèche qui démasquèrent et commencèrent leur feu le 4 décembre au matin. Le soir, le bastion était déjà ébranlé; dans la nuit, la garnison fit une vigoureuse sortie sur nos ouvrages, et nous tua quatorze hommes ; elle fut repoussée et laissa quatre-vingts morts sur la place. C’était le dernier effort qu’elle voulait faire. Le lendemain 5, la brèche était ouverte; la garnison qui avait mis son espoir dans la fusillade continuelle qu’elle entendait depuis huit jours sur les rives de la Fluvia, et dans les secours promis par les Anglais, fut obligée de demander à capituler, contre l’avis de ces alliés, qui, du haut de leurs vaisseaux mouillés à la portée du canon de Rosés, ne croyaient pas que cette place eût fait ce que le devoir et l’honneur exigeaient et dût penser à capituler. Ces conseils étaient bons et faciles à donner à bord d’un vaisseau en rade ; mais on peut assurer que, si les Espagnols les avaient suivis, ils auraient subi, dès le jour suivant, le sort de ceux qui avaient défendu la ville.
Il aurait été possible aux Anglais, en plein jour, et surtout facile durant la nuit, d’embarquer la garnison et de la transporter, en quelques heures, sur la rive droite de la Fluvia, en laissant seulement un faible détachement pour remettre la forteresse; comme cela s’était pratiqué en février 1795, quand une escadre espagnole occupait la baie.
Nous n’avions jamais espéré prendre, à la vue et sous le canon de l’escadre, une garnison forte encore d’environ 3.000 hommes.
Le 6 décembre, elle sortit de la place avec les honneurs de la guerre, pour se rendre prisonnière en France.
Les Espagnols furent très étonnés, au moment où ils défilaient sur le bord de la mer, de se trouver en butte à un feu très vif des vaisseaux anglais. Ils s’obstinèrent toujours à repousser l’idée que cela pût être l’effet d’une méprise.
Le général Reille trouva dans la forteresse soixante canons de bronze.
Les Anglais, qui défendaient le fort de la Trinité, firent sauter les magasins à poudre, incendièrent les bâtiments et abandonnèrent ensuite, à notre grande satisfaction, le golfe de Rosés.
NOTES
[1] Journal des opérations de l’armée de Catalogne sous les ordres du général Gouvion Saint-Cyr.
[2] Sorte de milice espagnole, établie surtout en Catalogne