7 mars 1814 – La bataille de Craonne.
Ordre de bataille des Français – Ordre de bataille des Alliés
Si le nom de Craonne est surtout connu depuis la Grande Guerre comme le lieu symbolique du sacrifice des poilus de 1917, il doit également être associé à un épisode tragique de la campagne de France de 1814. A cette époque, Napoléon 1er tentait de faire échec à la marche sur Paris de trois armées coalisées (Winzigerode – puis Bernadotte -, Schwarzenberg et Blücher), avec sous ses ordres une armée trop peu nombreuse pour pouvoir emporter le moindre succès décisif. En outre, ses troupes étaient bien souvent inexpérimentées car surtout composées de Marie-Louises, jeunes recrues de 1813 et des premières semaines de 1814. Après une brillante campagne de février marquée par les victoires de Champaubert, Montmirail, Château-Thierry ou Montereau, l’Empereur choisissait de laisser au sud l’armée de Schwarzenberg, provisoirement neutralisée dans la vallée de la Seine, pour marcher vers le nord à la poursuite de celle du feld-maréchal Blücher. Le 2 mars il franchissait la Marne à la Ferté-sous-Jouarre et pressait l’ennemi en direction de l’Aisne.
Alors que Napoléon accablait l’armée de Silésie dans la région de l’Ourcq et la forçait à remonter vers l’Aisne (sur les rives de laquelle il comptait bien l’acculer et remporter ainsi une victoire décisive), la ville de Soissons capitulait prématurément le 3 mars, face aux Russes de Winzigerode et aux Allemands de Bülow. Cet événement contrariait singulièrement les projets de l’Empereur, car il permettait aux troupes des coalisés de traverser l’Aisne sans encombre par le pont de Soissons et d’opérer leur jonction (Blücher venant du sud et Winzigerode du nord). Elles échappaient ainsi à l’écrasement que les maréchaux Marmont et Mortier avaient mission de réaliser au sud de la rivière. A cette date, la disproportion des forces en présence est spectaculaire : alors que Blücher alignait quelques 100.000 hommes sur la rive nord de l’Aisne, les troupes françaises ne comportaient que 16.000 hommes pour l’armée de Mortier et Marmont, et 30.000 pour celle de l’Empereur. Celui-ci était à Fismes lorsqu’il apprit la fâcheuse nouvelle de la perte de Soissons. Ne pouvant plus emporter la décision sur les troupes de Blücher au sud de l’Aisne, c’est donc au nord de celle-ci qu’il devait désormais chercher l’affrontement.
Pour traverser l’Aisne, il lui fallait d’abord trouver un pont. Les forces coalisées tenant fermement tous les passages entre Soissons et Vailly-sur-Aisne, Napoléon orienta la marche de ses forces vers l’est, où le pont de Berry-au-Bac n’était gardé que par quelques régiments de cosaques, un peu d’infanterie et deux canons. Le 5 mars, les cavaliers de Nansouty s’emparaient d’un seul élan de cette position et mettaient en déroute les troupes russes, faisant 200 prisonniers dont un prince (le prince Gagarine, dont la capture valut la Croix d’Honneur au dragon qui en fut l’auteur). Sans plus attendre, les divisions de Ney et la Vieille Garde passèrent l’Aisne pour s’établir le soir entre Berry au Bac et Corbeny. L’Empereur comptait les faire marcher sur Laon par la grand-route de Reims. Il se ravisa en constatant que les forces de Blücher venant de Soissons pourraient alors menacer son flanc gauche. Infléchissant donc la marche de ses troupes vers l’ouest, il choisit alors de faire face et de livrer bataille sur le plateau dominant le village de Craonne. De son côté, Blücher savait qu’il pourrait tirer parti de la remarquable position qui s’offrait à lui sur ce que l’on appelait alors « le Petit Plateau de Craonne ». Qui tient les hauts, tient les bas… Confiant la responsabilité du secteur au général Woronzoff, il n’y affecta qu’une trentaine de milliers d’hommes (dont 2.200 cavaliers et 96 canons), avec comme mission d’interdire le passage de la « route des Dames » à hauteur de la ferme d’Huterbise (le plateau y est resserré et propice à une action défensive). Pendant ce temps, le feld-maréchal chargeait le général Winzigerode d’opérer avec sa cavalerie un vaste mouvement tournant sur la droite et les arrières de l’armée française.
Le 6 mars, la Garde Impériale se rendait maîtresse du village de Craonne, mais ne pouvait pas prendre pied sur le sommet du plateau en raison d’une vive résistance russe. Plus au nord, dans la vallée de l’Ailette, le maréchal Ney, à la tête d’une division, s’emparait de l’abbaye de Vauclerc puis se lançait à l’assaut de la ferme d’Hurtebise qu’il prenait et perdait trois fois de suite. Pendant cette journée de prise de contact, le général Cambronne fut blessé à quatre reprises. Au soir, l’armée française établissait ses bivouacs tout autour du plateau, en contrebas de celui-ci. Elle décrivait ainsi un gigantesque arc de cercle, de Vauclerc à Craonne. Le quartier général impérial était installé à Corbeny, au centre du dispositif. C’est là que l’Empereur prit ses dispositions d’attaque pour le lendemain.
Soucieux de bien tirer parti du terrain sur lequel il allait livrer bataille, Napoléon ajouta à l’étude des cartes l’entretien avec les gens du pays. Parmi ses informateurs, il trouva l’un des anciens camarades de Brienne, David Victor Bussy de Belly, ancien émigré devenu maire de Beaurieux. Celui-ci lui donna de précieux conseils et se proposa de guider lui-même les escadrons de cavalerie dans la région de Vassogne. Cette collaboration valut à l’intéressé d’être réintégré sans préavis dans l’armée avec le grade de colonel d’artillerie et la croix d’officier de la Légion d’Honneur ! |
David Victor Belly de Bussy est né à Beaurieux (02) le 19/03/1768. Il est le fruit de l’union de Michel Jean Baptiste Belly de Bussy (Ecuyer, mousquetaire du roi de la 1ère Cie) et de Louise Henriette Thérèse Reine Gondaillier de Tugny. Il entra à l’École Militaire comme élève en 1782; en sort en 1785 pour est affecté dans le même régiment que Napoléon Bonaparte (Régiment d’artillerie de La Fère). Il y sert en qualité de lieutenant en second (01/09/1785), lieutenant en premier (01/04/1791), puis capitaine (06/02/1792). Démissionnaire, il émigre (01/06/1792) et rejoint l’armée du duc de Bourbon. Là, il est nommé capitaine d’artillerie au Corps Franc du colonel de Quiefdeville (09/05/1794). Puis il fait la campagne des Flandres, participe au débarquement de Quiberon (Juillet 1795). Il est licencié avec son corps (01/01/1796) et sert dans l’artillerie Portugaise (1797). Rentré en France en 1802, il devient maire de Beaurieux. Au matin du 6 mars 1814, il rejoint, sur demande de l’empereur (qui le connaît personnellement) le QG de la Grande Armée et se met à sa disposition afin de guider l’aile gauche française (bataille de Craonne : 06 et 07/03/1814). Ayant grandement apprécié les services rendus, l’empereur le nomme le jour même colonel d’artillerie et son aide de camp (11/03/1814). C’est en cette qualité qu’il prend part aux dernières batailles de la campagne de France (Reims, Arcis-sur-Aube, Saint Dizier). Il assiste aux Adieux de Fontainebleau (20/04/1814). Mis en non activité (01/07/1814), il est rappelé au service en qualité d’adjoint à la direction d’artillerie de La Fère (12/03/1815), et reprend par la même occasion ses fonctions d’aide de camp de l’empereur. Il participe à la campagne du Nord en Belgique (Juin1815). Remis en non activité (01/09/1815), il est placé en position de retraite avec pension (grade de maréchal de camp – Ordonnance du 31/01/1830, avec jouissance à compter du 11/11/1829). Il meurt à Beaurieux le 02/01/1848, à 16h00. Il est inhumé dans le cimetière communal, où sa sépulture existe encore. Il fut décoré de la Légion d’Honneur (CH. : 23/03/1814) et de l’Ordre de Saint Louis (CH. : 27/06/1814) (Marie-Hélène Pardoen) |
Le plan de bataille établi ce soir là prévoyait de canonner de front les troupes russes établies à Hurtebise, pendant que celles-ci seraient assaillies sur leurs deux flancs simultanément. Au nord de la ferme, Ney devait se lancer à l’assaut du plateau par le village d’Ailles, et au sud la cavalerie de Nansouty avait pour mission d’aborder le flanc droit ennemi par le vallon d’Oulches. Il va sans dire que cette position des deux ailes de l’armée au fond des ravins était particulièrement défavorable à une action offensive…
Comment le commandant Grabowski découvrit M. de Bussy et le conduisit à Napoléon Mémoires militaires de Joseph Grabowski, officier à l’état-major impérial de Napoléon 1er 1812-1813-1814, publiés par M. Waclaw Gasiorowski, Paris, Plon, 1907, in-12, p. 212-6. C’était le 8 (erreur pour le 6) mars , dans la ferme de l’Ange-Gardien. L’Empereur apprit que M. Bussy de Belly, ancien élève de l’école de Brienne et condisciple de Napoléon, habitait dans les environs. L’Empereur déjeunait dans la ferme de l’Ange-Gardien, quand le prince Berthier me donna l’ordre d’aller voir le maire de Beaurieux, pour lui dire de se présenter immédiatement au quartier général. Le prince me donna comme escorte dix lanciers de la garde impériale. Je partis à l’instant ; mais je ne pouvais avoir aucun renseignement sur l’endroit où se trouvait la maison de M. Bussy, quand j’aperçus un paysan dans les champs ; je l’envoyai chercher par un de mes lanciers et c’est lui qui nous servit de guide. Le petit village qu’habitait M. Bussy se trouvait sur une colline assez élevée, à une lieue à peu près de l’endroit où se trouvait l’Empereur. La propriété de M. Bussy se composait d’un joli château entouré d’un grand parc enclos de murs et de quelques autres bâtiments. En m’approchant, j’aperçus un homme qui accourait vers nous en nous faisant des signes avec son mouchoir. Ne comprenant pas ce que cela signifiait, je me portais en avant ; l’homme arriva et me dit que les cosaques étaient dans la ferme, mais qu’aucun d’eux ne nous avait vus, car les uns étaient dans les caves, les autres dans les chambres du château à fouiller les. armoires. Leurs chevaux étaient dans la cour. L’homme ne put me dire combien il y en avait, se bornant à me dire qu’il y en avait « tout plein ». Je préparai aussitôt mes lanciers pour l’attaque, et, à la suite de mon guide, j’entrai dans une allée bordée d’arbres et conduisant directement à la ferme. Quand nous aperçûmes les chevaux des cosaques, nous prîmes le galop et nous nous précipitâmes dans la cour. Les lances des cosaques étaient déposées debout contre les murs, leurs chevaux attachés aux arbres et aux barrières, mais aucun cosaque n’était en vue, Nous entendions pourtant du bruit et des vociférations par la porte d’accès aux caves. Par cette porte, je tirai un coup de pistolet dans la cave. A cette détonation, les cosaques qui étaient dans le château en sortirent comme des fous ; mon escorte les sabra à son aise ; mais ceux qui étaient dans la cave ne sortaient pas. Je n’avais pas le temps de les attendre et je fis barricader la porte. Quelques-uns de mes lanciers montèrent dans les chambres et y trouvèrent encore quelques cosaques qui se cachaient. Enfin, M. Bussy se présenta à moi vtu de sa seule chemise de nuit et tout effrayé. Je lui transmis l’ordre de l’Empereur et lui demandai de me suivre immédiatement. Il commença par s’excuser : sa maison était pleine de cosaques, son château au pillage, il ne pouvait laisser seule sa mère vieille et malade, enfin, il n’était pas habillé, et n’avait pas de voiture, etc. Je lui montrai les cosaques blessés et prisonniers, et lui dis que je lui donnerais un bon cheval, que je ferais sortir les cosaques de sa cave, et qu’il en serait débarrassé, mais qu’il lui fallait se mettre en route à l’instant. Je lui dit encore d’aller rassurer sa mère et de s’habiller ; quant à moi, j’allais en finir avec les cosaques. M. Bussy rentra dans sa chambre ; je m’adressai alors en russe aux cosaques de la cave et leur ordonnait de sortir. Aucun ne répondit et ne donna signe de vie. Comme ils étaient armés de pistolets comme leurs camarades que nous avions pris, je ne voulus pas exposer la vie de mes lanciers. Je fis barricader les deux portes de la cave, celle qui donnait sur la cour et celle qui donnait accès dans la maison, et je recommandai aux paysans de les bien garder. Ils étaient huit ou neuf dans la cave, car le sous-officier que nous avions fait prisonnier m’avait avoué qu’ils étaient vingt en tout. Les paysans se jetèrent sur les prisonniers, pour leur faire rendre ce qu’ils avaient pu voler dans le château, quoiqu’ils jurassent qu’ils n’avaient rien pris. C’était vrai, car à mon coup de pistolet, ils avaient tout jeté par terre, et je m’en assurai moi-même ; en effet, mes lanciers, voyant les paysans fouiller dans les poches des cosaques, s’interposèrent, firent eux-mêmes une perquisition régulière, et ne trouvèrent rien. Voulant que la cave fût bien gardée, j’affirmai aux paysans que les cosaques qui y étaient enfermés portaient sur eux beaucoup d’argent. Enfin M. Bussy de Belly se montra, je lui donnai un bon cheval et nous partîmes pour le quartier général. Nous emmenâmes avec nous les chevaux des cosaques et dix prisonniers ; deux, qui avaient été grièvement blessés à la tête, restèrent à la ferme. Mes lanciers étaient bien contents de leur prise, car ils trouvèrent dans les sacoches et dans le paquetage des cosaques, beaucoup d’objets de valeur, des montres, des bagues, de l’or, de l’argenterie, etc. Pour moi, je choisis un excellent cheval gris que plus tard, avant de rentrer dans ma famille, je vendis au colonel Rougeos pour cinquante napoléons d’or. Lorsque je rentrai au quartier général, je fis mon rapport verbal au prince Berthier, qui souriait en m’écoutant, et répétait souvent : « C’est très bien, je suis content de vous ». L’Empereur accueillit M. Bussy avec bonté et lui serra la main cordialement. Il le nomma colonel et son aide de camp,. avec des appointements annuels de 30.000 francs et une gratification de 20.000 francs. En outre, il fit donner sur-le-champ à M. Bussy 500 napoléons d’or pour son équipement. Il lui recommanda aussi d’envoyer sa mère et sa femme dans une place sûre, et lui permit de rentrer chez lui. Source : LES VENDANGEOIRS du LAONNOIS par le Comte Maxime DE SARS. Écrit après la guerre de 1914-1918. (Réédition de 1986). Crédit: Alain Labruyère. |
Le 7 mars, les troupes russes se préparèrent à recevoir le choc qu’elles savaient proche. Elles s’établirent défensivement sur trois lignes, à cheval sur la « route des Dames », à hauteur de la ferme d’Hurtebise et du ravin de Foulon. Là où le plateau s’élargissait (en contre-haut de Vassogne), elles étaient flanc-gardées par des escadrons de cosaques. Autour de Cerny, les Prussiens du général Sacken étaient en réserve. Il faisait particulièrement froid, ce matin là. Le vent soulevait une neige poussiéreuse tombée dans la nuit et le sol gelé faisait trébucher les chevaux. Par contre, dans les fonds au nord du plateau, l’Ailette avait débordé et le sol détrempé interdisait toute action de la cavalerie comme tout passage d’artillerie. La mission confiée à Ney n’en était que plus délicate à remplir et l’arrivée de renforts s’annonçaient problématique par cette voie.

La canonnade commença avant 10 heures. Elle fit plus de bruit que de dégâts. Les artilleurs français étaient pour la plupart inexpérimentés et impressionnés par la mitraille russe. Maniant tour à tour l’écouvillon et la planchette de tir, le général Drouot passait d’une pièce à l’autre pour corriger les fautes des maladroits et leur montrer les bons gestes. Au son du canon, Ney fit avancer ses troupes jusqu’à Ailles et commença un peu trop tôt l’escalade du côté nord du plateau : les troupes à l’assaut desquelles il lançait ses hommes n’avaient pas été éprouvées par le bombardement ; elles étaient encore fraîches et bien organisées. Criblés de balles et de biscaïens, les soldats du prince de la Moskowa ne purent prendre pied sur le plateau et furent contraints de s’établir à mi-pente. Leur position était pour le moins inconfortable…
Ces premiers engagements montraient la nécessité de faire parvenir des renforts aux troupes engagées. Pour cela, Napoléon pouvait disposer progressivement des corps qui, l’un après l’autre franchissait l’Aisne à Berry-au-Bac. Il les engagea dans la bataille au fur et à mesure de leur arrivée sur la rive nord. La Jeune Garde notamment fut chargée, en fin de matinée, de partir à l’assaut d’Hurtebise par la route de Vauclerc. Ce faisant, elle reprenait à son compte les tentatives malheureuses menées la veille par Ney, et venait à son secours à un instant critique du combat. Se voyant assaillis en force, les Russes qui tenaient la ferme y mirent le feu et l’évacuèrent.
Les troupes françaises qui prenaient pied sur le plateau autour d’Hurtebise étaient surtout composées de jeunes conscrits. Le pire pouvait être craint, quant à leur tenue au feu. Exposées à de très violents bombardements, elles restèrent pourtant soudées sous la mitraille, en dépit des très lourdes pertes subies. C’est à cet instant de la bataille que le maréchal Victor, qui les commandait, fut blessé à la cuisse. Vers le milieu de la journée, elles furent renforcées par Grouchy qui déboucha à son tour sur le chemin des Dames, à la tête d’un millier de cavaliers (des dragons pour l’essentiel). Plus au sud, Nansouty et ses cavaliers parvenaient eux aussi à se hisser sur le plateau et s’en prenait au flanc droit des Russes. Ceux-ci furent sabrés par la cavalerie de la Garde et repoussés jusqu’à la hauteur de Paissy. Dans cette charge mémorable, le régiment des Dragons de la Garde perdait cinq officiers tués !
Attaqué sur trois côtés, Woronzoff conservait pourtant son centre intact. Il ordonna plusieurs contre attaques qui refoulèrent la cavalerie française. A la tête de ses dragons, Grouchy fut blessé. La panique gagna alors les rangs des jeunes recrues de la Garde et les marie-louises de Ney. Face au retour offensif des Russes, ses régiments se précipitèrent en désordre dans les ravins qu’ils avaient eu tant de peines à gravir et le plateau fut nettoyé en un instant. L’envoi de renforts devenait urgent, sous peine de subir un désastre. Or, ceux-ci ne pouvaient être envoyés au feu qu’au rythme de leur franchissement de l’Aisne et sans ordre préétabli. Le goulet d’étranglement de Berry-au-Bac ôtait à l’Empereur toute hauteur de vue tactique sur les combats en cours…
Ce furent les cavaliers du général La Ferrière et les fantassins de Charpentier qui, les premiers et au fur et à mesure de leur arrivée en ligne, se portèrent les premiers au secours de la Jeune Garde, vers Hurtebise. Ce soutien fut le bienvenu. Les troupes débandées se recomposèrent pour repartir à l’assaut. Plus à l’ouest, les hommes de Ney escaladaient les pentes abruptes du plateau pour la sixième fois depuis la veille. La victoire changeait de camp. Toute l’armée française poussa bientôt des exclamations de joie, lorsque les canons de l’artillerie de la Garde (72 pièces) et ceux de la réserve d’artillerie débouchèrent à leur tour sur le champ de bataille, à hauteur du défilé d’Hurtebise. L’Empereur en personne dirigeait leurs feux, depuis le promontoire du Buisson Coquin. Désormais, Français et Russes luttaient à armes égales. Les canons de la Garde, servis par des artilleurs chevronnés, firent beaucoup de mal aux troupes de Woronzoff.
Au même instant, Blücher constatait que le vaste mouvement tournant de cavalerie qu’il avait projeté ne pouvait pas être mené. Le retard de ses troupes, les mauvaises conditions météorologiques, le sol marécageux et les dispositifs de flanc-garde de l’armée française se conjuguaient pour compromettre sa manœuvre. Bien menée, celle-ci aurait pourtant pu porter un coup fatal à l’armée française. Le feld-maréchal donna donc à Woronzoff l’ordre de se replier pour rejoindre les troupes qui se concentraient vers Laon. Lorsqu’il reçut cet ordre, peu après 14 heures, le général russe était en bien fâcheuse posture. Son flanc gauche était assailli par les troupes de Ney venant du ravin d’Ailles. A sa droite, les dragons français sabraient et débordaient ses défenses. Face à son centre, l’infanterie française s’était formée en ligne et progressait, soutenue par le feu de son artillerie. Malgré tout, Woronzoff ne voulait pas décrocher.
Il fallut que Blücher lui renouvelât son ordre pour qu’enfin il consente à donner l’ordre à ses troupes de commencer leur repli vers Cerny. Cette retraite fut accompagnée par un harcèlement constant des troupes françaises sur les arrières et les flancs russes. En dépit de nombreux actes de courage et d’héroïsme, ce recul manqua à plusieurs reprises de se transformer en déroute, sous les coups de boutoir de la cavalerie impériale. Heureusement pour Woronzoff, un parti de 4.000 cavaliers envoyés par le général Sacken vint opportunément détourner l’attention des Français et couvrir le mouvement rétrograde.
Avec le repli russe, la bataille touchait à sa fin. Soutenue par l’artillerie du général Drouot, l’armée française toute entière se lança bientôt dans une poursuite de 15 kilomètres, tout au long de la crête du chemin des Dames. Elle repoussa les troupes russes jusqu’à la route de Soissons à Laon, vers le lieu-dit de L’Ange Gardien. Le succès aurait pu être complet si elle avait pu s’emparer de canons et de nombreux prisonniers, mais il n’en fut rien. La retraite de Woronzoff fut méthodique et bien menée et les dégâts furent limités. Les quelques signes de panique avaient été vite maîtrisés.
Profitant du retrait des Russes et des Prussiens, les habitants de la région sortirent des grottes, dans lesquelles ils s’étaient réfugiés pendant la bataille. Ivres de colère, ils s’en prirent aux blessés et aux traînards, achevant les uns et chassant les autres. Ils se vengeaient ainsi des exactions que leur avaient fait subir les cosaques (tortures, viols, meurtres, nombreux civils « chauffés » et vols). Dans une grotte du ravin de Troyon, un graffiti de cette époque, encore visible en 1914, disait : « les cosaques sont venus, nous avons beaucoup souffert ».
Le soir, Napoléon dort à Bray-en-Laonnais, dans la maison de la veuve de M. Charles Louis de Villers (ou Devillers), major de la milice bourgeoise de Laon:
« Le soir de la bataille de Craonne (7 mars 1814), Napoléon arriva dans cette maison et y passa la nuit; c’est là qu’il reçut une lettre de Caulaincourt, apportée par M. de Rumigny, attaché de cabinet, lui donnant de mauvaises nouvelles des conversations de Châtillon, et lui signalant la présence de Bourbons en France. » Les Vendangeoirs du Laonnois par le Comte Maxime de Sars. – Écrit après la guerre de 1914-1918. – Réédition de 1986 (communiqué par Alain Labruyère)
« Après la bataille de Craonne, le 7 mars 1814, Napoléon fut coucher à Braye, où s’étaient réfugiés un grand nombre de blessés. Trente maisons de ce village furent incendiées pendant cette affaire. » (Maximilien Melleville – Dictionnaire Historique du département de l’Aisne.
(1865) – Laffitte reprints, Marseille, 1979. Communiqué par Alain Labruyère).
Napoléon apparaît « fatigué, entouré de blessés et de mourants, dans l’un de ces moments où les dégoûts de la guerre rassasieraient l’âme la plus belliqueuse » (Mémoires du baron Fain)
La bataille de Craonne fut particulièrement acharnée et meurtrière. Les coalisés y ont perdu 5.000 hommes, morts où blessés (les généraux Lanskoi et Uschakoff sont morts, Laptieff et Schwarzkin blessés) et les Français 5.400, dont neuf maréchaux et généraux tous plus ou moins grièvement blessés (Victor, Grouchy, Sparre, Lecamus, Cambronne, Lecapitaine, Laferrière-Lévêque sont blessés, Rouzier est tué) . Le 8 mars autour de la ferme d’Hurtebise, les chirurgiens opéraient les blessés à même le sol enneigé. Le village de Craonne était tout entier transformé en ambulance, sous la haute autorité du célèbre chirurgien Larrey. Cette victoire à la Pyrrhus ne fut en aucun cas décisive sur la suite des opérations. L’armée de Blücher se rassembla vers Laon, prête à poursuivre sa marche sur Paris en passant par La Fère. Un affrontement nouvel était inévitable pour tenter de lui barrer la route. Il eut lieu dès le lendemain, au pied de la butte de Laon. Mais l’armée française, même renforcée par les troupes de Marmont qui venait juste de traverser l’Aisne à Berry-au-Bac, n’avait plus la force d’emporter une quelconque victoire décisive.

C’est sur le plateau de Craonne, peu avant la ferme d’Hurtebise (elle a été reconstruite, après sa destruction durant la Première Guerre Mondiale), que se trouve la statue en pierre de Napoléon, portant l’inscription suivante: « Commémoration de la bataille de Craonne – 7 mars 1814 – Ce monument a été érigé par le comité de tourisme et l’Union des St. de l’Aisne et inauguré le 30 juin 1974 – par M. Michel Poniatowski – Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur ».


À côté de la ferme, un monument en bronze représente un Marie-Louise et un combattant de la Grande Guerre, avec l’inscription: « 1814-1914 – À la vaillance de la jeunesse française – Marie Louise de 1814 – Bleus de 1914″

Le quartier général du maréchal Ney se situait au château de la Bove. Également détruit pendant la Grande Guerre [1]Il abritait un poste de commandement allemand et fut détruit durant l’offensive Nivelle de 1917, il a été reconstruit depuis.
(Éric Labayle)