7 juillet 1807 – Signature du traité de Tilsit – Témoignages

La signature du traité de Tilsit, entre Napoléon et le tsar Alexandre, parle quel en échange de l’engagement de ce dernier d’adhérer au blocus contre l’Angleterre, Napoléon laissait les mains libres au tsar pour s’emparer de la Finlande qui appartenait à la Suède et dans son projet de démembrement de l’Empire ottoman(une clause prévoit le partage des possessions turques entre la Russie et la France), la Russie promettant de fermer ses ports au commerce britannique et même de déclarer la guerre au Royaume-Uni si ce dernier refusait son offre de médiation, n’a pas manque de laisser à beaucoup de participants ou témoins, une profonde Impression, notamment par la mise en scène voulue par l’Empereur des Français.
Nous vous en présentons cinq des plus célèbres ci-dessous.
Jean-baptiste-Auguste Barrès [1]C’est le Grand-père de Maurice Barrès
Le 19 juin, à Tilsit, nous fûmes logés dans le faubourg qui longe la rive gauche du Niémen, au dessus de la ville, mais comme l’emplacement était très borné et mal propre, on préféra bivouaquer dans les jardins et les champs d’alentour. Les habitants, avant notre arrivée, avaient caché dans la terre de leurs jardina leurs effets et des provisions considérables.
Quand ils virent qu’on respectait les propriétés et les personnes, ils vinrent nous prier de leur permettre de faire des fouilles pour déterrer les objets cachés. On y consentit avec empressement, mais avec cette réserve que s’il y avait des comestibles, ils nous en feraient part. Il se trouva, en effet, tant et tant de pièces de lard et de jambon que nos ordinaires se trouvèrent pourvus, pour quelques jours, d’une denrée bien précieuse pour donner du goût à nos maigres aliments.
La viande ne manquait pas, mais le pain, où il y avait plus de paille et de son que de farine, était détestable. Il fallait avoir une faim canine pour oser le porter à la bouche. Les Russes étaient campés sur l’autre rive du fleuve, où on les voyait et les entendait facilement, surtout quand ils se réunissaient le soir pour chanter la prière.
Le beau pont en bois établi sur cette rivière était brûlé; aucune communication n’était possible entre les deux rives, car toutes les barques et bateaux avaient été emmenés ou coulés bas ; cependant, quand il fut convenu qu’une entrevue entre les deux empereurs aurait lieu sur un radeau, au milieu du fleuve, il s’en trouva pour porter les matériaux nécessaires à sa construction.
Ces préparatifs nous préoccupèrent singulièrement; on était las de la guerre, on se voyait en quelque sorte à l’extrémité du monde civilisé, à cinq cents lieues de Paris et exténué de fatigue.
C’était bien suffisant pour désirer de voir sortir de ce radeau une paix prochaine et digne des grands efforts d’une armée qui avait tut fait pour vaincre les ennemis de la France.
26 juin [2]Deuxième entrevue sur le Niémen, la première ayant eu lieu la veille.. J’étais sur le rivage, quand l’Empereur s’embarqua pour rejoindre l’empereur Alexandre et j’y restai jusqu’à son retour. Ce spectacle était si extraordinaire, si merveilleux, qu’il méritait bien tout l’intérêt qu’on y attachait.
26 juin. – D’après les conventions arrêtées la veille sur le radeau, l’empereur Alexandre devait venir habiter Tilsitt, avec sa suite et 800 hommes de sa Garde. La ville fut déclarée neutre et partagée en partie française et en partie russe. Il nous fut défendu d’entrer, même sans armes dans le quartier habité par l’empereur de toutes les Russies. Cependant, plus tard, il fut permis de le traversé pour nous rendre à notre faubourg, qui se trouvait dans cette direction, mais en tenue· de promenade.
Ce 26 juin, nous primes les armes à midi et fûmes nous former en bataille, dans la belle et large avenue où habitait Napoléon: l’infanterie était à droite et la cavalerie à gauche. A un signal convenu, Napoléon se rendit sur le bord du Niémen pour recevoir Alexandre et le conduire à son logement. Peu de temps après, ces deux grands souverains arrivèrent, précédés et suivis d’un immense et superbe état-major, ayant échangé leurs cordons et se tenant par la main, comme de bons amis. Après avoir passé le front des troupes, les deux empereurs se placèrent au pied de l’escalier de l’Empereur Napoléon, et nous défilâmes devant eux.
Une fois le défilé terminé, nous rentrâmes dans nos bivouacs, et l’empereur Alexandre fut reconduit chez lui avec le même cérémonial.
27 juin. – Grandes manœuvres et exercices à feu de toute la garde impériale, sur les hauteurs de Tilsitt, devant Leurs Majestés Imperiales [3]A 16 heures, d’après Garros-Tulard.. Napoléon tenait beaucoup à ce que sa Garde justifiât la haute renommée qu’elle s’était acquise, car, dans les feux, il passait derrière les rangs pour exciter les soldats à tirer vite et dans les marches, pour les exciter à marcher serrés et bien alignés. De la voix, du geste, du regard, il noue pressait et nous encourageait.
De son côté, l’empereur Alexandre était bien aise de voir de près ces hommes qui, soit qu’ils chargeassent sur sa cavalerie, soit qu’ils marchassent sur son infanterie, suffisaient, par leur seule présence, pour les arrêter ou les contenir. Il arriva un moment qu’il s’était placé devant nos feux. Napoléon fut le prendre par la main, et le retira de là, en lui disant : « Une maladresse pourrait causer un grand malheur. » Alexandre répondit : « Avec des hommes comme ceux-là, il n’y a rien à craindre. » Après le défilé, qui fut très bien exécuté, on mit à l’ordre du jour les témoignages de la satisfaction que l’empereur Alexandre avait plusieurs fois manifestée pendant les manoeuvres.
28 juin. – Arrivée de S. M. le roi de Prusse [4]Il est arrivé à Tilsit à midi (idem) . J’étais en faction en bas des escaliers de la rue, quand l’Empereur Napoléon vint le recevoir à la descente de sa voiture. Il lui prit la main et le fit passer devant pour monter les escaliers. Ce n’était pas la réception du 26, c’était un roi vaincu qui venait demander un morceau de sa couronne brisée.
La Garde à pied donna à dîner, dons la plaine située derrière notre faubourg, aux 800 gardes russes qui faisaient le service auprès de leur souverain. Pendant le dîner, les gardes prussiennes arrivèrent; elles furent accueillies et traitées avec le plus vif empressement; en général, on les préférait aux Russes, probablement parce qu’ils étaient Allemands. Il y eut beaucoup de saouleries, surtout chez les Russes, mais il n’y eut ni querelles, ni désordre. Du reste, les officiers des trois puissances étaient là, pour arrêter toute manifestation contraire à la bonne harmonie.
Pendant mon séjour à Tilsitt, je reçus une lettre du vieux général Lacoste, du Puy, pour son fils, général de division du génie, aide de camp de l’Empereur [5]André Bruno Lacoste (1775 – 1809). Je fus très bien reçu, et il me promit de s’intéresser à moi.
Un soir que j’étais en faction sur les bords du Niémen, j’eu l’occasion de remarquer combien les nuits sont courtes dans le Nord, à cette époque de l’année. C’était le 23 juin. Placé en sentinelle à 11 heures du soir, il faisait encore assez clair pour lire une lettre et quand on me releva à une heure du matin, la nuit s’était écoulée et le jour avait reparu.
Les entrevues et les événements de Tilsitt me firent connaître une infinité de grands personnages de l’Europe, que je remarquai avec plaisir et que j’étais bien aise d’observer. Peu d’occasions où l’on avait vu autant d’hommes marquants, réunis dans un si petit endroit.
3 juillet. – Les négociations pour la conclusion de la paix presque terminées, les 2e régiments de chaque arme de la Garde reçurent l’ordre de partir le lendemain pour Königsberg et ensuite pour la France. Cette nouvelle fut accueillie avec une grande démonstration de joie. La glorieuse paix qui venait d’être signée à Tilsitt nous dédommageait bien de tous les maux que nous avions soufferts pendant ces quatre grandes, rudes et vigoureuses campagnes, mais nous n’en étions pas moins désireux de nous reposer un peu plus longtemps, de laisser râteliers d’armes nos lourds fusils et sur la planche nos incommodes sacs, sauf à les reprendre l’un et l’autre, si l’indépendance de la France réclamait nos bras et notre vie. Pour le moment, nous en avions assez.
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