4 juillet 1806 – Bataille de Maida

Début 1806, Napoléon charge Masséna de conquérir le royaume de Naples, dont il entend bien que son frère Joseph prenne rapidement possession. Malgré un début relativement facile, les difficultés vont rapidement se présenter. L’une d’elles, est l’intervention des Anglais dans le conflit, en particulier au mois de juillet, lorsqu’une force d’intervention est débarqué sur les côtes de Calabre. Là, près de la petite ville de Maida, le général Stuart remporte une victoire face aux Français sous les ordres du général Reynier.  Cette victoire, d’importance relativement secondaire dans la suite des opérations, même si elle encourage les Calabrais dans leur résistance à l’envahisseur français, a, rapidement, été le point de départ de commentaires et de discussions, quelques fois passionnées, tant sur sa signification – certains n’hésitant pas à y voir le présage de la défaite de Napoléon en Espagne et même à Waterloo – que du point de vue purement militaire : face à la formation « en ligne » des Anglais, les Français combattirent-ils « en ligne » ou « en colonne ». Sans vouloir ici trancher, remarquons au passage que ce fut à Maida que les Anglais – toujours parcimonieux dans leurs interventions – rencontrèrent vict orieusement  les troupes napoléoniennes sur le continent européen. Ce fait peut finalement expliquer l’importance donnée à cet évènement, notamment chez les anglophones.

 

Profitant de la longueur du siège de Gaete, qui occupe le gros des troupes françaises engagées dans le royaume de Naples, les Anglais décident de débarquer dans le Sud-Ouest de l’Italie en Calabre, et confient au Major Général Sir John Stuart [1], le commandement d’une force d’intervention d’environ 5000 hommes.

L’expédition de Stuart arrive dans la baie de Saint-Eufemia le 30 juin et débarque, sans opposition, le 1er juillet. A la fin de la journée, une forte houle se lève, qui empêche un débarquement rapide des munitions et des vivres : Stuart ne peut plus compter sur l’effet de surprise, du moins pas complètement. Le général Reynier, côté français, en profite  pour regrouper encore plus de forces face à l’Anglais (5690 fantassins, 328 cavaliers, 373 artilleurs). Celles-ci se composent de deux bataillons du 1er léger et de deux bataillons du 42e de ligne, commandés par le général Compère [2], tandis que le général Digone [3] est à la tête de deux bataillons du 23e de ligne, de deux bataillons de Polonais et d’un bataillon de Suisses.

Ce même 3 juillet, Stuart reçoit des informations contradictoires, selon lesquelles les Français se concentrent sur la rivière Lamato, près de la ville de San Pietro di Maida. Il monte à cheval pour aller reconnaître le terrain, avec son état-major.  [4] Sous-estimant les forces françaises ce soir là, Stuart ordonne à 350 de ses hommes de tenir la plage, le reste de ses forces devant se préparer à une attaque matinale des positions françaises.

Lorsque le jour se lève, ce 4 juillet, les forces anglaises s’avancent  en deux colonnes parallèles dans la plaine s’étendant entre la plage et la rivière Lamato. Le plus près de celle-ci se trouve la brigade Kempt [5] (35e léger et diverses compagnies), suivie de Cole [6], tandis que du côté de la plage avance la brigade Acland [7] et celle d’Oswald [8] derrière elle. Chaque brigade est accompagnée de batteries légères (sur des mules), les batteries lourdes suivant la colonne d’Acland. Les forces anglaises sont appuyées, de la mer, par l’Apollo, accompagnée de deux bâtiments de moindre importance.

Général Jean-Louis Reynier (1771-1814)

La marche en avant n’est pas sans difficultés. De nombreuses patrouilles de cavalerie se montrent, et la plaine est remplie de nombreuses broussailles et de sable, rendant le déplacement des canons particulièrement difficile. De sorte que, la chaleur et le déplacement des canons aidant, c’est une infanterie épuisée qui traverse les rues de Lamato, avant d’entrer dans la plaine de Maida.

Durant de temps, Reynier (il se croit à cet instant inférieur en nombre) est loin d’être resté inactif : pendant la marche des Anglais sur Lamato, son infanterie a quitté ses bivouacs, sur la partie haute de la plaine de Maida. A 8 h 45, il a rappelé sa cavalerie et il s’avance, confiant de pouvoir « jeter six ou sept mille Anglais dans la mer »

Lorsqu’ils entrent dans la plaine de Maida, les Anglais continuent d’avancer, Kempt à droite, à côté d’Acland, suivi par Cole. Un peu en arrière du centre, Oswald est en réserve.  La cavalerie et l’artillerie attelée françaises sont désormais en action, cette dernière échangeant ses tirs avec l’artillerie anglaise. Il y a peu de dommages, mais les mouvements incessants, soulevant une grande quantité de poussière, et la fumée des canons cachent la marche de l’infanterie française.

La bataille de Maida

Sur la droite, Kempt déploie ses Corsican Rangers et la compagnie légère du 20th au-delà du Lamato, afin de nettoyer quelques bosquets, mais ils sont repoussés par l’infanterie que Compère a dissimulé à cet endroit, afin de tourner la droite anglaise. Le 20th perd son capitaine, est en grande difficulté, mais se maintient jusqu’à  l’arrivée des flanqueurs du 35th, qui repousse les Français en désordre. Cette action est suivie d’une charge des Corsican Rangers, qui se sont ralliés, et peuvent ainsi rejoindre leur place sur la droite de Kempt.

La cavalerie française se dirige maintenant sur la gauche anglaise, ce qui a pour effet de dissiper la poussière et de révéler aux Anglais les Français qui se dirigent vers eux, en échelon par la gauche, Compère en tête : 1er léger et 42e de ligne (2800 hommes), ayant à leur droite la brigade suisse de Peyri et les Polonais (1500 hommes), et le 23e léger de Digonet (1250 hommes) encore plus à droite, rejoint par la cavalerie française et l’artillerie.

Les deux armées se rapprochent l’une de l’autre en silence, troublé par le seul bruit des canons. Remarquons ici que les Français, ici, s’avancent non pas en colonne, mais en ligne [9]. Les Anglais, comme à l’habitude, sont sur deux lignes, les Français sur trois.

Lorsque les soldats de Compère et de Kempt sont à environ une centaine de pas l’une de l’autre, elle s’arrêtent et s’adressent plusieurs volées, qui semblent être à l’avantage des Anglais, qui reçoivent rapidement l’ordre de reprendre leur marche en avant.

On atteint ici un point largement discuté par les historiens. Kempt, s’apercevant que ses hommes sont gênés par leurs manteaux, qu’ils portent en bandoulière, les arrêtent un instant, alors qu’ils sont à environ 70 pas des Français, leur donnant l’ordre de s’en débarrasser. Le premier rang se retourne, pour passer cet ordre à ceux qui suivent et les Français comprennent ce mouvement comme un début de retraite. Compère passe alors devant le front de ses hommes, en criant :  « Cessez le feu ! Cessez le feu ! Chargez !” 

 

Débarrassés de ce qui les encombrait, les Anglais, en fait, continuent d’avancer.  Kempt leur ordonne « Halte ! Attendez mon ordre ! Laissez-les arriver plus près !” Lorsque les Français sont à moins de 30 pas, Kempt ordonne : “Feu ! Charge à la baïonnette ! ». La première ligne française fait brusquement demi tour, entraînant avec elle la presque totalité du 1er léger de Compère. Lui-même, malgré sont courage, est rapidement submergé.  Les Anglais poursuivent les Français jusqu’à Maida, où ceux-ci se rallient enfin, leur tuant ou leur capturant près de 900 hommes, n’en perdant de leur côté qu’une cinquantaine.

Pendant ce temps, le 42e de ligne (brigade Compère) et la brigade Acland sont arrivés au contact. Les Français sont les premiers à faire feu, sans effet, mais les Anglais font feu de leurs deux lignes et chargent, repoussant leurs adversaires. Ceux-ci parviennent toutefois à se rallier, couvrant la gauche de Reynier, désormais exposée, ainsi que la seule route de repli, et soutenant les brigades situées á leur gauche.

Les Polonais et les Suisses de Peyri avancent maintenant pour arrêter l’avance d’Acland. Mais les Suisses, en uniformes rouges, sont pris par les Highlanders pour le régiment de Watteville [10], ce qui leur permet d’envoyer une volée meurtrière à brûle pourpoint. La surprise est grande parmi les Anglais, qui, cependant réagissent rapidement, et réussissent par leur feu à repousser les valeureux Suisses, permettant à la brigade Acland, bien que très atteinte, de continuer d’avancer.

Reynier n’a désormais plus que le 23e léger (1250 hommes), sa cavalerie ainsi que son artillerie attelée, qui n’a pas encore été engagés, avec lesquels il compte maintenant attaquer la gauche d’Acland. L’avance de la brigade  Cole, qui se présente, en carré, sur l’extrême gauche anglaise l’en empêche. Il est désormais contraint à la défense et rassemble le 23e léger sur une légère pente, appuyé par sa cavalerie. Il envoie en avant des compagnies légères et de la cavalerie. Il parvient ainsi à repousser Cole sur la défensive, dont les munitions s’épuisent et la fatigue commençant à se faire sentir. La gauche anglaise est alors en mauvaise posture.

La situation va être rétablie par l’envoi, par Oswald, de la réserve sur la droite de Cole, et l’arrivée tardive du 20th foot (colonel Ross), qui s’attaque aux tirailleurs français sur le flanc gauche de Cole, puis, pivotant sur la droite, ouvrant un feu dévastateur sur le 23e léger, complètement isolé.

L’issue de la bataille ne peut plus désormais faire de doute. Reynier concentre ses forces autour du 42e de ligne, avant de couvrir sa retraite avec sa cavalerie et des tirailleurs. Heureusement les Anglais sont à court de cavalerie, sans quoi peu de Français s’en seraient sortis.

La bataille de Maida est maintenant terminée. Inexplicablement, Stuart retourne sur la plage et reste inactif pendant deux jours  [11], avant de se décider à envoyer la brigade Oswald en avant pour s’emparer de Monte Leone.  [12] Le 21 juillet, le fort de Scylla capitule. Il est aussitôt occupé par des troupes anglaises fraîches, tandis que le reste de l’armée anglaise rembarque pour la Sicile .[13]

 

 Rectification  d’une erreur de Walter Scott

 Le combat de Maїda – 6 juillet 1806

 Par l’officier d’artillerie qui commandait la batterie au combat de Maida [14]

 

On lit, dans le 6e volume, page 3 et suivantes de l’Histoire de Napoléon par sir Walter Scott, un récit du combat de Maida, en Calabre, en 1806, tellement contraire à la vérité, que je crois qu’il est du devoir d’un officier français, qui était à ce combat, de relever l’historien infidèle, pour ne pas dire plus.

D’après le récit de sir Walter Scott, « les deux armées, rangées en bataille, et après deux on trois décharges, se seraient, comme d’un consentement mutuel, attaquées à la baïonnette. »

Voilà d’abord un fait énoncé bien positivement: cependant,

« le commandant anglais, reprend notre historien, s’apercevant que les couvertures, que ses soldats portaient sur leurs dos, gênaient leurs mouvements, fit faire halte afin qu’ils pussent les jeter à terre. (Le moment était certes bien choisi.) Les Français, voyant l’ennemi s’arrêter, crurent que la peur le faisait hésiter; ils avancèrent au pas de charge, au milieu de bruyantes acclamations. Un officier duquel nous tenons ces détails, poursuit notre auteur, dit qu’il ne put s’empêcher d’éprouver une vive inquiétude, lorsqu’il vit l’air martial des Français et l’ordre dans lequel ils avançaient, et qu’il compara ces vieux soldats à moustaches avec les troupes anglaises, qui étaient pour la plupart de jeunes recrues; mais les Anglais ne furent pas plutôt débarrassés de leur fardeau que, recevant l’ordre d’aller en avant, ils firent bonne contenance et marchèrent à leur tour sur l’ennemi d’un pas rapide et la baïonnette au bout du fusil. Les officiers français excitèrent alors leurs soldats dont le courage commençait à chanceler en voyant qu’ils avaient changé de rôle avec les Anglais, et qu’ils n’étaient plus les assaillants; ils s’arrêtèrent. Tous les efforts de leurs officiers pour les faire avancer devinrent inutiles, et lorsque les Anglais ne furent plus qu’à la distance de la baïonnette, leurs adversaires rompirent les rangs et prirent la fuite. Reynier s’efforça vainement de rétablir le combat avec sa cavalerie; il fut battu sur tous les points, et d’une manière à mettre hors de doute que le soldat anglais, homme à homme, a sur son ennemi la même supériorité que les marins anglais ont sur ceux des autres nations. Le général Stuart aurait pu facilement s’établir eu Calabre; mais une maladie, propre au pays, ayant gagné son armée, il dut la faire repasser en Sicile. »

Voilà le roman passablement ridicule de sir Walter Scott: présentement voici l’histoire que j’ai à lui opposer. Je ne crains pas plus d’être contredit par les officiers anglais que par les Français.

Le général Stuart, parti le 1er juillet de Messine avec sa flotte, arrivée en partie de Palerme, était le 2 dans le golfe de Squillace, et débarqua, le 3, à l’extrémité nord du golfe: il campa ses troupes près du village de Sainte-Euphémie, dans un bois de citronniers. On pouvait les évaluer à 6,000 hommes, non compris les insurgés calabrais qui se joignirent à lui. Parmi les Anglais, était un régiment suisse.

Le golfe de Squillace règne sur une plage très-basse, d’environ neuf milles de largeur, sur trois à quatre milles de profondeur. Abrité à l’ouest par la montagne escarpée de Nicastro, il présente une sorte de rade très-propre à un débarquement.

Le 3 juillet, le général Reynier occupait avec son corps d’armée la rive gauche de l’Amato, position escarpée sur la plage, fermant le golfe au sud, à deux milles de Maida, village que nous avions à notre droite, et où fut placée l’ambulance de l’armée.

Les forces du général Reynier se composaient des 1er et 23e régiments d’infanterie légère, un bataillon du 42e régiment de ligne, le 1er régiment suisse, le 1er régiment polonais, un escadron du 9e régiment de chasseurs à cheval, une batterie de quatre bouches à feu du 1er régiment d’artillerie légère, en tout 4,000 hommes environ.

Le soir même du 3, après avoir fait reconnaître les chemins par où l’artillerie pourrait passer pour arriver au camp anglais, le général Reynier fit prévenir les troupes que l’on marcherait à l’ennemi avant le jour; que l’on tomberait sur lui à la baïonnette et sans tirer un seul coup de fusil. Cet avis fut reçu par les troupes avec de grandes démonstrations de joie, et chacun attendait avec impatience l’heure du départ.

Cependant, le bataillon du 42e régiment qui venait de Reggio et qui était attendu dans la soirée, n’arriva que le matin à six heures. Soit dans l’attente de ce bataillon, comme il fut dit alors, soit par toute autre cause, l’ordre de départ, au grand étonnement des troupes, ne fut point donné; et en même temps que le bataillon du 42e arrivait, on vit l’armée anglaise s’avancer sur deux colonnes, le long de la mer.

A l’instant même, le général Reynier donna l’ordre de se porter à la rencontre de l’ennemi, et pour cela de se former à gauche en bataille sur le régiment de droite aussitôt qu’on aurait traversé l’Amato. Par cette manœuvre, nous allions donc nous trouver la gauche en tête. Le général renouvela en même temps l’ordre exprès de courir sur l’ennemi à la baïonnette sans tirer un coup de fusil.

Tandis que notre corps d’armée quittait ainsi sa belle position, passait l’Amato et manœuvrait pour prendre une ligne de bataille dans la plaine, l’armée anglaise arrivait sur le fleuve, se mettait en bataille au moyen d’un simple demi-tour à gauche, et marchait au pas redoublé à notre rencontre, pour nous attaquer avant que nous fussions tous formés en ligne.

Le 1er régiment d’infanterie légère qui, dans le mouvement qu’exécutait le corps d’armée, passait de la droite à la gauche de notre front de bataille, se trouva naturellement le premier en ligne; le régiment polonais s’y portait, ensuite l’artillerie, puis successivement le régiment suisse et le 23e régiment d’infanterie légère; mais ces deux derniers régiments étaient encore alors bien en arrière. Néanmoins, le général de brigade Compère, qui commandait notre gauche, sans réfléchir sur sa position et ne pensant qu’à exécuter à la lettre les ordres du général en chef, au lieu d’engager d’abord la fusillade sur ce point, marcha au pas de charge sur l’ennemi, à la tête du 1er régiment, et la baïonnette en avant. La petite distance qui séparait notre gauche de la droite de l’ennemi allait être franchie en un instant; mais les Anglais, faisant halte à bonne portée (non pas pour se débarrasser de leur fardeau, comme le dit si ridiculement Walter Scott, car ils étaient d’ailleurs sans sac au dos), font sur le 1er régiment une décharge qui met hors de combat près de la moitié des soldats et 27 officiers: le général de brigade lui-même a un bras cassé et reste sur le champ de bataille. Cette décharge meurtrière, et faite si à propos pour les Anglais, arrêta court le 1er régiment qui sur-le-champ serra ses rangs et reprit immédiatement le pas de charge avec les Polonais qui, en cet instant, arrivaient sur la ligne; mais une seconde décharge de l’ennemi détruisit presque entièrement ce qui restait du bataillon de droite du 1er d’infanterie légère, et mit le désordre dans ces deux régiments si imprudemment engagés.

M. le général Lamarque a donc parfaitement raison en disant (21e livraison du Spectateur militaire, page 235) que la supériorité du feu de l’infanterie anglaise, qu’attestent les souvenirs de Sainte-Euphémie, de Busaco, de Talavera, ne tient qu’à une exécution pratique mieux raisonnée.

Ceci ne fut que l’affaire d’un moment. L’ennemi avançait, mais le feu de notre artillerie et l’arrivée sur la ligne du régiment suisse et du 23e régiment d’infanterie légère le contint. Les chaloupes canonnières qu’il avait le long de la plage firent feu alors. Il essaya de se former en colonne pour foncer sur notre batterie; pour cela tous ses drapeaux s’étaient réunis au centre de sa ligne; quelques décharges à mitraille les dispersèrent promptement. Il n’y eut pas d’autres engagements sur notre droite: le 23e régiment ne mit que quelques tirailleurs en avant, et n’éprouva aucune perte; le 9e de chasseurs à cheval, placé à l’extrême droite, ne fit aucune charge; il eut un officier tué par un boulet. L’artillerie perdit trois hommes.

L’ennemi, ainsi contenu pendant une heure, prit enfin la route de Montéléone que nous venions de quitter si inconsidérément: il aurait pu nous suivre sur celle de Catanzaro; mais il suffisait à ses vues de faire soulever contre nous les brigands calabrais, qu’il ne faut pas confondre avec les habitants proprement dits. Ceux-ci étaient pour nous, et les autres voyant qu’ils n’étaient point secondés par les Anglais qui leur avaient mis les armes à la main, se dissipèrent bientôt; dès le 10 août, c’est-à-dire trente-cinq jours après le combat du Maida, nous étions rentrés à Montéléone, et trois jours après à Reggio, sans avoir vu autre chose des Anglais que quelques débris du matériel de leur armée qu’ils avaient abandonnés sur la plage. La nouvelle seule de notre retour fut la seule maladie qui fit précipiter leur retraite en Sicile.

Il était certainement bien inutile de faire remarquer l’incohérence et le peu de jugement qui règnent dans le récit de sir Walter Scott; mais il était bon de relever sa jactance en rétablissant les faits; et comme d’ailleurs l’opinion des militaires sur le combat de Maida ou de Sainte-Euphémie a été jusqu’à présent mal éclairée, j’ai pensé que c’était une occasion de faire connaître et les dispositions et les détails de cette affaire. Je le répète, je ne crains pas plus à ce sujet d’être contredit par les officiers anglais que par les français.

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Source: L’officier d’artillerie qui commandait la batterie ou combat de Maida, “Combat de Maida. Rectification d’une erreur de Walter Scott”, in ‘Le Spectateur Militaire’, Tome 4. (Paris 1828) pp. 480-485.

 

Version des faits dans « Victoires et Conquêtes »

« Sur ces entrefaites, les Anglais et la cour de Palerme avaient achevé les préparatifs de leur expédition projetée en Calabre. Le 1er juillet, on vit sortir du port de Messine un con­voi chargé de troupes, sous la protection de plusieurs vais­seaux anglais. Cette flotte fit voile vers Stromboli, et vint ensuite débarquer, vis-à-vis Santa-Eufemia, six mille hommes de troupes britanniques et trois mille hommes de troupes de ligne napolitaine, auxquels devaient se joindre très-promptement quatre mille insurgés qui se tenaient, depuis quelque temps, à portée. Cette armée était sous le commandement du général anglais Stuart. Le général Reynier, laissé en Calabre par le roi Joseph pour gouverner la province, s’empressa, au premier avis qu’il reçu de ce débarquement, de réunir toutes les forces dont il pouvait disposer. La division sous ses ordres se composait des premier et vingt-troisième régiments d’infanterie légère, quarante-deuxième de ligne, deux bataillons du premier régiment suisse, neuvième de chasseurs à cheval, et une batterie d’artillerie  à cheval.

Ces troupes se trouvaient cantonnées à d’assez grandes distances, et le général anglais espérait profiter du retard qu’occasionnerait leur rassemblement, pour faire quelques progrès dans le pays, et se renforcer de nouvelles bandes qui s’organisaient ; mais, dès le 3, l’avant-garde française était en présence de l’armée anglo-napolitaine, bivouaquée au pied de la colline sur laquelle est bâtie Santa-Eufemia., sa gauche appuyée à cette petite ville, et sa droite à la mer. Le général Stuart avait choisi cette position comme la plus favorable pour préserver ses troupes de l’air pestilentiel qui règne en cette saison dans la plaine marécageuse qui entoure Santa-Eufemia. La division française passa la nuit du 3 au 4 sur la route de Nicastro, dans le bois de Fundaco del Fico.

Le lendemain, le général Stuart, quittant sa position, forma ses troupes en bataille parallèlement au rivage de la mer, en appuyant sa droite vers l’embouchure de l’Amato. Le général Reynier donna l’ordre au général Compère, qui commandait l’avant-garde, de passer la rivière que nous venons de nommer. Ce mouvement fut protégé par des compagnies de voltigeurs qui éclairaient le petit bois et les broussailles qui bordent la rive droite ; mais les nombreux tirailleurs que l’ennemi avait envoyés sur ce point, repoussèrent les voltigeurs français, avant que le général Compère eut achevé de former sa brigade. La ligne anglaise s’étant ébranlée en cet instant, il s’engagea une canonnade et une vive fusillade qui causèrent de grands ravages dans la brigade française, encore dans le désordre d’une formation précipitée : elle eut, en quelques minutes, six à sept hommes hors de combat ; le général Compère eut le bras cassé par une balle en ralliant ses troupes. Malheureusement, le gros de la division était encore trop éloigné pour remédier à ce premier échec, et le mouvement rétrograde imprimé à l’avant-garde jeta de la confusion dans les autres troupes qui passaient alors l’Amato. Le 23e régiment d’infanterie légère eut seul la fermeté d’arrêter l’ennemi, et protégea la retraite de la division, qui s’effectua par la vallée de l’Amato sur Catanzaro. La belle conduite du colonel Abbé, qui commandait le 23e régiment, valut à cet officier le grade de général de brigade.

 

Et qu’en dit Masséna [15] ?

(Mémoires d’André Masséna – Recueillis par le général Koch)

(…) Gaëte ravitaillée, Capri enlevée et l’insurrection allumée dans les provinces où il était facile de l’entretenir, la cour de Palerme jugea le moment venu de porter le dernier coup à Joseph en débarquant une petite armée dans le golfe de Santa Eufemia. 7,000 hommes de troupes anglaises et 3,000 de napolitaines ou siciliennes furent embarqués le 1er juillet à Messine sur des bâti­ments de transport, et amenés, sous l’escorte de l’esca­dre anglaise, à l’embouchure du Lamato où ils débar­quèrent sans opposition.

Si le général Stewart, qui commandait cette armée, eût été entreprenant, il eût coupé le corps de Reynier en s’établissant immédiatement à Nicastro, ou l’eût empêché de manœuvrer par le littoral de l’Adriatique en marchant droit sur Catanzaro. Soit timidité, soit ignorance du pays, il resta au pied de la colline de Santa Eufemia, comptant peut-être aussi que la nouvelle de son débarquement suffirait seule pour achever le soulè­vement des Calabres.

A peine Reynier en eut-il été informé qu’il rassembla ses troupes et marcha avec tant de diligence que sa di­vision, forte de 4,500 hommes d’infanterie, de 300 chasseurs à cheval et d’une batterie d’artillerie légère, passa la nuit du 3 au 4 dans le bois de Fondaco del Fico, d’où elle déboucha le 5 dans la plaine, par la route tracée entre le pied des hauteurs de Maida et la rive gauche du Lamato. Le général Stewart se vit donc dans la nécessité d’accepter le combat sur la plage où il avait débarqué dans une position peu avantageuse.

Soit que Reynier, qui n’avait pas été heureux en Egypte dans une rencontre avec Stewart, crût, dit-on, avoir trouvé l’occasion de prendre sa revanche, soit que les bandes qui l’avaient harcelé pendant sa marche lui fissent craindre de voir sa communication avec ses ma­gasins coupée, il résolut d’attaquer, malgré l’infériorité de ses forces, ne doutant pas qu’après avoir forcé le gé­néral anglais à se rembarquer, il n’eût bon marché des insurgés. Stewart voyant qu’il allait être assailli, forma ses troupes en bataille, le dos à la mer, sa droite pro­longée vers l’embouchure du Lamato, et jeta une forte chaîne de tirailleurs dans un petit bois et des broussailles qui ombragent la rive droite de ce torrent. Reynier fit ses dispositions pour aborder de front la ligne de bataille des Anglais, et ordonna au général Compère de passer la ri­vière avec sa brigade, sous la protection de plusieurs compagnies de voltigeurs placés en éclaireurs dans le bois et les broussailles. Ce mouvement s’exécute avec précipitation, et nos voltigeurs sont ramenés par les tirail­leurs ennemis; mais bientôt Compère fait reprendre l’ offensive, et marche droit aux Anglais sans attendre que le reste de la division soit à portée de le soutenir. Stewart resté immobile, essuie le premier feu, puis démasquant ses batteries, porte bientôt le ravage dans nos colonnes d’attaque qui sont décimées avant de pouvoir se dé­ployer. Le général anglais, profitant du trouble que son artillerie cause dans nos rangs, fait avancer ses li­gnes et par ce mouvement régulier et audacieux aug­mente le désordre. En vain Compère essaie de rallier ses troupes; un coup de feu lui casse le bras, il est fait prisonnier, et on ne peut conserver le terrain conquis où le régiment suisse a essuyé une perte de 1,000 hom­mes tant tués que blessés. Une seconde attaque, qui n’est pas soutenue par le reste de l’armée, ne ramène pas la fortune. Vainement Reynier fait exécuter plusieurs charges de cavalerie contre les batteries anglaises, la bataille est perdue sans retour.

Il ordonna alors la re­traite, et elle s’effectua en ordre par les hauteurs de Ti­riolo sur Catanzaro, couverte par le général Franceschi avec le 20e et les chasseurs du 9e. Stewart étonné de sa victoire n’en profita pas. Il ne quitta le champ de ba­taille que le 8 juillet pour se porter à Maida, et de là à Reggio avec les troupes anglaises, ne laissant en pre­mière ligne que les Napolitains et les Siciliens pour don­ner plus de consistance à l’insurrection, et hâter la ré­duction des forts de Reggio et de Scilla que Reynier avait abandonnés à leurs propres forces, sans avoir eu le temps de les approvisionner.

Le premier, donjon féodal, ne put tenir que quelques jours; le second, château de même origine, assis sur un promontoire et fortifié à différentes époques, tirait toute sa force de sa position quoiqu’elle fût dominée. Malgré la faiblesse de sa garnison qui ne consistait qu’en 200 hommes, animée par un officier de tête et de cœur, le chef de bataillon du génie Michel, elle résista dix­ neuf jours aux attaques que les Anglo-Siciliens dirigè­rent contre elle de la mer et de la terre, et ne se rendit que faute d’eau potable.

La nouvelle de l’échec de Santa Eufemia se répandit avec la rapidité de l’éclair dans les Calabres, et y attisa avec plus de fureur que jamais le feu de l’insurrection. Tous les petits postes de correspondance furent égorgés, et dans sa rage, la populace de plusieurs villes massacra les partisans des Français, après avoir pillé et incendié leurs maisons. (…)

 

Dans son « Napoléon et l’Italie » André Fugier consacre les lignes suivantes à l’évènement :

Les Calabres avaient été presque complètement nettoyées par le général Reynier, lorsque, le 1er juillet 1806, 5.000 Anglais sous le général John Stuart y débarquèrent, arrivant de Sicile. L’idée en avait été suggérée par le bouillant adversaire de Bonaparte à Saint­ Jean-d’Acre, Sir Sidney Smith, qui, enhardi par la réussite d’un coup de main sur l’île de Capri, en face de Naples, songeait à sou­lever la Calabre et à y régner au titre de vice-roi. Reynier accourut et trouva l’adversaire dans la plaine littorale de Santa Eufemia, près du village de Maida.

Là, en ce coin désert du maquis calabrais, allait se dérouler (4 juillet 1806) un rapide drame, dont la leçon se répercuta sur toute l’histoire militaire jusqu’à Waterloo. Reynier; tête froide pourtant et soldat d’expérience, crut pouvoir enfoncer l’ennemi par le simple choc, sans manœuvrer ni même tirer: prélude à la tactique simpliste et lourde qui de plus en plus allait être celle de l’infanterie française, à mesure que ses chefs étaient moins habiles et ses soldats plus neufs. Les Anglais se couvrirent par un dense rideau de tirailleurs ; ils se formèrent sur deux rangs seulement, donnant ainsi la possibilité de tirer aux hommes qui, jusque-là placés au troisième rang, n’y pouvaient rien faire; et ils attendirent pour lâcher leur salve que l’assaillant fût à quelques pas : tel allait être le secret de leur victoire en Espagne et à Waterloo. Ici, le résul­tat fut foudroyant: déjà abîmées par les tirailleurs, les colonnes d’attaque françaises furent écrasées par une décharge froidement exécutée à brûle-pourpoint. Reynier laissa sur le terrain le tiers de son effectif.

(En note, Fugier écrit, à propos des « colonnes d’attaque françaises » : La leçon fut à peu près perdue pour les Français, mais soigneusement retenue par les Britanniques, qui systématisèrent le procédé et lui durent leurs succès ultérieurs. Cf. les remarquables travaux d’Oman, A History of the Peninsular War.)

 

De son côté, David Chandler écrit dans son “Dictionary of the Napoleonic Wars”

Plaçant la bataille le 6 juillet 1806, Chandler écrit :

« Les forces de Stuart étaient également d’environ 5.000 hommes, mais sans cavalerie. Reynier persista à vouloir avancer dans la bataille en colonne, dans la plaine ouverte, et l’infanterie de Stuart l’attendit en silence, sur deux lignes, adossée à une légère ondulation de terrain. Les Anglais s’abstinrent de tirer, puis avancèrent et déchargèrent leurs volées à brûle pourpoint, continuant par une charge déterminée à la baïonnette. Les Français abandonnèrent aussitôt le terrain, et, peu après, leur aile droite fut en complète déroute. La retraite devint une fuite, qu’accompagna la mousqueterie anglaise.. Reynier perdit 700 tués, 1000 blessés et un nombre égal de prisonniers. Les pertes anglaises se montèrent à 330 hommes.  Stuart retourna sur les plages de son débarquement, pour faire reposer ses hommes. Son attitude ultérieure fut critiquée (les Anglais se contentèrent de marcher en direction du sud pour repartir en Sicile au lieu d’essayer de délivrer Gaete) »

Et il ajoute :

« Maida est tactiquement important, car elle démontra la supériorité de la tactique anglaise sur les attaques en colonne des Français »

 

[1] John Stuart (1759 – 1815).

[2] Claude Antoine Compère (1774 – 1812). Il sera tué à la Moskowa.

[3] Antoine Digonet (1763 – 1811)

[4] Le hasard fait que Reynier en fait autant de son côté, et les deux généraux se manquent de peu….

[5] James Kempt (1765 – 1854)

[6] Galbraith Lowry Cole (1172 – 1842)

[7] Wroth Palmer Acland (1770 – 1816)

[8] John Oswald

[9] Voir les différentes opinions dans le corps de l’article

[10] Le régiment de Watteville était un régiment suisse, formé en 1798, après l’invasion française, au service de l’Angleterre

[11] Il autorise même ses soldats à se baigner….

[12] Les 350 hommes de la garnison se rendent le 6 juillet

[13] Plus tard, Stuart sera fait comte de Maida….

[14] Avec l’aimable autorisation de Geert van Uythoven

[15] Il commande alors en chef les armées françaises de Joseph Napoléon