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30 novembre 1808 – Bataille de Somosierra

 Cette entreprise doit être regardée comme un des plus beaux faits de la guerre
(Dominique Larrey)

 

Les cinglantes défaites essuyées par les armées impériales à Baylen (juillet 1808) et à Cintra (août 1808) poussent Napoléon à s’occuper en personne de l’affaire d’Espagne. Le 3 novembre 1808, il arrive à Bayonne. Tout va en suite aller très vite. Soult entre dans Burgos. Une semaine plus tard, Lefebvre bat les Espagnols à Guenes et Victor en fait autant à Espinosa, le 11.

A la fin de novembre 1808, les Français ont donc débordé et détruit les deux ailes de l’armée populaire espagnole. Napoléon est bien décidé à parachever sa reconquête de l’Espagne. Venant de Burgos, il s’avance alors sur Madrid,  à la tête de 45.000 hommes.

Pour aller d’Aranda à Madrid, il faut franchir la sierra de Guadarrama, par le seul passage qui existe : le col de Somosierra, à 1 438 m d’altitude. On y accède par un long défilé (la vallée du ruisseau Duraton) de cinq kilomètres, large de seulement, à certains endroits, de trente mètres, et qui serpen­te, sinueux, entre des rochers et des éboulis. A peu près au milieu du défilé, la route franchi le ruisseau. Cette route est en bon état, et permet à quatre cavaliers de l’emprunter de front.

Le 29, Napoléon est à Boceguillas, où il apprend que les Espagnols occupent le col de Somosierra.

En effet, pour la défense de la ville, le général Benito de San Juan a rassemblé une armée faite de miliciens, de réservistes et de différents régiments réguliers, passablement ébranlés par les précédentes défaites, en tout à peu près 20.000 hommes. Pour couvrir les nombreuses voies d’approche de la ville, il a été obligé de disperser ses forces, déjà très inférieures en nombre. Il commande lui-même 9.000 hommes, à l’ouest, pour garder le col de Guadarrama, tandis que 3.500 autres sont à Sepúlveda, et que seulement 9.000 hommes, avec de 16 canons, sont sur les hauteurs de Somosierra.

Les Espagnols, qui ont compris l’importance de la position, ont, pour tenir la route (qu’ils ont par ailleurs coupée en plusieurs endroits) sous le feu de leur artillerie, disposé leurs canons en quatre batteries. La première (2 pièces de 4), protégée par une petite levée de terre, défend l’entrée du défilé, les deux suivantes couvrent le défilé lui-même, enfin la quatrième est positionnée sur les hauteurs. Les trois premières batteries sont formées de deux canons chacune et la quatrième de dix.[1]

Napoléon a alors à sa disposition une partie du corps de Victor (divisions Villatte, Ruffin et Lapisse), de la cavalerie de la Garde et des cavaliers de Latour-Maubourg. C’est Lapisse qui devra s’emparer de Sepúlveda, Raffin de Guadarrama.

Le soir du 29 novembre, les Espagnols postés à Sepúlveda repoussent les Français, qui subissent de lourdes pertes malgré leur supériorité numérique, et peuvent, à la faveur de la nuit, leur échapper.

A Boceguillas, après être allé reconnaître la position de Somosierra, Napoléon donne ses ordres. La division Ruffin devra se porter en avant, sur trois colon­nes. Celle du centre ira par la route qui mène au col. Les deux autres la flanqueront à droite et à gauche, en escaladant les rochers et en faisant tomber toute résistance.

30 novembre à l’aube, les ordres sont exécutés. Napoléon, qui a appris l’évacuation de Sepúlveda par les Espagnols, marche avec la division Ruffin (9e léger – le fameux « Incomparable », 96e et 24e de ligne), les fusiliers et les cavaliers de la Garde. Sénarmont a à sa disposition plusieurs batteries de 4 canons.

A 8 heures du matin, Napoléon fait avancer le reste de l’infanterie de Victor directement vers le col (le 96e de ligne au centre, le 9e léger à droite, le 24e de ligne à gauche). Le brouillard épais favorise l’approche, mais celle-ci est lente, gênée par les tirs de mousquet des défenseurs. Le 96e, moins gêné, avance plus rapidement et atteint le pont qui traverse le ruisseau. Il est accueilli par une décharge de mitraille et les tirs de tirailleurs. Ayant reçu l’ordre d’amener ses pièces, Sénarmont ne peut en mettre que deux en batterie, qui s’avèrent insuffisantes pour battre les batteries espagnoles en brèche.

Il est 11 heures. Le soleil dissipe à peu le brouillard. Napoléon est impatient d’en finir avec cet obstacle qu’il ne peut faire contourner par de l’infanterie. Dans de telles conditions, seule la cavalerie doit pouvoir intervenir. Envoyé en reconnaissance, Lejeune informe l’empereur que le col est fortement occupé par (selon un prisonnier) 9.000 hommes et 16 canons.

Il envoie Piré reconnaître le défilé. Son rapport est sans équivoque : le défilé est long de deux kilomètres et demi jusqu’au col et présente, sur ce trajet, trois coudes à angle droit, chacun tenu par plusieurs centaines d’Espagnols et par quatre canons qui prennent la route en enfilade. Au col lui-même, une batterie de seize pièces, avec des milliers d’Espagnols postés sur la crête. Bref, le passage est impossible. Ce à quoi Napoléon répond : Monsieur, je ne connais pas ce mot-là !

Alors commence ce qui deviendra une des images de la Légende.

Napoléon donne l’ordre aux chevau-légers polonais (il s’agit du 3e escadron[2], de service auprès de l’empereur[3]) de charger les Espagnols et leurs batteries d’artillerie retranchées[4]. Cette décision sera plus tard l’objet d’amples controverses historiques.

Seuls une trentaine de cavaliers peuvent atteindre la dernière batterie, que les Espagnols réussissent à reprendre repoussant les cavaliers polonais. Napoléon décide alors d’engager les autres escadrons[5].

Jan Kozietulski
Jan Kozietulski

Une première charge est conduite par Kozietulski[6], mais il perd son cheval après avoir pris la première batterie. Il est alors rejoint par le lieutenant Andrzej Niegolewski. La charge est poursuivie sous le commandement de Dziewanowski, puis, quand lui-même a son cheval tué sous lui, alors qu’il vient de prendre la troisième batterie, par Wincenty Krasiński.

Andrzej Niegolewski
Andrzej Niegolewski

L’attaque contre la deuxième batterie est emmenée par Andrzej Niegolewski, qui survit miraculeusement à une contre-attaque des Espagnols, qui reprennent leurs canons (il reçoit neuf coups de baïonnettes, dont un à la tête).

Cette première charge, même bien qu’infructueuse, puisque les Espagnols ont repris leurs canons, permet cependant à l’infanterie française de pousser plus avant son attaque.

Une  deuxième charge est conduite par Tomasz Łubieński (qui essaiera d’en retirer toute la gloire, essayant de minimiser le rôle du troisième escadron[7]). Celle-ci permet de s’emparer de la dernière batterie espagnole. [8]

Tomasz Łubieński
Tomasz Łubieński

Au prix d’une extraordinaire bravoure, les artilleurs espagnols choisissent de mourir plutôt que d’abandonner leurs positions (Mais aucune relation polonaise ne mentionne un éventuel combat avec la milice espagnole). Mais, de leur côté, les hommes de la milice quittent leurs positions, voyant avec quelle facilité les Polonais s’emparent des positions d’artillerie. A leur décharge, il faut souligner que, par suite du brouillard, ils ne peuvent s’apercevoir que ceux-ci sont en réalité peu nombreux.

Mais les défenseurs espagnols du col ne comprennent pas pourquoi rien, – ni les deux barrages précédents, ni leur propre salve – n’a pu arrêter l’assaut des cavaliers ennemis. C’est le Sauve qui peut ! Benito San Juan se jette en travers des fuyards, les injurie, les frappe avec son épée ; rien ne les arrête.  Cette retraite entraîne avec elle celle de toute l’armée espagnole.

Napoléon arrive enfin au col, avec son état-major, la division Ruffin les suivant au pas de course. Ayant mis pied à terre, il marche vers le lieutenant Niegolewski, entouré de cadavres, couvert de sang (mais Niegolewski, contrairement à une légende tenace, ne recevra la Légion d’honneur, que trois mois plus tard, le 10 mars 1809).

Le soir même, accompagné de la cavalerie de la Garde et des dragons de La Houssaye et Latour-Maubourg, l’Empereur couche à Buitrago, de l’autre côté de la sierra. Le lendemain, il ordonne de rassembler les chevau-légers survi­vants. Ils ne sont que quarante dont un bon tiers de blessés. Napoléon s’avance à cheval, ôte son chapeau : « Vous êtes tous dignes de ma Garde. Je vous reconnais pour ma plus brave cavalerie. »

La bataille de Somosierra
La bataille de Somosierra

Les Français ont à déplorer dans cet affrontement 57 Polonais tués ou blessés[9]. Les pertes des Espagnols sont plus importantes : 2.000 hommes hors de combat (mais ce sont les chiffres de Lejeune). Ils abandonnent également 10 drapeaux, 16 canons, 30 caissons, 200 chariots (A. Pigeard)

Le général Benito de San Juan replie rapidement son armée sur Madrid. Les patrouilles françaises atteignent la banlieue de Madrid le 1er décembre. San Juan tente, sans conviction, de défendre la capitale. Le 4 décembre, un barrage d’artillerie dévastateur mit à mal la défense espagnole. San Juan capitule avec ses 2.500 soldats réguliers, les 20.000 civils enrôlés sous ses drapeaux se dispersant rapidement. Pour la deuxième fois en un an, les Français entrent à Madrid.

Le 2 décembre, le Bulletin de l’armée d’Espagne relate :

Quartier général de Chamartin, près Madrid, 2 décembre 1808

BULLETIN DE L’ARMÉE D’ESPAGNE

Le 29, le quartier général de l’Empereur a été porté au village Boceguillas. Le 30, à la pointe du jour, le duc de Bellune s’est présenté au pied du Somo-Sierra. Une division de 13,000 hommes de l’armée de réserve espagnole défendait le passage de cette montagne. L’ennemi se croyait inexpugnable dans cette position ; il avait retranché le col, que les Espagnols appellent Puerto, et y avait placé soixante pièces de canon. Le 9e d’infanterie légère couronna la droite, le 96e marcha sur la chaussée, et le 24e suivit à mi-côte les hauteurs de gauche. Le général Senarmont, avec six pièces d’artillerie, avanca par la chaussée. La fusillade et la canonnade s’engagèrent. Une charge que fit le général Montbrun, à la tête des chevau-légers polonais de la Garde, décida l’affaire, charge brillante s’il en fut, où ce régiment s’est couvert de gloire et a montré qu’il était digne de faire partie de la Garde impériale. Canons, drapeaux, soldats, fusils, tout fut enlevé, coupé ou pris. Huit chevau-légers polonais ont été tués sur les pièces et seize ont été blessés. Parmi ces derniers, le capitaine Dziewanovski a été si grièvement blessé qu’il est presque sans espérance. Le major Ségur, maréchal des logis de la Maison de l’Empereur, chargeant parmi les Polonais, a reçu plusieurs blessures dont une assez grave. Les seize pièces de canon, dix drapeaux, une trentaine de caissons, deux cents chariots de toute espèce de bagages, les caisses des régiments, sont les fruits de cette brillante affaire. Parmi les prisonniers, qui sont très-nombreux, se trouvent tous les colonels et lieutenants-colonels des corps de la division espagnole. Tous les soldats auraient été pris s’ils n’avaient pas jeté leurs armes et ne s’étaient pas éparpillés dans les montagnes. Le 1er décembre, le quartier général de l’Empereur était à Saint-Augustin; et le 9, le duc d’Istrie, avec la cavalerie, est venu couronner les hauteurs de Madrid. L’infanterie ne pourra arriver que le 3. Les renseignements que l’on a jusqu’à cette heure portent à penser que la ville est livrée à toute espèce de désordres, et que les portes sont barricadées. Le temps est très-beau.

[1] Certains ouvrages, basés principalement sur des rapports d’officiers français, supposent que les Espagnols avaient placé tous leurs canons au sommet du col de Somosierra. C’est d’ailleurs ce qu’écrivent Thiers, Ségur et Napier. Pourtant, avec leur portée de 600-700 mètres, les canons, déployés de cette manière n’auraient pu atteindre une partie importante de l’armée française – et les rapports disent que Napoléon lui-même fut un temps sous le feu de l’artillerie

[2] Cet escadron (au total 216 hommes de tous grades, dont 5 trompettes) est commandé par le chef d’escadron Hyppolite  Kozietulski (1781 – 1821 – connu en Pologne comme « le héros de Somosierra »), qui remplace le chef d’escadron Stokowski et est composé des 7e (colonel Vincent Corvin Krasinsky – 1782 – 1856) et 3e (capitaine Dziewanowski) compagnies.

[3] Chaque jour, le service de l’Empereur est fourni par un escadron de chacun des régiments de cavalerie de la Garde : grenadiers à cheval, dragons, chasseurs et chevau-légers polonais.

[4] Cet ordre est à l’origine de nombreuses discussions, voire contestations. L’empereur n’envoya, semble-t-il, pas d’ordre écrit. Kozietulski, commandant le 3e escadron ce jour là, raconte que, à la tête d’une formation de cavalerie légère au trot, il entendit, passant près de l’Empereur, « Polonais, prenez-moi ces canons« . Était-ce là erreur de jugement de Napoléon, en ordonnant aux Polonais de charger une forte batterie de 16 canons sur quelques kilomètres d’un terrain extrêmement difficile ? Ou bien donna-t-il simplement l’ordre de prendre seulement la batterie la plus proche, pour ouvrir la voie à l’infanterie ? Kozietulski, ayant, après avoir pris la première batterie, rendu compte à l’Empereur qu’il avait accompli ses ordres, il semble que la deuxième hypothèse soit la bonne.  En tout état de cause, s’emparer de la première batterie était une tâche, certes difficile, mais envisageable pour de la cavalerie. Mais lorsque les chevau-légers se trouvèrent sous le feu de la seconde batterie, ils n’avaient d’autre choix que de retraiter ou de poursuivre leur attaque. C’est cette seconde alternative que Dziewanowski, remplaçant Kozietulski, décide de choisir.

[5] Selon le 13e bulletin de l’armée d’Espagne, les chevau-légers étaient commandés par le général Montbrun.  Mais les Polonais qui participèrent à la charge et le lieutenant-colonel d’Autancourt, l’un des commandants de cette unité, soulignent dans leurs relations que ce ne fut pas le cas. D’Autancourt raconte d’ailleurs que Montbrun lui-même riait à cette idée dans ses conversations avec l’auteur. Cela n’empêcha pas Adolphe Thiers de lui attribuer l’honneur de conduire la charge, déclenchant les protestations des Polonais survivants de la bataille. Ajoutons que Ségur écrit dans ses Mémoires qu’il avait commandé la charge, mais son témoignage est peu fiable, et, là aussi, d’Autancourt et les Polonais nièrent son rôle. S’il participa bien à cette première charge (ses blessures sont là pour en témoigner) il ne la commanda pas.

[6] Selon de nombreux mémoires rédigés par des vétérans de la bataille, Kozietulski conduisit la charge en lançant le cri officiel « Vive l’Empereur ». Cependant, une légende populaire prétend que le véritable cri de bataille était en polonais Naprzód psiekrwie, Cesarz patrzy- En avant fils de chiens, l’Empereur vous regarde!

[7] En fait c’est bien le 3e escadron qui subit des pertes, au contraire du 2e, montrant par là que l’effet dévastateur sur les Espagnols fut bien celui produit par la charge du 3e escadron.

[8] Les officiers français (mais aussi les Espagnols) essayèrent de minimiser l’impact des charges polonaises, prétendant que tout le succès devait être attribué à l’infanterie française du général François Ruffin. Pourtant le Bulletin de l’armée d’Espagne mentionne le rôle déterminant des chevau-légers polonais.

[9] Tous les officiers sont hors de combat : 3 sont tués (Rowicki, Rudowski, Krzyzanowski), les autres blessés (Krusinski, Dziewanowski – qui mourra le 9 décembre), Niegolewski, atteint de deux balles et de neuf coups de baïonnettes).