26 avril – 9 juillet 1810 – Siège de Ciudad-Rodrigo
(Texte de base tiré de J. Belmas. Journaux des sièges faits ou soutenus par les Français dans la Péninsule, de 1807 à 1814. Tome 3. Paris, 1836 – Notes, illustratons et compléments de la Rédaction)
Ciudad-Rodrigo est situé sur la frontière de Portugal, en avant de Salamanque. Cette place est de ce côté la clef de la vieille Castille. Elle servait de point d’appui aux Espagnols pour entretenir la guerre dans la province, au moyen des secours qu’ils tiraient du Portugal, de la Galice et de l’Estrémadure, et elle offrait aux Anglais, postés sur la Coa, une bonne place d’armes pour appuyer leur offensive sur Salamanque et dans les plaines de Castille.

Dès le 10 février, le maréchal Ney, commandant du sixième corps dans la province de Salamanque, sentant la nécessité de s’emparer de Ciudad-Rodrigo, se présenta sous les murs de cette place, dans l’espoir que la garnison, découragée par les succès de nos armées dans la Manche et dans l’Andalousie, se rendrait à la première sommation.
Le 12 février 1810, à sept heures et demie du matin.
Monsieur le gouverneur,
J’ai eu l’honneur de vous écrire, il y a quelques jours, pour vous faire des propositions relatives à la place que vous commandez.
En vous rappelant le contenu de mes lettres, je me bornerai à ajouter ce que vous savez déjà sans doute, que toutes les places de l’Andalousie ont ouvert leurs portes à S. M. C, et que tout annonce enfin l’entière pacification de l’Espagne. Vous êtes sans doute assez raisonnable, Monsieur le gouverneur, pour juger que rien ne peut, à l’avenir, retarder un si beau résultat,et c’est dans cette supposition que je vous supplie de m’en donner l’assurance en répondant à mes deux lettres.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur le gouverneur, etc.
Signé : Maréchal DUC D’ELCHINGEN.

Mais la réponse du gouverneur lui ayant fait connaître qu’il ne pouvait se rendre maître de la place que par la force des armes[1],
Comme président de la junte supérieure de la vieille Castille, comme gouverneur de la place de Ciudad-Rodrigo , et comme militaire, j’ai juré de défendre cette place pour son légitime roi Ferdinand VII, jusqu’à la dernière goutte de mon sang, et je pense accomplir ce serment. Toute la garnison et les habitants de la ville ont pris la même résolution : c’est l’unique réponse que je puisse faire à vos propositions.
Signé : ANDRÈS DE HERRASTI[2]
il se retira à Salamanque pour préparer ses moyens d’attaque.
Une nouvelle circonstance vint donner plus d’importance encore au siège de Ciudad-Rodrigo. Par son décret du 17 avril,
Palais de Compiègne, 17 avril 1810
DÉCRET.
Article premier. — Il est formé une armée sous la dénomination d’Armée de Portugal. Elle sera composée des 2e, 6e et 8e corps de l’armée d’Espagne, qui conserveront leur organisation actuelle.
ARt. 2. — La comptabilité de cette armée sera séparée de celle de l’armée d’Espagne, à dater du 1er mai. Elle aura un chef d’état-major, un intendant général, un général commandant la cavalerie, un général commandant l’artillerie, un général commandant le génie.
An. 3. — Nos ministres de la guerre, de l’administration de la guerre, du trésor public, notre major général, sont chargés de l’exécution du présent décret, qui ne sera pas imprimé.
L’Empereur ordonna qu’une armée de soixante-dix mille hommes, formée des deuxième, sixième et huitième corps, et d’une réserve de cavalerie, serait réunie dans les environs de Salamanque sous les ordres du maréchal Masséna, prince d’Essling[3], pour tenter une troisième expédition en Portugal par la province de Beira; et cette armée devait commencer ses opérations par les sièges de Ciudad-Rodrigo et d’Almeida, afin de s’ouvrir la route de Lisbonne, et d’avoir des points de dépôt assurés à portée de la frontière.

« Autour du maréchal gravitait un nombreux état-major: avec 4 officiers d'ordonnance, 14 aides de camp. A l'appel de leurs noms, on sent le vent nouveau qui enfle les plumes des Aigles Impériales; place aux ralliés de la vieille noblesse et aux fils des illustrés parvenus : — le comte de Ligniville[4], superbe, très brave, comme il sied à l’un des quatre Grands Chevaux de Lorraine, est en plus un compagnon charmant; d’Aguesseau, grave comme sa race, téméraire à ses heures, courageux, quoique délicat de santé; le comte de Briqueville[5], d'antique chevalerie normande ; Casabianca, cousin de l’Empereur; Richebourg, le fils du sénateur; de Barral, le neveu de l'archevêque; Prosper Masséna[6], le fils du maréchal; les deux Marbot, dont le père fut président du Conseil des Anciens; Victor Oudinot[7], premier page de l’empereur; Octave de Ségur[8], fils du grand maître des cérémonies » (Geoffroy de Grandmaison. L’Espagne et Napoléon – 1809-1811. Paris, 1925)
Le maréchal Ney reçut l’ordre de préparer les approvisionnements nécessaires à l’expédition, et de réunir le matériel dont l’armée avait besoin pour les sièges qu’elle devait entreprendre. Il devait surtout faire de grands amas de vivres, pour nourrir les troupes dans le pays compris entre Ciudad-Rodrigo et Almeida, qui offrait un désert de plus de trente lieues d’étendue, où les armées espagnoles n’avaient rien laissé.
Le général Ruty[9], commandant de l’artillerie du sixième corps, fut chargé de faire venir de Bayonne et de Burgos un équipage de siège de cinquante bouches à feu ; deux mille chevaux ou mulets furent mis à sa disposition pour ces transports.
« Les préparatifs de ce siège ont été longs et laborieux. Il a fallu faire venir de Bayonne tout le matériel, et cela par des routes sans cesse infestées par des guérillas, effondrées, crevassées par les pluies. »
(Le carnet de campagne du commandant Giraud – 8 juin 1810 – Collection de Mémoires et souvenirs militaires. Paris, 1899.)
Le chef de bataillon Couche, commandant du génie, fit confectionner des gabions, des fascines et préparer deux équipages de pont sur chevalets pour passer l’Agueda. On créa des magasins, et l’on construisit un grand nombre de fours pour les besoins de l’armée.

Ces immenses préparatifs, toujours si difficiles en Espagne et dans des contrées si éloignées des frontières de la France, furent encore retardés et contrariés par des pluies continuelles, par le mauvais état des chemins et par les courses des guérillas, qui obligeaient de faire de nombreuses escortes; il fallut près de trois mois pour les compléter.
Le gouverneur de Ciudad-Rodrigo, D. Andrés de Herrasti[10], profita de ce temps pour préparer ses moyens de défense.
« Le gouverneur Herrasty a profité de ce temps
pour organiser la défense de cette place bâtie sur un mamelon de la rive droite de l’Agueda. Ce mamelon surplombe la rivière par des pentes escarpées. » (Le carnet de campagne du commandant Giraud – 8 juin 1810 – Collection de Mémoires et souvenirs militaires. Paris, 1899.)
La ville comptait dix mille âmes. Un grand nombre d’habitants avaient pris les armes, ainsi que les paysans des environs, qui s’étaient réfugiés dans la place. La garnison était forte de six mille hommes, dont trois cent quarante lanciers, volontaires de Ciudad-Rodrigo, commandés par D. Julian Sanchez, chef de guérillas intrépide et le héros de la contrée.

Une division anglaise, forte de cinq mille hommes, sous les ordres du général Craufurd[11], était postée sur l’Azava, au pont de Marialva, en avant de Gallegos, et une division espagnole sous les ordres de D. Martin la Carrera se trouvait vers Carpio. Le voisinage de ces troupes et la promesse faite par lord Wellington de secourir la place, lorsqu’il en serait temps, excitaient l’enthousiasme de la garnison et des habitants.
Ciudad-Rodrigo occupe sur la rive droite de l’Agueda un mamelon élevé qui se termine sur cette rivière par des pentes très escarpées. Ses fortifications consistent en une antique muraille haute de trente-deux pieds, terrassée sur son pourtour, excepté du côté des escarpements qui bordent la rivière. Cette muraille est elle-même entourée d’une enceinte moderne, servant de fausse braie[12], terrassée, tracée en redans, et précédée d’un fossé revêtu, mais sans chemin couvert. La situation de cette fausse braie sur la pente de la colline est telle qu’elle ne couvre qu’une partie de l’enceinte principale, et le glacis lui-même, qui se trouve très roide, laisse en prise les escarpes aux premières batteries de l’assiégeant, et ne peut être battu que par les feux de flanc de l’enceinte. Les abords de la place se trouvent d’ailleurs obstrués par des faubourgs, des maisons, des jardins et des inégalités de terrain qui facilitaient les approches sur plusieurs points, jusqu’à portée de pistolet de la muraille. Au nord, la ville est dominée par deux hauteurs, le grand et le petit Teso; c’est le côté faible de la place, dont le sol s’abaisse dans cette partie, et ne se trouve qu’à huit mètres cinquante centimètres environ au-dessus de la vallée qui se trouve entre elle et le petit Teso. Le grand Teso commande de trente-deux mètres le fond de cette vallée, de treize mètres la crête de l’enceinte principale, de vingt et un mètres la crête de la fausse braie, et de quinze mètres le petit Teso.
La place était dans un état médiocre de défense ; mais rien ne manquait à son armement, puisqu’elle possédait la meilleure école d’artillerie de l’Espagne, et qu’elle était un de ses dépôts les plus précieux. Son arsenal, situé dans l’ancien château contigu à l’enceinte vers la porte du sud, était rempli d’une quantité immense d’armes et de munitions. Quatre-vingt-six pièces d’artillerie se trouvaient en batterie sur les remparts.
Le gouverneur fit entourer d’ouvrages en terre le grand faubourg de San-Francisco, qui couvrait les abords de la ville sur la route de Salamanque, et il fit retrancher les couvents de San-Francisco, de Santo-Domingo et de Sauta-Clara, pour servir d’appui à ces ouvrages : on construisit aussi sur l’enceinte la demie-lune[13] de Saint-André. Le couvent de la Trinité, trop rapproché de la place pour servir à la défense, fut rasé. Du côté opposé de la ville, le couvent de Sainte-Croix fut aussi retranché, et l’on démolit la partie de ce couvent qui faisait face à la place.
Les parapets de l’enceinte de la ville et de sa fausse braie furent réparés. On éleva sur le rempart des traverses, des corps de garde et des blindages pour les munitions. On fit des dépôts de terre sur les places et dans les parties les plus larges des terre-pleins, pour servir au besoin. La ville possédait une grande quantité de poudre, qui fut déposée, faute d’abri à l’épreuve de la bombe, dans la tour de la cathédrale dont la voûte fut recouverte de terre. On établit également des blindages pour la garnison et pour les habitants dans tous les endroits convenables, et particulièrement contre le mur intérieur du rempart du côté des escarpements de la rivière. Enfin, le gouverneur et la junte de la ville firent des achats considérables de vivres en Portugal. Le marquis de la Romana, capitaine général de l’Estramadure, y fit conduire aussi quelques approvisionnements de farine. Bientôt la place posséda deux cent quarante-sept mille rations de biscuit, et eut ses magasins remplis de légumes et d’autres denrées.
Les dispositions n’étaient pas encore terminées lorsque le maréchal Ney, impatient de commencer le siège, et sans attendre l’arrivée du matériel de l’artillerie et du génie, détacha devant Ciudad-Rodrigo le général Mermet[14] avec deux brigades d’infanterie et une brigade de cavalerie. Ces troupes parurent eu vue de la place le 25 avril, et prirent position à l’est de la ville depuis Valdecarros jusqu’à Pedro de Toro, où le quartier général fut établi; en arrière de cette ligne, elles occupèrent les gorges de Santi-Spiritu où passe la route de Salamanque, ainsi que les gorges de San-Felicès que traverse le chemin de Valdecarros. Des postes de cavalerie furent placés sur l’Agueda pour surveiller les mouvements des Anglais.
« Dès le 1er mai (le 25e dragons) est installé sur les bords de l'Aguéda, établissant la liaison sur ce point avec la division d'infanterie du général Loison. Vigoureusement attaqué par un parti ennemi de forces considérables, il livre, le 1er mai, un brillant combat qui lui cause quelques pertes. »
(Historique du 25e régiment de dragons. De Bourqueney. Tours, 1890)
Ney s’empresse d’informer Berthier de la situation :
Salamanque, le 28 avril 1810.
Monseigneur,
Les rapports des généraux Marchand[15] et Loison[16] m’annoncent que le blocus de Ciudad-Rodrigo a eu lieu hier, conformément à mes ordres ; l’ennemi a fait une assez grande résistance, et l’on a été obligé de pousser vigoureusement les postes, qu’il avait extérieurement, afin de les forcer à rentrer dans la place.
D’après les renseignements que les généraux Mancune et Ferey[17] ont recueillis des prisonniers et des habitants, il paraît que les Anglais s’approchent de Ciudad-Rodrigo. Ils ont des postes d’infanterie et de cavalerie à Fuente Guinaldo, Bodon, la Encina et Pastores; ils ont même fait demander des vivres le 25 à Sango, à Hergugela et à Martiago, et hier, une de leurs reconnaissances est venue faire le coup de pistolet avec nos postes de cavalerie légère à Zamarras. L’Agueda n’est praticable pour la cavalerie que vers Sango,
La division la Carrera est toujours à Coria. Le détachement de troupes que j’ai à Dejar, Monte-Mayor et Baños, a poussé le 24 une reconnaissance jusqu’à Plasencia, et n’a trouvé dans cette ville qu’une cinquantaine de malades espagnols qui étaient à l’hôpital.
Les guérillas occupent la vallée du Tage depuis le Tiétar jusqu’à Arzohispo. Un détachement du onzième régiment de dragons a donné, le 23 de ce mois, sur deux ou trois cents de ces brigands, vers Tornavacas, en a sabré un bon nombre, leur a pris des bagages, et a délivré quinze soldats du régiment Royal étranger.
J’attends toujours avec la plus grande impatience la décision de l’Empereur sur l’entreprise du siège de Ciudad-Rodrigo.
Je vous renouvelle, Monseigneur, l’assurance de ma très-haute considération.
Signé : MARÉCHAL, DUC D’ELCHINGEN.
Le 7 mai
« l'armée arriva à San Pedro de Toro, à l'entrée de la plaine de Ciudad-Rodrigo. Les pluies continuelles ne permettant pas d'activer les opérations du siège, on mit à profit ce repos forcé pour organiser des parcs d'artillerie, des hôpitaux et des manutentions pour les vivres. »
(Historique du 69e de ligne)
Le 12 mai, le général Mermet écrivit au gouverneur pour traiter de la reddition de la place
Mais celui-ci fit dire à l’officier français qui s’était avancé en parlementaire, qu’on ne se donnât pas la peine de lui faire de nouvelles propositions, qu’il s’en tenait à la réponse qu’il avait déjà faite, et qu’il ne traiterait qu’à coups de canon.
Les troupes légères de la garnison cherchèrent à inquiéter nos camps par de fréquentes attaques; et le général Craufurd, commandant l’avant-garde de l’armée anglaise, vint plusieurs fois reconnaître nos avant-postes.
Le mois de mai se passa ainsi. Nos soldats construisirent des baraques, et firent des gabions et des fascines. On reçut de Salamanque plusieurs effets de siège ; mais les arrivages éprouvaient de grandes difficultés, tant à cause de la distance, qui est de vingt lieues, que par le mauvais état des chemins que les pluies continuelles avaient rendus impraticables, malgré de grandes réparations qui y avaient été faites. On établit un dépôt intermédiaire à Sanmuños, à peu près à égale distance de Salamanque et de Ciudad-Rodrigo. Mais tel était le mauvais état des chemins, que le premier convoi mit sept jours pour y arriver.
Le 28 mai, le maréchal Masséna arriva à Salamanque[18]. Le maréchal Ney en partit le même jour avec son état-major et les troupes du sixième corps, pour faire le siège de Ciudad-Rodrigo.
« Le 28 mai, le 6e corps investit la place. Le 3e hussards fut mis à Martino del Rio et le 15e chasseurs à Restorillo. Le temps était épouvantable ; depuis plus de six semaines il n’avait cessé de pleuvoir. »
(Historique du 15e régiment de chasseurs à cheval. H. Magon de la Giclais. Paris, 1895)
Il arriva en vue de la place le 30 mai, et donna aussitôt des ordres pour débusquer les Espagnols des positions avancées qu’ils occupaient en avant de l’enceinte. Cette opération fut commencée dès la nuit même et continuée les jours suivants. Nos troupes s’emparèrent des moulins de los Canizos et de Baragan, situés au bord de l’Agueda, l’un en amont et l’autre en aval de la ville, et qui étaient fort utiles à la garnison.
Le 1er juin, on jeta un pont de chevalets sur l’Agueda au-dessus du couvent de la Caridad, à deux mille cinq cents toises en amont de la ville. Ce pont fut couvert par une lunette en terre, palissadée à sa gorge et flanquée de la rive droite par des batteries.
Le chef de bataillon Couche, commandant du génie, et le général Ruty, commandant de l’artillerie, firent la reconnaissance de la place et présentèrent au maréchal Ney un projet pour attaquer le saillant arrondi qui se trouve du côté du nord, près de la tour du Roi, en occupant les hauteurs du grand et du petit Teso.
En 1706, Ciudad-Rodrigo avait été assiégé de ce côté par les Portugais unis aux Anglo-Hollandais, qui, au lieu de s’avancer par les hauteurs, débouchèrent de la plaine à l’est du grand Teso, et cheminèrent jusqu’au couvent de San-Francisco, où ils établirent deux batteries de brèche de seize pièces, qui ouvrirent la place un peu à droite de l’arrondissement du saillant du nord. Cheminant ensuite à travers les maisons et les jardins, ils s’avancèrent jusqu’à trente toises de la fausse braie, et là ils établirent une parallèle et une batterie de trente mortiers pour soutenir les colonnes d’assaut. La place succomba après neuf jours de siège.
Dans la nouvelle attaque, on espérait qu’en s’établissant immédiatement sur le grand Teso, on pourrait de là faire brèche à la fois aux deux enceintes, et protéger suffisamment les cheminements dirigés vers la muraille. Ce projet ayant été adopté par le maréchal Ney, on construisit en arrière du grand Teso un vaste hangar pour mettre à l’abri les dépôts de poudre et les artifices, les localités n’offrant pour cet objet aucun lieu couvert à portée de l’attaque. Le village de Pedro de Toro et le couvent de la Caridad furent désignés pour l’emplacement des parcs et des approvisionnements.
Le 3 juin, le maréchal Masséna vint visiter les camps et passa les troupes en revue.
« Le maréchal Masséna visite les cantonnements du 6e corps et passe en revue les troupes, qu’il trouve superbes et animées du meilleur esprit »
(Historique du 25e dragons)
« Le 3 juin, nous avons passé la revue du prince d'Essling, à portée du canon de la place. L'ennemi qui, ces jours derniers, tirait sur tous les buts qu'il apercevait, — même sur un seul homme isolé, — n'a pas osé tirer sur nous, ce jour-là, un seul coup de canon. C'était sans doute pour jouir du spectacle imposant de nos colonnes se déployant devant leur place, sans broncher et à portée du calibre de siège. »
(Le carnet de campagne du commandant Giraud – 8 juin 1810 – Collection de Mémoires et souvenirs militaires. Paris, 1899.)
Il fit la reconnaissance de la place, et approuva le choix du point d’attaque. Mais il pensa que tous les moyens de siège n’étant pas encore réunis, le maréchal Ney avait commencé trop tôt son mouvement.
« Je dois vous dire, Monseigneur, que je crois que le maréchal duc d’Elchingen s’est trop pressé. Il s’en faut de beaucoup que tout soit en mesure,et il est fâcheux que son corps d’armée soit déjà placé en entier aux environs de Rodrigo (…) Le 6e corps n’est pas assez fort pour faire en même temps le siège et couvrir la place. Le 8e ne peut guère l’appuyer que par une division, parce qu’il a différents points essentiels à garder. » (Masséna à Berthier – 5 juin 1810)[19]
On continua de resserrer la garnison sur la rive droite, et l’on établit devant les faubourgs de petits postes fortifiés pour contenir les sorties. Cette mesure fut adoptée successivement sur toute la ligne de circonvallation, de sorte que l’ennemi ne tint bientôt plus aucun homme hors de ses défenses. Le 5 juin, on jeta un deuxième pont de chevalets au gué de Loro en aval de la ville. Au moyen de ce pont et de celui qui déjà se trouvait en amont, la division Marchand, une partie de la division Mermet et la brigade de cavalerie du général Lamotte[20] se portèrent sur la rive gauche pour compléter l’investissement de ce côté, et observer les mouvements de l’armée anglaise. Le huitième corps se rapprocha de l’Agueda[21]. La première division de ce corps, commandée par le général Clausel[22], et la deuxième division sous les ordres du général Solignac[23], prirent position l’une à San-Felicès, l’autre à Ledesma, afin d’appuyer la droite de l’armée et de soutenir les opérations du siège.
Peu de temps après, deux brigades d’infanterie de la division Clausel et la brigade de cavalerie du général Sainte-Croix[24] se portèrent sur la rive gauche, pour renforcer les troupes du sixième corps qui s’y trouvaient déjà : le général Junot prit le commandement de toutes ces troupes. En même temps le général Reynier[25] qui, avec le deuxième corps, couvrait la gauche entre le Tage et la Guadiana, reçut l’ordre de porter des troupes à Coria et à Plasencia, sur la rive droite du Tage, pour communiquer avec le sixième corps, par le col de Baños; il devait en outre faire de fréquentes reconnaissances sur Badajoz, afin de s’assurer si le corps anglais du général Hill[26], campé à Portalègre, ne se réunissait pas à l’armée anglo-portugaise pour faire lever le siège de Ciudad-Rodrigo. Les dispositions du prince d’Essling étaient donc telles, que, bien qu’il assiégeât Ciudad-Rodrigo, il pouvait manœuvrer suivant les circonstances et les mouvements de l’ennemi.
Le 6 juin à midi, quatre cents hommes sortirent de la place par la porte de la Collada, et s’avancèrent le long de la rivière jusqu’au moulin de Baragan où se trouvaient nos avant-postes. Leur but était de détruire une plantation de peupliers qui, dans cette partie, masquait les feux de la place sur l’une et l’autre rive. Nos troupes les repoussèrent, mais ne purent les empêcher de couper les arbres les plus rapprochés de l’enceinte, ni de détruire quelques couverts.
« Le 6 juin, les Espagnols font une sortie sans résultat. »
(Historique du 15e régiment de chasseurs à cheval. H. Magon de la Giclais. Paris, 1895)
Le mauvais temps qui, depuis plus d’un mois, retardait les opérations du siège, cessa enfin, et l’on put activer le transport de la grosse artillerie. Le 8 juin, un premier convoi arriva devant la place; les autres se succédèrent sans interruption. Le maréchal Ney, accompagné des commandants du génie et de l’artillerie, reconnut l’emplacement de la première parallèle sur la hauteur du grand Teso. Désirant dérober à l’ennemi le moment de l’ouverture de cette parallèle, il ordonna de s’emparer d’avance des points par lesquels elle devait passer.
Cet ordre fut exécuté; et, dans la nuit du 11 au 12 juin, on construisit sur la crête de la hauteur plusieurs postes retranchés qui furent occupés par les meilleurs tireurs de l’armée réunis en bataillon, sous les ordres du capitaine François.
« Le duc d’Elchingen eut l’idée de réunir ses meilleurs tireurs et d’en former un bataillon de sic compagnies, dont il donna le commandement au capitaine François : ces braves, destinés aux coups de main, devaient garder les points les plus exposés de la tranchée. Pour leur début, ils s’emparèrent, dans la nuit du 11 au 12, de la crête des hauteurs où devait passer la première parallèle, et occupèrent plusieurs postes : »
(Mémoires de Masséna)
De son côté, l’ennemi plaça dans le clocher du couvent San-Francisco des chasseurs adroits qui, par un feu continuel et bien dirigé sur nos tirailleurs, les inquiétèrent beaucoup.
Pour en imposer davantage à l’ennemi et lui donner le change sur nos véritables intentions, le maréchal Ney ordonna de faire une fausse attaque sur la partie de l’enceinte opposée à celle où l’attaque réelle devait avoir lieu. En conséquence, dans la nuit du 14 au 15 juin, on ouvrit de ce côté une portion de parallèle d’environ quatre cents mètres de longueur. Au jour, ces travaux attirèrent l’attention de l’ennemi, qui dirigea sur eux un feu nourri d’artillerie et de mousqueterie.
Notre artillerie était enfin parvenue à réunir, tant au dépôt de Sanmuños que devant Ciudad-Rodrigo, un équipage de siège de cinquante bouches à feu, savoir : dix pièces de 24, sept de 16, douze de 12, onze mortiers, huit obusiers et deux pierriers; chaque pièce était approvisionnée à sept cents coups. Le génie n’avait reçu aucun matériel de Bayonne, et chaque compagnie de sapeurs n’avait que son caisson d’outils. On ramassa toutes les pelles et les pioches qu’on put trouver dans les campagnes, et l’artillerie en fournit six mille de ses dépôts à Salamanque. Le beau temps étant revenu et tout étant prêt pour commencer le siège, le maréchal Ney donna l’ordre d’ouvrir la tranchée.
« Depuis plus de six semaines il n’avait cessé de pleuvoir ; mais enfin le temps s’étant rasséréné, le duc d’Elchingen ouvrit la tranchée dans la nuit du 15 au 16. Masséna, retenu à Salamanque par les soins de l’administration, avait chargé le général Eblé d’assister à cette opération. »
(Mémoires de Masséna)
« Nous avons ouvert la tranchée, devant cette place, le 15 du mois dernier (15 juin – ndlr) »
(Le carnet de campagne du commandant Giraud – 10 juillet 1810 – Collection de Mémoires et souvenirs militaires. Paris, 1899.)
« La tranchée sur la fausse attaque est ouverte dans la nuit du 14 au 15 juin; celle du côté de la véritable attaque est ouverte dans la nuit du 15 au 16. »
(Historique du 25e régiment de dragons. De Bourqueney. Tours, 1890)