25 décembre 1800 – Bataille de Pozzolo
OBSERVATIONS SUR LA BATAILLE DE POZZOLO.
L’attitude du commandement.
La bataille de Pozzolo était donc définitivement un succès pour l’armée française. Les troupes de l’aile droite et du centre, après avoir pris pied sur la rive gauche du Mincio, avaient réussi à s’y maintenir et couvrir la tête du pont, qui avait d’ailleurs été doublé d’un second, à la fin de la journée. Mais ce n’avait été qu’une démonstration bien réussie, alors que l’intervention du général en chef avec le reste de l’armée aurait pu amener une victoire décisive.
Cette intervention pouvait d’ailleurs aussi bien se manifester par un renforcement des troupes engagées à Pozzolo, qui auraient eu ainsi les moyens de passer à une offensive vigoureuse, que par un second passage le jour même à Monzambano, alors que la majeure partie des réserves autrichiennes était déjà engagée ailleurs.
Une détermination était à prendre : ou laisser Dupont continuer sa démonstration, le soutenir au besoin d’un peu d’artillerie et exécuter le passage à Monzambano avec le gros de l’armée, qui était à portée de ce point ; ou bien porter toutes ses forces sur Pozzolo pour profiter des avantages acquis.
Cette dernière solution présentait l’inconvénient d’écarter l’armée de la ligne de l’Adige et d’empêcher sa liaison avec l’armée des Grisons, car Bellegarde pouvait exécuter un changement de front face au sud et s’appuyer à Peschiera et aux hauteurs fortifiées de la rive gauche. Quelle que fût la solution adoptée, il fallait prendre une décision. Le choix entre les deux solutions devait s’imposer dès 11 heures du matin, moment où, sur le rapport de l’adjudant-commandant Ricard, qui avait quitté le champ de bataille 9 heures, Brune envoyait à Dupont l’autorisation de se maintenir sur la rive droite.
Puisque le hasard avait voulu que le contre-ordre général n’arrivât pas en temps opportun à l’aile droite, puisque celle-ci avait réussi prendre pied sur l’autre rive du Mincio, il ne pouvait plus être question de maintenir le contre-ordre général. Une nouvelle situation surgissait, qui appelait de nouvelles dispositions de la part du général en chef, car laisser Dupont sur la rive gauche, livré ses propres forces dont la faiblesse lui interdisait une action offensive, c’était adopter une solution pire que de le faire revenir sur la rive droite.
C’était éclairer les Autrichiens sur la valeur de cette fameuse démonstration à laquelle ils ne se laisseraient plus prendre le lendemain, et lever leurs hésitations sur la détermination du point de passage réel, Monzambano.
Le général en chef ne prit cependant aucune décision , ne se rendit même pas sur le terrain pour juger par lui-même de la situation, ainsi que l’y invitait Dupont . Ce dernier lui avait en effet écrit, à 10 heures, après l’envoi de Ricard au quartier général, le billet suivant [1]Dupont au Général en chef, pont de Molino (Moulins), 4 nivôse, 4 heures matin. :
« Le pont étant fait, et une brigade se trouvant établie sur la rive gauche lorsque j’ai reçu votre ordre [2]C’est la confirmation écrite du contre-ordre verbal apporté par l’aide de camp de Suchet., j’ai pensé avec les généraux Suchet et Watrin que je devais continuer le passage et profiter de l’avantage que la fortune nous offre.
« Le général Suchet a envoyé un officier près de vous pour vous rendre compte qu’il appuie mon passage.
« Je vous engage vous rendre, de votre personne, à l’aile droite pour donner vos ordres définitifs
C’est en réponse à cette lettre que le chef d’état-major général mandait à Dupont qu’il était autorisé se maintenir sur l’autre rive sous la protection de son artillerie.
« Moyennant, ajoutait-il, que si vous étiez violemment menacé, vous mettiez la plus grande promptitude à retirer votre pont, et protéger la retraite des troupes que vous auriez fait passer, par le gros que vous auriez laissé sur cette rive et l’artillerie nombreuse que vous avez en batterie [3]Oudinot à Dupont, Monzambano, nivôse, 4 heures matin. ».
Cette lettre reflétait bien le caractère hésitant de Brune, qui se contentait d’un semblant de résultat, pour éviter de se compromettre en s’engageant à fond Il était cependant à prévoir que les Autrichiens chercheraient détruire le pont et rejeter dans la rivière le détachement français installé sur la rive gauche.
A peu près au moment où cette lettre était écrite, Dupont en recevait une autre envoyée avant que le quartier général n’eût été informé des événements de Pozzolo, et qui dénote mieux encore que la précédente, les tergiversations du général en chef. A 10 heures, Oudinot avait en effet écrit à Dupont [4]Oudinot Dupont, Monzambano, 4 nivôse, 40 heures matin (Cité par Titeux). :
« Le général en chef me charge de vous prévenir qu’il ne croit pas prudent que vous tentiez (même demain) le passage du Mincio. Il lui parait préférable que vous vous borniez à de fortes démonstrations et de grosses fausses attaques, sans jeter votre pont, du moins jusqu’à ce que vous ayez été instruit du résultat de notre opération. Il est bien essentiel que vous vous gardiez sérieusement gauche en observant en force Borghetto.
« Prévenez, je vous prie, de votre position et de vos mouvements, le général de brigade Quesnel qui est en observation devant Goito avec deux régiments de cavalerie et deux pièces d’artillerie, et recommandez-lui de se placer militairement et en état de faire face à toute sortie
De quelles démonstrations ou fausses attaques s’agissait-il ? Ce n’était évidemment ni contre Borghetto ni contre Goito. Elles ne pouvaient donc qu’être singulièrement platoniques, puisque la rivière devait séparer Dupont des partis autrichiens qui lui étaient opposés, et qu’il ne pouvait lancer un pont pour les rejoindre.
Dupont recevait ces étranges instructions à 11 heures, au moment où il rendait compte en ces termes de la situation :
« Le passage de la division Watrin est effectué. Le centre arrive pour soutenir l’aile droite. Je vous engage à faire filer l’armée sur ce point et à faire inquiéter l’ennemi à Monzambano. Notre succès est assuré. J’attends vos ordres définitifs.
« Les prisonniers disent que l’ennemi n’a devant nous que 1,000 hommes et quatre canons, et que son armée est à Villafranca [5]Dupont au Général en chef, Pozzolo, M heures matin (Cité dans Le Maréchal Brune). ».
En réponse sans doute à cette lettre, Brune expédiait à Dupont les instructions suivantes, qui confirmaient celles du chef d’état-major général datées de heures :
« Vous devez maintenir votre pont, à moins de forces majeures, auquel cas vous le retirerez. Vous ne devez rien engager de sérieux. Le général Suchet ne doit pas faire corps avec vous : il a une autre destination [6]Le Général en chef au Général de la droite, Moozambano, 4 nivôse (Cité dans Le Maréchal Brune). Cet ordre ne porte pas d’heure d’expédition. D’après sa teneur, il est … Continue reading ».
Telle est la dernière manifestation, pour la journée, de l’activité du général en chef. Durant le cours de l’après-midi, Suchet lui envoie successivement le chef d’escadron Gaudin et le chef de la section topographique du centre, Martinel. Mais ces deux officiers ne parviennent pas à secouer la torpeur du général en chef.
Celui-ci s’attira, si l’on en croit Marmont, dès le jour même, un blâme sévère de l’un de ses subordonnés. Revenu le soir au quartier général et trouvant le général en chef à table, Davout, brutal et grossier, s’écria en entrant : « Comment, général, pendant que la moitié de votre armée est engagée, vous restez ici occupé à manger ! ». Brune garda le silence à cette insolente apostrophe [7]Mémoires du duc de Raguse, t. II, p. 466.
References[+]
↑1 | Dupont au Général en chef, pont de Molino (Moulins), 4 nivôse, 4 heures matin. |
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↑2 | C’est la confirmation écrite du contre-ordre verbal apporté par l’aide de camp de Suchet. |
↑3 | Oudinot à Dupont, Monzambano, nivôse, 4 heures matin. |
↑4 | Oudinot Dupont, Monzambano, 4 nivôse, 40 heures matin (Cité par Titeux). |
↑5 | Dupont au Général en chef, Pozzolo, M heures matin (Cité dans Le Maréchal Brune). |
↑6 | Le Général en chef au Général de la droite, Moozambano, 4 nivôse (Cité dans Le Maréchal Brune). Cet ordre ne porte pas d’heure d’expédition. D’après sa teneur, il est vraisemblable qu’il fut envoyé au reçu du rapport de Dupont, daté de 11 heures, et partit par conséquent vers midi.. |
↑7 | Mémoires du duc de Raguse, t. II, p. 466. |