1812 – Deuxième Bulletin de la Grande Armée
Wilkowiski[1], le 22 Juin, 1812.
Tout moyen de s’entendre entre les deux Empires, devenait impossible, l’esprit qui dominait le cabinet russe le précipita à la guerre. Le général Narbonne, aide-de-camp de l’Empereur, fut envoyé à Vilna et ne put y séjourner que peu de jours. On acquérait la preuve que la sommation arrogante et tout-à-fait extraordinaire qu’avait présentée le prince Kourakine[2], où il déclara[3] ne vouloir entrer dans aucune explication, que la France n’eût évacué le territoire de ses propres alliés, pour les livrer à la discrétion de la Russie, était le sine qua non de ce cabinet, et il s’en vantait auprès des puissances étrangères.
Le 1er corps se porta sur la Pregel. Le prince d’Eckmühl eut son quartier-général le 11 Juin à Königsberg[4].
Le maréchal duc de Reggio, commandant le 2e corps, eut son quartier général à Vehlau ; le maréchal duc d’Elchingen, commandant le 3e corps, à Soldapp; le prince vice-roi, à Rastenburg; le roi de Westphalie, à Varsovie; le prince Poniatowski, à Pultusk; l’Empereur porta son quartier général le 12 sur la Pregel à Königsberg, le 17 à Justerburg, le 19 à Gumbinnen[5].
Un léger espoir de s’entendre existait encore. L’Empereur avait donné au comte de Lauriston l’instruction de se rendre auprès de l’Empereur Alexandre, ou de son ministre des affaires étrangères, et de voir s’il n’y aurait pas moyen de revenir sur la sommation du prince Kourakine, et de concilier l’honneur de la France et l’intérêt de se» alliés avec l’ouverture des négociations.
Le même esprit qui régnait dans le cabinet russe empêcha, sous différents prétextes, le comte de Lauriston de remplir sa mission; et l’on vit pour la première fois un ambassadeur ne pouvoir approcher ni le souverain ni son ministre dans des circonstances aussi importantes. Le secrétaire de légation Prévost apporta ces nouvelles à Gumbinnen; et l’Empereur donna l’ordre de marcher pour passer le Niémen : « Les vaincus, dit-il, prennent le ton de vainqueurs; la fatalité les entraîne, que les destins s’accomplissent. »
S. M. fit mettre à l’ordre de l’armée la proclamation suivante :
» Soldats,
« La seconde guerre de Pologne est commencée. La première s’est terminée à Friedland et à Tilsitt. A Tilsitt, la Russie a juré éternelle alliance à la France, et guerre à l’Angleterre. Elle viole aujourd’hui ses serments. Elle ne veut donner aucune explication de son étrange conduite que les aigles françaises n’aient repassé, le Rhin, laissant par-là nos alliés à sa discrétion. La Russie est entraînée par la fatalité ! Ses destins doivent s’accomplir. Nous croirait-elle donc dégénérée ? Ne serions-nous donc plus les soldats d’Austerlitz ? Elle nous place entre le déshonneur et la guerre. Le choix ne saurait être douteux, marchons donc en avant ! Passons le Niémen ! Portons la guerre sur son territoire. La seconde guerre de Pologne sera glorieuse aux armes françaises, comme la première ; mais la paix que nous conclurons portera avec elle sa garantie, et mettra un terme à cette orgueilleuse influence que la Russie a exercée depuis cinquante ans sur les affaires de l’Europe.
En notre quartier-général Wilkowiski, le 22 Juin 1812.
[1] Napoléon est arrivé la veille dans ce village.
[2] Alexandre Kourakine (1752 1818), ambassadeur russe à Paris de 1808 à avril 1812.
[3] Il s’agit de la rencontre orageuse avec Napoléon, du 15 avril précédant.
[4] Aujourd’hui Kaliningrad.
[5] Petite ville de Prusse orientale. Napoléon y séjourne du 18 au 21 juin, dans la « Logenhaus »