1810 – Incendie – Presse – Le Consulat et le Premier empire
L’incendie de l’ambassade d’Autriche à Paris
Lu dans la presse
Journal de l’Empire – 3 juillet 1810
L’évènement fâcheux arrivé hier chez le prince de Schwarzenberg sera raconté de tant de manières, qu’il n’est pas inutile d’en donner les détails clairs, fidèles et circonstanciés. S.Ex. M. l’Ambassadeur d’Autriche voulant donner une fête à l’occasion du mariage de LL. MM., avait fait disposer dans son jardin toutes sortes de décorations et d’artifice à l’imitation de la fête donnée précédemment à Neuilly, chez S. A. I. Mad, la princesse Pauline. Pour augmenter l’étendue de ses appartements, S. Exc. Avait fait construire et décorer avec autant de goût que de magnificence, sur la façade du jardin, des galeries et une salle de danse dans laquelle 12 ou 1500 personnes pouvaient tenir commodément. La fête répondait aux soins que M. l’Ambassadeur s’était donnés pour la rendre agréable aux dames, lorsque dans une galerie latérale, une bougie qui était trop prés d’une décoration de gaze légère, y mit le feu ; quelqu’un arracha bien le morceau qui brûlait, mais il le rompit, et la partie qui restait, et qui se trouvait également enflammée, n’était plus à sa portée : le feu se communiqua avec une rapidité électrique et en moins de cinq minutes, toute la construction de voliges, de papiers peints, de toiles, etc., tomba sur le plancher. On avait ménagé à cette salle beaucoup de larges issues ; tout le monde en sorti avec un peu de désordre, mais sans accidents graves ; quelques femmes y laissèrent leurs schalls, quelques hommes leurs épées et leurs chapeaux. Jusque là ce n’était qu’une terreur panique ; mais malheureusement madame la princesse Joseph de Schwarzenberg, belle-sœur de l’ambassadeur, inquiète de ses enfants, qu’on lui assurât les avoir vus dans le jardin, n’écouta que le sentiment de tendresse si commun aux mères, rentra dans la salle, y perdit bientôt la tête, et ne tarda pas à périr, suffoquée par la fumée.
Les qualités personnelles de Mad. Schwarzenberg, et l’honorable cause de sa mort, augmentent, s’il est possible, les regrets qu’elle inspire : au reste, cet évènement est d’autant plus malheureux que tout secours devenait inutile, et tout était consumé avant que les pompiers aient pu agir. Plusieurs personnes ont plus ou moins été atteintes par des parties enflammées, en voulant sauver leurs enfants ou leurs amis.
LL- MM. l’Empereur et l’Impératrice, qui avaient honoré cette fête de leur présence, eurent le temps de se retirer avant le danger, par l’issue qui leur était destinée. L’Empereur mis l’Impératrice en voiture, mais il resta jusqu’à deux heures et demie du matin pour voir administrer des secours. Cette bonté touchante est pour ce monarque, père de son peuple, une habitude qu’il a prise à l’armée. On se rappelle ici qu’à toutes les actions décisives, son usage est de passer après le dernier coup de canon sur les divers champs de bataille, de mettre souvent la main sur le cœur palpitant de ses soldats, et de voir par lui-même si tous ses officiers de santé ont fait leur devoir.
Journal de l’Empire – 4 juillet 1810 (extrait du Moniteur)
La fête du prince de Schwarzenberg a eu lieu avant-hier. LL. MM. II. Et RR. Y ont assisté. Elles sont arrivées à dix heures. Le jardin était illuminé avec beaucoup de goût. Il offrait différentes vues des pays que l’Impératrice chérissait pendant son enfance. Les artistes de l’Opéra exécutaient des danses, vêtus dans les costumes des différents peuples de la maonarchie autrichienne. Cette partie de la fête a été suivie d’un beau feu d’artifice. Douze cents personnes avaient été invitées. Pour recevoir une société aussi nombreuse, le prince, selon l’usage suivi à Paris, avait fait construire en planches une salle de bal ornée de peintures, de gazes, de mousselines et autres étoffes légères. Cette salle offrait un très beau coup d’œil. La reine de Naples a ouvert le bal avec le prince Ersterhazi, et le vice-roi avec la princesse Pauline de Schwarzenberg, femme du frère aîné de l’ambassadeur. Après les quadrilles, on a dansé une écossaise, pendant laquelle LL. MM. se sont levées pour faire le tour du cercle et parler aux dames. L’Impératrice était déjà retournée à son fauteuil et l’Empereur se trouvait encore à l’autre extrêmité de la salle et venait de passer auprès de la princesse Pauline de Schwarzenberg, qui lui avaient présenté les princesses ses filles, lorsque la flamme d’une bougie atteignit les draperies d’une croisée. Le comte Dumanoir, chambellan de l’Empereur, et plusieurs officiers qui se trouvaient près de lui, voulurent arracher les rideaux, mais la flamme gagna plus haut. On prévint l’Empereur, qui n’eut que le temps d’aller auprès du fauteuil de l’Impératrice, et qui fut aussitôt entouré par l’ambassadeur et les officiers de la légation autrichienne qui l’engagèrent à sortir. Le feu se propageait avec la rapidité de l’éclair, et S. M. se retira au petit pas avec l’Impératrice, recommandant le calme afin de prévenir tout désordre. Les issues de la salles étaient heureusement très spacieuses, et la foule put facilement s’écouler et se répandre dans le jardin. Mais beaucoup de mères perdirent du temps en cherchant leurs filles dont elles avaient été séparées par l’écossaise ; et beaucoup de jeunes personnes, en cherchant à se réunir à leurs mères. La rapidité de l’incendie fut telle que la reine de Naples, qui marchait à la suite de l’Empereur, étant tombée, ne fut sauvée que par la présence d’esprit du duc de Wurzbourg. La reine de Westphalie fut conduite hors de la salle, donnant le bras au roi de Westphalie et au comte de Metternich. Le vice-roi, qui était resté au fond de la salle, et qui craignait de s’engager dans la foule avec la vice-reine, s’aperçut que la chute des lustres et du plafond lui interceptait le passage. Il avait par bonheur remarqué une petite porte qui donnait dans les appartements de l’hôtel, et par laquelle il sortit. Personne heureusement n’avait péri. Une vingtaine de dames ont été plus ou moins blessées. La princesse de la Leyen, la femme du consul de Russie, celle du général baron Tousard et celle du préfet de l’Istrie, ou saisies par l’évanouissement, ou arrêtées dans leur marche par quelques obstacles, l’ont été grièvement. Le prince Kourakin, ambassadeur de Russie, a eu le malheur de faire une chute sur les marches qui conduisaient de la salle au jardin et qui étaient alors enflammées. Deux officiers de la légation autrichienne et deux officiers de la garde impériale l’ont sauvé. Il est au lit, et assez souffrant..
Le jardin, fort vaste et très bien éclairé, a offert pendant une demie heure le spectacle de pères et de mères appelant leurs femmes, leurs époux et leurs enfants, et qui au moment où ils se retrouvaient, s’embrassaient avec transport, comme si une longue absence les eût séparés.
L’Empereur et l’Impératrice montèrent en voiture à la porte du jardin. Lorsque l’Empereur eut rejoint ses équipages de campagne qui l’attendaient aux Champs-Élysées, et y eut remis l’Impératrice, , il revint chez le prince de Schwarzenberg avec un aide de camp.
La princesse Pauline de Schwarzenberg était restée une des dernières dans la salle de bal. Elle tenait une de ses filles par la main. Un débris embrasé fit tomber cette jeune personne, qu’un homme qui se trouvait près d’elle releva et porta hors de la salle. Elle fut elle-même entraînée dans le jardin. Ne voyant plus sa fille, elle courait partout l’appelant à grands cris. Elle rencontra le roi de Westphalie, qui chercha à la calmer. Elle s’adressa de même au prince Borghèse et au comte Regnaud. Après un quart d’heure de recherches, poussée par l’héroïsme de l’amour maternel, elle rentra dans la salle enflammée, et depuis ce moment on ne sut plus ce qu’elle était devenue. On devint alors maître du feu, et l’hôtel de l’Ambassadeur fut préservé et le calme se rétablit.
Le prince de Schwarzenberg passa la nuit à chercher sa femme, qui ne se trouva ni chez son frère l’Ambassadeur, ni chez Madame de Metternich. Il doutait encore de son malheur, lorsque au point du jour on trouva dans les débris de la salle un corps défiguré, que le docteur Gall crut reconnaître pour celui de la princesse Pauline de Schwarzenberg. Il ne resta plus de doutes lorsqu’on reconnut ses bijoux et le chiffre de ses enfants qu’elle portait à son cou.
La princesse Pauline de Schwarzenberg était la fille du sénateur d’Aremberg ; elle était mère de huit enfants et grosse de quatre mois. Elle était aussi distinguée par la grâce de sa personne que par les qualités de son esprit et de son cœur. L’acte de dévouement qui lui a coûté la vie, prouve combien elle est digne de regrets, car la mort était évidente, les flammes sortaient en tourbillons. Une mère seule était capable d’affronter un tel danger.
On craint pour les jours de la princesse de la Leyen, de la femme du consul de Russie et de la baronne de Tousard. Quinze ou seize personnes, plus ou moins blessées, sont sans danger. Le prince Kourakin a dormi, et l’on avait hier soir lieu d’espérer que son accident n’aurait pas de suites funestes.
L’Ambassadeur d’Autriche, dont il est facile de se peindre l’horrible position, a montré pendant la nuit ces soins, cette activité, ce calme, cette présence d’esprit, qu’on devait attendre de lui. Les officiers de sa légation et de sa nation ont donné les marques les plus signalées de courage et de dévouement. Le public a su le plus grand gré à l’ambassadeur de le voir accompagner l’Empereur et l’Impératrice jusqu’à leur voiture, oubliant les dangers auxquels étaient exposés sa famille, qui a heureusement été préservée de tout accident.
L’Empereur s’est retiré à trois heures du matin. Il a envoyé plusieurs fois pendant le reste de la nuit pour s’informer du sort de la princesse Pauline de Schwarzenberg qui était encore incertain. Ce n’est qu’à cinq heures du matin qu’on lui a rendu compte de sa mort. S.M. qui avait une estime particulière pour cette princesse, l’a vivement regrettée.
S.M. l’Impératrice a montré le plus grand calme pendant cette soirée. Lorsque ce matin à son réveil elle a appris la mort de la princesse Pauline de Schwarzenberg, elle a répandu beaucoup de larmes.
Journal de l’Empire – 6 juillet 1810
AVIS. Quelques personnes qui peuvent avoir entre leurs mains des effets, bijoux et autres objets égarés lors de l’incendie qui a eu lieu à l’hôtel de S. Exc. M. l’Ambassadeur d’Autriche, et qui cherchent à découvrir à qui ces objets appartiennent, sont invitées à venir les déposer à la préfecture de police ; elles s’adresseront au caissier de la préfecture, qui est chargé de les recevoir. Nota : la caisse est ouverte depuis neuf heures du matin jusqu’à quatre heures de l’après-midi.
Journal de l’Empire – 9 juillet 1810
Les honneurs funèbres ont été rendus hier à la princesse Pauline de Schwarzenberg, dans l’église de Saint-Roch, sa paroisse. Les personnes qui ont assisté aux funérailles de cette princesse marchaient à pied, la tête découverte ; ensuite venaient leurs voitures. Un cortège nombreux était formé du corps diplomataique, de sénateurs, d’officiers généraux, de conseillers d’État, de chambellans, etc., etc. Après le service divin, le corps de la princesse a été déposé dans une des chapelles de cette église, d’où il sera incessamment transporté dans une de ses terres en Bohème.
Wiener Zeitung (Vienne)
Le principal journal de Vienne relate en détail, dans son édition du 14 juillet 1810, les évènements du 1er juillet, publiant également dans le même numéro, et dans son intégralité, le « reportage » du Moniteur, paru le 4 juillet (cf. ci-dessus)