1809 – Vingt-Quatrième Bulletin de l’Armée d’Allemagne – Le Consulat et le Premier empire
Vienne, 3 juillet 1809
Le général Broussier avait laissé deux bataillons du 84e régiment de ligne dans la ville de Graz, et s’était porté sur Wildon pour se joindre à l’armée de Dalmatie.

Le 26 juin, le général Gyulai se présenta devant Graz avec 10,000 hommes, composés, il est vrai, de Croates et de régiments des frontières [1]ndlr : Landwehr. Le 84e se cantonna dans un des faubourgs de la ville, repoussa toutes les attaques de l’ennemi, le culbuta partout, lui prit 500 hommes, deux drapeaux, et se maintint dans sa position pendant quatorze heures, donnant le temps au général Broussier de le secourir. Ce combat d’un contre dix a couvert de gloire le 84e de ligne et son colonel Gambin. Les drapeaux ont été présentés à Sa Majesté à la parade.
Nous avons à regretter 20 tués et 92 blessés de ces braves gens.

Le duc d’Auerstaedt a fait attaquer, le 30, une des îles du Danube, peu éloignée de la rive droite, vis-à-vis Presbourg, où l’ennemi avait quelques troupes. Le général Gudin a dirigé cette opération avec habileté; elle a été exécutée par le colonel Decouz et par le 21e régiment d’infanterie de ligne que commande cet officier.
A deux heures du matin, ce régiment, partie à la nage, partie dans des nacelles, a passé le très-petit bras du Danube, s’est emparé de l’île, a culbuté les 1,500 hommes qui s’y trouvaient, a fait 250 prisonniers, parmi lesquels le colonel du régiment de Saint-Julien et plusieurs officiers, et a pris trois pièces de canon que l’ennemi avait débarquées pour la défense de l’île.

Enfin il n’existe plus de Danube pour l’armée française: le général comte Bertrand a fait exécuter des travaux qui excitent l’étonnement et inspirent l’admiration. Sur une largeur de 100 toises et sur un fleuve le plus rapide du monde, il a, en quinze jours, construit un pont formé de soixante arches, où trois voitures peuvent passer de front. Un second pont de pilotis a été construit, mais pour l’infanterie seulement, et de la largeur de huit pieds. Après ces deux ponts, vient un pont de bateaux.
Nous pouvons donc passer sur le Danube en trois colonnes. Ces trois ponts sont assurés contre toute insulte, même contre l’effet des brûlots et machines incendiaires par des estacades sur pilotis, construites entre les îles dans différentes directions, et dont les plus éloignées sont à 250 toises des ponts. Quand on voit ces immenses travaux, on croit qu’on a employé plusieurs années à les exécuter; ils sont cependant l’ouvrage de quinze à vingt jours. Ces beaux travaux sont défendus par des têtes de pont ayant chacune 1,600 toises de développement, formées de redoutes palissadées, fraisées et entourées de fossés pleins d’eau.
L’île Lobau est une place forte; il y a des manutentions de vivres, cent pièces de gros calibre et vingt mortiers ou obusiers de siège en batterie. Vis-à-vis Essling, sur le dernier bras du Danube, est un pont que le duc de Rivoli a fait jeter hier. Il est couvert par une tête de pont qui avait été construite lors du premier passage.
Le général Legrand avec sa division occupe les bois en avant de la tête de pont. L’armée ennemie est en bataille, couverte par des redoutes, la gauche à Enzersdorf [2]ndlr : aujourd’hui Groß-Enzersdorf, la droite à Aspern. Quelques légères fusillades d’avant-postes ont eu lieu.
A présent que le passage du Danube est assuré, que nos ponts sont à l’abri de toute tentative, le sort de la monarchie autrichienne sera décidé dans une seule affaire.
Les eaux du Danube étaient, le 1er juillet, de quatre pieds au dessus des plus basses et de treize pieds au-dessous des plus hautes.
La rapidité de ce fleuve est dans cette partie, lors des grandes eaux, de sept à douze pieds, et lors de la hauteur moyenne, de quatre pieds six pouces par seconde, et plus forte que sur aucun autre point. En Hongrie elle diminue beaucoup, et à l’endroit où Trajan fit jeter un pont, elle est presque insensible.
Le Danube est là d’une largeur de quatre cent cinquante toises; ici il n’est que de quatre cents. Le pont de Trajan était un pont en pierre, fait en plusieurs années. Le pont de César sur le Rhin fut jeté, il est vrai, en huit jours, mais aucune voiture chargée n’y pouvait passer.
Les ouvrages sur le Danube sont les plus beaux ouvrages de campagne qui aient jamais été construits.
Le prince Gagarine, aide de camp général de l’empereur de Russie, est arrivé avant-hier, à quatre heures du matin, à Schönbrunn, au moment où l’Empereur montait à cheval. Il était parti de Pétersbourg le 8 juin. Il a apporte des nouvelles de la marche de l’armée russe en Galicie.
Sa Majesté a quitté Schönbrunn. Elle campe depuis deux jours.
Ses tentes sont fort belles et faites à la manière des tentes égyptiennes.