Neuvième Bulletin de l’Armée d’Allemagne

Vienne, le 19 mai 1809.

Pendant que l’armée prenait quelque repos dans Vienne, que ses corps se ralliaient, que l’Empereur passait des revues, pour accorder des récompenses aux braves qui s’étaient distingués, et pour nommer aux emplois vacans, on préparait tout ce qui était nécessaire pour l’importante opération du passage du Danube. Le prince Charles, après la bataille d’Eckmulh, jeté sur l’autre rive du Danube, n’eut d’autre refuge que les montagnes de la Bohême. En suivant les débris de l’armée du prince Charles dans l’intérieur de la Bohême, l’Empereur lui aurait enlevé son artillerie et ses bagages, mais cet avantage ne valait pas l’inconvénient de promener son armée, pendant quinze jours, dans des pays pauvres, montagneux et dévastés. L’Empereur n’adopta aucun plan qui pût retarder d’un jour son entrée à Vienne, se doutant bien que, dans l’état d’irritation qu’on avait excite, on songerait à défendre cette ville, qui a une excellente enceinte bastionnée, et à opposer quelque obstacle. D’un autre côté, son armée d’Italie attirait son attention, et l’idée que les Autrichiens occupaient ses belles provinces du Frioul et de la Piave, ne lui laissait point de repos. Le maréchal duc d’Auerstaedt resta en posilion en avant de Ratisbonne pendant le temps que mit le prince Charles à déboucher en Bohême ; et, immédiatement après, il se dirigea par Passau et Lintz, sur la rive gauche du Danube, gagnant quatre marches sur ce prince. Le corps du prince de Ponte-Corvo fut dirigé dans le même système. D’abord il fit un mouvement sur Egra, ce qui obligea le prince Charles à y détacher le corps du général Bellegarde ; mais par une contre-marche, il se porta brusquement sur Lintz, où il arriva avant le général Bellegarde, qui, ayant appris cette contre-marche, se dirigea aussi sur le Danube. Ces manœuvres habiles, faites jour par jour, selon les circonstances, ont dégagé l’Italie, livré sans défenses les barrières de l’Inn, de la Salza, de la Traun et tous les magasins ennemis, soumis Vienne, désorganisé les milices et la landwehr, terminé la défaite des corps de l’archiduc Louis et du général Hiller, et achevé de perdre la réputation du général ennemi. Celui-ci voyant la marche de l’Empereur, devait penser à se porter sur Lintz, passer le pont et s’y réunir aux corps de l’archiduc Louis et du général Hiller ; mais l’armée française y était réunie plusieurs jours avant qu’il pût y arriver. Il aurait pu espérer de faire sa jonction à Krems ; vains calculs! il était encore en retard de quatre jours, et le général Hiller, en repassant le Danube, fut obligé de brûler le beau pont de Krems. Il espérait enfin se réunir devant Vienne ; il était encore en retard de plusieurs jours. L’Empereur a fait jeter un pont sur le Danube, vis-à-vis le village d’Ebersdorf, à deux lieues au-dessous de Vienne. Le fleuve, divisé en cet endroit en plusieurs bras, a quatre-cents toises de largeur. L’opération a commencé hier 18, à quatre heures après-midi. La division Molitor a été jetée sur la rive gauche et a culbuté les faibles détachements qui voulaient lui disputer le terrain et couvrir le dernier bras du fleuve. Les généraux Bertrand et Pernetti ont fait travailler aux deux ponts, l’un de plus de deux-cent quarante, l’autre de plus de cent-trente toises, communiquant entre eux par une île. On espère que les travaux seront finis demain. Tous les renseignements qu’on a recueillis portent à penser que l’empereur d’Autriche est à Znaim. Il n’y a encore aucune levée en Hongrie. Sans armes, sans selles, sans argent, et fort peu attachée à la maison d’Autriche, cette nation paraît avoir refusé toute espèce de secours. Le général Lauriston, aide-de-camp de S.M., à la tête de la brigade d’infanterie badoise et de la brigade de cavalerie légère du général Colbert, s’est porté de Neustadt sur Brug et sur la Simeringberg, haute montagne qui sépare les eaux qui coulent dans la Mer Noire et dans la Méditerranée. Dans ce passage difficile, il a fait quelques centaines de prisonniers. Le général Dupellin a marché sur Mariazell, ou il a désarmé un millier de landwerh et fait quelques centaines de prisonniers. Le maréchal duc de Dantzick s’est porté sur Inspruck : il a rencontré, le 14, à Vorgel, le général Chasteller avec ses Tyroliens. Il l’a culbuté et lui a pris sept-cents hommes et onze pièces d’artillerie. Kufstein a été débloqué le 12. Le chambellan de S.M., Germain, qui s’était renfermé dans cette place, s’est bien montré. Voici quelle est aujourd’hui la position de l’armée : Les corps des maréchaux ducs de Rivoli et de Montebello, et le corps des grenadiers du général Oudinot, sont à Vienne, ainsi que la garde impériale. Le corps du maréchal duc d’Auerstaedt est réparti entre Saint-Pollen et Vienne. Le maréchal prince de Ponte-Corvo est à Lintz, avec les Saxons et les Wurtembergeois ; il a une réserve à Passau. Le maréchal duc de Dantzick est, avec les Bavarois, à Salzbourg et à Inspruck. Le colonel comte de Czernichew, aide-de-camp de .l’empereur de Russie, qui avait été expédié pour Paris, est arrivé au moment où l’armée entrait à Vienne. Depuis ce moment, il fait le service, et suit S.M. Il a apporté des nouvelles de l’armée russe, qui n’aura pu sortir de ses cantonnemens que vers le 10 ou 12 mai.

N° Ier.

Proclamation du comte de Wallis aux habitants de la Bohême.

L’issue inattendue de la bataille sanglante du 22 est déjà donnue ; la défaite d’une grande partie de la cavalerie, après un combat qui a duré cinq jours presque sans interruption, a été en partie la cause du revers que nos armes ont éprouvé (1).

(1) Cette phrase est arrangée avec art. On convient d’une Bataille sanglante perdue le 22, mais on en parle comme étant le dénouement d’un combat de cinq jours, et l’on espère, au moyen de l’influence des mots sur les choses, faire croire qu’on n’a perdu qu’une seule bataille, et qu’elle a duré cinq jours ; ce qui serait en effet fort honorable pour les Autrichiens : la vérité est qu’il n’y a pas eu une bataille de cinq jours, mais bien une campagne de cinq jours, ce qui est fort différent. La transformer en une seule bataille, c’est supposer, en faveur des vaincus, un fait sans exemple dans l’histoire du monde ; tandis qu’en décrivant les événemens tels qu’ils se sont passés, c’est-à-dire, formant une campagne de cinq jours, c’est attester aussi un fait sans exemple dans les annales du monde, mais dont le résultat, à l’égard des vaincus, est absolument en sens inverse.

Les accident malheureux en guerre sont inévitables, mais ils ne doivent ni amollir votre courage, ni affaiblir les mesures à prendre pour votre défense, et diminuer votre confiance en vous-mêmes et l’amour que vous devez à vos princes et à votre patrie. C’est précisément au moment d’un revers que l’on doit redoubler d’efforts, et qu’aucun sacrifice ne doit coûter à tout bon citoyen : il doit m’ême être regardé comme un devoir. La ferme résolution de notre bien-aimé souverain, est de s’opposer de tout son pouvoir aux intentions perfides de l’ennemi, et il a le droit d’attendre de la part de ses fidèles sujets, qu’ils répondront également à ses vœux et ses intentions. S.M., en me nommant commissaire-général en Bohême, m’a revêtu des mêmes pouvoirs qu’en l’année 1805, pour non-seulement mettre en activité, par tous les moyens possibles, le corps d’armée dont il m’a confié le commandement, mais également pour rassembler avec la rapidité de l’éclair, sur tous les points, cette brave milice, dont la bonne volonté et le courage doivent servir de rempart aux habitants de la Bohême. S.M. connaît et apprécie ce caractère de fermeté et de force pour parvenir au but commun, caractère qui distingue particulièrement et à un si haut degré les habitants de la Bohême. Elle est pleinement convaincue, que pour cette fois encore, ils sont entièrement pénétrés que le plus sur moyen à opposer au danger et à rendre le mal moins grand, est le courage même au milieu de l’adversité. Ces sublimes vertus nous animent encore, nous n’avons pas dégénéré, le même sang coule dans nos veines ; c’est le plus précieux de notre apanage, c’est notre bien le plus cher! Que ne peut un peuple fidèle dans une position si critique! Les habitants du Tyrol, bien dignes de toute notre admiration, viennent de nous en donner un exemple récent. C’est à nous à les imiter, à les surpasser même s’il est possible, non par des paroles, mais par des faits dignes de nous et de notre honneur national. Habitants de la Bohême, il y va du salut de notre empereur bien-aimé, de son trône, de l’honneur de la nation et de la patrie entière! Que faut-il davantage pour nous enflammer, et pour nous rendre nuls toute espèce de sacrifices! Bohémien moi-même par la naissance, je m’enorgueillis et m’estime trop heureux d’avoir été placé à pareille époque à la tête de ce royaume, et d’entrer par ma nomination à la place de commissaire-général du pays, en liaisons plus étroites avec mes chers compatriotes, et pouvoir leur donner la preuve et l’exemple même qu’aucun sacrifice ne me coûtera pour le meilleur, le plus juste et le plus vertueux des princes. Peuple de Bohême, nous vivons heureux sous le plus doux des sceptres, les ressources de notre royaume sont grandes, employons-les de la plus noble manière : argent, vivres, chevaux, armes, nous devons tout consacrer avec joie à la défense de notre patrie ; de tous côtés s’élèveront des légions de nos braves milices, de tous côtés portons-leur assistance, en argent, en fruits, en chevaux, et tout ce qui est nécessaire à la vie. Qu’un seul sentiment nous anime, l’union est le seul moyen de parvenir à notre but, et d’attendre avec tranquillité les événements. Dans peu de jours je me rends à l’armée d’après les ordres de S.M. Elle a pourvu paternellement à mon remplacement à la tête des affaires : et à mon nouveau poste, je me consacrerai toujours, de même qu’ici, au bien-être de mon pays : sur que de toute part les secours, tant en argent qu’en toute autre espèce, seront offerts, j’en fais mon rapport, et en donné connaissance à M. le comte de Kolowrath, auquel je confie la présidence de la régence du pays. Habitants de la Bohême, notre fameux héros, notre cher archiduc Charles est à la tête de l’armée ; que cela vivifie notre courage! Dieu protégera la juste cause! Cette pensée doit nous faire attendre l’avenir avec tranquillité ; pour Dieu et l’empereur François il n’y a rien d’impossible! Pénétrons-nous de celle idée, qu’elle soit notre plus chère espérance, et le ressort le plus puissant pour nous exciter à employer tous les moyens de défense en notre pouvoir pour le soutien d’un gouvernement juste, doux et paternel.

Prague, ce 28 avril 1809.

Le comte DE WALLIS.

N° II.

Lettre de M. le comte de Goess, intendant-général de l’armce d’Italie, à M. le comte de Zichy.

Au quatier-général en Allemagne, datée de Conegliano, le 22 avril 1809.

Monsieur le comte, jusqu’ici j’ai toujours été fidèle à mes principes si conçus, de ne placer dans les affaires d’autres personnes que celles que le gouvernement français avait déjà placées, à moins que ces dernières aient abandonné leur poste. Par cette même raison, je suis obligé de placer le commandeur de l’Ordre de Malte, M. Antoine Miari, comme préfet à Bellune, vu qu’il a pour lui les voix des bien intentionnés, qu’il jouit d’une considération publique, et qui, par l’acceptation de cette place, augmentera sûrement les dispositions favorables pour notre gouvernement. Mais les progrès rapides de l’armée exigeront bientôt l’augmentation des employés supérieurs, pour faire aller les affaires. Je pense que, quand nous aurons passé le Mincio, nous placerons un de ces employés pour l’intendance des pays en-deçà du Mincio, et je me suis déjà occupé des intendants à placer dans la Lombardie, le pays de Parme, de Modène, de Cènes, du Piémont, de la Toscane et les États ecclésiastiques. Il s’entend que pour de pareilles places, on ne pourra se servir avec succès que de personnes d’un mérite reconnu, douées de connaissances profondes dans les affaires et des provinces occupées. Je ne rappellerai jamais, sans la dernière nécessité, quelques préposés de cercles de leurs postes, je préfère en prendre parmi les hommes du pays auxquels je pourrais accorder avec sûreté une plus grande influence dans les affaires. Mais V. Exc. me permettra d’agir dans ce dernier cas avec la plus grande circonspection et connaissance parfaite des individus à placer. Je sens qu’il est de la dernière importance de gagner l’opinion publique par le choix des personnes à porter aux places supérieures ; mais si je n’en trouve pas d’assez sûres, je crois convenable de priver l’intérieur momentanément de quelques hommes habiles dans les affaires, trouvant à les remplacer plus facilement, que de courir les risques de faire des impressions dangereuses par des choix malheureux (1). J’ai l’honneur, etc.

Signé, comte DE GOESS, intendant-général.

(1) M. l’intendant général de Goess, qui voulait déjà organiser à l’autrichienne les États ecclésiastiques, le Piémont, le royaume d’Italie, fut, quatre jours après, fait prisonnier à Padoue, avec ses quatre voitures, ses archives, ses secrétaires. On a saisi sur lui des papiers très-suspects, tendant à démontrer des intentions qui ne sont autorisées ni par la guerre, ni par l’honneur, et on l’a envoyé à Fenestrelle.

Le vice-roi, commandant en chef l’armée d’Italie, mande au ministre de la guerre que le 10 avril, l’archiduc Jean fit remettre aux avant-postes la lettre ci-jointe (N°I). A peine était-elle parvenue, qu’on apprit que tous les avant-postes avaient été attaqués, et une douzaine d’hussards enlevés. Le lendemain, l’archiduc publia la proclamation ci-jointe ( n° II). Il n’y avait dans le Frioul que les divisions Boursier et Seras. Le vice-roi pensa qu’il devait se replier pour aller au-devant de ses différentes divisions. Il rencontra la division Grenier et la division italienne Sevaroli à Sacile, et il jugea convenable le 16 d’engager une affaire entre Pardenone et Sacile. La superbe cavalerie de l’armée d’Italie, beaucoup plus nombreuse que celle de l’ennemi, devait être arrivée, mais la crue des rivières et le débordement des torrents retardèrent sa marche, et les ordres du vice-roi n’arrivèrent pas assez à temps pour contremander le mouvement ; les troupes étaient engagées et la cavalerie se trouvait encore à une marche en arrière. On se battit toute la. journée avec avantage ; mais le soir, la cavalerie ennemie ayant fait un mouvement sur la Livenza, le vjce-roi pensa qu’il avait pour objet de couper sa retraite, et il repassa la Livenza et la Piave. La perte de l’ennemi devait être considérable, et la notre n’aurait été qu’égale à la sienne, si le général Sahuc, commandant la veille l’avant-garde ne s’était laissé surprendre les chevaux de ses hussards, dessellés et débridés, et n’avait laissé entourer de tous côtés le régiment d’infanterie qu’il avait avec lui. L’Empereur a ordonné que cette négligence serait l’objet d’un examen particulier. Un général d’avant-garde qui se couche dans un lit, au lieu de se coucher sur de la paille dans son bivouac, est coupable. Nous avons eu la douleur de perdre trois bataillons du 35e régiment, qui ont été presqu’entièrement faits prisonniers. L’armée se plaint des hussards du 6e et des chasseurs du 8e, qui, amollis par les délices de l’Italie, ne savent plus faire le service des avant-postes. Une division de 10,000 hommes, partie de Toscane, ne devait arriver que le 25 à Véronne ; elle était composée d’excellentes troupes ; le vice-roi jugea donc devoir prendre la position de Caldero et de l’Adige, en laissant des garnisons à Palma-Nuova, à Osopo et à Venise. Cependant l’archiduc Jean, rappelé au secours de sa capitale, commença sa retraite le 30 avril. Le vice-roi, dont l’armée était en bon état et parfaitement organisée, et qui, du haut de l’excellente position de Caldero, menaçait l’ennemi, de l’œil, ne le vit pas plutôt en retraite, qu’il fondit sur lui. Le 30, dans une reconnaissance ou le général Sorbier a été grièvement blessé, il lui avait tué beaucoup de monde, et fait 600 prisonniers. Vicence, Trévise, Padoue ont été reprises en un instant, et la Brenta a été repassée avec la plus grande activité, en faisant éprouver à l’ennemi une perte de 300 hommes tués et de 1100 prisonniers. L’ennemi, poursuivi plus promptement qu’il ne s’y attendait, et repoussé plus vite qu’il n’était venu, se mit en bataille au-delà de la Piave, ayant sa gauche aux montagnes et sa droite au chemin de Conegliano. Le vice-roi saisit rapidement le défaut de cette disposition, il forma une avant-garde de 5,000 voltigeurs, commandée par le général Dessaix, la fit soutenir par sa cavalerie forte de 10,000 hommes, passa la Piave le 8, et déborda l’ennemi entre le chemin de Conegliano et la mer. L’avant-garde fut appuyée par les corps des généraux Grenier et Macdonald, et l’armée ennemie fut mise dans le plus grand désordre. Seize pièces de canon attelées, trente caissons, le général Wolfski, commandant la cavalerie, tué, deux autres généraux morts de leurs blessures, le général Hager et le général commandant l’artillerie pris, un nombre considérable d’hommes tués, et 4,000 prisonniers sont les trophées de cette journée. Le 9, le quartier-général était à Conegliano, et marchait à grands pas sur le Tagliamento. Ce nuage qui obscurcit momentanément les affaires d’Italie, a donné à l’Empereur l’occasion de connaître les sentiments secrets des Italiens. L’ennemi, dans les lettres qu’on a interceptées, se plaint lui-même d’avoir trouvé tous les sujets du royaume d’Italie dévoués à Napoléon. Vicence, Trévise, Udine, ont rivalisé dans les témoignages de leur affection : elles ont froidement accueilli l’ennemi, et n’ont pas montré un seul moment qu’elles ne fussent assurées d’en être bientôt délivrées. On dit que quelques mauvais sujets de Padoue ont seuls mérité d’être exclus de cet honorable témoignage. Lorsqu’on sut à Milan la première nouvelle de la bataille d’Abensberg, et lorsque l’écuyer de S.M., Cavaletti, y apporta celles des victoires d’Eckmûlh et de Ratisbonne, l’allégresse des peuples fut telle, qu’il n’est pas possible de la décrire.

N° I.

A monsieur le commandant des avant-postes francais.

D’après une déclaration de S.M. l’empereur d’Autriche à l’empereur Napoléon, je préviens monsieur le commandant des avant-postes français, que j’ai l’ordre de me porter en avant avec toutes les troupes que je commande, et de traiter en ennemi toutes celles qui me feront résistance.Du quartier-général de Malborgete, le 9 avril 1809.

Signé JEAN, archiduc d’Autriche.

N° II.

Proclamation.

Italiens, écoutez la vérité et la raison ; elles vous disent que vous êtes les esclaves de la France, que vous prodiguez pour elle votre or et votre sang. Le royaume d’Italie n’est qu’un songe, un vain nom. La conscription, les charges, les oppressions de tout genre, la nullité de votre existence politique, voilà des faits. La raison vous dit encore que, dans un tel état d’abaissement, vous ne pouvez être ni respectés, ni tranquilles, ni Italiens. Voulez-vous l’être une fois? Unissez vos forçes, vos bras et vos cœurs aux armes généreuses de l’empereur François. En ce moment il fait descendre une armée imposante en Italie : il l’envoie, non pour satisfaire une vaine soif de conquêtes, mais pour se défendre lui-même, et assurer l’indépendance de toutes les nations de l’Europe, menacées par une série d’opérations consécutives qui ne permettent pas de révoquer en doute un esclavage inévitable. Si Dieu protège les vertueux efforts de l’empereur François et ceux de ses puissants alliés, l’Italie redeviendra heureuse et respectée en Europe, le chef de la religion recouvrera sa liberté, ses États ; et une constitution fondée sur la nature et sur la vraie politique, rendra le sol italien fortuné et inaccessible à toute force étrangère. C’est François qui vous promet une si heureuse, une si brillante existence. L’Europe sait que la parole de François, est sacrée, immuable autant que pure ; c’est le ciel qui a parlé par sa bouche. Éveillez-vous donc, Italiens! levez-vous ; de quelque parti que vous ayez été ou que vous soyez, ne craignez rien, pourvu que vous soyez Italiens. Nous ne venons pas à vous pour rechercher, pour punir, mais pour vous secourir, pour vous délivrer. Voudriez-vous rester dans l’état abject où vous êtes? Ferez-vous moins que les Espagnols, que cette nation de héros, chez laquelle les faits ont répondu aux paroles? Aimez-vous moins qu’elle vos fils, votre sainte religion, l’honneur et le nom de votre nation? Abhorrez-vous moins qu’elle la honteuse servitude qu’on a voulu vous imposer avec des paroles engageantes et des dispositions si contraires à ces paroles? Italiens, la vérité, la raison vous disent qu’une occasion aussi favorable de secouer le joug étendu sur l’Italie ne se représentera plus jamais ; elles vous disent que, si vous ne les écoutez pas, vous courrez le risque, quelle que soit l’armée victorieuse, de n’être autre chose qu’un peuple conquis, un peuple sans nom et sans droits ; que si, au contraire, vous vous unissez fortement à vos libérateurs, que si vous êtes avec eux victorieux, l’Italie renaît, elle reprend sa place parmi les grandes nations du monde, et ce qu’elle fut déjà, elle peut redevenir la première. Italiens, un  meilleur sort est entre vos mains! Dans ces mains qui portèrent le flambeau des lumières dans toutes les parties du monde, et rendirent à l’Europe, tombée dans la barbarie, les sciences, les arts et les mœurs. Milanais, Toscans, Vénitiens, Piémontais, et vous peuples de l’Italie entière, rappelez-vous bien le temps de votre ancienne existence : ces jours de paix et de prospérité peuvent revenir plus beaux que jamais, si votre conduite vous rend dignes de cet heureux changement. Italiens, vous n’avez qu’à le vouloir, et vous serez Italiens! Aussi glorieux que vos ancêtres heureux, et satisfaits autant que vous l’ayez jamais été à la plus belle époque de votre histoire.

Signé JEAN, archiduc d’Autriche. Cntresigné PIERRE, comte de Goess, intendant-général.

Voici un détail succinct des événements militaires qui se sont passés dans la grand-duché de Varsovie. L’archiduc Ferdinand fit notifier, le 11 avril, la lettre ci-jointe (N° I) au prince Poniatowski, commandant le corps d’armée du grand-duché. Le même jour il publia la proclamation ci-jointe ( N° II ). Le 16, il entra sur le territoire du grand-duché. Le 19, il fit attaquer les troupes du grand-duché en avant de Fallenti : il fut repoussé trois fois, et le prince Poniatowski resta maître du champ de bataille : pendant la nuit, ne jugeant pas ses forces suffisantes, ce prince se replia sur Varsovie. L’archiduc Ferdinand demanda une entrevue, se montrant disposé à consentir à un arrangement, pour reconnaître la neutralité de la ville de Varsovie. Le 20, ou convint à cet effet d’un armistice de vingt- quatre heures, et le 21, la convention ci -jointe  (N°III) fut signée. Après cette singulière convention, où l’avantage resta entièrement au prince Poniatowski, puisqu’il conserva Praga, Sierock, Modlin, toute son artillerie, son armée et ses excellentes positions de la rive droite de la Vistule, ce prince imagina le 25, de manœuvrer sur la rive gauche : il attaqua l’ennemi sur tous les points, lui tua beaucoup de monde et lui fit environ 700 prisonniers. Le 3 mai, à deux heures du matin, il attaqua la tête de pont que l’ennemi avait construite à Gora, l’enleva à la baïonnette, fit 2000 prisonniers, prit 3 pièces de canon et 2 drapeaux. Le lieutenant-général Schaurott qui commandait, n’eut que le temps de se sauver dans une nacelle. Les troupes du grand-duché se trouvèrent ainsi maîtresses de la rive droite de la Vistule, et entrèrent en Gallicie, où elles occupèrent les cercles de Stanislavow, de Salce et de Biala. Le prince Poniatowski a montré beaucoup d’activité et d’habileté dans ses dispositions. Peu de jours après arrivèrent les nouvelles des victoires remportées par l’Empereur Napoléon sur les Autrichiens. Le général comte Bronikoski, commandant de Praga, pour en informer la ville de Varsovie, éleva, à la fin du jour, un transparent sur lequel elles étaient écrites. Les habitants se portèrent en foule sur la rive, et, pendant toute la nuit, les Autrichiens entendirent la ville retentir des cris de vive l’Empereur Napoléon ; et, malgré les violences qu’ils exerçaient sur le peuple, beaucoup de maisons furent illuminées. Le meilleur esprit régnait dans tout le grand-duché. De nouvelles levées s’effectuaient avec rapidité, et déjà l’arrière-ban se mettait en marche. L’armée ne faisait qu’imiter les sentiments des autres citoyens de toutes les classes. Un officier ayant été envoyé en parlementaire pour l’échange de quelques prisonniers, le général autrichien ne voulut lui parler qu’en allemand. Il savait cette langue ; mais il dit qu’il l’ignorait. Le général lui répondit que l’Allemagne était plus près du grand-duché que la France. Non, Monsieur, répliqua l’officier, la France est plus près de nous, car elle remplit nos cœurs, et l’Empereur Napoléon est notre âme et notre Dieu protecteur. L’invasion de l’archiduc Ferdinand a doublé l’armée du grand-duché, et a considérablement affaibli la sienne. Il n’a pu partir que le 12 pour rétrograder et venir secourir Vienne ; et déjà, depuis deux jours, l’armée française occupait cette capitale. Il ne pourra rejoindre l’archiduc Charles que le 4 juin, et alors il y aura eu d’autres événements.

N° I.

A M. le Prince de Poniatowski, ministre de la guerre, général de division, etc., etc.

Au quartier-général de Wisokin, le 14 avril 1809, à 7 heures du soir.

D’apres une déclaration de S.M.I. l’empereur d’Autriche à S.M. l’empereur Napoléon, je préviens M. le prince de Poniatowski, que j’ai l’ordre de me porter dans le duché de Varsovie avec les troupes que je commande, et de traiter en ennemi toutes celles qui s’opposent à ma marche. J’ai fait part de cette mesure à vos avant-postes, en les prévenant que dans douze heures je me mets en mouvement. Agréez., M. le Prince, l’assurance de ma considération très-distinguée.

Le commandant en chef de l’armée impériale autrichienne, Signé FERDINAND, général.

Pour copie conforme, Le général de division, ministre de la guerre, JOSEPH, prince PONIATOWSKI.

N° II.

Proclamation de l’archiduc Ferdinand.

Habitants du duché de Varsovie, j’entre les armes à la main sur votre territoire, mais point comme votre ennemi ; c’est vous qui déterminerez, par voire conduite, l’usage des forces militaires que je commande. Je viens vous protéger ou vous combattre ; c’est à vous à choisir. Je vous déclare que S.M. l’empereur d’Autriche ne fait la guerre qu’à l’empereur Napoléon, et que nous sommes les amis de tous ceux qui ne défendent pas sa cause. Nous combattons l’empereur Napoléon, parce que nous trouvons dans la guerre une sûreté que nous avons inutilement espérée d’une paix qui toujours a facilité ses vues ambitieuses ; nous lui faisons la guerre, parce que chaque jour augmente le nombre de ses usurpations, qu’il semble vouloir réduire en système politique ; nous lui faisons la guerre, parce que ses forces, augmentées de celles de tous les peuples qu’il subjugue, et qu’il avilit jusqu’au point d’en faire les aveugles instruments de son despotisme, menacent notre indépendance et nos propriétés, parce qu’enfin nous voulons, en assurant notre propre existence, en rendre une à ceux qui l’ont perdue, et en réintégrant chacun dans les droits qui lui ont été enlevés, rétablir l’ordre en Europe, et lui donner le repos qu’elle sollicite. Mais pourquoi dire les raisons que nous avons de faire la guerre à l’empereur Napoléon? Le monde les connaît. L’Allemagne, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, cet allié toujours fidèle de la France, tous attestent et sentent les motifs qui nous font prendre les armes. C’est à vous en particulier que je m’adresse, à vous, habitants du duché de Varsovie ; et je vous le demande, jouissez-vous du bonheur que vous a promis l’empereur des Français? Votre sang, qui a coulé sous les murs de Madrid, a-t-il coulé pour vos intérêts? Répondez! Qu’ont de commun le Tage et la Vistule? Et la valeur de vos soldats a-t-elle servi à rendre votre destinée plus heureuse? Leur courage a mérité des éloges ; mais ne vous y méprenez pas, ces éloges, pour être justes et mérités, n’en sont pas moins trompeurs. L’empereur Napoléon a besoin de vos troupes pour lui et non pour vous. Vous faites le sacrifice de vos propriétés et de vos soldats à des intérêts qui, loin d’être les vôtres, leur sont entièrement opposés, et dans ce moment vous êtes, comme ses alliés, livrés sans défense à la supériorité de nos armes, tandis que l’élite de vos troupes arrosent de leur sang les terres de la Castille et de l’Arragon. Habitants du duché de Varsovie, je vous le répète, nous ne sommes point vos ennemis ; ne livrez donc pas, pour une défense inutile, votre pays à toutes les rigueurs de la guerre ; car je vous déclare que si vous résistez, je vous traiterai d’après tous les droits que donne la guerre. Si, au contraire, fidèles à vos véritables intérêts, vous me recevez en ami, S.M. l’empereur d’Autriche vous prend sous sa protection spéciale, et je n’exigerai de vous que les objets nécessaires à la sûreté de mes armes et à la subsistance de mon armée. Fait au quartier-général d’Odryvot, le 14 avril 1809.

Archiduc FERDINAND, général en chef.

N° III.

CONVENTION.

V.A.I. et R. ayant manifesté le désir d’établir et reconnaître la neutralité de la ville de Varsovie, et cette neutralité ne pouvant s’effectuer que par l’évacuation libre qu’en ferait le corps des troupes alliées et combinées sous mes ordres, cet arrangement pourrait être renfermé dans les articles suivans :

ART. Ier. Il y aura suspension d’hostilités pendant dix jours.

II. Pendant ce délai, ce corps d’armée évacuera, avec le personnel et le matériel, la ville de Varsovie.

III. Pendant ce délai, l’armée autrichienne gardera les mêmes positions qu’elle occupe, et pour prévenir tout prétexte qui pourrait rompre l’harmonie, il ne pourra venir à Varsovie que des officiers parlementaires de l’armée autrichienne.

IV. Après ce délai, il ne pourra être imposé à la ville aucune contribution extraordinaire.

Réponse aux articles l,II, III et IV.

Il y aura suspension d’hostilités pendant deux fois vingt-quatre heures, à compter de ce soir à cinq heures. Pendant ce délai, toute l’armée combinée combattante évacuera la ville de Varsovie. Il est accordé ; à dater de la même époque, un sursis de cinq fois vingt-quatre heures à tous les employés et non combattants de cette armée pour quitter cette ville. M. le prince de Poniatowski voudra bien en communiquer la dénomination.

V. Les personnes, les propriétés et les cultes seront respectés. Convenu.

VI. Les malades et convalescents saxons, polonais et français seront confiés à la loyauté de l’armée autrichienne ; et à leur guérison, ils recevront des feuilles de route et moyens de transports pour rejoindre leurs corps respectifs. Convenu.

VII. Il sera accordé par S.A.I.R. l’archiduc commandant les forces autrichiennes, au ministre, résident de France accrédité auprès du duc et gouvernement du duché, les passeports et sauve-gardes pour sa personne, papiers, effets et personnes attachées à sa mission, pour se rendre ou il jugera convenable de se retirer. Convenu.

VIII. Les officiers, soldats et employés français qui se trouvent à Varsovie, seront libres de suivre la résidence de France avec effets et bagages, et recevront les passeports et moyens de sûreté, ainsi que les vivres, fourrages et transports. Convenu.

Article additionnel. Au moment de l’échange des présens articles, on se donnera de part et d’autre des officiers supérieurs comme otages, jusqu’à l’expiration de l’armistice. Fait et convenu entre les soussignés généraux en chef des deu armées, sur la ligne des postes avancés respectifs, ce 21 avril 1809, à……… heures du matin.

Le général commandant en chef l’armée autrichienne, Signé, A. D. FERDINAND, général en chef.

Le général commandant en chef le corps d’armée des troupes alliées et combinées dans le duché de Varsovie, Signé, JOSEPH, prince PONIATOWSKI.