1806 – Vingt-Neuvième Bulletin de la Grande Armée

Berlin, 9 novembre 1806

La brigade de dragons du général Beker a paru aujourd’hui à la parade.

Sa Majesté, voulant récompenser la bonne conduite des régiments qui la composent, a fait différentes promotions.

Le maréchal Bessières - Raffet - Marco Saint-Hilaire
Le maréchal Bessières, duc d’Istrie- Raffet – Marco Saint-Hilaire

Mille dragons qui étaient venus à pied à l’armée, et qui ont été montés au dépôt de Potsdam, ont passé hier la revue du maréchal Bessières; ils ont été munis de quelques objets d’équipement qui leur manquaient, et ils partent aujourd’hui pour rejoindre leurs corps respectifs, pourvus de bonnes selles et montés sur de bons chevaux, fruits de la victoire.

Sa Majesté a ordonné qu’il serait frappé une contribution de cent cinquante millions sur les Etats prussiens et sur ceux des alliés de la Prusse.

Après la capitulation du prince de Hohenlohe, le général Blücher, qui le suivait, changea de direction et parvint à se réunir à la colonne du duc de Weimar, à laquelle s’était jointe celle du prince Frédéric Guillaume Brunswick-OEls, fils du duc de Brunswick. Ces trois divisions se trouvèrent ainsi sous les ordres du général Blücher. Différentes petites colonnes se joignirent également à ce corps.

Pendant plusieurs jours, ces troupes essayèrent de pénétrer par des chemins que les Français pouvaient avoir laissés libres; mais les marches combinées du grand-duc de Berg, du maréchal Soult et du prince de Ponte-Corvo avaient obstrué tous les passages.

L’ennemi tenta d’abord de se porter sur Anklam , et ensuite sur Rostock : prévenu dans l’exécution de ce projet, il essaya de revenir sur l’Elbe; mais, s’étant trouvé encore prévenu, il marcha devant lui pour gagner Lubeck.

Jean-Baptiste Bernadotte
Le maréchal Jean-Baptiste Bernadotte, prince de Ponte-Corvo en 1806

Le 4 novembre, il prit position à Grevismühlen; le prince de Ponte-Corvo culbuta l’arrière-garde; mais il ne put entamer ce corps, parce qu’il n’avait que 600 hommes de cavalerie et que celle de l’ennemi était beaucoup plus forte. Le général Watier a fait dans cette affaire de très-belles charges, soutenu par les généraux Pacthod et Maison, avec le 27e régiment d’infanterie légère et le 8e de ligne.

On remarque dans les différentes circonstances de ce combat, qu’une compagnie d’éclaireurs du 94e régiment, commandée par le capitaine Razout, fut entourée par quelques escadrons ennemis ; mais les voltigeurs francais ne redoutent point le choc des cuirassiers prussiens; ils les reçurent de pied ferme et firent un feu si bien nourri et si adroitement dirigé, que l’ennemi renonça à les enfoncer. On vit alors les voltigeurs à pied poursuivre la cavalerie à toute course. Les Prussiens perdirent 7 pièces de canon et 1,000 hommes.

Mais, le 4 au soir, le grand-duc de Berg, qui s’était porté sur la droite, arriva avec sa cavalerie sur l’ennemi, dont le projet était encore incertain. Le maréchal Soult marcha par Ratzeburg. Le prince de Ponte-Corvo marcha par Rehna ; il coucha du 5 au 6 à Schoenberg, d’où il partit à deux heures après minuit. Arrivé à Schlutup sur la Trave, il fit environner un corps de 1,600 Suédois, qui avaient enfin jugé convenable d’opérer leur retraite du Lauenbourg pour s’embarquer sur la Trave. Des coups de canon coulèrent les bâtiments préparés pour l’embarquement. Les Suédois, après avoir riposté, mirent bas les armes.

Un convoi de 300 voitures, que le général Savary avait poursuivi de Wismar, fut enveloppé par la colonne du prince de Ponte-Corvo et pris.

Cependant l’ennemi se fortifiait à Lubeck. Le maréchal Soult n’avait pas perdu de temps dans sa marche de Ratzeburg ; de sorte qu’il arriva à la porte de Müllen lorsque le prince de Ponte-Corvo arrivait à celle de la Trave. Le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, était entre deux.

L’ennemi avait arrangé à la hâte l’ancienne enceinte de Lubeck; il avait disposé des batteries sur les bastions; il ne doutait pas qu’on ne pût gagner là une journée : mais le voir, le reconnaître et l’attaquer fut l’affaire d’un instant.

Le général Drouet, à la tête du 27e régiment d’infanterie légère des 94e et 95e régiments, aborda les batteries avec ce sang-froid, cette intrépidité, qui appartiennent aux troupes françaises. Les portes sont aussitôt enfoncées, les bastions escaladés, l’ennemi mis fuite, et le corps du prince de Ponte-Corvo entre par la porte de la Trave.

Les chasseurs corses, les tirailleurs du Pô et le 26e d’infanterie légère, composant la division d’avant-garde du général Legrand, qui n’avaient point encore combattu dans cette campagne, et qui étaient impatients de se mesurer avec l’ennemi, marchèrent avec la rapidité de l’éclair : redoutes, bastions, fossés, tout est franchi; et le corps du maréchal Soult entre par la porte de Müllen.

Ce fut en vain que l’ennemi voulut se défendre dans les rues, dans les places; il fut poursuivi partout. Toutes les rues, toutes les places furent jonchées de cadavres. Les deux corps d’armée, arrivant des deux côtés opposés, se réunirent au milieu de la ville. A peine le grand-duc de Berg put-il passer, qu’il se mit à la poursuite des fuyards. 4,000 prisonniers, 60 pièces de canon , plusieurs généraux, un grand nombre d’officiers tués ou pris, tel est le résultat de cette belle journée.

Le 7, avant le jour, tout le monde était à cheval, et le grand-duc de Berg cernait l’ennemi près de Schwartau avec la brigade Lasalle et la division de cuirassiers d’Hautpoul. Le général Blücher, le prince Frédéric-Guillaume de Brunswick-OEls et tous les généraux se présentent alors aux vainqueurs, demandent à signer une capitulation, et défilent devant l’armée française.

Ces deux journées ont détruit le dernier corps qui restait de l’armée prussienne, et nous ont valu le reste de l’artillerie de cette armée, beaucoup de drapeaux et 16,000 prisonniers, parmi lesquels se trouvent 4,000 hommes de cavalerie.

Ainsi ces généraux prussiens qui, dans le délire de leur vanité, s’étaient permis tant de sarcasmes contre les généraux autrichiens, ont renouvelé quatre fois la catastrophe d’Ulm : la première, par la capitulation d’Erfurt; la seconde, par celle du prince de Hohenlohe; la troisième, par la reddition de Stettin, et la quatrième, par la capitulation de Schwartau.

La ville de Lubeck a considérablement souffert : prise d’assaut, ses places, ses rues ont été le théâtre du carnage. Elle ne doit s’en prendre qu’à ceux qui ont attiré la guerre dans ses murs.

Le Mecklenburg a été également ravagé par les armées francaises et prussiennes. Un grand nombre de troupes, se croisant en tout sens et à marches forcées sur ce territoire, n’a pu trouver sa subsistance qu’aux dépens de cette contrée. Ce pays est intimement lié avec la Russie; son sort servira d’exemple aux princes d’Allemagne qui cherchent des relations éloignées avec une puissance à l’abri des malheurs qu’elle attire sur eux, et qui ne fait rien pour secourir ceux qui lui sont attachés par les liens les plus étroits du sang et par les rapports les plus intimes. L’aide de camp du grand-duc de Berg, Dery, a fait capituler le corps qui escortait les bagages qui s’étaient retirés derrière la Peene; les Suédois ont livré les fuyards et les caissons. Cette capitulation a produit 1,500 prisonniers et une grande quantité de bagages et de chariots. Il y a aujourd’hui des régiments de cavalerie qui possèdent plusieurs centaines de milliers d’écus.

Le maréchal Ney, chargé du siège de Magdeburg, a fait bombarder cette place. Plusieurs maisons ayant été brûlées, les habitants ont manifesté leur mécontentement, et le commandant a demandé à capituler. Il y a dans cette forteresse beaucoup d’artillerie, des magasins considérables, 16,000 hommes appartenant à plus de 70 bataillons, et beaucoup de caisses des corps.

Pendant ces événements importants, plusieurs corps de notre armée arrivent sur la Vistule.

La malle de Varsovie a apporté beaucoup de lettres de Russie qui ont été interceptées. On y voit que, dans ce pays, les fables des journaux anglais trouvent une grande croyance : ainsi l’on est persuadé, en Russie, que le maréchal Masséna a été tué, que la ville de Naples s’est soulevée, qu’elle a été occupée par les Calabrais, que le Roi s’est réfugié à Rome, et que les Anglais, avec 5 à 6,000 hommes, sont maîtres de l’italie. Il ne faudrait cependant qu’un peu de réflexion pour rejeter de pareils bruits. La France n’a-t-elle donc plus d’armée en Italie ? Le roi de Naples est dans sa capitale; il a 80,000 Français; il est maître des deux Calabres; et, à Pétersbourg, on croit les Calabrais à Rome ! Si quelques galériens armés et endoctrinés par cet infâme Sidney Smith, la honte des braves militaires anglais, tuent des hommes isolés, égorgent des propriétaires riches et paisibles, la gendarmerie et l’échafaud en font justice. La marine anglaise ne désavouera point le titre d’infâme donné à Sidney Smith. Les généraux Stuart et Fox, tous les officiers de terre, s’indignent de voir le nom anglais associé à des brigands. Le brave général Stuart s’est même élevé publiquement contre ces menées aussi impuissantes qu’atroces, et qui tendent à faire du noble métier de la guerre un échange d’assassinats et de brigandage. Mais, quand Sidney Smith a été choisi pour seconder les fureurs de la Reine, on n’a vu en lui qu’un de ces instruments que les gouvernements emploient trop souvent, et qu’ils abandonnent au mépris qu’ils sont les premiers à avoir pour eux. Les Napolitains feront connaître un jour avec détail les lettres de Sidney Smith, les missions qu’il a données, l’argent qu’il a répandu pour l’exécution des atrocités dont il est l’agent en chef.

On voit aussi dans les lettres de Pétersbourg, et même dans les dépêches officielles, qu’on croit qu’il n’y a plus de Français dans l’Italie supérieure: on doit savoir cependant qu’indépendamment de l’armée de Naples il y a encore en Italie 100,000 hommes prêts à punir ceux qui voudraient y porter la guerre. On attend aussi à Pétersbourg des succès de la division de Corfou; mais on ne tardera pas à apprendre que cette division, à peine débarquée aux bouches de Cattaro, a été défaite par le général Marmont, qu’une partie a été prise, et l’autre rejetée dans ses vaisseaux. C’est une chose fort différente d’avoir affaire à des Français ou à des Turcs que l’on tient dans la crainte et dans l’oppression, en fomentant avec art la discorde dans les provinces.

Mais, quoi qu’il en puisse être, les Russes ne seront point embarrassés pour détourner d’eux l’opprobre de ces résultats. Un décret du Sénat Dirigeant a déclaré qu’à Austerlitz ce n’étaient point les Russes, mais leurs alliés, qui avaient été battus. S’il y a sur la Vistule une nouvelle bataille d’Austerlitz, ce sera encore d’autres qu’eux qui auront été vaincus, quoique aujourd’hui, comme alors, leurs alliés n’aient point de troupes à joindre à leurs troupes, et que leur armée ne puisse être composée que de Russes.

Les états de mouvement et ceux des marches de l’armée russe sont tombés dans les mains de l’état-major francais. Il n’y aurait rien de plus ridicule que les plans d’opérations des Russes, si leurs vaines espérances n’étaient plus ridicules encore.

Le général Lagrange a été déclaré gouverneur général de Cassel et des États de Hesse.

Le maréchal Mortier s’est mis en marche pour le Hanovre et pour Hambourg avec son corps d’armée.

Le roi de Hollande a fait bloquer Hameln.

Il faut que cette guerre soit la dernière, et que ses auteurs soient si sévèrement punis, que quiconque voudra désormais prendre les armes contre le peuple français sache bien, avant de s’engager dans une telle entreprise, quelles peuvent en être les conséquences.