1806 – Vingt-et-Unième bulletin de la Grande Armée
Berlin, 28 octobre 1806

L’Empereur a fait hier 27 une entrée solennelle à Berlin. Il était environné du prince de Neufchâtel, des maréchaux Davout et Augereau, de son grand maréchal du palais, de son grand écuyer et de ses aides de champ. Le maréchal Lefebvre ouvrait la marche à la tête de la Garde impériale à pied. Les cuirassiers de la division Nansouty étaient en bataille sur le chemin. L’Empereur marchait entre les grenadiers et les chasseurs à cheval de sa Garde. Il est descendu au palais à trois heures après midi; il y a été reçu par le grand maréchal du palais, Duroc. Une foule immense était accourue sur son passage. L’avenue de Charlottenburg à Berlin est très-belle; l’entrée par cette porte est magnifique. La journée était superbe. Tout le corps de la ville, présenté par le général Hulin, commandant de la place, est venu à la porte offrir les clefs de la ville à l’Empereur. Ce corps s’est rendu ensuite chez Sa Majesté. Le général prince de Hatzfeld était à la tête.
L’Empereur a ordonné que les deux mille bourgeois les plus riches se réunissent à l’hôtel de ville, pour nommer soixante d’entre eux, qui formeront le corps municipal. Les vingt cantons fourniront une garde de soixante hommes chacun, ce qui fera douze cents des plus riches bourgeois, pour garder la ville et en faire la police. LEmpereur a dit au prince de Hatzfeld;
« Ne vous présentez pas devant moi; je n’ai pas besoin de vos services; retirez-vous dans vos terres. »
Il a reçu le chancelier et les ministres du roi de Prusse.
Le 28, à neuf heures du matin, les ministres de Bavière, d’Espagne, de Portugal et de la Porte, qui étaient à Berlin, ont été admis à l’audience de l’Empereur. Il a dit au ministre de la Porte d’envoyer un courrier à Constantinople pour porter des nouvelles de ce qui se passait et annoncer que les Russes n’entreraient pas aujourd’hui en Moldavie, et qu’ils n’attenteraient rien contre l’empire Ottoman. Ensuite il a reçu tout le clergé protestant et calviniste. Il y a à Berlin plus de 10 ou 12,000 Français réfugiés par suite de la révocation de l’édit de Nantes. L’Empereur a causé avec les principaux d’entre eux ; il leur a dit qu’ils avaient de justes droits à sa protection, et que leurs privilèges et leur culte seraient maintenus. Il leur a recommandé de s’occuper de leurs affaires, de rester tranquilles, et de porter obéissance et respect à César.
Les cours de justice lui ont été présentées par le chancelier. Il s’est entretenu avec les membres de la division des cours d’appel et de première instance; il s’est informé de la manière dont se rendait la justice.
M. le comte de Neale s’étant présenté dans les salons de l’Empereur, Sa Majesté lui a dit :
« Eh bien, Monsieur, vos femmes ont voulu la guerre; en voici le résultat. Vous devriez mieux contenir votre famille. »
Des lettres de sa fille avaient été interceptées :
» Napoléon, disaient ces lettres, ne veut pas faire la guerre; il faut la lui faire. »
« Non, dit Sa Majesté à M. de Neale; je ne veux pas la guerre; non pas que je me méfie de ma puissance, comme vous le pensez, mais parce que le sang de mon peuple m’est précieux, et que mon premier devoir est de ne le répandre que pour sa sûreté et sou honneur. Mais ce bon peuple de Berlin est victime de la guerre, tandis que ceux qui l’ont attirée se sont sauvés. Je rendrai cette noblesse de cour si petite, qu’elle sera obligée de mendier son. »
En faisant connaître ses intentions au corps municipal :
» J’entends, dit l’Empereur, qu’on ne casse les fenêtres de personne. Mon frère le roi de Prusse a cessé d’être roi le jour où il n’a pas fait pendre le prince Louis-Ferdinand, lorsqu’il a été assez osé pour aller casser les fenêtres de ses ministres. »
Aujourd’hui 28, l’Empereur est monté à cheval pour passer en revue le corps du maréchal Davout; demain Sa Majesté passera en revue le corps du maréchal Augereau.
Le grand-duc de Berg et les maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo sont à la poursuite du prince de Hohenlohe. Après le brillant combat de cavalerie de Zehdenick, le grand-duc de Berg s’est porté à Templin; il y a trouvé les vivres et le dîner préparé pour les généraux et les troupes prussiennes. A Gransee, le prince de Hohenlohe a changé de route et s’est dirigé sur Fürstenberg. Il est probable qu’il sera coupé de l’Oder et qu’il sera enveloppé et pris.
Le duc de Weimar est dans une position semblable vis-à-vis du maréchal Soult. Ce duc a montré l’intention de passer l’Elbe à Tangermünde pour gagner l’Oder. Le 25, le maréchal Soult l’a prévenu. S’il est joint, pas un homme n’échappera, s’il parvient à passer, il tombe dans les mains du grand-duc de Berg et des maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo. Une partie de nos troupes borde l’Oder. Le roi de Prusse a passé la Vistule.
M. le comte de Zastrow a été présenté à l’Empereur le 27, à Chalottenburg, et lui a remis une lettre du roi de Prusse.
Au moment même l’Empereur reçoit un aide de camp du prince Eugène qui lui annonce une victoire remportée sur les Russes en Albanie. (Il doit s’agir ici de la prise de Raguse par le général Lauriston)