1806 – Seizième Bulletin de la Grande Armée

Wittenberg, 23 octobre 1806

Le duc de Brunswick a envoyé son maréchal du palais à l’Empereur. Cet officier était chargé d’une lettre par laquelle le duc recommandait ses États à Sa Majesté.

Charles William Ferdinand (German: Karl Wilhelm Ferdinand, Fürst und Herzog von Braunschweig-Wolfenbüttel) (1735 – 1806), Duke of Brunswick-Wolfenbüttel,
Karl Wilhelm Ferdinand, Fürst und Herzog von Braunschweig-Wolfenbüttel (1735 – 1806),

L’Empereur lui a dit : 

« Si je faisais démolir la ville de Brunswick et si je n’y laissais pas pierre sur pierre, que dirait votre prince ? La loi du talion ne me permet-elle pas de faire à Brunswick ce qu’il voulait faire dans ma capitale ? Annoncer le projet de démolir des villes, cela peut être insensé; mais vouloir ôter l’honneur à toute une armée de braves gens, lui proposer de quitter l’Allemagne par journées d’étapes, à la seule sommation de l’armée prussienne, voilà ce que la postérité aura peine à croire. Le duc de Brunswick n’eût jamais dû se permettre un tel outrage. Lorsqu’on a blanchi sous les armes, on doit respecter l’honneur militaire; et ce n’est pas d’ailleurs dans les plaines de la Champagne que ce général a pu acquérir le droit de traiter les drapeaux français avec un tel mépris. Une pareille sommation ne déshonorera que le militaire qui l’a pu faire. Ce n’est pas au roi de Prusse que restera ce déshonneur; c’est au chef de son conseil militaire, c’est au général à qui, dans ces circonstances difficiles, il avait remis le soin des affaires; c’est enfin le duc de Brunswick, que la France et la Prusse peuvent accuser seul de la guerre. La frénésie dont ce vieux général a donné l’exemple a autorisé une jeunesse turbulente et entraîné le Roi contre sa propre pensée et son intime conviction. Toutefois, Monsieur, dites aux habitants du pays de Brunswick qu’ils trouveront dans les Français des ennemis généreux; que je désire adoucir à leur égard les rigueurs de la guerre, et que le mal que pourrait occasionner le passage des troupes serait contre mon gré. Dites au général Brunswick qu’il sera traité avec tous les égards dus à un officier prussien, mais que je ne puis reconnaître dans un général prussien un souverain. S’il arrive que la Maison de Brunswick perde la souveraineté de ses ancêtres, elle ne pourra s’en prendre qu’à l’auteur des deux guerres qui, dans l’une, voulut saper jusque dans ses fondements la grande capitale, qui, dans l’autre, prétendait déshonorer 200,000 braves qu’on parviendrait peut-être à vaincre, mais qu’on ne surprendra jamais hors du chemin de l’honneur et de la gloire. Beaucoup de sang a été versé en peu de jours; de grands désastres pèsent sur la monarchie prussienne. Qu’il est digne de blâme, cet homme qui, d’un mot, pouvait les prévenir, si, comme Nestor élevant la parole au milieu des conseils, il avait dit : Jeunesse inconsidérée, taisez-vous; femmes, retournez à vos fuseaux et rentrez dans l’intérieur de vos ménages ! Et vous, Sire, croyez-en le compagnon du plus illustre de vos prédécesseurs : puisque l’Empereur Napoléon ne veut pas la guerre, ne le placez pas entre la guerre et le déshonneur; ne vous engagez pas dans une lutte dangereuse avec une armée qui s’honore de quinze ans de travaux glorieux, et que la victoire a accoutumée à tout soumettre. Au lieu de tenir ce langage, qui convenait si bien à la prudence de son âge et à l’expérience de sa longue carrière, il a été le premier à crier aux armes ! il a méconnu jusqu’aux liens du sang, en armant un fils contre son père; il a menacé de planter ses drapeaux sur le palais de Stuttgart; et, accompagnant ces démarches d’imprécations contre la France, il s’est déclaré l’auteur de ce manifeste insensé qu’il avait désavoué pendant quatorze ans, quoiqu’il n’osât pas nier de l’avoir revêtu de sa signature. »

On a remarqué que, pendant cette conversation, l’Empereur, avec cette chaleur dont il est quelquefois animé, a répété souvent : 

« Renverser et détruire les habitations des citoyens paisibles, c’est un crime qui se répare avec du temps et de l’argent; mais déshonorer une armée, vouloir qu’elle fuie hors de l’Allemagne devant l’aigle prussienne, c’est une bassesse que celui-là seul qui la conseille était capable de commettre. »

M. de Lucchesini est toujours au quartier général. L’Empereur a refusé de le voir; mais on observe qu’il a de fréquentes conférences avec le grand maréchal du palais, Duroc.

 

L’Empereur a ordonné de faire présent, sur la grande quantité de draps anglais qui a été trouvée à Leipzig, d’un habillement complet à chaque officier, et d’une capote et d’un habit à chaque soldat.

Le quartier général est à Kropstaedt.