1806 – Quarante-Quatrième Bulletin de la Grande Armée
Varsovie, 21 décembre 1806
L’Empereur a visité hier les travaux de Praga. Huit belles redoutes, palissadées et fraisées, forment une enceinte de 1,500 toises; et trois fronts bastionnés de 600 toises de développement forment le réduit de ce camp retranché.
La Vistule est une des plus grandes rivières qui existent. Le Bug, qui est comparativement beaucoup plus petit, est cependant plus fort que la Seine. Le pont sur ce dernier fleuve est entièrement terminé. Le général Gautier, avec les 25e et 85e régiments d’infanterie, occupe la tête de pont que le général Chasseloup a fait fortifier avec intelligence, de manière que cette tête de pont, qui n’a cependant que 400 toises de développement, se trouvant appuyée à des marais et à la rivière, entoure un camp retranché qui peut renfermer, sur la rive droite, toute une armée à l’abri de toute attaque de l’ennemi. Une brigade de cavalerie légère de la réserve a tous les jours de petites escarmouches avec la cavalerie russe.

Le 18, le maréchal Davout sentit la nécessité, pour rendre son camp sur la rive droite meilleur, de s’emparer d’une petite île située à l’embouchure de la Wkra. L’ennemi reconnut l’importance de ce poste. Une vive fusillade d’avant-garde s’engagea, mais la victoire et l’île restèrent aux Français. Notre perte a été de peu d’hommes blessés. Le capitaine du génie Clouet, jeune homme de la plus grande espérance, a eu une balle dans la poitrine. Le 19, un régiment de Cosaques, soutenu par des hussards russes, essaya d’enlever la grand’garde de cavalerie légère placée en avant de la tête de pont du Bug; mais la grand’garde s’était placée de manière à être à l’abri d’une surprise. Le ler de hussards sonna à cheval. Le colonel se précipita à la tête d’un escadron, et le 13, s’avança pour le soutenir. L’ennemi fut culbuté. Nous avons eu dans cette petite affaire 3 ou 4 hommes blessés; mais le colonel des Cosaques a été tué. Une trentaine d’hommes et 25 chevaux sont restés en notre pouvoir. Il n’y a rien de si misérable et de si lâche que les Cosaques; c’est la honte de la nature humaine. Ils passent le Bug et violent chaque jour la neutralité de l’Autriche, pour piller une maison en Galicie ou pour se faire donner un verre d’eau-de-vie, dont ils sont très-friands; mais notre cavalerie légère est familiarisée, depuis la dernière campagne, avec la manière de combattre de ces misérables, qui peuvent arrêter, par leur nombre et le tintamarre qu’ils font en chargeant, des troupes qui n’ont pas l’habitude de les voir; mais, quand on les connaît, 2,000 de ces malheureux ne sont pas capables de charger un escadron qui les attend de pied ferme.
Le maréchal Augereau a passé la Vistule à Utrata. Le général Lapisse est entré à Plonsk et en a chassé l’ennemi.
Le maréchal Soult a passé la Vistule à Wyszogrod.
Le maréchal Bessières est arrivé le 18 à Kikol avec le second corps de réserve de cavalerie. La tête est arrivée à Sierpe. Différentes rencontres de cavalerie avaient eu lieu avec des hussards prussiens, dont bon nombre a été pris. La rive droite de la Vistule se trouve entièrement nettoyée.
Le maréchal Ney, avec son corps d’armée, appuie le maréchal Bessières. Il était arrivé le 18 à Rypin. Il avait lui-même sa droite appuyée par le maréchal prince de Ponte-Corvo.
Tout se trouve donc en mouvement. Si l’ennemi persiste à rester dans sa position, il y aura une bataille dans peu de jours. Avec l’aide de Dieu, l’issue n’en peut être incertaine. L’armée russe est commandée par le maréchal Kamenski, vieillard de soixante et quinze ans. Il a sous lui les généraux Bennigsen et Buxhoevden.
Le général Michelson est décidément entré en Moldavie. Des rapports assurent qu’il est entré le 29 novembre à Jassy. On assure même qu’un de ses généraux a pris d’assaut Bender et a tout passé au fil de l’épée. Voilà donc une guerre déclarée à la Porte sans prétexte ni raison; mais on avait jugé, à Saint-Pétersbourg, que le moment où la France et la Prusse, les deux puissances les plus intéressées à maintenir l’indépendance de la Turquie, étaient aux mains, devenait le moment favorable pour assujettir cette puissance. Les événements d’un mois ont déconcerté ces calculs, et la Porte leur devra sa conservation.
Le grand-duc de Berg est malade de la fièvre. Il va mieux.
Le temps est doux comme à Paris au mois d’octobre, et humide; ce qui rend les chemins difficiles. On est parvenu à se procurer une assez grande quantité de vin, pour soutenir la force du soldat.
Le palais des rois de Pologne est beau et bien meublé. Il y a à Varsovie un grand nombre de beaux palais et de belles maisons. Nos hôpitaux y sont bien établis, ce qui n’est pas un petit avantage dam ce pays. L’ennemi parait avoir beaucoup de malades; il a aussi beaucoup de déserteurs. On ne parle pas des Prussiens, car même des corps entiers ont déserté pour ne pas être, sous les Russes, obligés de dévorer de continuels affronts.