1806 – Quarante-Cinquième Bulletin de la Grande Armée
Paluki, 27 décembre 1806

Le général russe Bennigsen commandait une armée que l’on évaluait à 60,000 hommes. Il avait d’abord le projet de couvrir Varsovie; mais la renommée des événements qui s’étaient passés en Prusse lui porta conseil, et il prit le parti de se retirer sur la frontière russe. Sans presque aucun engagement, les armées françaises entrèrent dans Varsovie, passèrent la Vistule et occupèrent Praga. Sur ces entrefaites, le feld-maréchal Kamenski arriva à l’armée russe au moment même où la jonction du corps de Bennigsen avec celui de Buxhoevden s’opérait. Il s’indignait de la marche rétrograde des Russes. Il crut qu’elle compromettait l’honneur des armes de sa nation, et il marcha en avant. La Prusse faisait instances sur instances, se plaignant qu’on l’abandonnât après lui avoir promis de la soutenir, et disant que le chemin de Berlin n’était ni par Grodno, ni par Olita, ni par Brzesc; que ses sujets se désaffectionnaient; que l’habitude de voir le trône de Berlin occupé par des Français était dangereuse pour elle et favorable à l’ennemi. Non-seulement le mouvement rétrograde des Russes cessa, mais ils se reportèrent en avant. Le 5 décembre, le général Bemiigsen rétablit son quartier général à Pultusk. Les ordres étaient d’empêcher les Français de passer la Narew, de reprendre Praga et d’occuper la Vistule jusqu’au moment où l’on pourrait effectuer des opérations offensives d’une plus grande importance.
La réunion des généraux Kamenski, Buxhoevden et Bennigsen, fut célébrée au château de Sierock par des réjouissances et des illuminations qui furent aperçues du haut des tours de Varsovie.
Cependant, au moment même où l’ennemi s’encourageait par des fêtes, la Narew se passait : 800 Français jetés de l’autre côté de cette rivière, à l’embouchure de la Wkra, s’y retranchèrent cette même nuit; et, lorsque l’ennemi se présenta le matin pour les rejeter dans la rivière, il n’était plus temps; ils se trouvaient à l’abri de tout événement.
Instruit de ce changement survenu dans les opérations de l’ennemi, l’Empereur partit de Posen le 16. Au même moment, il avait mis en mouvement son armée. Tout ce qui revenait des discours des Russes faisait comprendre qu’ils voulaient reprendre l’offensive.
Le maréchal Ney était, depuis plusieurs jours, maître de Thorn. Il réunit son Corps d’armée à Gollub. Le maréchal Bessières, avec le 2e corps de la cavalerie de la réserve, composé des divisions de dragons Sahuc et Grouchy et de la division des cuirassiers d’Hautpoul, partit de Thorn pour se porter sur Biezun. Le maréchal prince de Ponte-Corvo partit avec son corps d’armée pour le soutenir. Le maréchal Soult passait la Vistule vis-à-vis de Plock; le maréchal Augereau la passait vis-à-vis de Zakroczym, où l’on travaillait à force à établir un pont; celui de la Narew se poussait aussi vivement.
Le 22, le pont de la Narew fut terminé. Toute la réserve de cavalerie passa sur-le-champ la Vistule à Praga, pour se rendre sur la Narew. Le maréchal Davout y réunit tout son corps. Le 23, à une heure du matin, l’Empereur partit de Varsovie et passa la Narew à neuf heures. Après avoir reconnu la Wkra et les retranchements considérables qu’avait élevés l’ennemi, il fit jeter un pont au confluent de la Narew et de la Wkra. Ce pont fut jeté en deux heures par les soins du général d’artillerie.
COMBAT DE NUIT DE CZARNOWO
La division Morand passa sur-le-champ pour aller s’emparer des retranchements de l’ennemi près du village de Czarnowo. Le général de brigade Marulaz la soutenait avec sa cavalerie légère. La division de dragons du général Beaumont passa immédiatement après. La canonnade s’engagea à Czarnowo. Le maréchal Davout fit passer le général Petit avec le 12e de ligne pour enlever les redoutes du pont. La nuit vint; on dut achever toutes les opérations au clair de lune, et à deux heures du matin, l’objet que se proposait l’Empereur fut empli. Toutes les batteries du village de Czarnowo, furent enlevées; Celles du pont furent prises; 15,000 hommes qui les défendaient furent mis en déroute, malgré leur vive résistance. Quelques prisonniers et six pièces de canon restèrent en notre pouvoir. Plusieurs généraux ennemis furent blessés. De notre côté, le général de brigade Boussart a été légèrement blessé. Nous avons eu peu de morts, mais près de 200 blessés.
Dans le même temps, à l’autre extrémité de la ligne d’opération, le maréchal Ney culbutait les restes de l’armée prussienne, et les jetait dans les bois de Lautenburg, en leur faisant éprouver une perle notable; le maréchal Bessières avait une brillante affaire de cavalerie, cernait trois escadrons de hussards qu’il faisait prisonniers, et enlevait plusieurs pièces de canon.
COMBAT DE NASIELSK.
Le 24, la réserve de cavalerie et le corps du maréchal Davout se dirigèrent sur Nasielsk. L’Empereur donna le commandement de l’avant-garde au général Rapp. Arrivé à une lieue de Nasielsk, on rencontra l’avant-garde ennemie.
Le général Lemarois partit avec deux régiments de dragons pour contourner un grand bois et cerner cette avant-garde. Ce mouvement fat exécuté avec promptitude. Mais l’avant-garde ennemie, voyant l’armée française ne faire aucun mouvement pour avancer, soupçonna quelque projet et ne tint pas. Cependant il se fit quelques charges, dans l’une desquelles fut pris le major Ouvarof, aide de camp de l’empereur de Russie. Immédiatement après, un détachement arriva sur la petite ville de Nasielsk. La canonnade devint vive. La position de l’ennemi était bonne : il était retranché par des marais et des bois. Le maréchal Kamenski commandait. Il croyait pouvoir passer la nuit dans cette position, en attendant que d’autres colonnes vinssent le joindre. Vain calcul : il en fut chassé, et mené battant pendant plusieurs lieues (Une note de la minute, faite au cabinet après le départ du Bulletin pour Paris) porte : Le général Friant et les braves corps qui composent la division surmontèrent tous les obstacles et menèrent l’ennemi battant pendant plusieurs heures.) . Quelques généraux russes furent blessés, plusieurs colonels faits prisonniers, et plusieurs pièces de canon prises. Le colonel Beckler, du 8e régiment de dragons, brave officier, a été blessé mortellement.
PASSAGE DE LA WKRA
Au même moment, le général Nansouty, avec la division Klein et une brigade de cavalerie légère, culbutait en avant de Kolozomb les cosaques et la cavalerie ennemie qui avaient passé la Wkra sur ce point, et traversait là cette rivière. Le 7e corps d’armée, que commande le maréchal Augereau, effectuait son passage de la Wkra à Kolozomb, et culbutait les 15,000 hommes qui la défendaient. Le passage du pont fut brillant. Le 14e de ligne l’exécuta en colonnes serrées, pendant que le 16e d’infanterie légère établissait une vive fusillade sur la rive droite. A peine le 14e eut-il débouché du pont, qu’il essuya une charge de cavalerie qu’il soutint avec l’intrépidité ordinaire à l’infanterie française; mais un malheureux lancier pénétra jusqu’à la tête du régiment, et vint percer d’un coup de lance le colonel Savary, qui tomba roide mort. C’était un brave soldat ; il était digne de commander à un si brave corps. Le feu à bout portant qu’exécuta son régiment, et qui mit la cavalerie ennemie dans le plus grand désordre, fut le premier des honneurs rendus à sa mémoire.
Le 25, le 3e corps, que commande le maréchal Davout, se porta à Strzegocin, où s’était retiré l’ennemi. Le 5e corps, commandé par le maréchal Lannes, se dirigeait sur Pultusk, avec la division de dragons Beker.
L’Empereur se porta, avec la plus grande partie de la cavalerie de réserve, à Ciechanow.
PASSAGE DE LA SONNA
Le général Gardane, que l’Empereur avait envoyé avec 30 hommes de sa Garde pour reconnaître les mouvements de l’ennemi , rapporta qu’il passait la rivière de Sonna à Lopaczin , et se dirigeait sur Strzegocin.

Le grand-duc de Berg, qui était resté malade à Varsovie, n’avait pu résister à l’impatience de prendre part aux événements qui se préparaient. Il partit de Varsovie et vint rejoindre l’Empereur. Il prit deux escadrons des chasseurs de la Garde pour observer les mouvements de la colonne ennemie. Les brigades de cavalerie légère de la réserve et les divisions Klein et Nansouty pressèrent le pas pour le joindre. Arrivé au pont de Lopaczin, il trouva un régiment de hussards russes qui le gardait. Ce régiment fut aussitôt chargé par les chasseurs de la Garde et culbuté dans la rivière, sans autre perte de la part des chasseurs qu’un maréchal des logis blessé.
Cependant la moitié de cette colonne n’avait pas encore passé; elle passait plus haut. Le grand-duc de Berg la fit charger par le colonel Dahlmann, à la tête des chasseurs de la Garde, qui lui prit trois pièces de canon, après avoir mis plusieurs escadrons en déroute.
Tandis que la colonne que l’ennemi avait si imprudemment jetée sur la droite cherchait à gagner la Narew pour arriver à Strzegocin, point de rendez-vous, Strzegocin était occupé par le maréchal Davout, qui y prit 200 voitures de bagages et une grande quantité de traînards qu’on ramassa de tous côtés.
Toutes les colonnes russes sont coupées, errant à l’aventure, dans un désordre difficile à imaginer. Le général russe a fait la faute de cantonner son armée ayant sur ses flancs l’armée française, séparée, il est vrai, par la Narew, mais ayant un pont sur cette rivière. Si la saison était belle, on pourrait prédire que l’armée russe ne se retirerait pas et serait perdue sans bataille; mais, dans une saison où il fait nuit à quatre heures, et où il ne fait jour qu’à huit, l’ennemi qu’on poursuit a toutes les chances pour se sauver, surtout dans un pays difficile et coupé de bois. D’ailleurs, les chemins sont couverts de quatre pieds de boue, et le dégel continue. L’artillerie ne peut faire plus de deux lieues dans un jour. Il est donc à prévoir que l’ennemi se retirera de la position fâcheuse où il se trouve; mais il perdra toute son artillerie, toutes ses voitures, tous ses bagages.
Voici quelle était, le 25, au soir, la position de l’armée française La gauche, composée des corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et des maréchaux Ney et Bessières, marchant de Biezun sur la route de Grodno;
Le maréchal Soult arrivant à Ciechanow;
Le maréchal Augereau marchant sur Golymin;
Le maréchal Davout entre Golymin et Pultusk;
Le maréchal Lannes à Pultusk.
Dans ces deux jours nous avons fait 15 à 1600 prisonniers, pris vingt-cinq à trente pièces de canon, trois drapeaux et un étendard.
Le temps est extraordinaire ici; il fait plus chaud qu’au mois d’octobre à Paris; mais il pleut, et, dans un pays où il n’y a pas de chaussées, on est constamment dans la boue.