1806 – Premier Bulletin de la Grande Armée

Bamberg, 8 octobre 1806

La paix avec la Russie conclue et signée le 10 juillet, des négociations avec l’Angleterre entamées et presque conduites à leur maturité, avaient porté l’alarme à Berlin. Les bruits vagues qui se multiplièrent, et la conscience des torts de ce cabinet envers toutes les puissances, qu’il avait successivement trahies, le portèrent à ajouter croyance aux bruits répandus qu’un des articles secrets du traité conclu avec la Russie donnait la Pologne au prince Constantin avec le titre de roi, la Silésie à l’Autriche en échange de la portion autrichienne de la Pologne, et le Hanovre à l’Angleterre. Il se persuada enfin que ces trois puissances étaient d’accord avec la France, et que de cet accord résultait un danger imminent pour la Prusse.

Les torts de la Prusse envers la France remontaient à des époques fort éloignées. La première, elle avait armé pour profiter de nos dissensions intestines. On la vit ensuite courir aux armes au moment de l’invasion du duc d’York en Hollande; et lors des événements de la dernière guerre, quoiqu’elle n’eût aucun motif de mécontentement contre la France, elle arma de nouveau et signa, ler octobre 1805, ce fameux traité de Potsdam, qui fut, un mois après, remplacé par le traité de Vienne.

Elle avait des torts envers la Russie, qui ne peut oublier l’inexécution du traité de Potsdam et la conclusion subséquente du traité de Vienne.

Ses torts envers l’empereur d’Allemagne et le Corps germanique, plus nombreux et plus anciens, ont été connus de tous les temps. Elle se tint toujours en opposition avec la Diète. Quand le Corps germanique était en guerre, elle était en paix avec ses ennemis. Jamais ses traités avec l’Autriche ne recevaient d’exécution, et sa constante étude était d’exciter les puissances au combat, afin de pouvoir, au moment de la paix, venir recueillir les fruits de son adresse et de leurs succès.

Ceux qui supposeraient que tant de versatilité tient à un défaut de moralité de la part du prince seraient dans une grande erreur. Depuis quinze ans, la cour de Berlin est une arène où les partis se combattent et triomphent tour à tour. L’un veut la guerre et l’autre veut la paix. Le moindre événement politique, le plus léger incident donne l’avantage à l’un ou à l’autre, et le Roi, au milieu du mouvement des passions opposées, au sein de ce dédale d’intrigues, flotte incertain, sans cesser un moment d’être honnête homme.

Le 11 août, un courrier de M. le marquis de Lucchesini arriva à Berlin et y porta, dans les termes les plus positifs, l’assurance de ces prétendues dispositions par lesquelles la France et la Russie seraient convenues, par le traité du 20 juillet, de rétablir le royaume de Pologne et d’enlever la Silésie à la Prusse. Les partisans de la guerre s’enflammèrent aussitôt; ils firent violence aux sentiments personnels du Roi; quarante courriers partirent dans une seule nuit et l’on courut aux armes. La nouvelle de cette explosion soudaine parvint à Paris le 20 du même mois. On plaignit un allié si cruellement abusé; on lui donna sur-le-champ des explications, des assurances précises; et, comme une erreur manifeste était le seul motif de ces armements imprévus, on espérait que la réflexion calmerait une effervescence aussi peu motivée.

Cependant le traité signé à Paris ne fut pas ratifié à Saint-Pétersbourg, et des renseignements de toute espèce ne tardèrent pas à faire connaître à la Prusse que M. le marquis de Lucchesini avait ses renseignements dans les réunions les plus suspectes de la capitale et parmi les hommes d’intrigues qui composaient sa société habituelle. En conséquence il fut rappelé. On annonce pour lui succéder M. le baron de Knobelsdorf, homme d’un caractère plein de droiture et de franchise, d’une moralité parfaite.

Cet envoyé extraordinaire arriva bientôt à Paris, porteur d’une lettre du roi de Prusse datée du 23 août.

Cette lettre était remplie d’expressions obligeantes et de déclarations pacifiques, et l’Empereur y répondit d’une manière franche et rassurante. Le lendemain du jour où partit le courrier porteur de cette réponse, on apprit que des chansons outrageantes pour la France avaient été chantées sur le théâtre de Berlin; qu’aussitôt après le départ de M. de Knobelsdorf les armements avaient redoublé; et quoique les hommes demeurés de sang-froid eussent rougi de ces fausses alarmes, le parti de la guerre, soufflant la discorde de tous côtés, avait si bien exalté toutes les têtes, que le Roi se trouvait dans l’impuissance de résister au torrent.

On commença dès lors à comprendre à Paris que le parti de la paix, ayant lui-même été alarmé des assurances mensongères et des apparences trompeuses, avait perdu tous ses avantages, tandis que le parti de la guerre, mettant à profit l’erreur dans laquelle ses adversaires s’étaient laissé entraîner, avait ajouté provocation à provocation et accumulé insulte sur insulte, et que les choses étaient arrivées à un tel point qu’on ne pourrait sortir de cette situation que par la guerre.

L’Empereur vit alors que telle était la force des circonstances, qu’il ne pouvait éviter de prendre les armes contre son allié. Il ordonna des préparatifs.

Tout marchait à Berlin avec une grande rapidité; les troupes prussiennes entrèrent en Saxe, arrivèrent sur les frontières de la Confédération et insultèrent les avant-postes.

Le 24 septembre, la Garde impériale partit de Paris pour Bamberg, où elle est arrivée le 6 octobre. Les ordres furent expédiés pour l’armée, et tout se mit en mouvement.

Ce fut le 25 septembre que l’Empereur quitta Paris; le 28 il était à Mayence; le 2 octobre à Würzburg, et le 6 à Bamberg.

Le même jour, deux coups de carabine furent tirés par les hussards prussiens sur un officier de l’état-major francais. Les deux armées pouvaient se considérer comme en présence.

Le 7, Sa Majesté l’Empereur reçut un courrier de Mayence, dépêché par le prince de Bénévent, qui était porteur de deux dépêches importantes : l’une était une lettre du roi de Prusse, d’une vingtaine de pages, qui n’était réellement qu’un mauvais pamphlet contre la France, dans le genre de ceux que le cabinet anglais fait faire par ses écrivains à 500 livres sterling par an. L’Empereur n’en acheva point la lecture et dit aux personnes qui l’entouraient : « Je plains mon frère le roi de Prusse; il n’entend pas le français; il n’a pas sûrement lu cette rapsodie » A cette lettre était jointe la célèbre note de M. de Knobelsdorf. « Maréchal, dit l’Empereur au maréchal Berthier, on nous donne un rendez-vous d’honneur pour le 8 :  jamais un Français n’y a manqué; mais, comme on dit qu’il y a une belle reine qui veut être témoin du combat, soyons courtois, et marchons, sans nous coucher, pour la Saxe. » L’Empereur avait raison de parler ainsi; car la reine de Prusse est à l’armée, habillée en amazone, portant l’uniforme de son régiment de dragons, écrivant vingt lettres par jour pour exciter de toutes parts l’incendie. Il semble voir Armide dans son égarement mettant le feu à son propre palais. Après elle, le prince Louis de Prusse, jeune prince plein de bravoure et de courage, excité par le parti, croit trouver une grande renommée dans les vicissitudes de la guerre. A l’exemple de ces deux grands personnages, toute la cour crie à la guerre. Mais quand la guerre sera présentée avec toutes ses horreurs, tout le monde s’excusera d’avoir été coupable et d’avoir attiré la foudre sur les provinces paisibles du Nord ; alors, par une suite naturelle de l’inconséquence des gens de cour, on verra les auteurs de la guerre non-seulement la trouver insensée, s’excuser de l’avoir provoquée, et dire qu’ils la voulaient mais dans un autre temps, même en faire retomber le blâme sur le Roi, honnête homme qu’ils ont rendu la dupe de leurs intrigues et de leurs artifices.

Voici la disposition de l’armée française :

L’armée doit se mettre en marche par trois débouchés : la droite composée des corps des maréchaux Soult et Ney et d’une division des Bavarois, part d’Amberg et de Nuremberg, se réunit à Bayreuth et doit se porter sur Hof, où elle arrivera le 9;

Le centre, composé de la réserve du grand-duc de Berg, des corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et du maréchal Davout, et de la Garde impériale, débouche par Bamberg sur Kronach, arrivera le 8 à Saalburg, et de là se portera par Saalburg et Schleiz sur Gera;

La gauche, composée des corps des maréchaux Lannes et Augereau, doit se porter de Schweinfurt sur Cobourg, Grafenthal et Saalfeld.