1806 – Dixième Bulletin de la Grande Armée

Naumburg, 18 Octobre 1806

 

Parmi les 60 drapeaux qui ont été pris à la bataille d’Iena, il s’en trouve plusieurs des Gardes du roi de Prusse, et un des Gardes du corps sur lequel la légende est écrite en français.

Le roi de Prusse a fait demander un armistice de six semaines. L’Empereur a répondu qu’il était impossible après une victoire de donner à l’ennemi le temps de se rallier.

Cependant les Prussiens ont fait tellement courir ce bruit que, plusieurs de nos généraux les ayant rencontrés, on leur a fait croire que cet armistice était conclu.

Jean de Dieu Soult
Le maréchal Jean de Dieu Soult

Le maréchal Soult est arrivé le 16 à Greussen, poursuivant devant lui la colonne où était le Roi, qu’on estimait forte de 10 ou 12,000 hommes. Le général Kalkreuth, qui la commandait, fit dire au maréchal Soult qu’un armistice avait été conclu. Le maréchal répondit qu’il était impossible que l’Empereur eût fait cette faute; qu’il croirait à cet armistice lorsqu’il lui aurait été notifié officiellement. Le général Kalkreuth témoigna le désir de voir le maréchal Soult, qui se rendit aux avant-postes : 

« Que voulez-vous de nous ? lui dit le général prussien ; le duc de Brunswick est mort; tous nos généraux sont tués, blessés ou pris; la plus grande partie de notre armée est en fuite; vos succès sont assez grands. Le roi a demandé une suspension d’armes : il est impossible que votre Empereur ne l’accorde pas.  » 

« Monsieur le général, répondit le maréchal Soult, il y a longtemps qu’on en agit ainsi avec nous; on en appel à notre générosité quand on est vaincu, et l’on oublie un instant la magnanimité que nous avons coutume de montrer. Après la bataille d’Austerlitz, l’Empereur accorda un armistice à l’armée russe; l’armistice sauva l’armée : voyez la manière indigne dont agissent aujourd’hui les Russes. On dit qu’ils veulent revenir; nous brûlons du désir de les revoir. S’il y avait eu chez eux autant de générosité que chez nous, on nous aurait laissés tranquilles enfin , après la modération que nous avons montrée dans la victoire. Nous n’avons en rien provoqué la guerre injuste que vous nous faites; vous l’avez déclarée de gaieté de cœur. La bataille d’Iéna a décidé du sort de la campagne. Notre métier est de vous faire le plus de mal que nous pouvons. Posez les armes, et j’attendrai dans cette situation les ordres de l’Empereur. 

Le vieux général Kalkreuth vit bien qu’il n’y avait rien à répondre. Les deux généraux se séparèrent, et les hostilités recommencèrent un instant après. Le village de Greussen fut enlevé, l’ennemi culbuté et poursuivi l’épée dans les reins.

Le grand-duc de Berg et les maréchaux Soult et Ney doivent les journées des 17 et 18, se réunir par des marches combinées et écraser l’ennemi. Ils auront sans doute cerné un bon nombre de fuyards; les campagnes en sont couvertes, et les routes sont encombrées de caissons et de bagages de toute espèce.

Jamais plus grande victoire ne fut signalée par de plus grands désastres.

La réserve que commande le prince Eugène de Wurtemberg est arrivée à Halle. Ainsi nous ne sommes qu’au neuvième jour de la campagne, et déjà l’ennemi est obligé de mettre en avant sa dernière ressource. L’Empereur marche à elle. Elle sera attaquée demain , si elle tient dans la position de Halle.

Le maréchal Louis Nicolas Davout, prince d'Eckmüh
Le maréchal Louis Nicolas Davout, prince d’Eckmühl

Le maréchal Davout est parti aujourd’hui pour prendre possession de Leipzig et jeter un pont sur l’Elbe. La Garde impériale à cheval vient enfin nous joindre.

Indépendamment des magasins considérables trouvés à Naumburg, on en a trouvé un grand nombre à Weissenfels.

Le général en chef Rüchel a été trouvé dans un village, mortellement blessé; le maréchal Soult lui a envoyé son chirurgien. il semble que ce soit un décret de la Providence, que tous ceux qui ont poussé à cette guerre aient été frappés par ses premiers coups.