1806 – Dix-Huitième Bulletin de la Grande Armée

Potsdam, 26 octobre 1806

L’Empereur a passé à Potsdam la revue de la Garde à pied, composée de dix bataillons et de soixante pièces d’artillerie, servies par l’artillerie à cheval. Ces troupes, qui ont éprouvé tant de fatigues, avaient la même tenue qu’à la parade de Paris.

Claude Victor Perrin - Gros-1812 - Château de Versailles
Claude Victor Perrin – Duc de Bellune – Gros-1812 – Château de Versailles

A la bataille d’Iena, le général de division Victor a reçu un biscaïen qui lui a fait une contusion; il a été obligé de garder le lit pendant quelques jours. Le général de brigade Gardane, aide de camp de l’Empereur, a eu un cheval tué et a été légèrement blessé. Quelques officiers supérieurs ont eu des blessures, d’autres des chevaux tués, et tous ont rivalisé de courage et de zèle.

L’Empereur a été voir le tombeau du grand Frédéric. Les restes de ce grand homme sont enfermés dans un cercueil de bois recouvert en cuivre, placé dans un caveau sans ornements, sans trophées, sans aucunes distinctions qui rappellent les grandes actions qu’il a faites.

L’Empereur a fait présent à l’hôtel des Invalides de Paris de l’épée de Frédéric, de son cordon de l’Aigle Noir, de sa ceinture de général, ainsi que des drapeaux que portait sa Garde dans la guerre de Sept Ans. Les vieux invalides de l’armée de Hanovre accueilleront avec un respect religieux tout ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont l’Histoire conservera le souvenir.

Lord Morpeth, envoyé d’Angleterre auprès du cabinet prussien, ne se trouvait, pendant la journée d’Iena, qu’à six lieues du champ de bataille; il a entendu le canon. Un courrier vint bientôt lui annoncer que la bataille était perdue, et en un moment il fut entouré de fuyards qui le poussaient de tous côtés. Il courait en criant : « Il ne faut pas que je sois pris ». Il offrit jusqu’à soixante guinées pour obtenir un cheval; il en obtint un et se sauva.

La citadelle de Spandau, située à trois lieues de Berlin et à quatre lieues de Potsdam, forte par sa situation au milieu des eaux enfermant 1,200 hommes de garnison et une grande quantité de rations de guerre et de bouche, a été cernée le 24 dans la nuit. Le général Bertrand, aide de camp de l’Empereur, avait déjà reconnu la place. Les pièces étaient disposées pour jeter des obus et intimider la garnison. Le maréchal Lannes a fait signer par le commandant la capitulation ci-jointe.

On a trouvé à Berlin des magasins considérables d’effets de campagne et d’habillement. On en dresse les inventaires.

Une colonne commandée par le duc de Weimar est poursuivie par le maréchal Soult ; elle s’est présentée le 23 devant Magdeburg; nos troupes étaient là depuis le 20. Il est probable que cette colonne, forte de 15,000 hommes, sera coupée et prise. Magdeburg est le premier point de rendez-vous des troupes prussiennes. Beaucoup de corps s’y rendent. Les Français le bloquent.

Une lettre de Helmstaedt, récemment interceptée, contient des détails curieux. Elle est ci-jointe.

M. le prince de Hatzfeld, Busching, président de la police, le président de Kircheisen, Formey, conseiller intime, Polzig, conseiller de la municipalité, MM. Ruck, Sieger et de Hermensdorf, conseillers députés de la ville de Berlin , ont remis ce matin à l’Empereur, à Potsdam , les clefs de la ville de Berlin. Ils étaient accompagnés de MM. Grote, conseiller intime des finances, le baron de Weilknitz et le baron d’Eckartstein. Ils ont dit que les bruits qu’on avait répandus sur l’esprit de cette ville étaient faux ; que les bourgeois et la masse du peuple avaient vu la guerre avec peine; qu’une poignée de femmes et de jeunes officiers avaient fait seuls ce tapage; qu’il n’y avait pas un seul homme sensé qui n’eût vu que ce qu’on avait à craindre et qui pût deviner ce qu’on avait à espérer. Comme tous les Prussiens, ils accusent le voyage de l’empereur Alexandre des malheurs de la Prusse. Le changement qui s’est dès lors opéré dans l’esprit de la Reine, qui, de femme timide et modeste s’occupait de son intérieur, est devenue turbulente et guerrière, a été une révolution subite. Elle a voulu tout à coup avoir un régiment, aller au conseil, et elle a si bien mené la monarchie qu’en peu de jours elle l’a conduite au bord du précipice.

Le quartier général est à Charlottenburg.