1805 – VINGT-SIXIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

VINGT-SIXIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE [1].

 

Znaim[2], le 27 brumaire an 14[3].

Le prince Murat, instruit que les généraux russes, immédiatement après la signature de la convention, s’étaient mis en marche avec une portion de leur armée, sur Znaim, & que tout indiquait que l’autre partie allait la suivre & nous échapper, leur a fait connaître que l’Empereur n’avait pas ratifié la convention, & qu’en conséquence il allait attaquer. En effet, le prince Murat a fait ses dispositions, a marché à l’ennemi, & l’a attaqué le 25 à quatre heures après-midi, ce qui a donné lieu au combat de Juntersdorff[4], dans lequel la partie de l’armée russe, qui formait l’arrière-garde, a été mise en déroute, a perdu douze pièces de canon, cent voitures de bagages, deux mille prisonniers & deux mille hommes restés sur le champ de bataille. Le maréchal Lannes a fait attaquer l’ennemi de front, & tandis qu’il le faisait tourner par la gauche par la brigade de grenadiers du général Dupas[5], le maréchal Soult le faisait tourner par la droite par la brigade du général Levasseur[6] de la division Legrand, composée des 3e.[7] & 18e.[8] régimens de ligne. Le général de division Walther a chargé les russes avec une brigade de dragons, & a fait trois cents prisonniers.

La brigade de grenadiers du général Laplanche-Mortière[9] s’est distinguée. Sans la nuit, rien n’eût échappé. On s’est battu à l’arme blanche plusieurs fois. Des bataillons de grenadiers russes ont montré de l’intrépidité. Le général Oudinot a été blessé. Ses deux aides-de-camp, chefs d’escadron Demangeot[10], & Lamotte[11], l’ont été à ses côtés. La blessure du général Oudinot l’empêchera de servir pendant une quinzaine de jours. En attendant, l’Empereur voulant donner une preuve de son estime aux grenadiers, a nommé le général Duroc pour les commander.

L’Empereur a porté son quartier-général à Znaim le 26, à trois heures après-midi. L’arrière-garde russe a été obligée de laisser ses hôpitaux à Znaim, où nous avons trouvé des magasins de farine & d’avoine assez considérables. Les russes se sont retirés sur Brunn, & notre avant-garde les a poursuivis à mi-chemin ; mais l’Empereur, instruit que l’empereur d’Autriche y était, a voulu donner une preuve d’égards pour ce prince, & s’est arrêté la journée du 27.

Ci-joint la capitulation du fort de Keufstein[12], pris par les bavarois.

Le général Baraguay-d’Hilliers a fait une incursion jusqu’à Pilsen[13] en Bohême, & obligé l’ennemi à évacuer ses positions. Il a pris quelques magasins, & rempli le but de sa mission. Les dragons à pied ont traversé avec rapidité les montagnes couvertes de glace & de sapins, qui séparent la Bohême de la Bavière.

On ne se fait pas d’idée de l’horreur que les russes ont inspirée en Moravie. En faisant leur retraite, ils brûlent les plus beaux villages ; ils assomment les paysans. Aussi les habitans respirent-ils en les voyant s’éloigner. Ils disent : “nos ennemis sont partis.” Ils ne parlent d’eux qu’en se servant du terme de barbares, qui ont apporté chez eux la désolation. Ceci ne s’applique pas aux officiers, qui sont en général bien différens de leurs soldats, & dont plusieurs sont d’un mérite distingué ; mais l’armée a un instinct sauvage que nous ne connaissons pas dans nos armées européennes.

Lorsqu’on demande aux habitans de l’Autriche, de la Moravie, de la Bohême, s’ils aiment leur empereur, nous l’aimions, répondent-ils, mais comment voulez-vous que nous l’aimions encore ? il a fait venir les russes.

A Vienne, le bruit avait couru que les russes avaient battu l’armée française, & venaient sur Vienne ; une femme a crié dans la rue : “Les français sont battus, voici les russes !” L’alarme a été générale ; la crainte & la stupeur ont été dans Vienne. Voilà cependant le résultat des funestes conseils de Cobentzel, de Collorédo & de Lamberti. Aussi ces hommes sont-ils en horreur à la nation ; & l’empereur d’Autriche ne pourra reconquérir la confiance & l’amour de ses sujets qu’en les sacrifiant à la haine publique ; &, un jour plus tôt, un jour plus tard, il faudra bien qu’il le fasse.

 

Capitulation conclue entre la brigade franco-bavaroise commandée par le général-major comte de Mezhanelly[14], & la garnison de la forteresse de Kuffstein.

Art. Ier. Demain à dix heures du matin, le château de Kuffstein sera rendu à la brigade franco-bavaroise : les postes extérieurs & l’entrée du château seront occupés à sept heures par ladite brigade.

      Accordé ; mais pour garantie réciproque un capitaine des troupes bavaroises sera envoyé au château, & un capitaine de la garnison se rendra dans la ville.

II. La garnison de Kuffstein sortira avec tous les honneurs de la guerre & toute son artillerie de campagne, sans néanmoins emporter aucunes munitions.

      La garnison de la place sortira avec tous les honneurs de la guerre ; elle conservera les armes à feu & les armes blanches, mais la baïonnette sera mise au côté, & les pierres à feu ne seront point à la batterie. La garnison sortira avec deux pièces de trois & deux fourgons sans munitions.

III. Les propriétés particulières seront respectées, & l’on s’engage à les transporter en toute sureté jusqu’à l’armée autrichienne.

      Accordé pour propriétés appartenant à la garnison. L’on se réserve particulièrement tous les plans & cartes des forts & des environs qui ne seront point enlevés de la place.

IV. La ratification des articles de la capitulation aura lieu aujourd’hui d’après les lois & ordonnances militaires.

      Accordé.

Kuffstein, le 10 novembre 1805.

Signés, le chef d’escadron Caloppin, le colonel du régiment Preusing Bierenger[15], le major-général & brigadier le comte de Mezhanelly, le commandant d’artillerie J. Witzigmann.

Signés, le major baron de Donnerberg[16], le major du 4e bataillon du régiment de Kleback infanterie, Antoine comte de Kinski[17].

Nous garantissons le contenu de la capitulation ci-dessus sur notre honneur, & avons signé :

Kaiser, capitaine ; Antoine comte Kinski, major du 4e bataillon ; J. Dunkel, lieutenant d’artillerie ; Ajhazzi, major du génie & capitaine.


NOTES

[1] In : Mémorial administratif du département de l’Ourte, n° 302 du 15 frimaire an XIV (06.12.1805), p. 235-238. Liège : J.F. Desoer, 1806. (Mémorial administratif du département de l’Ourte ; IX).

[2] Aujourd’hui Znojmo, en Tchéquie, à une quarantaine de kms au nord de Hollabrunn, juste après la frontière.

[3] 18 novembre 1805.

[4] Guntersdorf, village à une dizaine de kms au nord d’Hollabrunn, sur la route de Znaim.

[5] Pierre Louis Dupas (1761-1823), d’origine savoyarde. Général (1803), comte de l’Empire (1809), dit « le général Z’en avant ».

[6] Victor Le Vasseur (1772-1811). Général (1800), baron de l’Empire (1809).

[7] Commandé par Laurent Schobert (1763-1830). Baron de l’Empire (1809), général (1811).

[8] Commandé par Jean Baptiste Ambroise Ravier (1766-1828). Baron de l’Empire (1808), général (1809).

[9] Claude Joseph Laplanche-Mortières (1772-1806). Général (1803).

[10] Nous n’avons trouvé aucune indication sur ce personnage.

[11] Auguste Etienne Marie Gourlez de Lamotte (1772-1836). Aide de camp d’Oudinot depuis 1801. Baron de l’Empire (1808), général (1809).

[12] Kufstein (Tyrol).

[13] Pilsen, aujourd’hui Plzeň, en République tchèque, au sud-ouest de Prague.

[14] Paul, comte (von) Mezzanelli.

[15] H. von Bieringer, colonel du 5e Régiment d’infanterie bavarois ‘Preysing’.

[16] Baron Hoffmann von Donnersberg.

[17] Antoine comte Kinsky von Wchinitz und Tettau (1774-1864), major du 4e bataillon du 14e régiment d’infanterie autrichien ‘Klebeck’.