1805 – VINGT-SEPTIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE
VINGT-SEPTIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE [1].
Porlitz[2], 28 brumaire an 14[3].
Depuis le combat de Zuntersdorff[4], l’ennemi a continué sa retraite avec la plus grande précipitation. Le général Sébastiani, avec sa brigade de dragons, l’a poursuivi l’épée dans les reins. Les immenses plaines de la Moravie ont favorisé sa poursuite. Le 27, à la hauteur de Porlitz, il a coupé la retraite à plusieurs corps, & a fait dans la journée deux mille russes prisonniers de guerre.
Le prince Murat est entré le 27[5], à trois heures après-midi, à Brünn, capitale de la Moravie, toujours suivant l’ennemi.
L’ennemi a évacué la ville & la citadelle, qui est un très-bon ouvrage, capable de soutenir un siége en règle.
L’Empereur a mis son quartier-général à Porlitz.
Le maréchal Soult, avec son corps d’armée, est à Niemtschitz[6].
Le maréchal Lannes est en avant de Pohrlitz.
Les moraves ont encore plus de haine pour les russes & d’amitié pour nous que les habitans de l’Autriche. Le pays est superbe & beaucoup plus fertile que l’Autriche. Les moraves sont étonnés de voir au milieu de leurs immenses plaines les peuples de l’Ukraine, du Kamstchatka[7], de la Grande-Tartarie, & les normands, les gascons, les bretons & les bourguignons en venir aux mains & s’égorger, sans cependant que leur pays ait rien de commun, ou qu’il y ait entr’eux aucun intérêt politique immédiat ; & ils ont assez de bon sens pour dire, dans leur mauvais bohémien, que le sang humain est devenu une marchandise dans les mains des anglais. Un gros fermier morave disait dernièrement à un officier français, en parlant de l’empereur Joseph II[8], que c’était l’empereur des paysans, & que s’il avait continué à vivre, il les aurait affranchi des droits féodaux qu’ils payent aux couvens de religieuses[9].
Nous avons trouvé à Brünn soixante pièces de canon, trois cents milliers de poudre, une grande quantité de bled & de farine, & des magasins d’habillement très-considérables.
L’empereur d’Allemagne s’est retiré à Olmütz[10]. Nos postes sont à une marche de cette place.
NOTES
[1] In : Mémorial administratif du département de l’Ourte, n° 302 du 15 frimaire an XIV (06.12.1805), p. 238-239. Liège : J.F. Desoer, 1806. (Mémorial administratif du département de l’Ourte ; IX).
[2] Pohrlitz, aujourd’hui Pohořelice (Tchéquie), village à près de 50 kms au nord-est de Znojmo (Zanim), sur la route de Brno.
[3] 19 novembre 1805.
[4] Lire : Guntersdorf.
[5] Le bulletin fait ici erreur puisque c’est le 28 brumaire (18 novembre) que les Français entrent dans Brno.
[6] Groß-Niemtschitz, auj. Velké Němčice (Tchéquie), sur la Svratka, à 10 kms à l’est de Pohrlitz et à 20 kms au sud-est d’Austerlitz.
[7] Lire : Kamtchatka, péninsule à l’extrémité de la Sibérie.
[8] Joseph II. von Habsburg-Lothringen (1741-1790), roi des Romains (1764-1765), empereur élu du Saint-Empire romain de la Nation germanique (1765-1790), archiduc d’Autriche et co-régent des terres héréditaires de la famille de Habsbourg (1765-1780), roi de Hongrie (II. József) et de Bohême (Josef II) (1780-1790), fils de François Ier et de Marie-Thérèse, oncle de l’empereur Franz II.
[9] Joseph II a été, en tant qu’adepte convaincu du despotisme éclairé, l’auteur de réformes importantes, notamment religieuses, dans tous ses pays héréditaires. Elles ne furent cependant pas toutes menées à bien avant sa mort et ne purent ou ne voulurent pas être poursuivies par ses successeurs.
[10] Aujourd’hui Olomouc (Tchéquie), ville à 80 kms au nord-est de Brno.