1805 – TRENTE-DEUXIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

TRENTE-DEUXIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE [1].

 

Austerlitz, le 15 frimaire an 14[2].

Le général Friant, à la bataille d’Austerlitz, a eu quatre chevaux tués sous lui. Les colonels Conroux & Demoustier[3] se sont fait remarquer. Les traits de courage sont si nombreux, qu’à mesure que le rapport en est fait à l’Empereur, il dit : « Il me faut toute ma puissance pour récompenser dignement tous ces braves gens. »

Les russes, en combattant, ont l’habitude de mettre leur havre-sacs bas. Comme toute l’armée russe a été mise en déroute, nos soldats ont pris tous ses havre-sacs. On a pris aussi une grande partie de ses bagages, & les soldats y ont trouvé beaucoup d’argent.

Le général Bertrand, qui avait été détaché après la bataille avec un escadron de la garde, a ramassé un grand nombre de prisonniers, 19 pièces de canon & beaucoup de voitures remplies d’effets. Le nombre de pièces de canon prises jusqu’à cette heure, se monte à 170.

L’Empereur a témoigné quelque mécontentement de ce qu’on lui eût envoyé des plénipotentiaires la veille de la bataille, & qu’on eût ainsi prostitué le caractère diplomatique. Cela est digne de M. de Cobentzl[4], que toute la nation regarde comme un des principaux auteurs de tous ses malheurs.

Le prince Jean de Lichtenstein[5] est venu trouver l’Empereur au château d’Austerlitz. L’Empereur lui a accordé une conférence de plusieurs heures. On remarque que l’Empereur cause volontiers avec cet officier général[6]. Ce prince a conclu, avec le maréchal Berthier, un armistice de la teneur suivante :

M. de Talleyrand[7] se rend à Nicolsburg[8], où les négociations vont s’ouvrir.

 

Armistice conclu entre LL.MM.II. de France & d’Autriche.

S.M. l’Empereur des français & S.M. l’Empereur d’Allemagne, voulant arriver à des négociations définitives pour mettre fin à la guerre qui désole les deux états, sont convenus au préalable, de commencer par un armistice ; lequel aura lieu jusqu’à la conclusion de la paix définitive ou jusqu’à la rupture des négociations : & dans ce cas, l’armistice ne devra cesser que quinze jours après cette rupture ; & la cessation de l’armistice sera notifiée aux plénipotentiaires des deux puissances & au quartier-général des deux armées.

Les conditions de l’armistice sont :

Art. Ier. La ligne des deux armées sera en Moravie, le cercle d’Iglau[9], le cercle de Znaïm[10], le cercle de Brunn[11], la partie du cercle d’Olmutz[12] sur la rive droite de la petite rivière de Trezeboska[13] en avant de Prosnitz[14] jusqu’à l’endroit où elle se jette dans la Marck[15], & la rive droite de la Marck jusqu’à l’embouchure de cette rivière dans le Danube, y compris cependant Presbourg[16].

Il ne sera mis néanmoins aucune troupe française ni autrichienne dans un rayon de cinq à six lieues autour de Holitch[17], à la rive droite de la Marck.

La ligne des deux armées comprendra en outre, dans le territoire à occuper par l’armée française, toute la Basse & Haute-Autriche, le Tyrol, l’Etat de Venise, la Carinthie, la Styrie, la Carniole, le comté de Goritz[18] & l’Istrie ; enfin, dans la Bohême, le cercle de Montabor[19], & tout ce qui est à l’est de la route de Tabor à Lintz.

II. L’armée russe évacuera les Etats d’Autriche, ainsi que la Pologne autrichienne ; savoir, la Moravie & la Hongrie, dans l’espace de quinze jours, & la Gallicie[20] dans l’espace d’un mois. L’ordre de route de l’armée russe sera tracé, afin qu’on sache toujours où elle se trouve, ainsi que pour éviter tout mal-entendu.

III. Il ne sera fait en Hongrie aucune espèce de levée en masse, ni d’insurrections ; & en Bohême, aucune espèce de levée extraordinaire ; aucune armée étrangère ne pourra entrer sur le territoire de la maison d’Autriche.

Des négociateurs se réuniront de part & d’autre à Nicolsburg, pour procéder directement à l’ouverture des négociations, afin de parvenir à rétablir promptement la paix & la bonne harmonie entre les deux Empereurs.

Fait double entre nous soussignés, le maréchal Berthier, ministre de la guerre, major-général de la grande armée, chargé des pleins-pouvoirs de S.M. l’Empereur des français & Roi d’Italie ; & le prince Jean de Lichtenstein, lieutenant-général, chargé des pleins-pouvoirs de S.M. l’Empereur d’Autriche, Roi de Hongrie, &.

A Austerlitz, le 15 frimaire an 14, (6 décembre 1805.)

Signés, maréchal BERTHIER, & J. prince

DE LICHTENSTEIN, lieutenant-général.


NOTES

[1] In : Mémorial administratif du département de l’Ourte, n° 307 du 10 nivôse an XIV (31.12.1805), p. 321-322. Liège : J.F. Desoer, 1806. (Mémorial administratif du département de l’Ourte ; IX).

[2] 6 décembre 1805.

[3] Lire : Pierre Dumoustier (1771-1831), colonel commandant du 34e Régiment d’infanterie de ligne. Général (1806), baron (1808), puis comte (1814) de l’Empire, député de Loire-Inférieure à la Chambre des Cent Jours (1815).

[4] Lire : Cobenzl.

[5] Lire : Liechtenstein. Il s’agit de Johan Joseph, alors prince souverain de Liechtenstein.

[6] Le respect que Napoléon éprouve pour le prince de Liechtenstein le conduira quelques mois plus tard, lors de la création de la Confédération du Rhin, dont l’Empereur sera le protecteur, à y admettre la principauté de Liechtenstein, quoique son prince souverain soit un membre de l’état-major général de l’armée impériale autrichienne. Néanmoins, Johann Joseph devra alors abdiquer sa couronne au profit de son troisième fils, Karl, qui règnera jusqu’à la disparition de la Confédération, en 1813. Même la participation active, côté autrichien, du prince Johann à la guerre de 1809 contre la France, ne remettra en question ni l’indépendance du Liechtenstein, ni son appartenance à la Confédération napoléonienne.

[7] Charles Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838). Évêque d’Autun (1788-1791), député du clergé à l’Assemblée constituante (1789-1791), ministre des Relations extérieures (1797-1799 ; 1799-1807), grand chambellan de l’Empire (1804-1809), prince et duc souverain (Carlo Maurizio I) de Bénévent (1806-1815), vice-grand-électeur de l’Empire [et, en tant que tel, sénateur et conseiller d’État de droit] (1807-1814), président du gouvernement provisoire (1814), ministre des Affaires étrangères (1814-1815 ; 1815), pair de France (1814), président du Conseil (1815).

[8] Lire : Nikolsburg, auj. Mikulov.

[9] Aujourd’hui Jihlava.

[10] Aujourd’hui Znojmo.

[11] Aujourd’hui Brno.

[12] Aujourd’hui Olomouc.

[13] La Trezebowka, auj. Třebúvka, petite rivière qui naît à l’ouest de Mährisch Trübau (Moravská Třebová), ville à 65 kms au nord de Brünn (Brno), et se jette 25 kms à l’est dans la March (Morava), à Müglitz (Mohelnice), village en amont d’Olomouc sur cette rivière.

[14] Prossnitz, auj. Prostějov

[15] La March, auj. Morava, a donné son nom à la Moravie (Morava/Mähren). Elle naît au nord de cette province, à la frontière avec la Silésie, traverse Olomouc et descend ensuite vers le Danube, formant frontière avec la Slovaquie, puis entre ce pays et l’Autriche, et se jette dans le Danube à une dizaine de kms en amont de Bratislava.

[16] Aujourd’hui Bratislava.

[17] Holics, auj. Holíč, ville de Slovaquie située sur la rive gauche de la Morava, à 70 kms au nord de Bratislava et à 30 kms à l’est de la frontière autrichienne.

[18] Aujourd’hui Gorizia, en Italie.

[19] S’il y a bien un Tabor (auj. Tábor) en Tchéquie, il n’y a jamais eu dans ce pays un Montabor (que le lecteur de l’époque peut sans aucune difficulté associer mentalement à un certain Mont-Thabor, lieu d’une victoire napoléonienne [16 avril 1799] durant la brève campagne de Palestine. L’erreur est-elle si involontaire que cela ?). Tabor se situe à peu près à mi-chemin entre la frontière austro-tchèque et Prague, sur la route reliant cette ville à Linz.

[20] Lire : Galicie.