1805 – SIXIÈME BULLETIN DE L’ARMÉE D’ITALIE
SIXIÈME BULLETIN DE L’ARMÉE D’ITALIE [1].
Au quartier-général de Passeriano[2], 22 brumaire.
(13 novembre 1805).
L’armée dans sa marche sur la Piave n’a rencontré que de faibles obstacles ; de la Piave au Tagliamento[3], elle a vu fuir devant elle quelques corps de cavalerie qui semblaient l’observer, mais dont la retraite était calculée de manière à éviter tout engagement.
C’est au Tagliamento que l’ennemi parut vouloir nous attendre ; il avait réuni sur la rive gauche six régimens de cavalerie & quatre régimens d’infanterie, & sa contenance faisait présumer qu’il défendrait vivement le passage. Le général en chef n’avait eu d’abord que le dessein de faire reconnaître sa position par de la cavalerie. Le général Espagne commandant la division des chasseurs à cheval, les dragons aux ordres du général Mermet[4], & les cuirassiers aux ordres du général Pully[5], s’étaient portés sur le fleuve, tandis que les divisions Duhesme & Seras marchaient sur Saint-Vito[6], celles des généraux Molitor & Gardanne se dirigeaient sur Valvasone[7].
Le général Espagne avait reçu l’ordre de pousser des reconnaissances. Le 21, à six heures du matin, un escadron qu’il avait fait passer fut chargé par un régiment de cavalerie autrichienne ; il soutint l’attaque avec intrépidité, & donna le temps au général Espagne de se porter au-devant de l’ennemi, qui bientôt fut repoussé & mis en fuite. Notre artillerie cependant s’était mise en position. Le canonnade commença d’une rive à l’autre ; elle fut très-vive, & se prolongea toute la journée. L’ennemi avait placé trente pièces de canon derrière une digue : nous n’en avions que dix-huit, & nos artilleurs conservèrent leur supériorité ordinaire. Les divisions d’infanterie arrivèrent vers le soir. Le général en chef, satisfait des avantages qu’il avait obtenus, & qui lui en assuraient de nouveaux, ne voulut pas de suite effectuer le passage ; il se contenta de faire ses dispositions pour le lendemain, persuadé qu’il pourrait porter des coups plus décisifs ; les divisions étaient réunies aux points indiqués à Saint-Vito & à Valvasone : c’est sur ces deux points qu’elles devaient passer le fleuve, tourner & couper l’ennemi. Le prince Charles craignit sans doute l’exécution de ce plan : il ne jugea pas devoir attendre le jour dans sa position, & dès minuit il était en retraite sur le chemin de Palma-Nova[8]. L’armée passa le Tagliamento avec le regret de n’avoir plus d’ennemis à combattre, & ce fut alors qu’elle connut mieux encore tous les résultats de la journée de la veille. La rive gauche du fleuve était couverte d’hommes & de chevaux qui avaient péri par l’effet de notre artillerie.
L’armée continue sa marche : l’espoir de rencontrer & de combattre l’ennemi ajoute à son impatiente ardeur. Elle apprend tout ce que fait la grande armée ; & le désir de seconder ses mouvemens, & de répondre à la confiance de l’Empereur, l’agite & l’aiguillonne sans cesse. L’avant-garde enlève chaque jour des prisonniers qui vont grossir le nombre de ceux que nous avons déjà faits. Le temps est constamment favorable : on travaille à réparer les ponts de la Piave & du Tagliamento.
[1] In : Mémorial administratif du département de l’Ourte, n° 300 du 5 frimaire an XIV (26.11.1805), p. 205-206. Liège : J.F. Desoer, 1806. (Mémorial administratif du département de l’Ourte ; IX).
[2] Passariano, village à l’est de San Vito et au sud-ouest d’Udine, sur la rive gauche du Tagliamento. C’est là qu’en 1797 avait été signé le traité dit de Campo-Formio. Il donnera son nom au département italien créé à partir de la province d’Udine.
[3] Fleuve qui descend des Alpes par la vallée de Cadore et se jette dans l’Adriatique à l’est de la Piave, après être passé entre Pordenone et Udine.
[4] Julien Auguste Joseph Mermet (1772-1837). Général (1796), baron de l’Empire (1811).
[5] Charles Joseph Randon de Malboissière de Pully (1751-1832). Général (1793), comte de l’Empire (1809).
[6] San Vito al Tagliamento, ville au sud-est de Pordenone et au nord de Portogruaro.
[7] Palmanova, ville à quelques kilomètres au nord-est de San Vito, près du Tagliamento.
[8] Ville au sud d’Udine, sur la route d’Aquilée.