16 mars 1810 – Marie-Louise d’Autriche est remise aux autorités françaises

(Robert Ouvrard et la complicité involontaire de F. Masson)

 

Une visite à Braunau – sur les traces du libraire Jean-Philippe Palm, exécuté sur les ordres de Napoléon et enterré à Braunau – nous a rappelé qu’un autre événement, plus futile, mais tout aussi important, s’était déroulé non loin de là, dans la petite localité de Sankt-Peter, à deux kilomètres à l’est de Braunau, sur la route qui mène à Vienne, par Altheim, Ried, Enns et Sankt-Polten, celle-là même qu’emprunta en 1810, mais en sens inverse, l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche, en route pour la France. C’est à Sankt-Peter, en effet, qu’elle fut « remise » aux autorités françaises qui l’y attendaient. Et c’est à Sankt-Peter qu’une jolie fresque célèbre, de nos jours, l’événement.

Qui mieux que Frédéric Masson a su faire revivre les émotions de cette journée ? Nous lui laissons donc ici la parole :

« Dès le matin (du 13 mars 1810. NDLR), la Cour en demi-parure est réunie pour les adieux dans la Salle du Conseil privé. Marie- Louise, étouffant ses larmes, prend congé de son père, de sa belle-mère et de ses frères et soeurs. En grand cortège, elle est menée à sa voiture par l’archiduc Charles et, entre deux haies de soldats, elle traverse au pas les rues de Vienne, qu’emplit une foule à présent attristée, presque indignée. Le canon tire, les cloches sonnent en volée; elle arrive ainsi à Saint-Pölten, où l’Empereur s’est rendu avec toute la famille impériale : là, le dernier dîner, la dernière soirée : le lendemain matin, après la messe, Marie-Louise prend congé de son père, et tandis qu’elle marche sur Braunau, couchant le 14 à Enns, dans le palais du prince d’Auersperg, et le 15 à Ried, l’empereur François, rentré à Vienne, y trouve l’opinion, tout à l’heure si favorable au mariage, retournée brusquement. On s’assemble dans les rues, on se reproche d’avoir laissé partir l’archiduchesse. Elle a été immolée à l’intérêt politique et Dieu sait quels traitements elle va subir ! Par surcroît, voici la nouvelle de l’exécution, par les Français, d’Andréas Hofer, le héros du Tyrol. Ainsi, après avoir sacrifié son sujet le plus dévoué, l’Empereur sacrifie sa propre fille ! Le peuple s’échauffe et il faut, dans la ville fidèle, réprimer une sorte d’émeute du loyalisme.

Cependant que, pleurante et désolée, Marie-Louise s’achemine vers la frontière au milieu de ce cortège qui ne semble si abondant de noms illustres et si fourni de quartiers de noblesse que pour rendre le contraste plus frappant et le sacrifice plus sensible, le cortège français qui doit accompagner en France la nouvelle Impératrice attend à Braunau depuis le 9, car d’abord la cérémonie devait s’accomplir le 10. Sauf la reine de Naples, il est au complet. L’Empereur l’a composé avec un soin jaloux, écartant d’abord les noms qui sentent la roture et ne sont pas de l’ancienne noblesse, ne laissant de tels que la duchesse de Montebello qui doit paraître comme dame d’honneur et la duchesse de Bassano, femme du ministre à qui l’on ne peut faire l’injure de l’écarter; puis, pesant les positions diverses par rapport à l’Autriche, rayant, par exemple, Mercy-Argenteau, trop récemment français. Tout ce qu’on a de mieux né à la Cour impériale a été mis en réquisition : Les dames du Palais s’appellent Montmorency, Bouillé et Mortemart ; les chambellans, Béarn, d’Aubusson, d’Angosse et de Barol; les écuyers Aldobrandini, Saluces et d’Audenarde ; les pages Beaumont, Chaban, Sanois et Contades. De plus, il y a la dame d’honneur, la dame d’Atours, préfet du Palais, maréchal des logis et fourrier, aumônier, maître des Cérémonies, un service de santé complet, et un payeur du Trésor, ayant en sa caisse, outre 100.000 francs pour les dépenses, les parures destinées à l’Impératrice et les présents à distribuer aux Autrichiens. Le service de la Chambre est assuré par deux premières-femmes, quatre femmes de garde-robe, un coiffeur et deux garçons; à la Bouche, où commande un sous-contrôleur, on a quatre hommes pour la table, cinq pour la cuisine, trois pour 1’office, un pour la cave, deux pour l’argenterie, un pour, porcelaine; la Livrée se compose de douze valets pied et coureurs; pour l’Appartement, il y a six huissiers et valets de chambre, sans compter deux valets de chambre tapissiers, et l’Écurie a fourni quatorze hommes seulement, car on doit se servir de la poste. Au total, soixante-deux personnes, auxquelles il faut ajouter les femmes et valets de chambre de la Maison d’honneur. Ces cent et quelques voyageurs ont été transportés à Braunau par dix-neuf voitures, réparties en trois convois, attelées de cent vingt-deux chevaux et militairement remplies. Quatre voyageurs par berline, une demi-vache pour deux personnes et un nécessaire pour chacune; point d’autre bagage. On ne s’est point associé davantage à sa fantaisie : la composition des voitures a été décrétée par l’écuyer de service. Tant mieux si l’on est bien tombé. Le voyage s’est passé sans incidents; partout on a logé à l’auberge pour n’incommoder personne, et quand on est arrivé le 9 à Braunau, « on a presque perdu l’habitude de manger et de dormir ». Pour se refaire, on a six jours. Le 15, la reine de Naples rejoint, ayant depuis Paris, couru jour et nuit. Il est temps : c’est le 16, à onze heures du matin, que l’Impératrice est attendue.

La fresque de Sankt-Peter (Photos R., Ouvrard)
La fresque de Sankt-Peter. Scène du baise-main
La fresque de Sankt-Peter. Le côté français
La fresque de Sankt-Peter. Le côté autrichien

Comme on n’a pu trouver, à Braunau même (1), un local se prêtant au cérémonial de la remise, le génie du corps de Davout – lequel occupe toujours la Bavière – a édifié, à une lieue en deçà, près du village de Saint-Pierre (Sankt-Peter – NDLR), une baraque à prétentions néo- grecques, qui a deux entrées, l’une du côté de Braunau, réputée France, l’autre du côté d’Altheim qui, fictivement neutralisé, est Autriche. Cette baraque est divisée, dans sa longueur, en trois salles : autrichienne, neutre et française. Le 16, l’Impératrice, partie à huit heures de Ried, arrive à onze à Altheim, où elle quitte ses habits de voyage, déjeune, et revêt une robe de brocart d’or, brochée de grandes fleurs de couleurs naturelles, qui paraît d’un poids immense. À deux heures, elle arrive à la baraque où, dans leur salle, attendent tous les Français en grand costume. Elle se repose dans la salle autrichienne, entre dans la salle du milieu et prend place sur un fauteuil de drap d’or, élevé sur une estrade et surmonté d’un dais de velours à crépines d’or. La cour autrichienne se range autour d’elle et, quand tout est disposé, la cour française est introduite. On lit les actes de remise et de réception ; Berthier et Trauttmansdorff signent et apposent leurs cachets. Puis les Autrichiens prennent congé ; tous défilent devant leur archiduchesse dont ils baisent la main ; la plupart pleurent, murmurent des adieux et des bénédictions. Ensuite les deux cours devraient se réunir, et, en effet, les hommes se mêlent et échangent quelques paroles ; mais les femmes, en deux groupes, continuent à se regarder, et les dames autrichiennes, « par leur froide raideur et leur hautaine taciturnité », repoussent toutes les avances. Peu leur importe comment les Françaises sont nées ou mariées, elles n’en veulent rien savoir. Tout est contraste : les toilettes, les façons, le décolletage, les coiffures, la façon même de se tenir et de prendre ses airs. Qu’importent les noms ? Ces gens, hommes et femmes, ne sont-ils pas ralliés à l’Empire, donc à la Révolution – ne sont-ils pas des Français ?

Durant le baisemain, on a procédé à la vérification des pierreries dont on a donné décharge; tous les préliminaires sont donc accomplis. L’Impératrice se lève, Trauttmansdorff lui donne la main et la conduit à Berthier, qui lui nomme les personnes de sa suite. Caroline qui, pour sa dignité, s’est abstenue jusqu’à ce moment, entre alors, embrasse sa belle- soeur et lui adresse des paroles de bienvenue ; par l’autre porte, arrive l’archiduc Antoine que l’Empereur a envoyé pour complimenter la reine de Naples, et on passe dans la salle française. De là, en voiture pour Braunau. Le cortège proprement dit se compose de six voitures à six chevaux, encadrant le carrosse à huit chevaux blancs où l’Impératrice est seule avec Caroline; aux portières, écuyers et pages à cheval, plus le général Montbrun, commandant l’escorte, fournie par le 7e Hussards. La division Friant borde la haie. A l’entrée dans Braunau, coups de canon, salut des étendards, tous les honneurs d’impératrice. A travers la ville illuminée, on arrive au logis qu’on a préparé en perçant les murs de plusieurs maisons.

Dans un des salons, le trousseau de voyage est exposé; la dame d’Atours le présente et, toute de suite livrée aux femmes de chambre, Marie-Louise, des pieds à la tête, des souliers à la coiffure, est habillée à la française. Elle reçoit alors le serment des personnes de sa maison et, à six heures et demie, durant qu’elle dîne seule avec Caroline et Mme Lazansky, la cour autrichienne, réunie à la française, banquette à une table de soixante-dix couverts que président le prince de Neuchâtel et la duchesse de Montebello. Même la nourriture et les vins ne parviennent ni à délier les langues, ni à briser 1a glace.

(F. Masson. L’impératrice Marie-Louise. Paris, 1909)

On pourra également consulter l’Itinéraire de Marie-Louise de Vienne à Braunau.

(1) André Castelot, dans son Marie-Louise (Perrin, Paris, 1998) fait donc une erreur lorsqu’il écrit (page 48) que « c’est à Braunau-sur-Inn, un affluent du Danube, le vendredi 17 mars 1810,  (…) qu’aura lieu la « remise » de l’Impératrice à sa nouvelle patrie. Après en avoir chassé les habitants, on est parvenu à réunir plusieurs maisons dont on a coupé les murs mitoyens, rassemblé les toits et l’ensemble hétéroclite a été noblement baptisé le « palais » ». L’anecdote