16 – 19 octobre 1813 – La bataille de Leipzig

Le crépuscule des Dieux

Ceux d’entre vous qui m’ont fait l’honneur d’assister à ma conférence du printemps dernier, se rappellent sans doute que nous avions alors abandonné l’empereur Napoléon, à Dresde, alors qu’il venait de subir une défaite diplomatique, face au rusé Metternich, venu lui proposer une médiation dans le conflit qui l’opposait, depuis le début de l’année, à l’empire russe, à la Prusse et à l’Angleterre.

L'entrevue de Dresde
L’entrevue de Dresde

S’il avait pu croire, à la fin de ce mémorable entretien, garder l’Autriche – après tout, le pays de son épouse Marie-Louise – à l’écart de cette nouvelle coalition – la sixième – il allait vite déchanter et retrouver la réalité.

Lorsqu’il avait, à Pleiswitz, signé un armistice, malgré les deux victoires de Lützen et de Bautzen, c’est qu’il pensait refaire ses forces, passablement entamées. Mais beaucoup n’avaient pas vraiment compris

Joseph Bertha, conscrit de 1813
Joseph Bertha, conscrit de 1813

Un armistice !… Est-ce que nous avions besoin d’un armistice, nous ? Est-ce qu’après avoir écrasé ces Prussiens et ces Russes à Lützen, à Bautzen et à Wurschen, nous ne devions pas les détruire de fond en comble ? Est-ce que, s’ils nous avaient battus, ils nous donneraient un armistice, eux ? Ça, – vois-tu, Joseph, c’est le caractère de l’Empereur, il est trop bon… il est trop bon ! C’est son seul défaut. Il a fait la même chose après Austerlitz, et nous avons été obligés de recommencer la partie. Je te dis qu’il est trop bon. Ah ! s’il n’était pas si bon, nous serions maîtres de toute l’Europe. (Joseph Bertha, le Conscrit de 1813)

Toujours est-il que, le 12 août 1813, soit quelques jours à peine après la fin de cet armistice, l’Autriche, donc, déclarait la guerre à la France.

À ce moment-là, établi sur tout le cours de l’Elbe défendu par de puissantes places fortes (je citerais Magdebourg, Wittenberg, Torgau, Dresde), Napoléon fait face à trois groupes d’armées commandés par

  • Bernadotte (devenu, depuis octobre 1810, Charles Jean, prince héritier de Suède, et à qui les autres membres de la coalition ont habilement promis, en cas de succès, la Norvège), sur le bas Elbe,
  • Blücher en Haute Silésie (en grande partie la Pologne d’aujourd’hui),
  • Schwarzenberg en Bohème (une partie de la République tchèque actuelle).

Jean Bernadotte
Jean Bernadotte

Le maréchal Blücher
Le maréchal Blücher

Le prince de Schwarzenberg
Le prince de Schwarzenberg

Son intention est de les défaire successivement, comme il l’a fait si bien autrefois, par exemple, mais il y a bien longtemps, sur l’Adige en Italie.

De leur côté, afin de déborder Napoléon, les coalisés, sous le commandement unifié du prince de Schwarzenberg, font une première tentative sur Dresde par la rive gauche de l’Elbe, à travers les monts de Bohème.

La bataille de Dresde (les 26 et 27 août) est certes pour Napoléon une grande victoire – et la dernière de cette ampleur – alors que le rapport des forces est de 2 contre un en sa défaveur.

Bataille de Dresde
Bataille de Dresde

Malheureusement, cette victoire ne va pas servir à grand-chose.

D’une part, Napoléon est, pendant deux jours, malade, ce qui l’empêche de poursuivre lui-même ses adversaires.

 

Louis-Constant, valet de l'empereur
Louis-Constant, valet de l’empereur

Ce fut après seulement qu’il prit son bain; il n’y était que depuis quelques minutes, quand il se trouva saisi d’un malaise extraordinaire bientôt suivi de vomissements, ce qui l’obligea à se remettre au lit. Alors Sa Majesté me dit : « Mon cher Constant, un peu de repos m’est indispensable, voyez à ce qu’on ne me réveille que pour des choses de la plus grande importance; dites-le à Fain. » J’obéis aux ordres de l’empereur, après quoi je me tins dans le salon qui précédait sa cham­bre à coucher, veillant avec la sévérité d’un fac­tionnaire à ce que personne ne le réveillât ou approchât même de son appartement. Le lendemain matin l’empereur sonna d’assez bonne heure, et j’en­trai immédiatement dans sa chambre, inquiet de savoir comment il aurait passé la nuit. Je trouvai l’empereur presque entièrement remis et fort gai ; il me dit cependant qu’il avait eu un mouvement de fièvre assez fort, et je dois dire que ce fut à ma connaissance la seule fois que l’empereur ait eu la fièvre, car, pendant tout le temps que j’ai été au­près de lui, je ne l’ai jamais vu assez malade pour garder le lit seulement pendant vingt-quatre heures. Il se leva à son heure ordinaire. (Louis-Constant, valet de chambre de l’Empereur)

De plus, de cinglants revers sont infligés à ses lieutenants.

Déjà, le 23 août, Oudinot, alors qu’il marchait sur Berlin à la tête de 60.000 hommes, avait été battu, à Gross-Beeren, par Bülow, emmenant, lui, 80.000 hommes.

Bataille de Groß-Beeren
Bataille de Groß-Beeren

Les Marie-Louise du 12e corps,  malgré leur jeunesse et leur manque d’expérience avaient fait, à cette occasion, preuve d’héroïsme, et d’admiration pour LEUR empereur.

Et moi, me penchant aussi pour voir, je vis Napoléon qui montait dans la fusillade, son chapeau enfoncé sur sa grosse tête, sa capote grise ouverte, un large ruban rouge en travers de son gilet blanc, calme, froid, comme éclairé par le reflet des baïonnettes. Tout pliait devant lui ; les canonniers prussiens abandonnaient leurs pièces et sautaient le mur du jardin, malgré les cris de leurs officiers qui voulaient les retenir.

Ces choses, je les ai vues ; elles sont restées comme peintes en feu dans mon esprit ; mais depuis ce moment je ne me rappelle plus rien de la bataille, car, dans l’espérance de notre victoire, j’avais perdu le sentiment, et j’étais comme un mort au milieu de tous ces morts. (Joseph Bertha, le Conscrit de 1813)

Du coup, Davout, qui se dirigeait lui aussi sur la capitale prussienne, avait été obligé d’interrompre ce mouvement. Le 7e corps avait perdu dans cette affaire, 3.000 hommes tués ou blessés et 1.500 Saxons, faits prisonniers, en avait profité, déjà, pour passer à l’ennemi.

Trois jours plus tard, le 26 août, qui s’était fait battre par Blücher, à la Katzbach, perdant 25.000 tués, blessés ou prisonniers.

Bataille de la Katzbach
Bataille de la Katzbach

Pour comble de malchance, le général Vandamme, de son côté, qui doit couper la retraite aux vaincus de Dresde, est incapable de les intercepter, et, à Kulm, le 30 août,  se fait battre par l’Autrichien Kleist, lui-même étant fait prisonnier.

Bataille de Kulm
Bataille de Kulm

À quoi attribuer cette succession de défaites ?

En fait, à force de se battre contre, et d’être battus par Napoléon, ses adversaires avaient fini par en tirer de salutaires leçons. Désormais, ils changent de tactique.  Sans doute sur les conseils du Suisse Jomini (qui avait changé de camp pendant l’armistice de Pleiswitz), voire du général Moreau (que le tsar Alexandre avait tiré de son exil américain, mais qu’un boulet français tue à Dresde),  ou même de Bernadotte, ils évitent la confrontation directe avec Napoléon, privilégiant, durant cette nouvelle campagne, l’affrontement avec ses maréchaux ou même à simplement se retirer devant lui, pour, lorsque les Français seront suffisamment affaiblis, les déborder largement dans une tenaille, dont, dans ce cas précis, le premier bras passerait l’Elbe au nord, et le deuxième au sud-ouest, retraverserait les monts de Bohême, cette fois loin de Dresde.

Jomini
Jomini

Moreau
Moreau

C’est ainsi que, Napoléon persistant dans son idée initiale d’aller battre l’adversaire à Berlin, il confie à Ney cette tâche. Là ! Le 6 septembre, le brave des braves et et son collègue Oudinot sont incapables de résister, à Dennewitz, à 60 km au sud de Berlin, à Bernadotte et Bülow. Ce jour-là, aussi, de nouvelles défections sont enregistrées dans les rangs des Bavarois et des Saxons, premiers signes de faiblesse au sein des membres de la Confédération du Rhin.

Bataille de Dennewitz
Bataille de Dennewitz

Les Alliés mettent désormais en œuvre leur stratégie : Blücher et Bernadotte franchissent l’Elbe au nord et descendent sur Leipzig; Schwarzenberg s’en rapproche également, en venant de la Bohème.

Début octobre, laissant à Murat le soin de contenir Schwarzenberg, au sud, Napoléon s’avance de nouveau sur Berlin. Il rencontre, le 9, les Prussiens de Blücher, à Düben. Le combat qui s’ensuit tourne à l’avantage des Français, mais, une fois encore, Blücher recule, laissant la route de Berlin ouverte. Napoléon est tenté de s’y précipiter, mais au reçu de la nouvelle que Murat se trouve devant de grandes difficultés face à Schwarzenberg, il décide de faire demi-tour, pour venir à l’aide de son beau-frère, laissant derrière lui Marmont et 20.000 hommes, au cas où Blücher reviendrait à la charge.

C’est effectivement ce qui se passe : le 12 octobre, assailli par Blücher, à environ 15 km au nord de Leipzig, le duc de Raguse contraint de se replier.

La décision de l’empereur est rapidement prise : menacé d’être débordé sur ses arrières, ayant parfaitement percé le plan allié, Napoléon veut en finir, et accepte le combat décisif, en ne désespérant pas de vaincre successivement les uns et les autres autour de la ville. Sa position centrale est très forte; tout est possible, même à un contre deux. Il donne donc l’ordre à ses troupes de le rejoindre à Leipzig, où il entre le 14 octobre, sous une pluie battante, sans toutefois s’y arrêter, préférant s’installer, à Reudnitz, sur la route qui mène à Dresde, provoquant la curiosité des badauds que la Garde doit contenir.  Il loge dans la maison d’un riche banquier du nom de Wester (ou Vetter).

Docteur Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire

Napoléon arriva vers midi, non comme nous l’avions présumé, par la route de Dresde, mais par celle de Berlin. Il traversa rapidement la ville, escorté de quelques bataillons et escadrons de sa garde. On lui dressa en toute hâte une table en plein champ, et on lui alluma un grand feu de bi­vouac. Ses gardes bivouaquèrent à droite et à gauche. La table fut aussitôt couverte de cartes, que l’empereur considéra très-attenti­vement pendant un temps considérable. Il ne paraissait pas faire la moindre attention à ce qui se passait autour de lui. Les spectateurs > au nombre desquels j’étais, l’approchèrent  d’assez près. Lorsqu’il était venu dans notre ville, quelques mois auparavant, les Français avaient reconnu que les habitants de Leipzig n’étaient pas aussi méchants qu’on les avait re­présentés ; nous eûmes donc alors la permis­sion d’approcher à vingt pas. Quelquefois il se levait de sa chaise, s’approchait du feu, plaçait ses mains dessus, les frottait et les mettait der­rière son dos, tandis qu’avec son pied il pous­sait le bois pour le faire brûler davantage. En même temps, il prenait très-souvent du tabac, dont il paraissait n’avoir qu’une fort petite quantité dans sa boîte d’or. À la fin, il gratta le reste avec son doigt, et le renversa sur sa main. Quand il n’y en eut plus, il ou­vrit plusieurs fois sa boîte et la flaira, sans de­mander à aucun des maréchaux ou généraux dont il était entouré le tabac qui lui manquait. (Docteur Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire)

De Dresde, il a fait venir son fidèle allié, le sexagénaire roi Frédéric-Auguste Ier de Bavière, qui vient s’installer dans sa demeure habituelle à Leipzig, la Königshaus,  accompagné de son épouse Marie-Amélie et de sa fille Marie-Auguste.

Frédéric-Auguste Ier de Bavière
Frédéric-Auguste Ier de Bavière

Dans la ville règne un désordre incroyable

La nuit devint noire, il pleuvait fort, et je n’avais aucun abri. J’étais au milieu d’une foule de chevaux qui, à chaque moment, pouvaient me fouler aux pieds. Par bonheur, ils étaient tous assez tranquilles. Depuis longtemps, l’artillerie ne grondait plus; mais peut-être même ne l’eût-on pas entendue au milieu du bruit des chariots et des caissons, des cris des officiers et des soldats tant de cavalerie que d’infanterie, qui voulaient passer les premiers. Jamais, je crois, je ne reverrai une telle scène de confusion, dont il est impossible de se former une idée. Elle continua sans interruption depuis quatre heures de l’après-midi jusqu’à minuit : que l’on juge de la situation déplorable où j’étais placé ! J’eus bientôt un spectacle plus triste. Des mères, tenant leurs enfants demi-nus par la main, des pères, cherchant leurs femmes et leurs familles, des enfants qui avaient perdu leurs parents dans la mêlée, des malades essayant de se frayer un chemin au milieu des chevaux, partout les cris de la misère et du désespoir. Tous ces malheureux s’entassèrent dans un lieu maussade entre le vieil hôpital et le mur voisin de la porte du Kolhgarten. À leurs cris et à leurs lamentations se joignaient les gémissements des blessés qui allaient aux hôpitaux, demandant avec instance du pain et des secours. Les cœurs les plus tendres devenaient insensibles. Un récit funeste succédait à un autre : un tel a été pillé — tel autre a eu sa maison incendiée — cet homme a été sabré — cet autre percé de baïonnettes — ces malheureux cherchent leurs enfants. Tels étaient les rap­ports que faisait chaque nouveau fugitif. Enfin ! Vers minuit, le bruit s’apaisa un peu, du moins en ce qui concernait la marche des troupes. (Docteur Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire)

Pour les troupes, la situation n’est pas moins difficile : la nuit du 14 au 15 est particulièrement froide et humide :

La nuit fut froide et inhabituellement tempétueuse, une pluie incessante tombait à torrent, le matériel pour construire des huttes manquait totalement.  Aucun feu de bivouac ne brûlait, de sorte que la majorité du bataillon marchait de long en large, pour se réchauffer. La nourriture faisait défaut et les troupes dûrent se contenter de la portion congrue. (Major Friedrich von Dreßler, officier saxon)

Le 15 octobre, pensant toujours qu’il n’aura à combattre, du moins pour l’instant, que l’armée de Bohème de Schwarzenberg, Napoléon se prépare à la bataille du lendemain. Il dispose alors d’un peu plus de 160.000 hommes, dont 22.000 cavaliers.

Laissant à Marmont, au nord, le soin de surveiller  Blücher, il décide de s’attaquer, avec le gros de ses forces, à Schwarzenberg, pour le repousser en direction de la Silésie, ou bien, si celui-ci s’échappe vers le sud, le faire prendre de flanc par Gouvion Saint-Cyr, qui dispose, à Dresde, d’un peu plus de 30.000 hommes.

Ce que Napoléon n’a toutefois pas prévu c’est que les forces des coalisés vont, au fil des heures, s’accroitre et annihiler la supériorité numérique initiale de la Grande Armée.

L’espace où vont se dérouler les combats est étendu : 14 km du Nord au Sud, 11 km d’Ouest en Est (c’est-à-dire une surface équivalente à celle de la bataille d’Austerlitz, mais quatre fois plus de soldats vont s’y affronter !). A l’Ouest, deux rivières, l’Elster et la Pleisse, le parcours, du Sud au Nord, se divisant en bras assez nombreux, rendant cette zone peut propice à une attaque venant de ce côté. À l’Est de cet espace, peu d’accidents de terrain, mis à part une légère dépression, en avant du front français

Au matin du 15 octobre, les forces de Napoléon sont déployées de la façon suivante : (carte)

Emplacement des troupes
Emplacement des troupes

L’extrémité de son aile droite (en regardant vers le sud) s’appuie à la Pleisse, aux villages de Markkleeberg, Dölitz et Connewitz, que les Polonais occupent sous les ordres du prince Poniatowski. À la gauche de ceux-ci, derrière le village de Wachau (qui va donner son nom à la bataille du lendemain), se trouve le corps du maréchal Victor, derrière lequel le corps d’Augereau occupe le village de Dösen; ces deux corps sont flanqués par la cavalerie des généraux Kellermann et Michaud. Au centre, à Liebertwolkwitz, se trouve le général Lauriston, ayant à sa gauche le maréchal Macdonald; à la gauche duquel se tiennent les corps de cavalerie des généraux Latour-Maubourg et Sébastiani. La garde impériale est, comme à l’habitude, en réserve, derrière ces divers corps et au centre, près du village de Probstheyda.

Face aux Français, Kleist et Wittgenstein ont pris positon, de Grosspösna à Crostewitz, par Gülden-Gossa, les Autrichiens, formant la gauche des Alliés, entre la Pleisse et l’Elster.

Au nord du champ de bataille, des hauteurs, de Möckern à Eutritzsch, offrent une position avantageuse, barrant la route qui vient de Halle, par où arrive Blücher. C’est là que se trouve, à Möckern, le maréchal Marmont, ayant sa gauche appuyée à l’Elster, et à sa droite le maréchal Ney (Souham et Dombrowski notamment) , lequel devra, selon le plan de Napoléon, rétrograder progressivement pour venir tendre la main aux troupes engagées au sud, et ainsi fermer le cercle autour de Leipzig.

Enfin, les troupes du général Bertrand, destinées à garder le passage de l’Elster, ont pris position derrière cette rivière, au village de Lindenau. Quant au général Reynier, il est en route pour arriver  sur le champ de bataille, en principe le 16.

Face à Marmont, on l’a vu,  les Prussiens viennent à sa rencontre depuis Wartenburg, les Suédois à leur suite (mais Bernadotte se hâte avec lenteur), les Autrichiens et les Russes depuis Chemnitz et Zwickau.

Plan de la ville de Leipzig
Plan de la ville de Leipzig

À cette époque, la ville de Leipzig est entourée de murs imposants, percés de 4 portes, chacune étant défendue par une tour. Un peu comme à Vienne, devant des murs, se trouvent un fossé et un glacis.

Quatre faubourgs entourent la ville : au nord, celui de Halle, à l’est, celui de Grimma, au sud, celui de Sankt-Peter, enfin, à l’ouest, celui de Randstadt, chacun étant entouré d’un simple mur en brique. Des meurtrières y sont pratiquées, et, au moment de la bataille, les quelques portes qui les traversent  seront barrées par des barricades, des chevaux de frises, des arbres, des chariots.

Pendant que Napoléon, toute la journée, reconnaît le terrain, en compagnie de Murat, et distribue, près de Dösen, des aigles à trois nouveaux régiments, à Leipzig,  les défenses de la ville sont renforcées.

Les préparatifs pour la défense de la ville devinrent plus sérieux et plus alarmants. On avait palissadé et garni de chevaux de frise les avenues extérieures. Des meurtrières étaient pratiquées dans chaque mur, et des tirailleurs se tenaient derrière. Chaque jardin, chaque coin de haie étaient occupés par des piquets. Comme l’intérieur de la ville est plus à l’abri d’un coup de main, à cause de ses fortes murailles, on se contenta de pratiquer dans les grandes portes de bois des trous par lesquels on pourrait faire feu. Tout annonçait le dessein de n’épargner en rien la ville, quelque peu propre qu’elle fût pour être un point de défense. La seule cir­constance qui rassurât les gens timides, c’était la présence de notre roi, pour qui Napoléon ne pouvait manquer d’avoir quelques égards. (Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire)

 

La bataille de Wachau
La bataille de Wachau

 

Le 16 octobre, il y a un épais brouillard, le temps est sombre et il fait froid.

Ce sont les Alliés qui, dès 9 heures du matin, engagent le combat, par une énorme canonnade, qui va durer cinq heures et, selon les témoins, fait trembler la terre

Vers sept heures du matin, lorsque le brouillard commence à se dissiper, l’ennemi prend l’offensive. Il s’avance résolument, précédé d’une nombreuse artillerie. La nôtre, parfaitement placée, le crible de mitraille sans arrêter sa marche. J’ai rarement entendu vacarme pareil. Nous avons en batterie 300 pièces de canon. (Colonel Noel)

Celle-ci est suivie de l’attaque de trois colonnes sur les positions françaises : Kleist se lance sur Markkleeberg, le prince de Wurtemberg sur Wachau, Gorchakov sur Liebertwolkwitz, tandis que Klenau va essayer de tourner par l’est cette dernière position.

Malgré les tirs dévastateurs de l’artillerie française, les troupes alliées abordent avec force ces positions. Kleist déloge Poniatowski de Markkleeberg, ce qui, un moment, met en danger Victor, à Wachau, et Lauriston, dans Liebertwolkwitz, qui tiennent cependant bon dans ces deux villages, qui vont être pris et repris plusieurs fois. L’acharnement est si intense qu’à midi, 18.000 hommes jonchent déjà le sol, dont deux tiers de troupes alliées !

Vers les 9 ou 10 heures, l’ennemi ayant eu quelque avantage vers le centre, l’empereur fit marcher sur ce point des forces considérables d’infanterie et de cavalerie, et je reçus ordre de les appuyer avec les trente-deux bouches à feu de réserve de la garde. Je me portai en avant dans la direction de Wachau, et je com­mençai le feu; la canonnade devint terrible et continua ainsi toute la journée, sauf quelques courts intervalles où elle se ralentissait faute de munitions. Cependant notre attaque réussissait, nos troupes culbutaient tout ce qui se trouvait devant elles, et je ne restais guère plus d’une demi-heure à chaque position, que je quittais ensuite pour me porter à une autre plus avancée.

Dans une des dernières que j’occupais, j’avais en face de moi une batterie formidable soutenue par plusieurs carrés de grenadiers russes. Quoique l’artillerie nous fît beaucoup de mal, je ne répondis à son feu que par la moitié de la mienne et je dirigeai l’autre moitié sur les carrés d’infanterie. L’effet fut prodigieux; comme nous étions à petite portée, aucun coup n’était perdu, et chaque boulet faisait une large brèche dans ces masses qui ne bougeaient que pour resserrer leurs rangs. Bientôt ces carrés furent abattus et l’artillerie qu’ils appuyaient, obligée de rétrograder et de nous céder sa position (Général d’artillerie Griois)

Des toits de Leipzig, les habitants essayent d’observer la bataille :

De notre position élevée, nous ne pouvions rien distinguer; l’épaisseur du brouillard nous cachait les objets à la distance de cent pas. Vers dix heures, l’artillerie tonna sur toute la ligne de bataille. L’atmosphère devint plus sereine, el les nuages se dissipèrent. On apercevait distinctement la lueur de chaque canon, du côté de Connewitz.  Mille de ces instruments de mort portaient la destruction au milieu des deux armées. Le feu des chasseurs et des tirailleurs s’étendait de tous côtés, et nous découvrîmes bientôt des rangs entiers de bataillons et de régiments. C’était un engagement général, personne n’en pouvait douter, pas même ceux qui, de leur vie, n’avaient entendu tirer un seul coup de canon.(Docteur Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire)

À ce moment-là, Napoléon est informé de l’attaque de Giulay, sur Lindenau, où ne se trouve que la seule division Margaron, menaçant ainsi la ligne de retraite vers l’Ouest.  Il apprend également que Blücher, au nord, marchant au canon, est arrivé plus tôt que prévu et attaque Marmont et Ney. Le mouvement de jonction avec le front sud, est désormais impossible.

Mais il faut désormais, à tout prix, et avant la nuit, venir à bout de Schwarzenberg. Il ordonne donc une formidable contre-offensive, pendant que Macdonald tentera de déborder l’ennemi  par l’Est, c’est-à-dire par la droite des Alliés.

Un  moment, l’affaire parait gagnée, les Alliés plient, et le tsar lui-même tient la bataille pour perdue, parlant même de retraite. Napoléon, sûr de son fait, envoie même un aide de camp à Leipzig, pour faire sonner les cloches des églises !

Certes, comme il l’avait souhaité, une brèche est ouverte, dans laquelle s’engouffre Murat avec 10.000 cavaliers français, italiens, et saxons. La charge est massive et menace même la colline sur laquelle se trouvent les empereurs de la coalition.

La charge de Murat
La charge de Murat

Trois mille vieux dragons venaient de nous ar­river d’Espagne. À la vue de ces vrais cavaliers, dont nous n’avions plus guère depuis Moscou que d’imparfaites copies, Murat se sent saisi d’enthou­siasme. Il leur adjoint ce qu’il avait de mieux en ce genre et s’abandonne à la joie de montrer de près à la cavalerie ennemie, oubliant peut-être que cette cavalerie était aussi bonne au moins que la sienne, et certainement beaucoup plus nombreuse. Ces longues lignes de dragons, de cuirassiers, de hussards français, allant se heurter contre les cui­rassiers russes de Pahlen, les dragons autrichiens de La Tour, les uhlans prussiens, décrivant des courbes de toute espèce, avançant, reculant, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus ; la terre ébranlée sous le galop de tant de milliers de chevaux ; les uni­formes éclatants et variés ; les sabres qui étincellent ; le sifflement des boulets qui se joignent à l’acier pour joncher la plaine de cadavres ; puis cet intrépide cavalier, qu’on a appelé un roi de théâtre et qui le paraissait parfois sous ses costume fantastiques, faisant ondoyer sur la scène son bril­lant panache et la parcourant sa cravache à la main ; tout cela formait, je le répète, un spectacle unique. (Martin, jeune officier suisse.)

Dans cette affaire, le général Latour-Maubourg a la cuisse emportée par un boulet.

Dominique Larrey
Dominique Larrey

Le général Latour-Maubourg, que j’opérai presque sous le feu du canon, avait reçu un gros biscaïen au genou gauche, lequel avait emporté la majeure partie du condyle externe du tibia, la tête du péroné, les tendons qui s’y insèrent et une portion du mollet de la jambe. L’articulation était ouverte à sa partie externe et postérieure ; le condyle correspondant du fémur était fracturé, et l’artère péronière avait été rompue très-près de son origine à la poplitée. Après avoir bien reconnu ce désordre et l’avoir fait reconnaître à plusieurs chirurgiens-majors assistants, tels que MM. Bigarrée, Devergie, Bourgeois et autres, je prononçai la nécessité rigoureuse de l’ampu­tation de la cuisse, désirée par le blessé, et éga­lement jugée indispensable par ces officiers de santé ; elle fut faite en moins de trois minutes. (Dominique Larrey, chirurgien de la Garde)

Mais Murat a négligé de prévoir une réserve. Plusieurs petites formations de cavalerie russes (notamment le régiment de cosaques de la Garde impériale), prussiennes et autrichiennes s’interposent et après d’âpres combats repoussent les assaillants jusqu’à leur propre artillerie. In extremis l’intervention des dragons de la jeune garde les sauve et les alliés sont de nouveau repoussés  hors du village. Liebertwolkwitz et Wachau sont repris, mais les alliés rejoignent leurs positions de départ.

Macdonald n’étant pas parvenu à tourner les Alliés, Napoléon, dans un dernier effort, fait intervenir deux divisions de la Vieille Garde, sa réserve, pour enfoncer le centre de Schwarzenberg.

Hélas, au même moment, le général autrichien Merveldt, à l’Ouest, s’est lancé sur Dölitz. Une partie des troupes destinées à attaquer le centre allié est alors détachée pour s’y opposer.

C’est un succès, certes, puisque 2.000 Autrichiens, dont leur chef Merveldt, sont faits prisonniers,  mais l’élan au centre est rompu, la Jeune Garde y subi même de lourdes pertes.

Au nord, Marmont, avec ses 20.000 hommes, a résisté, aux premiers assauts des 60.000 Prussiens. C’est à Möckern, notamment, que l’affrontement y a été le plus dur : malgré sa supériorité numérique, Blücher n’a pu s’emparer de cette position importante, qui protège l’accès à Leipzig, lorsque la défection de la cavalerie wurtembergeoise crée la confusion dans les rangs français, dont profite habilement le général prussien, forçant les Français à se replier sur la Partha.

Ainsi, lorsque la nuit tombe, Napoléon doit se rendre à l’évidence : son plan a échoué, Schwarzenberg n’a pas reculé et ce sont bien les Alliés, désormais, qui ont l’avantage, car ici, comme au nord, ils vont recevoir des renforts, tandis que Napoléon se trouve pris, littéralement, entre deux feux.

Le spectacle dans et autour de Leipzig témoigne de la dureté des combats durant cette journée

On ne vit plus alors de tous les côtés de l’horizon qu’un cercle immense, formé par plusieurs milliers de feux de bivouac. Dans toutes les directions paraissaient des villages en feu, et par leur nombre on pouvait juger des ravages effectués dans cette terrible journée. Les effets en furent pour nous encore plus évidents, lorsque nous descendîmes dans les rues. Des milliers de blessés avaient été laissés à toutes les portes, et leur nombre s’accroissait à chaque moment. Beau­coup avaient perdu un bras ou une jambe, et se traînaient en poussant des gémissements douloureux. Il ne pouvait pas être question de songer à panser leurs blessures; les pauvres malheureux les avaient eux-mêmes pansées comme ils avaient pu, avec quelques lam­beaux. (Docteur Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire)

 

17 octobre 1813

C’est aujourd’hui dimanche, mais peu d’habitants de Leipzig vont avoir l’opportunité de se rendre à la messe, d’autant que seule l’église Saint-Nicolas reste, provisoirement, ouverte aux fidèles, toutes les autres étant transformées en lazaret, tout comme la plupart des édifices importants (comme par exemple la célèbre salle de concert du Gewandhaus, d’ailleurs transformée par la ville en dépôt, le dernier concert datant du 11 avril), pour accueillir le mieux possible quelques 15.000 blessés. Les témoins d’alors le confirmeront : Leipzig n’était plus une ville normale, mais était devenue le plus grand lazaret du monde !

Il y a aussi les prisonniers, dont le nombre est tel qu’il faut leur ménager une place dans les cimetières où, comme la place manque, car ils sont eux aussi encombrés de blessés et de mourants, on leur ouvre les caveaux, pour qu’ils puissent s’y installer pour dormir !

Il fut bientôt décidé que les prisonniers faits par les Français seraient amenés au cimetière, de sorte que celui-ci dû en accommoder plusieurs milliers.  En tant que fossoyeur, je fus obligé d’ouvrir les caveaux, pour que les prisonniers y trouvent un toit ; bientôt tout le cimetière fut submergé de prisonniers russes, prussiens et autrichiens, mais comme ils recevaient de la nourriture et du bois pour faire du feu, et qu’en plus il y avait des gardes, on ne put éviter un grand désordre, car dans chaque caveau brûlaient plusieurs feux et l’on y cuisinait à côté des dépouilles.

Les cadavres ne pouvant être inhumés dans les caveaux, et pour enterrer les nouveaux, on devait les transporter avec peine entre les prisonniers, et souvent l’affluence était telle que l’on ne pouvait arriver à la tombe. Comme tous mes outils de fossoyeur, le bois, les meneaux, les échelles et les brancards, m’avaient été dérobés par les soldats et brûlés sans que l’on puisse s’y opposer,  il était très difficile de manipuler les dépouilles lors de l’inhumation, souvent à nos risques et périls. Nous dûmes, avec mes aides, supporter cette situation trois semaines, sans pouvoir avoir une idée de ce qui se passait autour de nous, à quelque distance seulement. (Johann Daniel Ahlemann, fossoyeur à Leipzig)

La journée commence sous un ciel sombre et pluvieux, et chacun va plus ou moins vaquer à ses occupations.

Le grenadier Pils, ordonnance du maréchal Oudiniot
Le grenadier Pils, ordonnance du maréchal Oudiniot

Le 17, sitôt le petit jour, le commandant de la jeune garde se rendit à pied au campement de ses troupes, il traversa avec peine le parc dont les allées étaient encombrées d’arbres abattus parles boulets et de débris de statues; lorsqu’il arriva sur la pente de la colline où le bivouac était établi, tous les hommes dormaient encore étendus sur la terre humide et serrés les uns contre les autres ; il régnait un silence de mort dans tout le camp ; les hommes de garde seuls s’agitaient ; M. le Maréchal s’assit sur l’affût d’une pièce en batterie et attendit le réveil. Là il eut le chagrin de voir une de nos sen­tinelles passer à l’ennemi avec ses armes. Il fit prévenir tous les chefs de corps de faire réunir des hommes de corvée pour casser les crosses des fusils qui traînaient de tous côtés au­près des cadavres, puis il monta à cheval pour parcourir le champ de bataille, qu’il trouva parsemé de cuirassiers et de dragons russes. Les soldats qui parcouraient le terrain ramas­saient les crosses de fusils pour allumer de grands feux. (Le grenadier Pils)

Cette journée, durant laquelle il continuera de pleuvoir, Napoléon  la passe presque entièrement dans sa tente, sans vraiment donner d’ordre, jusqu’à la nuit suivante, à 2 heures du matin

Cette journée fut pluvieuse et l’empereur l’employa à visiter les positions où l’on avait combattu la veille, et à faire différentes manœuvres dont le but était de rapprocher notre gauche de Leipzig et de concentrer nos forces davan­tage. Sa tente était tout près de mon bivouac; il paraissait rêveur et soucieux; je le vis se promener sur les espèces de digues où nous étions; il recevait les rapports de ses lieutenants et leur donnait ses instructions (Général Griois)

L’Empereur aura même un accès de fièvre dans la nuit du 17 au 18.

L’Empereur restait sous sa tente. On le disait fatigué et fiévreux. Cela nous donna des inquiétudes, car s’il n’était plus là pour nous sauver du péril, que se passerait-il quand nous aurions 350.000 à 400.000 ennemis toujours prêts à nous envelopper et détruire ? (Le grenadier de la Garde Ballut)

 

Durant la journée, les belligérants reçoivent, chacun de leurs côtés, des renforts qui sont aussitôt positionnés.

Mais alors que les Français voient enfin arriver  les 14.000 hommes de Reynier (dont un bon tiers est constitué  de Saxons, dont nous aurons à reparler), les Alliés voient enfin arriver le général Bennigsen (venant de Dresde) et Bernadotte (arrivant par le nord), ce qui augmente les forces alliées de 145.000 hommes.

Il n’y a donc aucune action notable dans cette journée :

La journée du 17, sauf un engagement entre la ca­valerie du duc de Padoue (Arrighi) et celle de Blücher, se passa dans l’inaction, les armées restant en présence et se préparant à de nouveaux et terribles chocs. On a blâmé l’Empereur de n’avoir pas frappé un grand coup dans cette journée du 17, alors que les alliés n’avaient pu encore réunir toutes leurs forces ; mais il avait lui-même besoin de rassembler tous ses moyens, tout en donnant 24 heures de repos à ses troupes; les précédents combats avaient aussi épuisé les munitions de chaque corps, au point de nécessiter leur renouvel­lement, que le grand parc de réserve pouvait seul leur fournir, ce qui demandait nécessairement un peu de temps. On ne peut néanmoins disconvenir que cette journée de repos fut surtout à l’avantage de l’ennemi. (Girod de l’Ain, chef de bataillon)

Napoléon met également à profit cette journée pour envoyer aux chefs de la Coalition, le général autrichien Merveldt, une vieille connaissance, fait prisonnier la veille,  après un entretien au cours duquel il a repris peu ou prou les arguments utilisés avec Metternich, le 28 juin, avec des offres de négociations. Peine perdue : ces derniers ne répondront que trois semaines plus tard !

Du côté des Alliés, on n’est pas non plus mécontent de cette pause dans l’affrontement :

Il avait été proposé de reprendre la bataille aujourd’hui, mais le général Bennigsen ne pouvait arriver à temps pour y participer, et ses forces étaient nécessaires.

Le temps humide, la fatigue, l’état du terrain et le besoin de nourriture, avaient rendu déplorables les conditions des troupes et quelque repos était nécessaire, toutefois l’esprit de l’armée n’était en aucune manière altéré. (Robert Wilson, envoyé anglais à l’état-major de Schwarzenberg.)

Mais pour Napoléon,  au soir de cette journée d’inaction, la retraite est non seulement inévitable, mais décidée. Toutefois, elle devra s’effectuer dans un ordre parfait, afin de donner le change aux Alliés, leur faire croire à un mouvement stratégique, et non sans les avoir une nouvelle fois contenus et leur avoir couper l’envie de venir le troubler dans cette retraite. Et pourtant, aucun pont supplémentaire n’est construit sur l’Elster et ses nombreuses dérivations, ce qui va s’avérer une énorme faute !

 

À deux heures du matin, des ordres sont donc expédiés pour faire se replier un peu plus sur Leipzig et prendre position :

  • à la Garde, à Stœtteritz,
  • à Augereau, à Dölitz
  • à Poniatowski, à l’est de Dölitz,
  • à Victor, à Dösen
  • à Lauriston, à Zuckelhausen
  • à Macdonald, à Holzhausen

Ces nouvelles positions devront être  rejointes en bon ordre ; en cas d’attaque, on ne reculera que très lentement, et en combattant, en direction des faubourgs de Leipzig.

Dans la nuit, les feux de bivouacs des Alliés  montrent que le cercle autour de la Grande Armée est presque totalement fermé, sauf à l’ouest.

 

18 octobre 1813  – Bataille de Leipzig

Précisons que cette journée ne sera ni la plus sanglante ni la plus décisive de cette Bataille des Nations,  mais en restera la date officielle, car elle conduit définitivement à la retraite des Français, qui se poursuivra le lendemain.

Cette journée est aussi marquée par deux évènements marquant :

Ce sont d’abord les deux villages de Paunsdorf et Schönefeld  qui vont être la cible, pour la première fois dans l’Histoire des guerres,  de fusées, les célèbres « fusées à la Congrève », ainsi appelées du nom de leur inventeur, l’Anglais  William Congrève. C’est d’ailleurs l’unique contribution anglaise à cette campagne de 1813, si l’on excepte, bien entendu, son large financement !

Autre triste évènement, les Alliés bombardent, volontairement, le centre de Leipzig, mettant le feu à plusieurs immeubles, sans pour autant, par chance, entrainer de victimes.

Pendant plus de deux heures les boulets et les obus tombèrent de l’est et du nord dans les fau­bourgs et dans la ville même. Plus d’une fois je fus frappé d’étonnement aux effets produits par un seul boulet, qui souvent pénétrait des murs épais, et poursuivait encore sa course au-delà. Quoiqu’ils tombassent rarement dans les rues, il était impossible de sortir de chez soi sans risquer sa vie; car ces boulets enle­vaient de grands fragments de toits, de cheminées et de murailles qui, se précipitant avec un fracas horrible, menaçaient d’ensevelir tous les passants sous leurs ruines. Les bombes faisaient encore plus de  mal, s’enflammant aussitôt qu’elles  étaient tombées, elles incendiaient tout autour d’elles. Par bonheur pour nous, il en tomba peu dans la ville. Le plus grand nombre vint du nord c’est-à-dire dans la direction de Halle. Le feu prit trois fois dans le quartier de Brühl.  En peu de temps, il consuma plusieurs maisons contiguës  au mur de la ville; et il fallut, pour l’empêcher de faire des progrès, porter de prompts secours. Les alliés voulaient prouver à l’ennemi en re­traite, qu’ils avaient pour principal but d’é­pargner la ville, dont ils étaient maîtres d’o­pérer la destruction. (Docteur Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire)

Mais revenons aux opérations militaires.

Numériquement, la situation est devenue critique pour Napoléon. Il a désormais à combattre les 185.000 hommes de Schwarzenberg, au sud, les 70.000 de Bennigsen, arrivés de Pologne, les 25.000 de Blücher et les 85.000 de Bernadotte.

Ce jour-là, sur le champ de bataille, Anglais, Autrichiens, Badois, Bavarois, Bergois,  Espagnols, Français, Hessois, Hollandais,  Hongrois, Illyriens, Italiens, Lithuaniens, Napolitains, Polonais, Prussiens, Russes, Saxons, Suédois, Tchèques, Westphaliens et Wurtembergeois vont en découdre. La bataille des Nations mérite bien son nom, qui ne lui sera d’ailleurs attribué que plus tard !

 

Seul l’ouest  s’offre à la retraite vers la France, mais la porte est très étroite (telle le chas d’une aiguille, écrit l’historien anglais Digby Smith) et, de plus, certains corps devront parcourir 10 km pour y parvenir !

Au sud, les Français occupent une ligne allant de Dölitz à Holzhausen, en passant par Mensdorf et Ziegelscheun.

Positions au 18 octobre
Positions au 18 octobre

Au nord, Marmont est à Schönefeld, la division Delmas étant chargée de tenir la rivière Partha jusqu’à Leipzig. À la droite de Marmont, le 7e corps, à Sellerhausen, avec la division Durutte et les Saxons.

Le plan de Schwarzenberg est de déborder les Français par l’est, afin de donner la main à Blücher et Bernadotte. Il ne restera plus qu’à les repousser sur Leipzig. Remarquons que ce plan ne prévoit pas de couper la route aux Français, en les débordant par la rive gauche de l’Elster.  La prise de Leipzig semble les satisfaire.

L’aube n’est pas encore levée que les Français se mettent en action.

Le 18 octobre, vers les 3 heures du matin, un officier d’ordonnance m’apporta l’ordre de me mettre en marche avec mon artillerie et de me diriger sur la ville. Je fis aussitôt les dispositions nécessaires et commençais le mou­vement. Mais bientôt la route se trouva encombrée de troupes de toutes armes qui suivaient la même direction et qui s’embarrassaient mutuellement. Je ne pus avancer que très lentement, et j’étais forcé à chaque quart d’heure de faire des haltes plus ou moins longues. Heureusement, il faisait clair de lune; sans quoi la confusion aurait été bien plus grande encore.

Les explosions des caissons qu’on faisait sauter en plusieurs endroits faute de chevaux pour les emmener, et la clarté d’un grand nombre de chariots vides qu’on brûla au commencement de notre marche, me firent une impression pénible; je me rappelai la retraite de Moscou où pareil bruit avait retenti si souvent à mon oreille; c’était pour nous un funeste présage. (Général Griois)

La bataille débute, comme le 16, par une terrible canonnade, plus de 1000 pièces entrant en action, faisant littéralement trembler la terre.

De fait, durant cette seule journée, l’artillerie française va tirer 95.000 boulets !

Au sud, trois énormes colonnes se mettent en marche, concentriquement  sur la ville.

Le prince de Hesse-Hombourg attaque, sur la droite des Français, Poniatowski et Augereau ; Kleist et Wittgenstein, au centre, se lancent sur Victor et la Garde ; enfin, à gauche, Macdonald doit affronter Klenau, Bennigsen et Bubna, qui font en même temps avancer leur droite de manière à menacer Ney, qui fait face à Blücher, au nord-est du champ de bataille. 180.000 Coalisés contre 83.000 Français !

A cela s’ajoute Sederer (qui a remplacé Merveldt), entre la Pleisse et l’Elster, qui fonce sur Leipzig, tandis que Giulay arrive par l’Ouest, pour s’emparer de Lindenau ; s’il réussit, la route de la retraite est coupée !

Au nord, la pression de Bernadotte et de Blücher sur Marmont et Ney va s’intensifier.

Face à ce déluge, les Français reculent peu à peu sur Leipzig, tout en résistant farouchement, comme Poniatowski à Dölitz, Oudinot à Connewitz.

Mais lorsqu’il est informé de la réunion de Bernadotte avec Blücher, Schwarzenberg lance l’offensive générale. Une violente attaque est lancée sur Probstheyda, notamment par les Prussiens. Mais ils sont pris sous le feu de l’artillerie de Drouot,  sans que cela ne les empêche de pénétrer dans le village. Victor les rejette alors, suffisamment loin pour que Drouot reprenne efficacement son mitraillage.  Ils se regroupent et repartent à l’assaut  du village, où Napoléon a fait venir les divisions Curial et Friant, de la Vieille Garde, pour aider Lauriston. Napoléon est lui-même présent. Les Alliés reprennent le village, d’où ils sont à nouveau repoussés, puis mitraillés.  12.000 des leurs jonchent les rues.

Schwarzenberg donne alors l’ordre de ne pas recommencer une nouvelle attaque, se contentant de faire pleuvoir sur les Français ses boulets. Il préfère attendre l’issue des combats au nord.

En effet, c’est là que les affrontements vont être les plus acharnés.

Longtemps, Marmont résiste à Schönefeld, qui joue le rôle de verrou, comme Probstheyda au sud. Ce verrou ne doit pas céder, sous peine de catastrophe. Ney lance les deux divisions de Reynier sur Paunsdorf, les Saxons en tête.

C’est alors que, aux alentours de 16 h 00, entre Paunsdorf et Sellerhausen, les 5.000 Saxons de Reynier passent dans les rangs de l’ennemi, n’hésitant pas à retourner immédiatement leurs armes et leurs 40 canons contre ceux avec qui ils combattaient quelques minutes plus tôt ! Ils sont accueillis avec enthousiasme dans les rangs des Alliés.

La défection des Saxons
La défection des Saxons

Mais Ney n’avait-il pas écrit, dès le 12 septembre : il n’est pas douteux que ces troupes ne tournent leurs armes contre nous à la première occasion !

Bernadotte, qui a passé la Partha, s’avance contre Reynier. À sa vue les Saxons s’élancent à sa rencontre. On croit d’abord que l’ardeur les entraîne. C’est effectivement l’ardeur, mais l’ardeur de la trahison qui les entraîne vers ce général français prince de Ponte-Corvo, qui porte les armes contre son pays. La similitude de sentiments les attire; ils ne veulent pas mentir au proverbe : qui se ressemble s’assemble.

Les Saxons font tout à coup volte-face et criblent de balles et de boulets la 3e division du corps de Reynier, la division française Durutte, qui s’avançait pour les soutenir, et avec laquelle ils faisaient campagne depuis longtemps. Parmi les Saxons se trouvent des Wurtembergeois. Ce sont 12,000 hommes et 42 pièces de canon qui, au milieu de la bataille, passent à l’ennemi et se tournent contre nous ; c’est une trouée au milieu de notre armée. Reudnitz est à peu près découvert, et ce village n’est qu’à un quart de lieue de Leipzig. Si Bernadotte eût, avec plus de résolution, attaqué Reudnitz et profité de cette trouée, notre armée était coupée et la bataille perdue. Bernadotte attaqua Reudnitz, son avant-garde y pénétra même, mais avec hésitation ; et la résistance de la division Durutte, bien que décimée, et celle de quelques troupes envoyées par le maréchal Ney, arrêta les Suédois et donna à Napoléon le temps d’accourir. Des charges de la cavalerie de la garde bien dirigées et une vingtaine de pièces de canon que nous amenons, soutenues par des bataillons de la garde, ont bientôt rétabli notre ligne de défense.

La conduite des troupes saxonnes, en cette occasion, est odieuse ; on ne saurait trop la flétrir. Elle souleva l’indi­gnation de l’armée et, si ce que l’on raconte est vrai, les officiers russes n’auraient pas caché aux officiers saxons, qui se joignaient à eux, le mépris que leur inspirait leur conduite.(Colonel  d’artillerie Noel)

Disons au passage que cette désertion, condamnable en elle-même, ne constitua sûrement pas l’élément déterminant dans la défaite française, mais qu’elle fut utilisée, à des fins de « propagande », par Napoléon d’abord, qui s’en servit pour justifier sa retraite, mais aussi par les Coalisés eux-mêmes, qui y voit le symbole de l’éveil national au cours des Guerres de Libération.

 

Malgré tout leur courage, les soldats de Marmont,  finissent par abandonner Schönefeld, après l’avoir perdu et repris pas moins de sept fois. Marmont et Ney n’ont d’autre solution que de se replier jusque sous les murs de Leipzig. Napoléon, avertit de la désertion des Saxons, est arrivé en toute hâte, avec la cavalerie et l’artillerie de la Garde, sans pouvoir remédier à la situation, si ce n’est, une nouvelle fois grâce à Drouot, d’arrêter toute nouvelle attaque, le soir arrivant.

En fin d’après-midi, lorsque lui parvient la nouvelle de la chute de Schönefeld, Schwarzenberg ordonne la cessation des combats au sud et s’empresse d’annoncer la victoire aux souverains, qui sont rassemblés sur une colline près de Meudorf, d’où ils ont observé les combats. L’événement fera l’objet de nombreuses représentations picturales, dont le célèbre tableau de Johann Peter Kraft. Œuvre magnifique, sans aucun doute, mais… car il y a un mais : en fait, au moment où le généralissime vint annoncer la bonne nouvelle, l’empereur d’Autriche était déjà reparti dans son quartier général de Rötha. Mais l’artiste se devait de mettre son souverain en scène !

La victoire de Leipzig annoncée aux souverains alliés
La victoire de Leipzig annoncée aux souverains alliés

 

19 octobre 1813

Dans la nuit du 18 au 19, voyant que la bataille ne peut se terminer qu’en défaite, Napoléon décide de retirer la majorité de ses troupes en leur faisant traverser la rivière Elster.  Toute la nuit, une immense colonne d’artillerie, de convois de voitures de blessés, et quelques 5 à 6.000 prisonniers, se dirigent vers le pont sur l’Elster.

Dès le petit matin, Schwarzenberg donne l’ordre de prendre la ville d’assaut, les quatre corps d’armées devant tout simplement s’avancer concentriquement au nord, à l’est, au sud-est et au sud. Curieusement, rien cependant n’est envisagé pour couper la retraite par l’ouest. La prise de Leipzig semble,  aux yeux du commandant en chef, plus importante.

A 8 heures, l’attaque commence. Bülow avance contre l’arrière-garde de Ney, par Sellehausen, rencontrant celui-ci à Reudnitz, et l’en chasse, en dépit de la mitraille. Du village, il aperçoit les défenseurs de Leipzig et les rues y menant encombrées  de véhicules, mis en travers pour freiner les assaillants.

A 9 heures, Napoléon est entré en ville, pour aller prendre congé du roi de Saxe. L’entrevue, racontée par le baron Fain, est pleine d’émotion.

La reine n’écoute plus alors que l’effroi qui s’empare d’elle. Il lui semble que l’empereur est déjà en danger, qu’on va le saisir, l’égorger peut-être sous leurs yeux. Elle le prie, le supplie de partir ; la princesse Augusta joint ses prières à celles de la reine. Il faut bien que Napoléon cède à des instances si vives. « Je ne voulais vous quitter, leur dit-il, que quand l’ennemi serait dans la ville, et je vous devais cette preuve de dévouement. Mais je vois que ma présence ne fait que redoubler vos alarmes ; je n’insiste plus. Recevez mes adieux. Quoi qu’il puisse m’arriver, la France acquittera la dette d’amitié que j’ai contractée envers vous ! » (Baron Fain)

À la porte de l’Hôpital, au sud de la ville, le désordre est à son comble :

Nous entrâmes dans la ville par la Hospitaltor. Plus on se rapprochait de la ville, plus la poussée de la retraite grossissait. Un grand nombre de caissons  de munitions vides et abandonnés  était incendiés, répétition du spectacle de la veille à Probstheyda. Des colonnes de fantassins, de cavalerie, d’artillerie, d’équipages du train, de vivandiers, etc. se présentaient, dans un total désordre,  à la porte, pour l’entrée de laquelle il fallait utiliser la force. Plusieurs bataillon d’infanterie, dont le mien, forcèrent cette entrée d’un seul coup, et marchèrent, interrompus par de nombreuses voitures, canons.  Sur le Grimmaischen Steinweg, je reçus, écrit de la main du général Curial, sur un morceau de papier, l’ordre à mon bataillon de rentrer en ville et d’assurer la garde du roi de Saxe : « Monsieur le général Curial fera avancer de suite le bataillon saxon et l’enverra au logement du roi. Il préviendra le chef de bataillon que le bataillon doit rester avec le roi et formera la Garde de S. M. le roi de Saxe ». (Major Friedrich von Dreßler uns Scharffenstein, officier de la garde saxonne.)

À 10 heures, Bülow atteint une des portes de la ville. C’est l’heure où l’affrontement se ralenti, car Napoléon a fait demander à Alexandre, par le roi de Saxe, que la ville soit épargnée. La ruse (si effectivement ruse il y a) ne prend pas, et les combats reprennent. Au nord-est, Bernadotte lance une attaque par les troupes de Hessen-Combourg. Celles-ci se font massacrer par les défenseurs, le prince – lui-même blessé – perd en quelques minutes près de 1.000 hommes !  Bientôt, ici, l’artillerie alliée ne peut plus vraiment intervenir, tant les combattants sont enchevêtrés.

Bülow, de son côté, peut faire donner son artillerie, pour dégager la route encombrée.  Bientôt, les attaquants vont atteindre la porte Est de Leipzig, la porte de Grimma.

Là des combats effrayants ont lieu, durant lesquels les troupes de la Confédération du Rhin démontrent leur vaillance et leur attachement à la cause impériale. Mais combattants se trouvent bientôt coincés entre les Prussiens  et la porte, que les défenseurs, à l’intérieur, ont ordre de garder fermée ! Un grand nombre va être ici massacré, avant que, finalement, la porte ne soit ouverte.

On se bat au corps à corps, à la baïonnette, et on se tire mutuellement dessus par les meurtrières aménagées par les défenseurs. Finalement, à 12 h 30, la porte est enfoncée et les attaquants  pénètrent dans la ville, faisant de nombreux prisonniers, à l’instant même où, par le nord, d’autres assaillants envahissent également la ville.

Pris en tenaille par Bülow et Blücher, les Polonais de Dombrowski sont forcés de se rendre. D’ailleurs, de tous côtés,  les défenseurs de la ville n’ont rapidement d’autre choix que de rendre les armes.

Dans une épouvantable cohue, la retraite française continue,  au milieu de combats de notre arrière-garde, sous les ordres de Marmont, et composée de ce qui reste des troupes de Poniatowski, de Lauriston et de Reynier, et qui font preuve d’un courage admirable.

Les troupes en retraite défilent dans les rues de la ville, ou, lorsque la cohue devient trop importante, par les boulevards extérieurs, qui mènent au pont sur l’Elster, et au-delà duquel, Napoléon a fait prendre position à des unités de la Garde, qui canalisent les troupes sur la route de Lützen.

 

Jusqu’au moment où, aux alentours d’une heure de l’après-midi, l’unique pont sur l’Elster est détruit par une escouade du Génie.

L’ordre avait effectivement été donné de mettre le feu aux mines mises en place, lorsque les derniers soldats de la Grande Armée aurait franchi le pont, mais on n’avait laissé là que de simples subalternes, qui, voyant des Prussiens et des Saxons s’approcher, crurent, de bonne foi, que le moment était venu d’exécuter les ordres reçus.

Explosion des ponts de Leipzig
Explosion des ponts de Leipzig

Et comme la confusion, les hurlements, la fusillade, le clapotement de ceux qui tombaient augmentaient de seconde en seconde, comme ce spectacle devenait tellement abominable, qu’on aurait cru qu’il ne pouvait rien arriver de pire… voilà qu’une espèce de coup de tonnerre part, et que la première arche du pont s’écroule avec tous ceux qui se trouvaient dessus : des centaines de malheureux disparaissent, des masses d’autres sont estropiés, écrasés, mis en lambeaux par les pierres qui retombent.

Un sapeur du génie venait de faire sauter le pont ! (Joseph Bertha,  conscrit de 1813)

L’explosion est énorme, des pans entiers du pont sont envoyés en l’air, mélangés à des corps de soldats et de chevaux, car il y avait, à ce moment-là, un très grand nombre de soldats essayant de passer la rivière. 

Plus grave encore, si l’on ose dire, un tiers de l’armée française n’a pas eu le temps de traverser : 15.000 hommes n’ont d’autre choix que de risquer la noyade en traversant à la nage, ou de se rendre à l’ennemi.

C’est durant ce tragique épisode que le maréchal Poniatowski trouve la mort.

Mort du maréchal Poniatowski
Mort du maréchal Poniatowski

Il fit aussitôt tourner bride à son cheval et entra dans la rivière,  affaibli par toutes ses blessures et surtout par la dernière, il laissa flotter les rênes, sous une pluie de balles le cheval atteignit l’autre rive, mais comme la berge était presque à pic, et la pluie du matin aidant à la glissade, la monture n’y put prendre pied, et notre prince tomba à l’eau ; désarçonné il fut emporté par le courant, ayant probablement perdu connaissance à ce moment-là, très affaibli par sa dernière blessure qui est la cinquième depuis le commencement de la bataille.

C’est alors que le capitaine Bléchamps pour la seconde fois se jette à l’eau pour essayer de le sauver, on le vit réapparaître plus d’une fois à la surface avec le prince qu’il tenait à la taille, puis hélas tous deux s’enfoncèrent et on ne les revit plus……. (Ostrowski, aide-de-camp de Poniatowski)

Peu après, sur la grand’place de Leipzig, la Marktplatz, les souverains alliés, et Bernadotte, qui chevauche un cheval drapé de velours violet empanaché aux couleurs suédoises, un sceptre de parade à la main, se congratulent et reçoivent les différents chefs de corps d’armée : la bataille est finie.  Sur le balcon de la Königshaus se tient le roi de Saxe : aucun des Alliés ne daigne lui adresser le moindre salut. Il sera fait prisonnier, et envoyé à Berlin, d’où il ne repartira qu’en 1815, à la fin du Congrès de Vienne.

Conclusion

Le temps me manque ici pour décrire en détail l’état de la ville après ces sanglants évènements. Je me contenterai de donner la parole à l’un de ses habitants, qui nous a accompagné de soir.

À la fin, les provisions commencè­rent à manquer, la détresse était parvenue  au plus haut point, quand unç foule de malheureux vinrent du champ de bataille chercher du secours dans ces hôpitaux. On ne put pas même leur donner longtemps du pain. Plu­sieurs erraient çà et là sans aucun abri. Alors nous vîmes des scènes qui eussent frappé d’hor­reur le cannibale le plus féroce. Il était impossible d’avoir rien aperçu de plus hideux à Smolensk, sur la Bérézina, ou sur le chemin de Wilna. Là du moins la mort sacrifiait plus ra­pidement ses victimes. Des milliers de spectres erraient le long des rues, demandant l’aumône à chaque porte et à chaque croisée; et rarement la compassion avait le pouvoir de donner. Tels étaient les spectacles les plus ordinaires. Il n’était pas rare de voir quelqu’un de ces in­fortunés, pâles et décharnés, dévorer avec em­pressement les os les plus secs. Ils ramassaient même le plus petit morceau de pain jeté par hasard dans la rue, des pelures de pomme ou des morceaux de chou; plusieurs témoins peuvent attester que des soldats français blessés se traînaient vers les carcasses de chevaux déjà en putréfaction. De leurs faibles mains, ils essayaient de couper avec quelque mauvais couteau les chairs des hanches, et se repaissaient de cette nourriture fétide, ils se trouvaient heureux d’apaiser leur faim avec ce que les corbeaux et les milans ne mangent que par nécessité. Ils enlevaient même la chair des membres humains, et la faisaient griller pour apaiser leur faim dévorante. Enfin, ce qui est presque incroyable, ils cherchaient jusque dans les excréments ce qui n’avait pas été en­tièrement digéré. Je ne serais pas capable de rapporter des faits que la ville entière pour­rait contredire. (Gottfried Wilfried Becker, témoin oculaire)

­Ajoutons que la ville fut la proie d’une terrible épidémie de typhus qui dura jusqu’au mois de décembre.

Il est temps de conclure.

Sans aller jusqu’à dire et écrire, comme le fit Theodor Körner, qu’elle fut une croisade, une guerre sainte, cette campagne de Saxe, et la bataille de Leipzig en particulier, marquent un tournant dans les guerres napoléoniennes.

Cette bataille, en effet, marque les esprits, par le nombre de soldats impliqués, le plus important de l’Histoire, jusqu’à cette date – entre 500 et 550.000 hommes, (trois fois plus qu’à Austerlitz), et par le nombre considérable de victimes (au total, près de 160.000 tués ou blessés, auxquels s’ajoutent les prisonniers),

Un tournant également parce que, désormais, beaucoup des états auparavant vassaux de l’Empire français, découvrent que cette Grande Armée si redoutée n’est plus invincible.

Par ailleurs, cette guerre, qui vient de se dérouler – et se déroule encore – sur leur territoire,  est à l’origine de la montée d’un profond ressentiment des populations envers la France. En fait, cette guerre devient bien une guerre de libération, même si cette appellation n’apparaitra que plus tard.

Côté militaire, on a vu que les Alliés ont désormais changé de stratégie, refusant de se mesurer directement au chef de la Grande Armée, privilégiant l’affrontement avec ses généraux – et cela sera également le cas en 1814.

La guerre est devenue également, une « guerre totale », le but étant avant tout de détruire complètement l’armée adverse, sans recours à la négociation. Blücher est le chef de file de cette nouvelle attitude – attitude qu’il assumera jusqu’à Paris – aidé en cela par un emploi systématique de l’artillerie, y compris contre la ville même de Leipzig.

Désormais, Napoléon est assailli par toutes les grandes nations européennes – Sa première abdication interviendra dans un peu moins de six mois.


Merci à Martin et à Michel. Conférence présenté le 9 octobre 2013 à l’Institut français de Vienne.