15 novembre 1813-La bataille de Caldiero-Mémoires du Prince Eugène (du Casse)
Le 10 novembre, tandis qu’un parti de 500 hommes, moitié Autrichiens, moitié Anglais, jeté sur la côte, à l’embouchure de la Piave, par un vaisseau anglais, s’emparait du fort de Cortelazzo et de la redoute de Cavalino, près de Venise, une colonne ennemie marchait de Villanova sur Caldiero. Le colonel Desmichels, du 31e de chasseurs à cheval, reçut l’ordre de se porter en reconnaissance du côté de Caldiero avec 200 chevaux de son régiment et un bataillon d’infanterie. Il échangea quelques coups de feu près de Vago avec une reconnaissance autrichienne. Le surlendemain, 12 novembre, un détachement de 2 escadrons et de 3 bataillons, soutenus par 4 bouches à feu, attaquèrent, à Vago, les avant-postes du général Bonnemains. La grand’garde se défendit en s’abritant derrière le canal, ce qui donna le temps à 4 compagnies du 53e de ligne, appuyées par deux escadrons et un obusier, de déboucher de Saint-Martin et de repousser la colonne ennemie en lui faisant une vingtaine de prisonniers.

Cependant l’armée autrichienne avait pris position à Caldiéro, où elle commençait à se retrancher, ce qui semblait indiquer le projet d’une attaque sérieuse contre Vérone. Le prince Eugène résolut de détruire les ouvrages commencés par l’ennemi en l’attaquant vigoureusement à Caldiéro. Le 14 novembre fut d’abord fixé pour cette opération. Le mauvais temps ayant fait retarder d’un jour, on en profita pour faire tous les préparatifs. Au point du jour, le 15, la division Marcognet, la brigade de cavalerie Bonnemains, 12 bouches à feu débouchèrent de Vago, se portant de front sur la position de l’ennemi. La division Quesnel déboucha par Fontana, une de ses brigades se portant sur Colognola, droite de l’ennemi, l’autre sur Illasi pour déborder les Autrichiens et tourner Caldiéro. Cette division, agissant en terrain fort accidenté, ne reçut qu’un escadron et une demi-batterie. Une colonne aux ordres du général Mermet, colonne composée d’une brigade de la division Rouyer, de la brigade de cavalerie Perreymond et de 6 bouches à feu, se dirigea de Saint-Martin sur le chemin de Caldiéro à Arcole, entre l’Adige et la grande route, de façon à tourner la gauche du général Hiller et à réunir ses troupes au pont de Villanova.

Enfin, le général Rouyer, avec sa seconde brigade, fut donné comme seconde ligne à la colonne Marcognet. La garde royale resta en réserve à Saint-Martin. Deux bataillons furent laissés sur les hauteurs de Pogliano.
L’attaque commença vers dix heures du matin. La brigade Jeanin replia les postes ennemis jusqu’à la gauche de la porte de Caldiéro. Le 53e de ligne, conduit par son brave colonel Grobon, enleva cette position par une brusque attaque, dépassa le mamelon enlevé situé à la droite de la route, se rabattit sur ce mamelon et le prit à revers, contribuant, avec un peloton du 31e de chasseurs à cheval, à s’emparer du retranchement qui couvrait ce point en faisant prisonnier tout ce qui s’y trouvait. Pendant ce temps-là, les voltigeurs de la colonne du général Mermet tournaient cette position.

Entre Colognola et la grande route, l’ennemi avait établi une ligne sur les hauteurs et faisait un feu des plus vifs. Cependant la colonne Bonnemains, débouchant par la grande route, parvint à mettre en batterie 6 pièces à demi-portée de fusil des retranchements autrichiens qui furent criblés de projectiles et évacués. Alors la division Quesnel profitant avec habileté de ce premier succès, poussa les Autrichiens de position en position jusqu’à Souve. La brigade Bonnemains les poursuivit jusqu’auprès de Villanova sur la grande route, les culbutant chaque fois qu’ils essayaient de prendre position. Le général Grenier, ayant mis une seconde batterie à la disposition de Bonnemains, ce dernier parvint à décider le mouvement général de retraite de la droite de l’ennemi.
Cette brillante journée coûta à l’ennemi 1.500 tués ou blessés, 900 prisonniers et 2 canons; et à l’armée du vice-roi 500 soldats. Le prince cita particulièrement les généraux Jeanin et Bonnemains et surtout le colonel Grobon, du 53e, auquel ce brillant fait d’armes valut quelques jours plus tard le grade de général de brigade; le colonel Besmichels, du 51e de chasseurs, et plusieurs autres officiers de tout grade.

La journée du 16 novembre fut employée à la destruction des retranchements autrichiens. Le 17 l’armée franco-italienne rentra dans Vérone en laissant la brigade Jeanin, de la division Marcognet, en position à Saint-Martin, derrière le torrent de Vago. La brigade Deconchy fut détachée vers Ronco et Roverchiaro.
Le vice-roi, après ce combat, espérant avoir un peu de tranquillité, en profita pour engager la princesse Auguste à venir passer quelques instants auprès de lui à Vérone, elle et ses enfants.
Correspondance du prince Eugène

A la vice-reine – 15 novembre 1813 – 8 heures du soir
Nous avons bien battu l’ennemi: il a eu au moins 1.200 tués ou blessés, et nous lui avons fait plus de 700 prisonniers. Donne de mes nouvelles à ma mère et à ma sœur.
A la vice-reine – 16 novembre 1813 – 5 heures du soir
Je dois rester ici pour présenter le combat à l’ennemi, mais il s’est bien gardé de nous offrir une autre occasion de le battre. Compte fait ce matin des prisonniers d’hier, le nombre se monte à 1,000 moins quelques-uns. Je rentrerai cette nuit à Vérone et l’armée reprendra demain ses positions autour de cette ville. Si j’avais eu 10,000 hommes de plus, je serais resté dans cette position-ci, mais il me faudrait la même armée que j’avais en 1809.
A Napoléon – Vérone – 17 novembre 1813
Sire, je m’empresse de féliciter Votre Majesté sur son heureux retour dans sa capitale. J’en sentirai plus que personne le bon effet, puisque je serai plus à portée de recevoir de Votre Majesté des directions dont j’ai en ce moment plus besoin que jamais.
Pendant l’éloignement de Votre Majesté, j’ai exactement rendu compte de tous les événements au duc de Feltre. Il m’a dit l’en avoir tenue informée. Il est hors de doute que, depuis la défection de la Bavière, l’armée ennemie a été renforcée de 14,000 hommes de troupes réglées, indépendamment des levées qu’elle a pu faire en Tyrol et en Croatie. J’ai toujours cherché à engager l’ennemi dans quelque affaire dans l’espoir d’obtenir sur lui quelques succès. Mais il s’est attaché à éviter tout combat et il s’est constamment occupé de manœuvrer sur mes flancs, ou d’inquiéter mes communications, ce que lui facilitait la libre entrée du Tyrol. L’armée de Votre Majesté a donc été obligée, sans pouvoir livrer une bataille, de se rapprocher de l’Adige. Elle n’en a pas moins obtenu des succès toutes les fois qu’elle a pu joindre l’ennemi. Ainsi les affaires de Villach, de Feistritz sur la Drave, de Tschernutz sur la Save, et de Lippa font beaucoup d’honneur à ses troupes. Dernièrement, l’armée a fait éprouver à l’ennemi des pertes assez considérables dans les combats de Bassano, d’Ala et de Caldiéro. Je n’ai pas pu, comme en 1809, garder cette dernière position, car Votre Majesté, qui la connaît, sait qu’elle est assez étendue pour exiger au moins 30.000 hommes. On ne peut pas d’ailleurs tenir Caldiéro lorsque l’ennemi a au moins 10.000 hommes dans le Tyrol et qu’on n’a point cette même force à lui opposer. J’ai donc fait rentrer aujourd’hui les troupes dans leur première position autour de Vérone. À cet effet, j’ai fait mettre à l’abri d’un coup de main les murs de Véronette. Ayant ici réorganisé l’armée en 4 divisions, voici la position que j’ai fait prendre aux troupes :
Deux divisions occupent Vérone, ayant une brigade sur les hauteurs du fort Saint-Félix; nos avant-postes occupent Saint-Michel et Saint-Martin. Une division est à Rivoli, une autre à Zevio et Ronco. Un corps détaché de 5.500 hommes manœuvre autour de Rocca-d’Anfo, l’ennemi ayant déjà fait des démonstrations sérieuses dans les vallées du Brescian. Enfin, j’ai joint aux troupes de la garnison de Legnago, 300 chevaux qui observent le bas Adige. Je doute que l’ennemi vienne m’attaquer dans mes positions, mais il cherchera par tous les moyens à faire des diversions sur d’autres points, et par exemple, j’apprends cette nuit qu’il a débarqué 2,000 hommes commandés par le général Nugent, au point de Volano, près de Comacchio. Les premiers rapports assurent qu’ils se dirigeaient de là sur la Mesola.
Ce n’est certainement pas une diversion de 2.000 hommes qui fera changer la position de l’armée, mais cela ne nécessite pas moins des détachements. Ces partis ennemis jettent l’épouvante et la confusion partout, abattent l’esprit public et paralysent toutes les ressources.
Quoique généralement les officiers supérieurs ne servent plus avec le même zèle que dans les guerres passées, l’armée de Votre Majesté n’en est pas moins animée du meilleur esprit. Les soldats sont jeunes, mais se battent bien, surtout quand on peut éviter de les approcher de la cavalerie ennemie. Cependant il n’est pas moins vrai que l’ennemi est très-supérieur en nombre, et que l’armée en a le sentiment.
Votre Majesté peut bien croire que je défendrai l’Adige tant qu’il me sera possible. Après cela, il me restera encore le Mincio. Enfin, si l’ennemi m’obligeait à sortir de cette ligne, j’ai le projet de concentrer toutes mes forces autour de Mantoue. Cela découvrirait, il est vrai, tout le reste de l’Italie; mais n’ayant plus en arrière de moi aucune ligne, après avoir fait les garnisons de Mantoue et de Peschiera, il me resterait trop peu de forces pour présenter la moindre résistance; tandis que, groupé autour de Mantoue, j’oblige l’ennemi à se réunir autour de moi, je l’empêche de s’avancer sérieusement dans le fond de l’Italie, et je donne à Votre Majesté le temps de créer de nouvelles armées, ou d’arriver par d’autres voies à l’accomplissement de ses projets. Je la prie de me donner à ce sujet ses instructions.
La conduite de l’ennemi dans les pays qu’il occupe, l’organisation provisoire des provinces conquises, et surtout le serment exigé, paraissent dévoiler assez quelles sont les prétentions du gouvernement autrichien. Votre Majesté s’en convaincra en jetant les yeux sur la pièce ci-jointe.
A la vice-reine – Vérone – 17 novembre 1813
Je suis rentré ici cette nuit, ma chère Auguste et les troupes reprennent ce matin leurs anciennes positions. J’ai appris cette nuit que l’ennemi a fait un débarquement près de Comacchio; il n’y a que 2.000 hommes, ainsi cela n’est inquiétant que pour le voisinage du pays; ils ne peuvent, avec cette force, rien tenter de sérieux.