14 octobre 1806 : l’armée prussienne vole en éclats Les raisons d’une déroute

Robert Ouvrard

(conférence présentée à Iéna, le 15 octobre 2006 et à l’Institut Français de Vienne le 24 octobre 2006)

Dès le mois d’août 1806, le roi de Prusse , Frédéric-Guillaume III, considérant que la guerre avec la France de Napoléon ne peut plus, malgré ses propres convictions, être évitée, ordonne la mobilisation de son armée, en Thuringe. Le mois suivant, avec son allié saxon plus ou moins volontaire, il masse là environ 120.000 hommes, que complètent 80.000 soldats des différentes garnisons ainsi qu’une petite armée, sous les ordres du général L’Estocq, qui se trouve, elle, en Prusse orientale.

Encore plus à l’est, l’allié russe prépare lui aussi une armée, que la Prusse pense devoir être prête pour le mois de novembre.

Le commandement en chef de l’armée prussienne est confié au héros de la Guerre de Sept-Ans, le duc de Brunswick, assisté de vétérans de l’époque du Grand Frédéric, comme le prince de Hohenlohe et le général Rüchel. Je reviendrai plus tard sur ces personnages.

Côté français, la Grande Armée, qui vient de se couvrir de gloire à Austerlitz, et que Napoléon, contrairement à sa promesse, peut-être par une sorte de prémonition, sans doute aussi par un soucis d’économie, n’a pas ramené en France, cette Grande Armée est dispersée dans ses cantonnements au sud de l’Allemagne, en Bavière, dans le Wurtemberg et Bade. Etrangement, alors que la Prusse ne cache pas ses préparatifs guerriers, Napoléon reste inactif jusqu’en septembre, moment où, enfin, il envoie à Berthier les premiers ordres de rassemblement des troupes dispersées autour de Bamberg. Ces mouvements, effectués un peu dans le désordre, seront bientôt mieux coordonnés lorsque Napoléon arrivera, le 1er octobre.

On voit ici l’un des prémices de la catastrophe à venir : la Prusse n’a en aucune manière sut profiter des 2 à 3 semaines d’avance sur son adversaire. La cause en fut d’interminables conseils de guerre, incapables de mettre au point un plan de campagne accepté par tous les participants. Funeste erreur, face à un homme de guerre de la trempe de Napoléon, au sommet de sa science militaire.

Celui-ci va prendre l’initiative, surprendre des Prussiens en pleine expectative et qui vont finalement décider de retraiter en direction de Magdebourg et de l’Elbe.

Comme le fait remarquer Mathieu Dumas, dans son Précis des évènements militaires, « si Napoléon lui-même avait pu prescrire aux généraux prussiens les dispositions les plus convenables à ses vues, il n’aurait pas tracé un plan de campagne plus propre à consumer en tâtonnements le temps et les moyens d’agir. »

La suite vous a déjà été contée : après Saalfeld le 10 octobre, et la mort remarquablement « médiatisée » du prince Louis-Ferdinand de Prusse, ce sera Iéna et Auerstaedt le 14, puis la poursuite des débris de l’armée prussienne et l’entrée de Napoléon à Berlin, le 26 octobre.

Selon les mots de Henri Heine, l’Empereur n’avait eu qu’à siffler, et la Prusse n’existait plus.

 

Pourquoi cette armée prussienne, si vantée, si redoutée, même par Napoléon lui-même, avait-elle pu, en l’espace de quelques semaines, littéralement imploser avec une telle facilité. Pour, pour reprendre les mots de Clausewitz, pourquoi cette « Grande Catastrophe » ?

Cette question a été souvent débattue et discutée de manière controversée, et ceci dès la capitulation finale. Notons en passant que pas moins de 208 officiers prussiens – mais essentiellement parmi les commandants des places ayant capitulé – furent ainsi traduits devant des cour martiales, ce qui reflète parfaitement le désarroi du commandement prussien. Parmi ceux qui eurent la responsabilité directes des évènements, on notera que Hohenlohe démissionna et retourna dans ses terres, Kalckreuth fut limogé, Rüchel démissionna l’année suivante, Wartensleben fut limogé pour avoir rendu Magdebourg, enfin Schimmelpfennig démissionna lui aussi.

Les critiques offrent un large spectre et les explications et justifications présentées dépendent bien entendu de l’environnement politique  et intellectuel de leurs auteurs.

Le Grand Frédéric

Traditionnellement, la réponse est simple et sans appel : si cette armée est superbe et disciplinée, dotée d’une cavalerie excellemment montée, et d’une artillerie jouissant d’une grande réputation, elle s’en tient encore, en 1806, et presque religieusement, aux principes et théories militaires du Grand Frédéric (le « Vieux Fritz »), principes qui avaient faits preuves à contre les français, à Rossbach et contre les Autrichiens, à Leuthen,  mais étaient devenus désespérément obsolètes face à un adversaire de la taille de l’empereur des Français.

C’est en tous les cas l’avis de Ségur :

« Cette magnifique et jeune armée était conduite par sa belle reine en habit d’amazone, par les princes, par son roi et ses ministres, car tous ici conseillaient et commandaient ; enfin les vieux généraux du Grand Frédéric, que rajeunissait l’exaltation universelle. Elle marchait bruyamment comme une passion longtemps comprimée et enfin délivrée de ses entraves. »

Les contemporains prussiens eux-mêmes ne sont pas tendre envers leur armée à qui il manquait, selon von der Goltz, « l’habitude à faire la guerre, la préparation pour la faire » et qui était  « emplie du soucis des minuties insignifiantes » Ce n’était plus qu’un « monument délabré à l’intérieur, mais qui en imposait par sa belle façade restée intacte, c’est-à-dire l’ordre et la précision de ses mouvements, la pompe et la régularité de ses revues-manœuvres, savantes et compliquées, où tout est réglé d’avance dans la fumée de la poudre et le tumulte apparent de la petite guerre »

 

En fait, de l’avis même des Prussiens, cette armée se trouvait en 1806 dans un état désolant (« desolaten Zustand ») et, ce qui n’arrangeait rien, les décideurs n’en avaient même pas conscience.

Ce faisant, il est vrai, ils oubliaient que, depuis 1795, des restrictions budgétaires avaient fortement gêné les tentatives de modernisation de cette armée qui, pourtant, impressionnait l’empereur de Russie, qui disait à qui voulait l’entendre qu’on ne pouvait « rien voir de plus beau que les troupes prussiennes »

Ces restrictions ont, le plus souvent, concerné les secteurs les plus critiques. Durant ces temps de paix, la troupe n’a reçu aucune munition, les chevaux ont vu leur ration d’avoine réduite. En ce début d’automne, les soldats n’ont pas de manteaux. Il n’y a pour ainsi dire pas de troupes du génie, pas d’hôpital de campagne, pas de service de reconnaissance.

Forte de 155.000 hommes théoriquement – 120.000 fantassins, 35.000 cavaliers, 550 bouches à feu – cette armée ne peut toutefois opposer à la Grande Armée qu’environ 110.000 combattants. Elle est composée de deux tiers d’appelés (les Kantonisten et les Inländer) et d’un tiers mercenaires (les Ausländer).

Les premiers sont relativement nouveaux dans l’armée, sans pour autant être, dans leur majorité, des « jeunots ».

Quant aux seconds, environ 30% des effectifs, ce sont généralement de mauvais soldats, ivrognes et fainéants pour la plupart, mais que la rigueur des punitions n’intimide pas le moins du monde – car les bastonnades, la flagellation sont encore inscrites au règlement. Les désertions – entre octobre 1805 et février 1806, pas moins de 9.558) et les suicides sont monnaie courante.

Notons toutefois qu’une certaine « purge » est intervenue dans les dernières années, dans un effort pour se débarrasser de ces mercenaires qui, en 1795, représentaient près de 40% des effectifs.

C’est vrai : depuis la fin de la Guerre de Sept-Ans (1763), la formation des troupes a dégénéré en une série d’exercices pédants (« pedantischen ») et exagérés, dont le célèbre Stein se moque en les traitant de « danses militaires ». Les manœuvres n’existent pratiquement plus, et lorsqu’elles sont organisées, jamais dans des conditions reproduisant les combats.

 

Et pour aggraver encore plus la situation, cette antique armée va être commandée par des généraux âgés, exhumés par le roi, et emmenés par l’indécis et peu inspiré duc de Brunswick.

Toutefois, certains historiens modernes, sans rejeter fondamentalement ces raisons de la défaite prussienne, placent le débat sur un plan plus large, se divisant en deux « écoles » :

  • Pour les uns, c’est, en plus de l’inaptitude du commandement, l’absence d’un plan de campagne, le manque de coordination et la rigidité de l’intendance prussienne.
  • Pour les autres, c’est dans le manque de manoeuvrabilité, dans sa méthode d’attaque, lente et méthodique, dans son armement désuet et, enfin, dans son commandement inefficace qu’il faut chercher les raisons de la débâcle prussienne.

 

La stratégie prussienne en 1806

Pour essayer d’y voir clair, commençons par poser la question : la stratégie prussienne fut-elle appropriée à la campagne qui se préparait ?

Au début du conflit, cette stratégie est simple : pénétration rapide, avec toute l’armée, en direction de la France, pour tomber sur la Grande Armée, surprise ainsi dans ses cantonnements, anéantissement des corps d’armée isolés, ou leur retraite en-deça du Rhin.

D’où la nécessité et le choix fait d’une concentration en Thüringe.

Résultat de nombreux conseils de guerre à répétition, où chacun avait exprimé ses vues, fait des propositions, plus où moins extravagantes selon les témoins, ce choix était-il judicieux ?

Il ressemble en tous les cas, par bien des aspects, à celui fait, à peine un an plus tôt, par l’Autriche, et qui avait, on le sait, conduit à la capitulation d’Ulm.  Une bien meilleure option, disent certains (notamment, semble-t-il un certain Dumouriez), aurait été d’attendre Napoléon derrière l’Elbe, voire la Vistule, se donnant ainsi le temps et la possibilité de donner la main aux Russes.

Certes, ce faisant, les Prussiens n’auraient sans doute fait que retarder l’échéance, compte tenu de la capacité de manœuvre et de la vitesse de son adversaire, d’autant plus que l’arrivée de l’allié russe, décidemment toujours lent à se mobiliser, ne pouvait être espérée avant la fin de l’année.

Mais un tel repli sur l’Elbe ou la Vistule, chacun de ces cours d’eau étant amplement fortifiés, apparaît, en définitive la seule option  qui aurait permit d’espérer ce soutien des Russes et présentant l’avantage supplémentaire d’attirer Napoléon loin de ses bases d’opérations, alors que l’hiver, normalement rude, se rapprochait. C’était en tous cas celle proposé par Scharnhorst.

Clairement, l’option stratégique choisie : la concentration en Thuringe, si près des Français, semble bien avoir été la plus mauvaise et doit être comptée au nombre des raisons de la catastrophe.

Mais alors, pourquoi ce choix ?

Politiquement, il peut se justifier. Après les réaménagements territoriaux suite à la création de la Confédération du Rhin, et la perte des territoires d’Anspach et de Bayreuth, patries traditionnelles des Hohenzollern, la cour de Berlin ne pouvait pas, par une retraite volontaire sur l’Elbe, abandonner encore plus,

On peut aussi considérer qu’ils pensaient en fait que leur décision de se concentrer, rapidement, en Thuringe, devait suffire à rappeler les Français à plus de mesure, et même à les terroriser, comme cela avait toujours été le cas les décennies précédentes, tant, selon eux, la réputation d’invincibilité du Grand Frédéric était grande.

Allons plus loin : loin de vouloir anéantir la France, la cour de Berlin pouvait penser qu’une victoire rapide devait suffire à ramener Napoléon à la raison et à le convaincre de renoncer à ses ambitions en Europe centrale et orientale. En un mot : il fallait frapper vite et fort, ce que seule une concentration en Thuringe permettait.

Il fallait aussi, du côté prussien, répondre à des problèmes logistiques. Si le pays avait bien une armée permanente d’environ 185.000 hommes, il ne disposait pas de réserve, si l’on excepte les 29.000 hommes des 3e bataillons et les 3.000 des compagnies de retraités, les uns et les autres, d’ailleurs, réservés aux tâches de garnisons et de dépôt. Eut-elle d’ailleurs eu une telle réserve, rien dans l’organisation d’alors ne permettait de la mobiliser rapidement, tout comme rien ne permettait, au contraire de la France, l’introduction rapide de la conscription. La Prusse devait donc, impérativement s’assurer une victoire rapide, toute autre forme de guerre d’usure, qu’aurait nécessairement entraîné un repli vers l’est, ne pouvait que lui être défavorable.

Pour en finir sur ce point, il en est un autre qui a son importance. S’il peut être justifié de blâmer les Prussiens d’avoir eu l’obsession de suivre à la lettre les préceptes du Grand Frédéric, au moins sur le plan de la stratégie n’étaient-ils pas tellement dans l’erreur, puisqu’ils refaisaient, en 1806, ce que leur maître à penser avait fait, durant les deux grands conflits de son règne, les guerres de Silésie, dans les années 1740, et la Guerre de Sept-Ans. Mais ils oubliaient en même temps un autre de ses préceptes : les plagiats de chef d’œuvres n’en sont jamais !

 

Le commandement en chef

Venons-en, maintenant, aux hommes auxquels on reproche très généralement inefficacité, indécision et esprit de clan, autant de caractéristiques qui seraient à l’origine, sinon la cause principale, de la débâcle. Stratégiquement ou tactiquement, ils auraient été incompétents et divisés entre eux.

Leur passé, pourtant, parlait en leur faveur, ayant tous acquis, dans le passé, des lauriers : Brunswick jusqu’à Valmy, Hohenlohe à Kaiserlautern, en 1793, Rüchel ayant, de son côté, toujours été un très bon général de division à la même époque. Bref, on se disait, à Berlin, en cet automne 1806, que l’on disposait d’au moins 3 officiers généraux au moins égal à Bonaparte. On sait que ce ne fut pas le cas.

Le duc de Brunswick

Le duc de Brunswick, vénérable septuagénaire, vétéran de la Guerre de Sept-Ans, à l’issue de laquelle il était déjà général, il avait, depuis 1794, renoncé à l’habit militaire. Manifestement, il n’avait pas su évoluer avec le temps. Mais, remarquons-le, son grand âge n’aurait pas obligatoirement dû être un handicap. Après tout, Koutousov sera plus âgé encore lorsqu’il prendra le commandement en Russie en 1812, et resta toujours un disciple de Souvourov, dont les principes dataient du milieu du 18e siècle, ce qui le faisait considérer comme totalement incapable de défendre la patrie et d’arrêter Napoléon dans sa marche sur Moscou. On sait ce qu’il en advint.

Le problème avec Brunswick ne fut donc pas tant son âge que son incapacité à s’imposer face à ses subordonnés. Durant la campagne, il fut inefficace et mal inspiré. Les évènements auxquels il avait participé dans le passé semble avoir altéré ses nerfs et son indécision fut comprise comme de l’incompétence, alors qu’elle reflétait un manque de confiance en soi.

Même avant le déclenchement des hostilités, il avait déjà, pour certains, perdu la considération de ses subordonnés. Subordonnés qu’il ne tenait d’ailleurs pas en grande estime, c’est le moins que l’on puisse dire.

Lorsqu’il discute, avec von Gentz, de la stratégie qu’il entend mettre en œuvre, il entrecoupe son discours de nombreux « À supposer qu’il n’y ait pas de grosse erreur de faite ». Comme Gentz lui fait remarquer que le monde entier compte bien que, sous son autorité, cela ne peut se produire, il s’entend répondre : « Mon Dieu ! Je ne peux déjà pas répondre de moi-même, comment pourrais-je en faire autant des autres ! »

Un contemporain précisait :

« il y avait dans sa contenance, dans ses regards, dans ses gestes, quelque chose de mal assuré, de louche, d’impuissant, une agitation qui n’annonçait rien moins que la conscience de ses forces. »

Ajoutons que la présence, à ses côtés, du roi, fut une bonne occasion pour lui de reporter sur ce dernier les responsabilités. Il est tentant ici de faire une comparaison avec la situation de Koutousov, face à Alexandre, un an auparavant. Lequel Alexandre avait tout simplement déclaré à Brunswick : « J’espère bien avoir le plaisir de servir sous vos ordres ».

Pour achever ce portrait, le vieux maréchal était encore un vert galant, promenant dans sa voiture l’actrice française Mademoiselle Duquesnoi, sa maîtresse.

Mais alors : pourquoi fut-il choisi pour commander en chef. D’une part, il semble qu’il ait parfaitement réussi à se rendre indispensable et irremplaçable – on dirait de nos jours incontournable – à ce poste. Peut-être aussi accepta-t-il cette responsabilité tout simplement en raison d’un sens très profond du devoir. Le général Müffling dira aussi que Brunswick avait accepté à seule fin d’éviter la guerre. Nous lui laisserons la responsabilité de cette affirmation. La réponse réside peut-être plus simplement dans les principes aristocratiques régissant alors l’armée prussienne : il était le plus ancien et le plus gradé des officiers prussiens, il allait donc de soi qu’il soit nommé commandant en chef.

Et puis, politiquement, il apparaissait comme l’homme de la situation, ce qu’il ne sera malheureusement pas.

Hohenlohe-Ingelfingen

Qu’en était-il de Hohenlohe ? En 1806, il est âgé de 61 ans et c’est alors, nous dit Bressonet dans son Étude tactique sur la campagne de 1806, un homme vigoureux, un excellent cavalier, à l’esprit très vif et  très séduisant, avec une grande connaissance de la guerre. C’est un officier expérimenté, qui a servi durant la guerre de Sept-Ans et dans les campagnes de 1792 et 1794, éclairées notamment par, je l’ai déjà mentionné, sa brillante victoire à Kaiserlautern. Mais, notons le, jusqu’en cette année 1806, il n’a pas encore commandé une armée, armée qui, dès le début des hostilités, subit un sérieux revers et est en proie à la panique, ce qu’il n’avait encore jamais expérimenté !

C’était un beau parleur, mais certains diront qu’il parlait trop.

Au contraire de Brunswick, il était plus en phase avec ses subordonnés et il avait même déjà été pressenti pour prendre le commandement général prussien, en 1805, si les évènements ne s’y étaient pas opposés. C’était lui, en fait, qui aurait du commander l’armée prussienne et on peut dire, sans trop risquer de se tromper, que son remplacement par Brunswick et sa subordination à ce dernier, fut une autre cause de la défaite prussienne, car il entraîna chez lui un fort sentiment de rancune et des velléités d’indépendance.

Troisième homme à supporter la vindicte des historiens, le colonel von Massenbach, chef d’état-major de Hohenlohe. Parlant de ce dernier, Brunswick dira que celui-ci, faible, eut à souffrir d’être sous l’influence de Massenbach. Et, certes, ce dernier, d’après Müffling, influença totalement Hohenlohe, n’hésitant pas, lorsque ses idées et ses opinions n’étaient pas acceptées par son chef, à ouvertement manifester sa désapprobation, sachant qu’Hohenlohe, toujours, se soumettrait. Certains historiens n’hésitent pas à le décrire comme le mauvais génie de la Prusse, qui aurait amené parfois son chef à des actes proches de l’insubordination. Carriériste dans l’âme, enfin, Massenbach avait la plume facile. Il avait mis sur le papier toutes les stratégies à mettre en œuvre pour le cas où la Prusse serait menacée par une grande puissance, mais avait  seulement oublié une seule hypothèse : celle où une telle attaque viendrait de la France !

le général Ernst von Rüchel (Peintre inconnu)

Le dernier des chefs prussiens en Thuringe, en 1806, est le général Rüchel. Lui, il est relativement jeune puisqu’il n’a « que » 52 ans, mais il est ce que l’on peut considérer comme l’archétype de l’officier prussien. Il avait été remarqué par Frédéric, ce qui avait engendré chez lui une véritable dévotion pour son souverain, dont il fit toujours son modèle. Beau parleur, ambitieux, et vaniteux, il semble avoir été dépourvu de capacités intellectuelles réelles, en tous cas de celles qui permettent l’initiative ou l’innovation.

Il a toujours été vivement critiqué – notamment par Massenbach – pour sa lenteur à intervenir le 14 octobre, même si, sur ce point, de nombreux arguments semblent plaider en sa faveur.  Mais après la déroute, il devint un bouc émissaire idéal et il fut l’un de ceux qui eurent à se défendre devant une commission d’enquête.

Le roi de Prusse Frégéric-Guillaume III (Anton Graff)

Enfin il faut bien sûr dans ce chapitre dire un mot de celui qui, en théorie du moins, est le chef suprême de l’armée prussienne, le roi Frédéric-Guillaume III. C’était, avant le déclenchement de la guerre, il faut le rappeler, un chaud partisan de la neutralité de la Prusse, qui n’est entré dans la guerre qu’à reculons. Il admet lui-même, sans doute avec franchise, qu’il n’est pas un deuxième Frédéric. Il a peu de connaissance militaires, s’en tenant aux vieilles méthodes, militaires ou politiques, et est incapable, même s’il est relativement favorable aux réformes, de prendre des décisions. D’une certaine manière, d’ailleurs, il a du respect pour ses vieux généraux plus expérimentés que lui, et qu’il hésite à contredire.

Son indécision fut très certainement à l’origine des atermoiements prussiens du début de la campagne et sa présence à Auerstaedt aux côtés de Brunswick sera, pour ce dernier, un élément éminemment perturbateur.

La Reine Louise de Prusse

Quant à son épouse, la célèbre reine Louise, si elle fut, à Berlin, le centre de gravité du parti de la guerre, et en dépit de l’intérêt que lui ont toujours porté les historiens, son passage sur le théâtre d’opérations ne fut pas assez prolongé pour qu’on puisse penser qu’elle ait pu les influencer, dans un sens ou dans un autre.