11 décembre 1813 – Le traité de Valencay
Lettre (12 novembre 1813) de Napoléon à Ferdinand VII
Mon Cousin, l’état de mon empire et ma politique m’engagent à terminer sans retour les affaires de l’Espagne. L’Angleterre y excite l’anarchie et le jacobinisme; elle cherche à renverser le trône et la noblesse pour y créer une république. Je ne peux, sans être ému, penser à l’anéantissement d’une nation qui m’intéresse et par son voisinage et par nos intérêts communs concernant le commerce des mers. Je souhaite rétablir les relations de bon voisinage et d’amitié qui ont si longtemps existé entre la France et l »Espagne. Je désire ne laisser aucun prétexte à l’ambition de l’Angleterre. M. le comte de Laforest se présentera à V. A. R. sous un nom supposé; elle peut croire à tout ce qu’il lui dira, ainsi qu’à l’estime et à l’attachement que j’ai voué à V.A.R.
Mon Cousin, cette lettre n’ayant d’autre fin, je prie Dieu qu’il accordre à V.A.R. de longues années.
Votre Cousin,
Signé : Napoléon.
Réponse de Ferdinand VII (24 novembre 1813)
Sire, j’ai reçu, par le comte de Laforest, la lettre que V.M. m’a fait l’honneur de m’adresser le 12 de ce mois. Je lui témoigne ma reconnaissance de ce qu’elle pense faire cesser, par mon intermédiaire, les troubles d’Espagne. V.M.I. m’annonce que l’Angleterre y excite l’anarchie et le jacobinisme, cherche à y renverser le trône et la noblesse pour créer une république; qu’elle ne peut, sans être émue, penser à l’anéantissement d’une nation qui l’intéresser et par son voisinage et par des intérêts communs concernant le commerce des mers. Je persiste dans mes réponses faites de vive voix à M. le comte de Laforest Je ne varie point dans mon attachement et dans mon respect pour V.M.I.; mais elle m’a fait conduire à Valençay et je ne peux plus rien sur la nation espagnole : je demande d’entendre par votre moyen une députation de la régence qui m instruise de l’état du royaume, indique le remède aux maux qu’il peut éprouver, et consolide ainsi nos nœuds aux yeux de mes sujets. Si la position de l’empire et la politique de V.M. la portent à rejeter ces conditions, je resterai, comme par le passé, à Valençay, où je suis depuis cinq ans et demi, et j’y mourrai, si Dieu le veux. Il m’est pénible de m’exprimer ainsi; mais ma conscience me l’ordonne. Je porte un intérêt égal aux Anglais et aux Français; mais je préfère ma nation à tout; et je donne ici une nouvelle preuve de ma franchise et de mon attachement pour V.M.I., qui m’accuserait d’inconséquence si je promettais ce que je ne pourrais tenir; elle et l’Europe me taxeraient alors justement de légèreté, et je mériterais même le mépris. Je suis très satisfait du comte de Laforest, qui, sans nuire à vos intérêts, a gardé avec soin tous les égards qui me sont dus.
Mes frères et mon oncle me demandent de les mettre aux pieds de V.M.I.
Je prie Dieu, Sire, qu’il vous donne de longues années.
Signé, Ferdinand.

Le traité de Valençay
S.M. l’Empereur des Français, Roi d’Italie, etc., etc., et S.M. C., également animés du désir de faire cesser les hostilités et de conclure un traité de paix définitif entre les deux Puissances, ont nommé Plénipotentiaires à cet effet, savoir :
S. M. l’Empereur et Roi, M. Antoine-René-Charles-Mathurin Comte de Laforest, Membre de son Conseil d’État, Grand-Officier de la Légion d’Honneur, Grand-Croix de l’Ordre de la Réunion,
Et S.M. Ferdinand VII, Don Michel de Carvajal, duc de San-Carlos, Comte del Puerto, grand-maître héréditaire des postes des Indes, Grand d’Espagne de la première classe, majordome major de S. M.C., lieutenant-général des armées, gentilhomme de la Chambra en service, Grand-Croix et Commandeur de différents ordres, etc., etc.
Lesquels, après l’échange de leurs pleins-pouvoirs respectifs, sont convenus des articles suivants :
Art. 1er
Il y aura à l’avenir et à dater de la ratification du présent Traité, paix et amitié entre S. M. Ferdinand VII et ses successeurs et S. M., l’Empereur et Roi, et ses successeurs.
Art. 2.
Toutes les hostilités, tant sur terre, que sur mer, cesseront entre les deux nations, savoir : dans leurs possessions continentales d’Europe, immédiatement après l’échange des ratifications; quinze jours après, dans les mers qui bordent les côtes d’Europe et celles d’Afrique en deçà de l’Équateur; quarante jours après l’échange, dans les pays et mers d’Afrique et d’Amérique au-delà de l’Équateur, et, trois mois après, dans les pays et mers situés à l’est du Cap de Bonne-Espérance.
Art. 3.
S. M. l’Empereur et Roi reconnaît Don Ferdinand et ses successeurs selon le droit d’hérédité établi par les lois fondamentales d’Espagne, comme Roi d’Espagne et des Indes.
Art. 4.
S. M. l’Empereur et Roi reconnaît l’intégrité du territoire d’Espagne telle qu’elle existait avant la guerre actuelle.
Art. 5.
Les provinces et places actuellement occupées par les troupes françaises seront remises, dans l’état où elles se trouveront, aux gouverneurs et aux troupes espagnoles qui y seront envoyées par le Roi.
Art. 6.
S. M. le Roi Ferdinand s’engage de son côté à maintenir l’intégrité du territoire d’Espagne, des îles, places et présides adjacents, et notamment de Mahon et de Ceuta : il s’engage à faire évacuer ces provinces, places et territoires par les gouverneurs et l’armée Britannique.
Art. 7.
Une convention militaire sera conclue entre un commissaire espagnol et un commissaire français pour que l’évacuation des provinces espagnoles occupées par les Français ou par les Anglais soit faite simultanément
Art. 8.
S. M. C. et S. M. l’Empereur et Roi s’engagent réciproquement à maintenir l’indépendance de leurs droits maritimes tels qu’ils ont été stipulés dans le traité d’Utrecht, et tels que les deux nations les avaient maintenus jusqu’à 1792.
Art. 9.
Tous les Espagnols qui ont été attachés au Roi Joseph, et qui l’ont servi ou qui l’ont suivi, rentreront dans les honneurs, droits et prérogatives dont ils jouissent. Tous les biens dont ils auront été privés leurs seront restitués. Ceux qui voudraient rester hors Espagne, auront un terme de dix années pour vendre, leurs biens et prendre les arrangements nécessaires; leurs droits aux successions qui s’ouvriraient en leur faveur leur seront conservés, et ils pourront jouir de leurs biens et en disposer sans être soumis au droit d’aubaine ou à tout autre droit.
Art. 10.
Toutes les propriétés mobilières et immobilières appartenant en Espagne à des Français ou à des Italiens, leur seront restituées, telles qu’ils en jouissaient avant la guerre. Toutes les propriétés séquestrées ou confisquées en France ou en Italie sur des Espagnols, seront également restituées. Des commissaires seront nommés de part et d’autre pour régler toutes les questions contentieuses qui pourraient exister ou survenir entre des Français et Italiens et des Espagnols, soit pour des discussions d’intérêt antérieures à la guerre, soit pour celles qui se seraient élevées depuis.
Art. 11.
Les prisonniers faits de part et d’autre seront rendus, soit qu’ils se trouvent dans les dépôts ou tout autre lieu, soit même qu’ils aient pris du service, à moins qu’aussitôt après la paix, ils ne déclarent devant un commissaire de leur nation qu’ils veulent rester au service de la puissance chez laquelle ils se trouvent.
Art. 12.
La garnison de Pampelune, les prisonniers de Cadix, de la Corogne, de la Méditerranée et ceux de tout autre dépôt, qui auraient été remis aux Anglais seront également rendus, soit qu’ils se trouvent en Espagne, soit qu’ils aient été envoyés en Amérique ou en Angleterre.
Art. 13.
S. M. Ferdinand VII s’engage à faire payer au Roi Charles IV et à la Reine son épouse, une somme annuelle de trente millions de réaux qui sera acquittée régulièrement et par quarts de trois mois en trois mois. A la mort du Roi, 2 millions de francs formeront le douaire de la Reine. Tous les Espagnols et leur service auront la liberté de résider hors du territoire espagnol, partout où L. M. le jugeront convenable.
Art. 14.
Il sera conclu un traité de commerce entre les deux Puissances, et jusqu’à sa conclusion, les relations commerciales seront sur le même pied qu’avant la guerre de 1792.
Art. 15.
Les ratifications du présent Traité seront échangées à Paris dans le terme d’un mois ou plus tôt si faire se peut.
Fait et signé à Valençay.
Le Comte de Laforest – Le Duc de San Carlos.