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12 décembre 1809 – Capitulation de Gérone

Charles Pierre François Augereau
Charles Pierre François Augereau

 

Proclamation du maréchal Augereau[1], duc de Castiglione, etc., aux habitants de Girone. (29 novembre 1809)

Malheureux habitants, victimes infortunées, immolées au caprice et à la fureur d’ambitieux avides de votre sang, revenez à vous, ouvrez les yeux, et considères votre position et les maux qui vous environnent. Et vous sol­dats, que l’honneur doit diriger dans toutes les actions de la vie, ne voyez-vous pas les perfides qui spéculent sur votre sang pour éviter les châtiments qu’ils ont si bien mé­rités ? Avec quelle tranquillité les tombeaux sont comblés de cadavres ! N’avez-vous pas horreur de ces cannibales, dont l’allégresse éclate au milieu d’une hécatombe hu­maine, et qui osent élever des mains souillées de sang vers le trône d’un Dieu de paix ? Ils se disent apôtres de J. C. Hommes infâmes et cruels, tremblez ! celui qui juge les actions des mortels est lent à faire justice, mais sa vengeance est terrible.

Catalans, considérez votre situation; la faim, la peste et la mort sont les résultats de l’obstination de quelques hommes qui vous trompent d’une manière aussi infâme. Je vous avertis, pour la dernière fois, habitants de Girone, réfléchissez, il en est temps en­core. Si vous me forcez à sortir de mon caractère, vo­tre ruine est inévitable. J’en gémirai le premier, mais les lois de la guerre m’imposent cette dure nécessité.

Deux fois je vous ai offert l’olivier de la paix, et vous n’avez répondu qu’en repoussant mes parlementaires à coups de canon. J’ai employé tous les moyens pour vous tirer de l’aveuglement qui vous pousse sur les écueils où vous devez nécessairement périr. J’ai agi avec la plus grande générosité ; c’est à vous maintenant à faire en­tendre à ceux qui vous commandent, la voix de la vérité et de la raison , et me mettre à même de faire une distinction entre la témérité et la rigueur.

Catalans, tous les jours je reçois sous ma tente les malheureux transfuges qui fuient les misères de Girone. Interrogez-les, et vous vous convaincrez de la bonté et de la douceur avec laquelle ils sont reçus et protégés. Je sais que des hommes astucieux et pervers vous persuadent qu’à peine arrivés à nos avant-postes, vous serez fusillés ; méprisez ces perfides suggestions au moyen desquelles ils vous en imposent pour faire de vous les instruments et les victimes de leur frénésie. Arrachez le voile qui couvre ces hypocrites imposteurs, et vous découvrirez les ténébreux ressorts qu’ils font agir dans leur fureur pour vous ensevelir sous les ruines de votre patrie. Alors vous verrez que ceux qui sont passés dans notre camp y ont reçu un généreux asile, et que sous la sauvegarde de notre armée, ils ont regagné leurs foyers, où ils se reposent au sein de leur famille des terribles souffrances qui sont le fruit d’une défense trop opi­niâtre.

Les secours et les ressources exagérées que l’on vous promettait depuis si longtemps se sont évanouis subi­tement. Les bandes de Blake ont éprouvé le sort qui les attendait ; à Santa-Coloma, à Hostalrich, à Besalu, elles ont été mises en pleine déroute. Maintenant ce général ne peut rassembler les débris de son armée, parce que les étrangers désertent en foule, et que les Espagnols détrompés se retirent dans leurs habitations : ainsi tout espoir de secours vous est enlevé.

Je suis sévère, mais juste, infortunée Girone, si tes défenseurs persistent dans leur obstination, tu périras dans le sang et dans les larmes ! 

Depuis que le siège avait été converti en blocus on n’avait rien ajouté aux travaux de chemine­ment. Les batteries de brèche et les contre-batte­ries étaient restées armées et dans le même état. On avait seulement établi des fourneaux de mine sous les bastions du fort Montjouy, et dans les redoutes de Saint-Louis, de Saint-Narcisse et de Saint-Daniel, pour les faire sauter dans le cas où l’on serait obligé de lever le blocus.

Plan du siège de Gérone
Plan du siège de Gérone

Il n’était plus possible de profiter des anciennes brèches, derrière lesquelles, d’après le rapport des déserteurs, l’assiégé avait fait les retranchements inexpugnables. On se décida donc à ouvrir à la courtine Sainte-Lucie une nouvelle brèche à côté de l’ancienne, au moyen de la batterie n° 27 : pour cela, il suffisait de porter les deux pièces de gau­che à la droite, d’où elles verraient mieux le pied du mur à renverser. On construisit en même temps près de San-Pons, sur le bord du Ter, une nou­velle batterie n° 29, de deux pièces de gros cali­bre, dans le double but d’empêcher l’ennemi de retrancher la nouvelle brèche et de prendre de revers tout le quartier Saint-Pierre, par lequel on devait pénétrer dans la ville. Cette batterie fut épaulée contre les feux des bastions du Mercadal, par une petite maison remplie de terre à laquelle elle fut appuyée.

Pendant l’exécution de ces travaux, on résolut de couper la communication de la ville aux forts de la montagne des Capucins, en s’emparant de la re­doute de la ville, de celle du Chapitre et du fort du Calvaire. Mais il fallait d’abord se rendre maître du faubourg de la Marine, où l’ennemi avait conservé des postes.

Le 2 décembre, à sept heures du soir, ce fau­bourg fut attaqué par six cents hommes du pre­mier et du deuxième régiment léger italien, sous les ordres de l’adjudant commandant Balabio. Les Espagnols firent peu de résistance, et se retirèrent dans la ville. On travailla toute la nuit à se retrancher dans les maisons, et à y faire des communica­tions pour arriver à couvert jusqu’à la tête du fau­bourg, qui se trouvait à moins de deux cent cin­quante mètres de la place. On établit aussi des postes sur le penchant de la montagne des Capucins, afin de surveiller les mouvements de l’ennemi de ce coté.

Au jour, la ville et les forts tirèrent beaucoup, mais sans effet, sur le faubourg. Les Espagnols étaient fort inquiets de nous voir si près de la muraille, dans une partie de la ville qui, jusque-là, avait été la moins exposée aux attaques et la moins gardée. Ils dirigèrent aussitôt de ce côté des troupes et de l’artillerie; ils retranchèrent des maisons, construisirent des retranchements dans les rues, et disposèrent sur les parapets du corps de place, des poutres pour les jeter sur les masses assaillantes en cas d’attaque. Ce fut une chose ad­mirable que de voir avec quelle activité ils prépa­rèrent ces nouveaux moyens de défense. Leur situation était cependant aussi malheureuse que possible. La garnison, affaiblie par les travaux con­tinuels, le peu de sommeil, le manque d’aliments, la privation absolue d’eau-de-vie et de liqueur, avait encore la douleur de voir repousser à nos avant-postes les malheureux qui osaient y traîner leur corps décharné pour y demander quelques moyens d’existence ou pour tâcher de s’échapper de la place. Elle avait perdu treize cent soixante-dix-huit hommes dans le seul mois de novembre, par le scorbut et la dysenterie. Le nombre des ma­lades allait toujours croissant ; et, sous l’influence de la contagion, les blessures devenaient presque toutes mortelles. Au milieu des maisons à demi écroulées, des rues dépavées où s’amassaient des eaux stagnantes et remplies d’immondices, les habitants demeuraient sans abri, et ne respi­raient qu’un air infect et corrompu par les exha­laisons des cadavres en putréfaction qui gisaient sans sépulture au milieu des décombres et des ruines. En présence de tant de maux, accablés à la fois par la guerre, la famine, les maladies, et les pertes les plus douloureuses, les caractères les plus fermes commençaient à être ébranlés.

Mariano Álvarez de Castro
Mariano Álvarez de Castro

Alvarez[2]seul, bien qu’attaqué lui-même d’une fièvre violente, restait inflexible. Quelques-uns parlaient de capituler ; d’autres, voulant rejoindre l’armée de Blake, proposaient de se frayer un pas­sage les armes à la main. Parmi les premiers, il y en eut un qui osa prononcer le mot de capitula­tion en présence du gouverneur; mais celui-ci l’interrompant aussitôt, lui dit : « Comment ! Vous êtes donc le seul lâche ici ? Quand il n’y aura plus de vivres, nous vous mangerons vous et ceux de votre espèce, puis je ferai ce que bon me semblera. »

Proclamation de la junte de la Catalogne aux habitants de cette province.

Dépositaires fidèles des intérêts que vous avez con­fiés à nos soins dans les circonstances critiques de cette guerre de religion et d’indépendance, il est de notre devoir le plus sacré de vous découvrir ouvertement et sans mystère la situation de la principauté. La patrie, nos chers concitoyens, est dans le plus grand danger, et se trouve sur le bord du précipice. Dans cet état, elle réclame les bras de ses enfants pour la sauver. Girone, l’immortelle Girone, après avoir souffert pendant sept mois le siège le plus meurtrier et le plus obstiné dont l’histoire fasse mention, se trouve réduite à la dernière extrémité, et les ennemis qui l’assiègent sont décidés à n’en faire qu’un monceau de cendres. Ses malheureux habitants, abandonnés de leurs concitoyens, se traînent parmi les ruines, et, ouvrant leurs yeux moribonds et vous tendant des bras déchar­nés, ils vous disent d’une voix tremblante : « Frères, pour garder la porte de votre maison nous occupons l’armée ennemie depuis huit mois, et nous vous mettons à même de jouir tranquillement de vos propriétés en sacrifiant nos biens, et tout ce que nous avons de plus cher; à présent il ne nous reste qu’à perdre nos corps affaiblis par la faim que nous souffrons. « Secourez-nous dans votre propre intérêt ! Si la compassion que doit inspirer notre misérable situation n’é­tait pas suffisante pour émouvoir vos cœurs, qu’ils le soient pour votre sûreté personnelle. Faisons la guerre à ces ennemis audacieux qui n’attendent que la chute de Girone pour venir piller vos maisons. Ces vils incendiaires, ces barbares assassins ruineront vos champs, profaneront vos temples, violeront vos femmes et vos filles, et vous arracheront la vie : nous avons dans la province assez d’exemples de semblables atrocités. Mais la perspective de ces malheurs ne sera pas nécessaire ; les souffrances et le danger de vos frères seront suffisants pour exciter vos cœurs et armer vos bras. Courage, Catalans ! préparez-vous à combattre avec ardeur, et à recueillir les fruits d’une victoire qui sera certaine, si vous obéissez avec confiance à ceux qui vous gouvernent. Imitez la victoire, à jamais mémorable de Bruch ; prenez les armes, et marchez vaillamment, en chan­tant des hymnes patriotiques; que le tocsin sonne dans toute la principauté, et porte l’épouvante dans le cœur de nos ennemis. Que leur armée se voie environnée de toutes parts, et que tous veux qui pourront s’échapper ne puissent trouver de salut, ni à Figuières, ni même à Perpignan, où vous irez venger votre juste cause, et recouvrer avec usure les trésors qu’ils vous ont enlevés. Remportez seulement une victoire, et la province sera libre pour toujours. Nous aurons Barcelone; les Pyrénées seront nos remparts; la valeur sent notre partage, et la lâcheté celui de l’ennemi.

Lorsque vous retournerez dans vos foyers, chargés des armes et des richesses que vous aurez conquises, vos femmes vous tendront leurs bras, et, les joues mouillées de larmes de joie, vous serreront contre leur cœur, et vous couronneront de lauriers. Que votre pre­mier soin, avant de combattre l’ennemi, soit d’implo­rer la miséricorde divine par la médiation le la mère de Dieu, protectrice de l’Espagne, dans le jour de sa conception immaculée, et de l’invincible martyr saint Narcisse, patron de Girone. A votre retour vous vous réunirez dans votre église paroissiale, vous chanterez un Te Deum solennel en actions de grâce de la victoire, et une messe pour le repos des âmes de ceux qui seront morts pour la défense de la religion. Ayez la plus grande confiance dans vos chefs et dans le gouvernement. D’après ses dernières et sages dispositions, il ne vous manquera rien, et vous verrez les chemins cou­verts de provisions. Respectez les propriétés ; soyez mo­dérés et obéissants; vivez unis avec le soldat, qui, nu et sans solde, souffre toute l’année les intempéries du temps et les fatigues de la guerre; regardez-le comme un frère, et ne perdez jamais de vue cette vérité : « Que malgré les intrigues de nos ennemis, notre parfaite union assure notre indépendance. » Répartissez-vous les armes de manière que les meilleures soient entre les  mains des plus vaillants et des plus habiles; et que ceux qui n’en auront pas s’arment de bâtons. La junte su­périeure et celle de la corrégidorie, toujours infatiga­bles pour le bien de la  patrie, ont pris les mesures les plus actives pour vous aider dans cette importante expédition; elles ne vous laisseront manquer de rien. Ceux qui se distingueront seront bien récompensés; les familles de ceux qui pourraient mourir sur le champ de bataille auront une existence assurée, et les blessés seront traités avec le plus grand soin.

La junte ne doute pas de la promptitude avec laquelle toutes ses dispositions seront exécutées. Cependant si, contre tout espoir, quelque Catalan dénaturé se refuse à remplir ses devoirs, il sera puni avec toute la rigueur que mérite son manque de patriotisme. Marchez donc, vaillante jeunesse ! confiez-vous à Dieu,  Notre Sei­gneur, et à l’habile général qui dirige notre année; fiez-vous à vos chefs, et armez-vous de constance ; que les faux bruits que notre ennemi fera répandre ne vous épouvantent point ; ne vous abandonnez jamais à une fuite précipitée, qui, portant la crainte dans les rangs, amènerait une ruine générale. Du courage et de la subordination, et la victoire vous restera.

Joaquín Blake y Joyes
Joaquín Blake y Joyes

De son coté, la junte de la province faisait tous ses efforts pour secourir la place. Elle fit savoir au gouverneur par des hommes affidés : que dans un congrès réuni à Manresa, le 20 novembre, les représentants de la province avaient décidé à l’una­nimité de lever sur-le-champ cinquante mille hommes, de l’âge de seize à quarante-cinq ans, pour donner à l’armée de Blake le moyen d’opérer le déblocus de Girone; qu’un prêt de dix millions de réaux devait être fait immédiatement par les plus riches de la province, afin que l’argent ne manquât pas pour l’exécution d’une entreprise aussi importante que l’était aux yeux de tous les Espagnols celle de sauver Girone; que le général Blake, ayant assisté lui-même au congrès de Manresa avec ses généraux, y avait sanctionné le plan de campagne proposé pour la délivrance immé­diate de Girone; qu’enfin, au vœu émis avec tant de spontanéité et d’accord par une province tout en­tière, et devant être suivi d’une attaque immédiate sur la ligne extérieure des assiégeants, venait s’unir la résolution exprimée le 26 novembre, par la junte suprême de Séville, de concourir de tous ses moyens à ce que le général Blake put voler au secours des défenseurs de Girone, qui, au nom du roi, avaient été déclarés n’avoir pas moins que ceux de Saragosse bien mérité de la patrie.

Ces nouvelles, répandues dans la ville par Alva­rez, ranimèrent l’ardeur de la garnison  et des habitants, en leur donnant l’espoir d’une pro­chaine délivrance. Mais il était trop tard ; Girone devait succomber avant que ces secours arri­vassent.

Le 4 décembre, un obusier et une piécette ca­non furent placés sur le penchant du mont Livio. Ils tirèrent dans la matinée sur les bastions du Mercadal, voisins de l’Oña, pendant que les trou­pes logées dans les maisons du faubourg de la Marine dirigeaient une vive fusillade sur le front de la porte del Carmen. Les batteries du Montjouy et de Saint-Jean faisaient également depuis deux jours un feu nourri : elles firent tomber le clocher de l’église Sainte-Lucie, où l’ennemi avait un poste. La place tirait peu. Un coup de fusil tiré de la cathédrale blessa mortellement le chef de bataillon du génie Boischevalier.

Le 5 au matin, cinq déserteurs des régiments d’Ultonia, de Bourbon et de Wimpfen, sortirent de la place et se présentèrent à nos avant-postes: ils étaient dans l’état le plus misérable. La nuit suivante, le capitaine du génie Vacani, accompa­gné d’un soldat intrépide, fit la reconnaissance de la redoute de la ville, et s’assura que cette redoute avait une escarpe non flanquée, de six à sept mè­tres de hauteur et sans fossé ; qu’elle n’était accessible que par le chemin de la ville, et qu’elle communiquait avec le fort du Connétable par une espèce de chemin couvert.

Le 6, le feu de toutes les batteries continua avec activité, et l’on se prépara à l’attaque de la redoute de la ville. A minuit, une colonne, com­posée des compagnies d’élite de la division ita­lienne, se réunit à la maison dite des Carmes, au pied de la hauteur des Capucins. Elle avait en tête des sapeurs nantis d’échelles, et quelques canonniers portant des obus pour pétarder la porte. Une colonne de troupes de Berg et de Wurtzbourg, formée au couvent de Saint-Daniel, devait s’em­parer en même temps du hameau de la Gironnelle, et faire de fausses attaques contre les forts pour partager l’attention de l’ennemi.

Dans cette opération, exécutée avec vigueur, la redoute fut escaladée, la porte brisée, et la garni­son passée au fil de l’épée : quelques hommes seu­lement parvinrent à s’échapper en sautant par ­dessus les murailles. On mit aussitôt cet ouvrage en état de défense; on tourna contre la ville et les forts deux pièces de canon qui s’y trouvaient; on crénela le mur de gorge; on barricada la porte par un mur en pierre sèche, et l’on y laissa pour garni­son une compagnie de grenadiers du sixième régi­ment italien, avec des vivres et des munitions pour trois jours. Toutes les autres troupes rentrèrent dans le faubourg de la Marine avant la fin de la nuit.

Dès le point du jour, les feux de la place et du Connétable foudroyèrent cette redoute, détruisi­rent les affûts des pièces qui s’y trouvaient, et obligèrent les défenseurs à se blottir dans le terre-plein. Bientôt après, l’ennemi, qui sentait toute l’importance de ce poste pour ses communica­tions avec les forts, fit avec ses meilleures trou­pes une sortie pour le reprendre. L’attaque fut des plus acharnées; mais la compagnie de gre­nadiers du sixième régiment italien tint bon, et donna le temps à une colonne de secours de déboucher du faubourg de la Marine pour attaquer la sortie en flanc. La lutte se prolongeant, les Espagnols retirèrent imprudemment, pour com­battre au dehors, les garnisons des redoutes du Calvaire et du Chapitre. Mais pendant que celles-ci étaient aux prises avec les troupes italiennes venues du faubourg de la Marine, le sixième régiment italien, commandé par le colonel Eugène, et campé sur la montagne en face du fort du Conné­table, saisit ce moment pour faire une diversion utile. Il se présenta au pied du fort du Calvaire, l’assaillit et le prit sans coup férir; puis, se diri­geant sur la redoute du Chapitre, il l’occupa également sans obstacle. Dés ce moment, l’assiégé dut perdre tout espoir de rétablir sa communica­tion avec les forts de la montagne des Capucins, qui, ne renfermant aucun approvisionnement, devaient bientôt tomber d’eux-mêmes.

Les sapeurs s’étant logés dans les maisons du hameau situé au pied de la tour de la Gironnelle, on voulut profiter de cette circonstance pour atta­cher le mineur à cette tour, afin de la faire sauter, de se procurer ainsi une seconde entrée dans la ville, et de tourner par là les retranchements cons­truits par l’assiégé derrière les anciennes brèches.

Le 8 décembre, à l’entrée de la nuit, les mineurs se logèrent au pied de la tour de la Gironnelle, et y établirent un blindage qu’ils recouvrirent de peaux de bœufs fraîches pour le garantir des matières combustibles. Cette opération fut conduite avec beau­coup d’audace sous le feu des grenades que l’assiégé faisait pleuvoir du haut de la tour. Pour soutenir ce travail, on plaça au fort du Calvaire une pièce légère qui, plongeant sur la plate-forme de la tour, empêchait l’ennemi de s’y présenter pendant le jour.

Le 9 décembre au matin, la batterie n° 27, augmentée des deux pièces placées à sa droite, ouvrit son feu contre la courtine Sainte-Lucie. La brèche bien commencée ne laissa pas de doute sur le succès qu’on en attendait. La batterie n° 29 tira en même temps sur les derrières de cette brè­che, pour en interdire les abords à l’ennemi. On vit les Espagnols travailler à découvrir les maisons voisines, comme pour faire une défense de barri­cades. A sept heures du soir, l’officier espagnol qui commandait l’artillerie au fort des Capucins, se présenta à nos postes comme déserteur, et fut conduit au maréchal Augereau.

Le même jour, les Espagnols firent une forte sortie de la place contre les redoutes de la ville et du Chapitre, afin de porter des vivres aux forts, qui depuis trois jours manquaient de tout, même d’eau ; mais ils ne purent réussir à passer entre les redoutes, bien que l’artillerie de la ville battît leurs parapets pour forcer les défenseurs à se reti­rer dans le terre-plein.

Le maréchal Augereau jugeant bien que la place ne pouvait plus résister à ses attaques, envoya un parlementaire au gouverneur, pour lui offrir d’ho­norables conditions, et lui faire, en cas de refus, des menaces désormais possibles à réaliser, d’assail­lir les brèches spacieuses découvertes sur les fronts du Montjouy et de donner l’escalade aux bastions de Saint-François et de la Merci. Le parlementaire fut renvoyé comme les précédents par Alvarez, de la bouche duquel il ne sortait, comme jadis de celle de Calvo, gouverneur de Maastricht, que les mots : «Je ne veux pas me rendre. »

Cependant, les membres de la junte, inquiets des conséquences auxquelles la ville s’exposait par une si grande obstination, firent faire par les mé­decins Viader et Satnaniego une consultation sur l’état de santé du gouverneur. Ceux-ci constatè­rent que, depuis le 27 novembre, il était attaqué d’une fièvre nerveuse, accompagnée de syncope et de délire, qui faisait craindre pour ses jours, et le dissuadèrent de conserver plus longtemps les rênes du commandement. Alvarez, cédant à leurs solli­citations et sentant sa fin s’approcher, remit son pouvoir au brigadier Bolivar, lieutenant de roi, et ne songea plus dès lors qu’à consacrer ses derniers moments à la religion.

Bolivar réunit aussitôt la junte, et tint un conseil, auquel assistèrent l’évêque et les principaux officiers de la garnison. Tous reconnurent l’impos­sibilité de porter des secours aux forts et de prolonger la défense de la place, à cause de l’état dans lequel se trouvaient les brèches, et de la position mena­çante qu’occupaient les assiégeants au pied même des murailles. Il fut décidé à l’unanimité : que le moment était venu où Girone pouvait offrir la paix à l’ennemi à de justes et honorables conditions, sans rien perdre de sa gloire aux yeux de la nation et de la postérité. En conséquence, le conseil chargea des négociations le brigadier Fournas qui, par ss belle défense du Montjouy, avait mérité l’estime des Français et la confiance des habitants.

Le 10 décembre, le brigadier Fournas sortit de la place en parlementaire, traversa la ligne des Italiens, et fut conduit à Fornells, quartier général du maréchal Augereau. Il exposa l’objet de sa mission, et annonça que la ville consentait à se ren­dre sous quatre jours, si, dans cet intervalle de temps, elle n’était pas secourue. Le maréchal re­jeta avec colère cette proposition, et dit que si dans deux heures la place n’acceptait pas les hono­rables conditions qu’il lui avait faites, l’assaut serait donné le soir même, et que ses troupes, impatientes de vengeance, feraient en sorte qu’elle fût com­plète. Le brigadier Fournas voulut insister, faisant connaître combien était forte encore dans la gar­nison et dans le peuple la volonté de se défendre ; mais il fut interrompu et renvoyé dans la place chercher les pouvoirs nécessaires pour traiter à l’instant même de la capitulation.

A son arrivée, les défenseurs parurent reprendre une nouvelle vigueur, et le peuple ressentit cet orgueil qui l’aveugle dans les dangers, et qui fait qu’il les affronte, quelques grands qu’ils soient. Néanmoins, ce moment d’effervescence n’eut pas de suite. La nouvelle brèche de Sainte-Lucie était belle et praticable; le mineur continuait ses cheminements sous la tour de la Gironnelle ; les forts allaient se rendre faute de vivres, et, par consé­quent, ne pouvaient plus servir de retraite : il fallut donc se soumettre et accepter les conditions du vainqueur.

 

Capitulation de la place de Girone et de ses forts.

Article Ier. La garnison sortira avec les honneurs du la guerre, et sera conduite eu France comme pri­sonnière de guerre.

Art. II. Tous les habitants seront respectés.

ART. III. La religion catholique continuera d’être observée par les habitants, et sera protégée.

ART. IV. Demain, à huit heures et demie du matin, la porte de secours et celle d’Areny seront remises aux troupes françaises, ainsi que les forts.

ART. V. Demain, 11 décembre, à huit heures et demie du matin , la garnison sortira de la place et défilera par la porte d’Areny : les soldats déposeront leurs armes sur les glacis.

Art. VI. Un officier d’artillerie, un officier du génie et un commissaire des guerres entreront dans la ville au moment de la prise de possession des portes, pour recevoir les magasins, les cartes, les plans, etc.

Fait à Girone, à sept heures du soir, le 10 décem­bre 1809.

Signés : JULIAN BOLIVAR, ISIDRO DE LA MATA, BLAS DE FOURNAS, JOSÉ DE LA IGL1SIA, GU1LLERMO M1NALI, GUILLERMO NASCH.

Le général chef de l’état-major-général du septième corps de l’armée d’Espagne. – Signé : Rey.

Approuvé par nous, maréchal d’Empire, comman­dant en chef le septième corps de l’armée d’Espagne.

Signé : Maréchal duc DE CASTIGLIONE.

Première note ajoutée à la capitulation de Girone. Fornells, le 10 décembre 1809.

La garnison française prendra possession de la place, sera casernée, et non pas logée dans les maisons ; les officiers recevront pour leur logement la même in­demnité que celle qui était allouée à la garnison espa­gnole.

Aucuns des papiers du gouvernement déposés dans  les archives de l’Ayentaminto ne pourront être détour­nés, enlevés ou brûlés.

Tous les membres ou employés de la junte, quelle que soit leur opinion , seront respectés, ainsi que leurs propriétés.

Tous les étrangers qui se trouvent dans la ville par expatriation, ou pour toute autre cause, auront, comme les membres et les employés de la junte, la faculté de retourner dans leurs maisons avec leurs équipages et leurs bagages.

Tous ceux des habitants qui voudront porter ailleurs leur domicile, le pourront, avec leurs effets et leurs équipages; toutes les propriétés de la ville seront res­pectées. – Suivent les signatures.

Deuxième note ajoutée à la capitulation de Girone.- Fornells, le 10 décembre 1809.

Article Ier. Un lieutenant ou un sous-lieutenant choisi parmi les officiers de la garnison recevra des passeports pour se rendre au quartier général de l’ar­mée espagnole, et faire part au général en chef de la capitulation de Girone ; il lui demandera en même temps l’échange des officiers et des soldats de la garnison con­tre un nombre égal d’officiers et du soldats français re­tenus dans les îles Majorques et autres lieux. S. Exe. le duc de Castiglione promet d’accorder cet échange aussitôt que le nombre indiqué de prisonniers français aura touché un port de France.  Les trois jours qui suivront la reddition de la ville, l’évêque délivrera aux prêtres qui sont sous ses ordres des passeports pour leurs villes respec­tives, afin d’y vivre comme des ministres de paix, sous la protection des lois espagnoles. – Suivent les signatures.

Troisième note ajoutée à la capitulation de Girone.- Fornells, le 10 décembre 1809.

Les employés espagnols de l’administration de la guerre sont déclarés libres comme non combattants, et pourront demander des passeports pour aller avec leurs équipages partout où bon leur semblera. De ce nombre sont : l’intendant, les commissaires des guerres, les employés des hôpitaux et des vivres, les médecins et chirurgiens de  l’année. – Suivent les signatures.

Le brigadier Fournas revint le soir même au quartier général du  maréchal Augereau,  pour conclure la capitulation, et les hostilités cessèrent aussitôt. A son retour dans la place, il fut accom­pagné par le général Rey, chef de l’état-major, afin d’obtenir de la junte militaire la sanction des articles qui portaient l’oubli des offenses, le réta­blissement de la tranquillité parmi les citoyens, la garantie de leurs propriétés, et le respect de la religion commune; mais, comme le général Fournas n’avait pu obtenir aucune condition relative à la liberté de la garnison, les officiers se répandirent en plaintes; et beaucoup d’entre eux auraient voulu tout risquer plutôt que de se soumettre à la dure nécessité d’être conduits prisonniers en France. Toutefois, ces plaintes s’apaisèrent lorsqu’ils eurent obtenu que l’un d’eux pourrait se rendre auprès du général Blake, pour l’engager à consentir à l’é­change immédiat de la garnison de Girone, con­tre autant de prisonniers français qui se trouvaient dans les îles Baléares, échange qui devait obtenir l’approbation du maréchal Augereau. L’évêque don Giovani Ramirez et l’intendant don Carlos Beramondi voulurent aussi qu’on assurât par un article additionnel la sécurité et la liberté des ecclésiasti­ques et de toute autre personne non militaire; cette nouvelle demande ayant été accordée, la ca­pitulation fut acceptée et signée.

Le 11 décembre, à huit heures du matin, nos troupes prirent possession de la porte Neuve et de celle d’Areny. La garnison sortit de la ville par le Mercadal et posa ses armes et huit drapeaux sur le glacis. Elle comptait encore quatre mille cent soixante hommes, de neuf mille trois cent soixante et onze qu’elle avait eus pendant le siège, y compris les renforts qu’elle avait successivement reçus. Les malheureux soldats ressemblaient à des spectres, et faisaient peine à voir. Le général Pino fut chargé, avec le quatrième régiment italien, de les conduire à Perpignan. Quinze cents hommes environ restè­rent dans les hôpitaux. Parmi les prisonniers, se trouvaient deux généraux, treize colonels, trente-neuf lieutenants-colonels, quatre majors et plus de quatre cents officiers de tout grade. Le gouver­neur Alvarez ne partit que quelques jours après; il fut renfermé au fort de Figuières, devant passer à un conseil de guerre chargé d’examiner s’il n’avait pas déjà prêté serment au roi Joseph. Il mourut peu de temps après dans sa prison, des suites de la maladie dont il était atteint. Plus tard, les Espagnols l’exhumèrent avec pompe, lui élevèrent un tombeau et honorèrent sa mémoire.

On trouva dans la place cent soixante-huit bouches à feu de tout calibre, la plupart hors de ser­vice, un million de cartouches d’infanterie, cin­quante mille boulets, dix mille kilogrammes de poudre, et plus de quinze mille fusils, presque tous en mauvais état. Quant aux magasins de vi­vres, ils étaient vides. Depuis longtemps la garni­son se trouvait sans bois pour faire cuire les ali­ments; sans sel, sans vin, pas même pour les malades; sans moyens d’éclairage, pas même pour les rondes; enfin, sans médicaments. Les fonds de l’intendant militaire étaient réduits à 562 réaux (environ 140 fr. ). Les habitants n’avaient pour moudre le peu de grain qu’ils possédaient encore que quelques machines à bras, les moulins des tanneurs, ainsi que les mortiers des pharmaciens et des confiseurs.

Il serait difficile de peindre l’état déplorable de cette malheureuse cité. Les rues étaient obstruées par des monceaux de décombres et d’immondices. Plus de la moitié des maisons étaient désertes, et toutes portaient des traces du bombardement. Celles qui longeaient l’Oña et le Ter s’étaient écroulées par les commotions de l’artillerie, et avaient enseveli sous leurs ruines leurs malheu­reux habitants. Les quartiers de Saint-Pierre et de la porte de France avaient été détruits par l’effet des batteries de brèche; celui qui  voisine la tour de la Gironnelle était tout à fait inhabitable; et les rues qui y conduisent depuis le bas de la ville étaient entrecoupées de nombreux épaulements, pour disputer le terrain pied à pied, dans l’hypo­thèse où nous serions parvenus à nous emparer du réduit des Allemands. On voyait partout des toits de maisons suspendus en l’air, près de crouler avec les ruines des murs latéraux; des portions de plancher qui n’étaient plus retenues que d’un côté; des portes et des fenêtres brisées. Les voûtes des magasins et des églises étaient enfoncées. Un grand nombre de familles dont les maisons avaient été brûlées ou détruites par les bombes étaient gisantes sur le pavé, ne sachant où se réfugier. Si à ces désastres l’on ajoute l’odeur infecte qui s’exhalait de toutes parts, et le tableau douloureux de mem­bres épars, de cadavres déchirés, abandonnés au milieu des débris des maisons ou à moitié ensevelis sur les terre-pleins couverts d’éclats de bombes, de fusils rompus, d’affûts brisés, de vêtements ensanglantés, on aura peine à concevoir comment les Espagnols, accablés par tant de maux, ont pu faire une défense aussi longue et aussi opiniâtre. Sous ce monceau de cadavres et de rui­nes, triste monument d’un héroïsme malheureux, avaient péri prés de dix mille habitants ou paysans, et cinq mille deux cent onze hommes de la garni­son, parmi lesquels un grand nombre d’officiers.

Le siège de Girone, commencé le 7 juin, dura six mois. Dans ce laps de temps, on ne compte que cent quatre jours de travaux et d’attaques ré­gulières, savoir : quinze jours pour les trois redoutes de Saint-Narcisse, de Saint-Louis et de Saint-Daniel; cinquante jours pour le fort Montjouy; et trente-neuf jours pour la ville.

Bien des fautes ont été faites dans ce siège : le mauvais choix du front d’attaque; l’assaut préma­turé au fort Montjouy ; celui qui fut donné à la ville dans une partie rentrante flanquée de toutes parts; la dissémination des moyens d’artillerie prodigués sans effet; l’établissement des batteries à une trop grande distance des points à battre; la manière dont les brèches furent entreprises en tirant au sommet de la muraille au lieu d’en attaquer le pied; enfin le désaccord qui régna entre les gé­néraux, et l’inaction de l’armée d’observation jusqu’au moment où le maréchal Augereau vint en prendre le commandement. On négligea beau­coup trop les secours de la fortification contre les sorties de la garnison et contre l’ennemi du dehors : la plaine de Salt, en particulier, et les ponts du Ter, auraient dû être défendus par des ouvrages. Il y eut aussi de fausses mesures et de l’ir­résolution dans la conduite des cheminements. Le siège de Girone était une entreprise difficile qui exigeait une direction ferme et éclairée, et c’est précisément ce qui manqua. Toutes ces fautes réu­nies donnent l’explication de la longue défense que tirent les Espagnols; car, si le siège eût été bien conduit, les défenseurs n’eussent certainement pas eu occasion de montrer cette constance admirable qui leur fit supporter longtemps les maux inouïs dont ils furent accablés.

La perte des troupes assiégeantes, tant de la division de siège que de l’armée d’observation, peut être évaluée à quinze mille hommes. Elle fut occasionnée bien plus par les fièvres que par le feu de l’ennemi. De quatre mille hommes que comptait au commencement du siège la division westphalienne, ainsi que la division italienne, la première fut réduite à huit cents, et la deuxième à douze cents. Sur vingt et un officiers du génie, treize furent tués ou blessés, et quatre tombèrent malades de la fièvre. Plus de la moitié des sapeurs et les deux tiers de leurs officiers furent mis hors de combat.

L’artillerie fit une consommation prodigieuse de munitions. Elle épuisa tous les magasins de Perpi­gnan et des places voisines. Elle tira tant sur la ville que sur les forts, onze mille neuf cent dix bombes, sept mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit obus, et quatre-vingt mille boulets. La plu­part des bouches à feu de l’équipage de siège et leurs affûts furent mis hors de service.

Le général Amey, nommé gouverneur de Girone, fit aussitôt désarmer les habitants, et organisa une nouvelle junte. On commença à débarrasser la ville des immondices qui l’encombraient, à repa­ver les rues et à fermer les brèches. Les moines, ayant essayé de troubler la tranquillité, furent tous arrêtés et conduits en France comme prisonniers de guerre. La place fut mise en état de défense, et l’on y créa des magasins pour une gar­nison de quatre mille hommes. Bientôt après, sur l’ordre du ministre de la guerre, on démolit les forts de la montagne des Capucins, les bastions de la Merci et de Sainte-Marie, la tour de la Gironnelle, et l’on ne conserva qu’une enceinte de sûreté.

La première opération que fit le maréchal Augereau après la prise de Girone, fut de dissiper la levée en masse que Blake avait faite dans le pays pour venir au secours de cette place. A cet effet, le 18 décembre, les brigades des généraux Guillot et Palombini se portèrent vers la Jonquières, où elles battirent un corps de six mille insurgés, et lui firent éprouver une perte de cinq cents hom­mes, tandis que le général Verdier tournait ce corps avec une colonne vers Massanet et Saint-Laurent de la Muga. Le 25, la division Souham dispersa vers Olot et Campredom les bandes de Rovira et de Claros, et s’empara de Ripoll, où se trouvait une manufacture d’armes. En même temps la division italienne du général Pino détruisit un corps de quatre mille hommes. Le maréchal Augereau ayant rétabli la tranquillité et rouvert ses communications en l’Ampourdan, marcha ensuite sur Vich, contre l’armée espagnole qu’il battit au col de Sespina, et contraignit de se retirer vers Tarragone; puis il commença le blocus d’Hostalrich.

 

Rapport du maréchal Augereau, due de Castiglione, au ministre de In guerre, sur la prise de Girone.

Girone, le 14 décembre 1809.

J’ai eu l’honneur d’adresser à V. Exe. la capitulation de la ville et des forts de Girone. Je lui envoie maintenant le rapport de la suite de mes opérations jusqu’au moment de la reddition de cette place.

Dans mes précédentes lettres, je vous ai rendu compte que j’avais fait enlever à l’ennemi les faubourgs de la Marine et de la Gironnelle, et les redoutes de la Ville, du Chapitre et du Calvaire. Dans ces diverses circons­tances, les troupes italiennes, françaises et allemandes se sont couvertes de gloire. La communication de la ville et des forts se trouva interceptée de telle manière qu’il ne fut plus possible à un seul homme de sortir de ces forts; leur garnison aurait été forcée de se rendre le 10, faute de vivres, si la ville elle-même ne m’eût de­mandé à capituler.

J’avais donné l’ordre au général d’artillerie Taviel de faire venir de Figuières et de Roses toutes les munitions nécessaires pour tirer pendant six jours sur la ville, de manière à la réduire en cendres, et à ouvrir des brè­ches assez larges pour que des demi-bataillons pussent y monter de front : j’étais décidé à faire un exemple sévère, si la garnison et les habitants osaient soutenir l’assaut. Diverses reconnaissances que j’avais faites au Montjouy et dans les batteries m’avaient décidé à faire quelques changements dans les travaux existants. Les commandants du génie et de l’artillerie eurent l’ordre de porter plus à droite quatre pièces de 24 de la batte­rie Saint-Jean, afin de mieux voir le pied de la mu­raille. Je fis attacher le mineur à la tour de la Giron­nelle, et voulant diriger l’attaque principale par la brè­che Sainte-Lucie, je fis établir deux pièces de 24 au pied du mamelon Vert, que je fis fortement traverser con­tre les feux, des bastions du Mercadal. Cette batterie voyait à revers tout le quartier de Sainte-Lucie, et devait le rendre  inhabitable à l’ennemi. Trois autres pièces de 24 furent établies près du faubourg de la Ma­rine, afin de détruire toutes les défenses du bastion de la Merci, et du front du la place où l’Oña entre dans la ville.

Notre feu commença le 9, à six heures du matin, et il ne discontinua pas jusqu’au soir : le bombardement continua pendant la nuit. Déjà la brèche de Sainte-Lucie commençait à être praticable pour quinze hommes de front ; la batterie du Ter avait rendu le quartier Sainte-Lucie impraticable à l’ennemi, et les autres batteries avaient fait le plus grand effet. Le mineur avançait as­sez rapidement.

Le feu reprit le 10, et continua jusqu’à une heure après midi avec le plus grand succès, lorsqu’il me fut rendu compte qu’un brigadier et un colonel étaient sortis de la place, et demandaient à capituler. J’envoyai auprès d’eux le général Rey, mon chef d’état-major gé­néral, pour entendre leurs propositions; mais ces offi­ciers, n’ayant pas les pouvoirs nécessaires, furent ren­voyés dans la place, avec ordre de rapporter une ré­ponse dans une heure, et ils furent prévenus que passé ce terme le feu recommencerait, et que je n’écouterais plus aucune proposition. Le brigadier revint bientôt, et fut conduit à mon quartier général, à l’instant où je sor­tais pour reconnaître par moi-même la situation des tra­vaux et des brèches.

Cet officier me rendit compte que le gouverneur Al­varez avait reçu tous les sacrements ; que la plus grande fermentation régnait dans la ville, et qu’il ne pouvait que demander une suspension d’armes, me suppliant d’envoyer avec lui quelqu’un de marquant qui pût faire connaître aux habitants mes intentions ; que la grande masse voulait se rendre, mais qu’un certain nombre cherchait encore à agiter les esprits, et que si je n’ac­cordais pas la demande qu’il me faisait, il prévoyait que tous les malheurs allaient fondre sur la malheureuse ville de Girone. Pour répondre à la confiance que la masse avait dans l’indulgence de S. M., je donnai mes instructions au général Rey, qui se rendit dans la place, avec mon aide de camp de Chavanges et le brigadier espagnol.

A huit heures du soir, mon chef d’état-major revint avec un officier général et un officier supérieur espa­gnols, m’apportant la capitulation, que j’approuvai. Les dispositions en ont été ponctuellement remplies, et tous bénissent aujourd’hui la clémence du l’Empereur.

Je suis très-satisfait du zèle, de l’activité et des ta­lents du générai Rey, mon chef d’état-major général; il a rendu des services à l’armée; je le recommande aux bontés de Sa Majesté.

La garnison, forte de six mille hommes, a déposé ses armes et huit drapeaux sur le glacis ; le premier con­voi de prisonniers est de quatre mille trois cents hom­mes, dont deux généraux, treize colonels, trente-neuf lieutenants-colonels, quatre majors, et près de quatre cents officiers de tous grades, il reste dans les hôpitaux de la ville seize cents malades, et une soixantaine d’of­ficiers, ainsi que le gouverneur général Alvarez.

On a trouvé dans la place cent soixante-huit bouches à feu de tout calibre, cinquante mille boulets, un million de cartouches d’infanterie, dix mille kilogrammes de poudre de guerre, et une grande quantité de fusils; il en sera rendu compte à V. Exe. aussitôt que les états auront été remis à l’état-major général.

Le général Taviel, commandant l’artillerie, et le chef de bataillon Pâris, commandant le génie, ont parfaite­ment rempli mes intentions.

Ainsi que j’ai déjà eu l’honneur d’en rendre compte à V. Exe, je ne puis trop me louer du bon esprit qui règne dans l’armée, et de la bravoure de toutes les trou­pes ; généraux, officiers et soldats, ne demandent qu’à donner de nouvelles preuves de leur entier dévouement à l’Empereur.

Je joins ici l’état des officiers qui, par leur conduite distinguée, sont dignes des grâces de Sa Majesté. Je la supplie de les leur accorder, ainsi que les demandes que j’ai eu l’honneur de vous adresser.

Girone devient pour l’armée une bonne place d’armes ; j’y fais faire les établissements qui me seront néces­saires. J’ai ordonné une forte reconnaissance sur Hostalrich. Je prie Votre Excellence d’assurer Sa Majesté que je dispose tout pour rétablir la tranquillité dans la haute Catalogne.

Agréez l’assurance de ma considération distinguée.

Signé : Maréchal DUC DE CASTIGLIONE.

 

 

Le siège de Gérone. Illustration anonyme contemporaine
Le siège de Gérone. Illustration anonyme contemporaine

(in J. Belmas – Journaux des sièges faits ou soutenus par les Français dans la Péninsule de 1807 à 1814 – Tome 2 – Paris 1836)

[1] C’est Gouvion Saint-Cyr qui, chargé des opérations en Catalogne, avait commencé le siège de Girone, pour être, à la mi-octobre, remplacé par Augereau

[2] Mariano Alvarez de Castro (1749 – 1810), gouverneur de Girone, que la Junta Centrale a nommé maréchal en avril, une des figures les plus emblématiques de la résistance espagnole.